Comptes Rendus
Eiffel et la météorologie
Comptes Rendus. Mécanique, Volume 351 (2023) no. S4, pp. 49-56.

Le vent a toujours été pour Gustave Eiffel une préoccupation majeure par ses effets sur les constructions métalliques de grande dimension qu’il réalisait. «  Le vent, mon ennemi  », disait-il. Eiffel exprime à travers ses discours sa volonté de mettre la science au service de la technique. La météorologie doit aider l’aviateur, le paysan ou le marin. C’est pour les hommes que Gustave travaille. Il préconise ainsi de simplifier les pratiques pour que les résultats soient accessibles à tous. Ainsi la météorologie doit donner des informations exploitables immédiatement.

The wind has always been a major concern for Gustave Eiffel due to its effects on the large metal constructions he made. “The wind, my enemy”, he said. Eiffel expresses through his speeches his desire to put science at the service of technology. Meteorology must help the aviator, the peasant or the sailor. It is for men that Gustave works. He therefore recommends simplifying practices so that the results are accessible to all. So the meteorology must give usable information immediately.

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DOI : 10.5802/crmeca.209
Mot clés : Eiffel, Météorologie, Anémomètre pendulaire, Héliographe photographique, Société météorologique de France
Keywords: Eiffel, Meteorology, Pendular anemometer, Photographic heliograph, French meteorological society
Martin Peter 1

1 Aérodynamique Eiffel, 67 rue Boileau, 75016 Paris, France
Licence : CC-BY 4.0
Droits d'auteur : Les auteurs conservent leurs droits
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Martin Peter. Eiffel et la météorologie. Comptes Rendus. Mécanique, Volume 351 (2023) no. S4, pp. 49-56. doi : 10.5802/crmeca.209. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/mecanique/articles/10.5802/crmeca.209/

Texte intégral

1. Les motivations d’Eiffel

Avant tout, il n’est pas vain de s’interroger sur les raisons qui ont amené Gustave Eiffel, le magicien du fer, à s’intéresser à la science de la météorologie jusqu’à en devenir un éminent spécialiste ! C’est sans doute en premier lieu parce que le vent a toujours été pour lui une préoccupation majeure par ses effets sur les constructions métalliques de grande dimension qu’il réalisait. « Le vent, mon ennemi », disait-il.

Il venait d’autre part de quitter la direction de sa société de constructions métalliques de Levallois à la suite, notamment de ses déboires lors de la construction du Canal de Panama et sa soif de savoir l’incitait à s’intéresser à cette science encore balbutiante. Il avait 60 ans.

Il estimait enfin que la Tour qui porte son nom, objet de certaines critiques à l’époque, pouvait servir de support pour le développement de sciences et de techniques comme la météorologie. C’est ainsi que pendant 20 ans, Eiffel va se consacrer avec la rigueur et l’opiniâtreté qu’on lui connaît à l’étude du vent et des phénomènes météorologiques tout en menant de front ses activités dans l’aérodynamique.

Eiffel exprime à travers ses discours sa volonté de mettre la science au service de la technique. La météorologie doit aider l’aviateur, le paysan ou le marin. C’est pour les hommes que Gustave travaille. Il préconise ainsi de simplifier les pratiques pour que les résultats soient accessibles à tous. Ainsi la météorologie doit donner des informations exploitables immédiatement.

2. Construction de 5 stations météorologiques

Cinq stations météo vont d’abord être construites, l’une sur la Tour et quatre autres dans des propriétés familiales.

2.1. La station de la Tour

Dès 1889, année de l’inauguration de la Tour, Gustave Eiffel, aidé par son ami Emile Mascart, directeur du Bureau Central de la Météorologie, fait installer à son sommet à 334 m d’altitude, un observatoire météorologique. La plate-forme ne mesurait pas plus de 1,60 m de diamètre. Cette installation permettait de recueillir des informations sur la température, la pression atmosphérique, la pluviosité, la vitesse et la direction du vent. Ces informations étaient transmises électriquement par un câble qui courait le long de la structure de la Tour puis, passant par les égouts de la ville allait jusqu’au Bureau Central de la météorologie situé dans un immeuble voisin …

Figure 1.

Croquis établi par Eiffel pour l’agencement de la station météorologique de la Tour.

Figure 2.

L’observatoire au sommet de la tour — détail l’anémomètre girouette Richard (installé en C).

Figure 3.

Salle des enregistrements à la tour Eiffel.

2.2. La station de Sèvres

C’est dans son château des Bruyères à Sèvres qu’Eiffel installa en 1891 un second observatoire pilote qui va lui permettre d’étalonner ses équipements de mesure.

Figure 4.

Plan de l’observatoire de Sèvres. Eiffel et un collaborateur aux Bruyères.

Figure 5.

Local des enregistreurs de Sèvres.

Il va remettre en cause « l’abri français » qui protège les instruments, lui préférant « l’abri anglais » qu’il va adapter et qu’on appellera « l’abri de Sèvres ».

Figure 6.

Abris et pluviomètres dans le parc de Sèvres.

Eiffel publia en 1901 un ouvrage ayant pour titre « Dix années d’observations météorologiques à Sèvres ».

2.3. Les stations de Beaulieu-sur-Mer, Vacquey et Ploumanach

Puis vint l’installation de trois autres stations d’observation, l’une à Beaulieu-sur-Mer en 1901 où Eiffel possédait une propriété, une autre près de Bordeaux en 1902 sur le domaine de Vacquey qui appartenait à son fils Edouard ; et en 1905 une troisième, en Bretagne dans le hameau de Ploumanach où vivait son fils Albert. Cette dernière était installée dans sa maison qui s’appelait « Ker Awell », la maison du vent. Un nom prédestiné !

Figure 7.

Villa Eiffel à Beaulieu-sur-Mer.

Ce petit réseau construit sur les terres familiales va lui permettre de faire progresser cette science encore balbutiante, qu’est la prévision du temps.

Pour 1902 et les trois années suivantes, il fit éditer une « Etude comparée des stations météorologiques de Beaulieu, Sèvres et Vacquey ».

Il va également publier l’étude comparée des paramètres météorologiques recueillis dans ses stations sous forme de courbes et de graphiques, ce qui va le conduire à étendre cette étude comparative aux 24 stations du Bureau Central réparties sur le territoire français. Les relevés météo étaient consignés dans des atlas qu’Eiffel publiera pendant 7 ans. Il va en interrompre ensuite la publication car elle s’est révélée trop lourde à gérer. Ces atlas, très appréciés des météorologistes entreront en 1914 dans les archives du ministère de l’Agriculture, conscient de l’intérêt de ces précieuses informations.

3. Les principaux résultats d’Eiffel

3.1. Invention de l’anémomètre pendulaire

Gustave Eiffel invente aussi un anémomètre pendulaire à doubles plaques oscillantes. L’une, légère, pour les vents faibles ; l’autre pour les vents forts. Ces plaques sont portées par une Girouette qui les oriente face à la brise. L’appareil mesure la pression maximale du vent entre deux observations. Pour Eiffel, c’est la pression du vent qu’il importe le plus de connaître, soit en raison des services que l’on peut en attendre, soit à cause des dangers que les hommes doivent à tout prix éviter pour sauvegarder des vies et pérenniser leurs bâtiments. Eiffel a également déterminé que plus encore que la vitesse, c’est la direction du vent qui est essentielle car c’est elle qui détermine l’évolution du temps.

Figure 8.

Anémomètre pendulaire. Héliographe photographique.

3.2. Invention de l’héliographe photographique

A l’époque, même les météorologues avaient tendance à observer de manière subjective l’état du ciel selon sa nébulosité. On parlait de ciel couvert, nuageux … Eiffel préconise la mesure de l’insolation qui est « l’ inverse » de la nébulosité et du temps d’insolation. Il utilise pour cela des héliographes dont il a d’ailleurs breveté un modèle très performant.

3.3. Importance de l’enregistrement

Observer et mesurer ne suffisent pas. Les observations personnelles sont toujours sujettes à erreur. Elles échappent au contrôle objectif. Eiffel préconise l’emploi quasi systématique des enregistreurs. Conserver les données recueillies est indispensable aussi bien pour la température que pour les autres phénomènes météorologiques. On peut en tirer des courbes d’évolution et des tracés qui donnent des indications précieuses pour anticiper les phénomènes.

3.4. Mesure de l’humidité de l’air

Eiffel a distingué l’humidité absolue de l’humidité relative. La première mesure le poids de la vapeur d’eau en grammes contenue dans un m3 d’air, la seconde étant le rapport entre l’humidité absolue et l’humidité contenue dans un m3 d’air saturé. Il en a conclu que l’humidité varie comme la température mais indépendamment du vent.

3.5. Mesures de température

Eiffel comparait les minima et maxima quotidiens représentés par des graphiques superposables. Les valeurs moyennes mensuelles ou saisonnières faisaient l’objet de tableaux qu’il appelait « expression de la température ».

4. Eiffel, président de la Société Météorologique de France

Eiffel tira la conclusion de ses expériences l’importance de la variation des phénomènes traduite en courbes et graphiques et non pas les seules mesures ponctuelles. C’est ce constat qu’il a appliqué à la prévision du temps, laquelle est le fondement même de la science météorologique.

Les progrès qu’ Eiffel avait permis de réaliser en météorologie furent reconnus par ses pairs au point qu’en 1910, il est nommé Président de la Société Météorologique de France. D’autres distinctions étrangères l’ont également honoré pour ses travaux en météorologie, reconnus et appréciés à travers le monde.

Pour illustrer la pensée de Gustave Eiffel, voici ce qu’il écrivait en 1905 : «Je n’ai qu’un but, c’est de permettre à toutes les bonnes volontés de se produire dans le domaine de la météorologie. La notation patiente des phénomènes météorologiques, l’étude toujours plus attentive de leurs relations et de leurs causes nous permettront sans doute de nous rapprocher de plus en plus du but auquel doivent tendre tous nos efforts : la connaissance du temps qu’il fera. »

5. Conclusion

On peut dire que l’ingénieur de la Tour et des nombreuses constructions qui avaient fait sa renommée laissa aux techniques météorologiques des bases qui continuèrent à exister. Eiffel a notamment préconisé :

  • la généralisation de l’utilisation d’enregistreurs
  • la suppression des observations à l’estime
  • l’emploi de l’année météorologique du 1/12 au 30/11 de l’année suivante (correspondant aux saisons) plutôt que l’année civile du 1/01 au 31/12
  • l’adoption de l’heure locale, le soleil étant le moteur des phénomènes météorologiques
  • l’utilisation de vitesses en km/h au lieu des m/s.

Le perfectionnement des systèmes de relevé et d’acquisition des données permit de constituer au fil des années une documentation précieuse. Ces documents, largement diffusés dans les milieux scientifiques, incitent Eiffel à donner une nouvelle ampleur à ces observations. C’est alors qu’en 1906, il décide de faire paraître son premier Atlas Météorologique. Dans cet ouvrage, il donne les graphiques des valeurs quotidiennes, mensuelles, saisonnières et annuelles des éléments météorologiques indispensables dans vingt-quatre régions de France, de Dunkerque à Alger.

On peut affirmer que l’œuvre de Eiffel en météorologie n’aura pas été vaine. Ses méthodes ont été appréciées par un grand nombre de spécialistes, tel M. Barbé, ingénieur en chef de la météorologie qui écrivait en 1925 : « Dans cette voie de l’utilisation pratique de la météorologie, Eiffel a été le précurseur le plus actif et le mieux avisé ; la forte impulsion qu’il a donnée dans ce sens au cours de son intervention énergique mais trop courte a contribué pour une large part aux heureux débuts constatés à ce jour. »

Et M. Barbé d’ajouter : « C’est un laurier de plus qui vient s’ajouter à ceux déjà nombreux que l’homme éminent avait su conquérir pendant sa longue existence toute entière consacrée au travail, opiniâtrement et sans défaillance, animée par la forte volonté de réaliser les grandes œuvres auxquelles le nom d’Eiffel restera perpétuellement attaché. »

Conflit d’intérêt

L’auteur n’a aucun conflit d’intérêt à déclarer.


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