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Comptes Rendus

Risques bactériologiques / Bacteriological risks
La menace de la variole
Comptes Rendus. Biologies, Risques bacteriologiques, Volume 325 (2002) no. 8, pp. 845-850.

Résumés

La variole est une maladie hautement contagieuse, principalement transmise par aérosols et associée à un fort taux de mortalité. Le virus de la variole provient d’une longue adaptation à l’espèce humaine au cours de l’Évolution, expliquant sa stricte spécificité pour l’homme et son absence de pathogénicité pour les animaux. La variole a été éradiquée en 1977 et la vaccination abandonnée dans les années 1980. Le virus est une redoutable arme biologique potentielle, car on peut s’attendre à ce que la ré-émergence de la maladie ait des effets dévastateurs sur les populations du fait de sa haute contagiosité pour les populations non immunes, particulièrement celles vivant en zones urbaines, avec une rapide dissémination à travers le monde par les transports aériens. Il n’y a pas de traitement antiviral et le vaccin n’est actif que dans les quatre jours suivant l’exposition au virus. Aujourd’hui, les stocks de virus représentent une des principales menaces pour l’humanité. Il faut à l’avenir améliorer la sécurité du vaccin et reconsidérer la politique de prévention en tenant compte d’une possible attaque par le virus de la variole.

Smallpox is a highly contagious disease mainly transmitted by aerosols with a high case-fatality. The smallpox virus has evolved from a long adaptation to humans during Evolution, explaining that the virus is highly specific for humans and nonpathogenic for animals. Smallpox was eradicated in 1977 and vaccination was abandoned in the 1980’s. This virus is a dreadful potential biological weapon since the reemergence of smallpox on the planet might be expected to be devastating, due to its high ‘contagiosity’, which would rapidly spread in naive populations, especially those living in urban areas, and worldwide through air travels. There is no anti-viral treatment and vaccine is active in the first four days post-exposure. Today, the stocks of smallpox virus constitute one of the most dangerous threats for humanity. There is a need for improving the safety of the vaccine and to reconsider the preventive strategy to face a possible attack by smallpox virus.

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DOI : 10.1016/S1631-0691(02)01495-6
Mots-clés : variole, bioterrorisme, vaccine
Keywords: smallpox, bioterrorism, vaccine

Patrick Berche 1

1 Service de microbiologie, CHU Necker–Enfants–Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France
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Version originale du texte intégral

1 Introduction

La variole est une maladie strictement humaine, très contagieuse et associée à une forte mortalité. Elle est due à un virus, appelé smallpox, principalement transmis par aérosols. Ce virus provient d’une longue adaptation au cours de l’Évolution, qui l’a rendu très spécifique de l’espèce humaine et non pathogène pour l’animal, aussi bien dans des conditions naturelles qu’expérimentales. Il résiste dans l’environnement de façon durable et peut donc être aussi transmis par du matériel contaminé. Du fait de sa forte contagiosité et de la mortalité qu’il entraîne, c’est une arme biologique redoutable. Il n’existe aucun traitement antiviral, et seule une vaccination précoce dans les quatre jours suivant l’exposition au virus peut éventuellement prévenir la maladie.

2 L’éradication de la variole

La variole est une maladie endémique répandue dans le monde entier depuis au moins 3000 ans 〚1〛. En effet, la variole est décrite dans les anciens écrits indous, chinois et égyptiens, ce qui est confirmé par la découverte de pustules de variole sur la momie du pharaon Ramsès V, mort en 1158 av. J.-C. 〚1〛. Évoluant de façon endémique, avec des vagues épidémiques, durant des siècles, la variole, plus qu’aucune autre maladie infectieuse, a probablement décimé et défiguré des millions de gens de tous âges, toutes classes et toutes races. Ainsi, par exemple, au XVIIIe siècle, cette maladie a régulièrement tué en Europe entre 200 000 et 600 000 personnes chaque année, avec un taux de mortalité situé entre 20 et 40 %. Au XVIe siècle, les Espagnols ont amené le virus, jusque-là inconnu, au contact des populations amérindiennes, très sensibles, entraînant une mortalité beaucoup plus élevée. Par exemple, on rapporte que, entre 1520 et 1522, 3,5 millions d’aztèques seraient morts de variole lors de la conquête du Mexique par Cortés.

La seule façon de prévenir la maladie a d’abord été d’immuniser des individus sensibles avec du matériel infectieux provenant des lésions cutanées de variole en fin de maladie, présumant que le « principe infectieux » était alors atténué. Ce procédé, appelé variolisation, pratiqué en Asie depuis l’Antiquité, fut introduit d’abord en Grande-Bretagne par Lady Mary Wortley Montagu en 1721 〚1〛, puis s’est rapidement répandu en Europe ; son utilisation s’est poursuivie jusqu ’au milieu du XIXe siècle. Cette pratique était efficace, mais dangereuse, entraînant une variole grave sur 200 variolisations. Cependant, en 1796, Edward Jenner fit une découverte majeure : le cowpox, maladie à l’origine de mammites de bovidés transmise aux trayeurs de vache, protégeait contre la variole, permettant d’entrevoir une vaccination sans les graves inconvénients de la variolisation. Jenner entrevit dès cette époque l’éradication de la variole par la vaccination. Légale et obligatoire en Bavière, au Danemark, au Hanovre, en Norvège et en Suède dès 1821, la pratique de la vaccination s’est rapidement étendue aux autres pays européens, induisant une baisse régulière de la variole en Europe et en Amérique du Nord au cours du XIXe siècle 〚1〛.

Jusqu’à récemment, l’incidence mondiale de la variole est restée élevée. Par exemple, entre 1924 et 1947, la plupart des pays (au moins 69), incluant ceux d’Europe et les États-Unis (rapport OMS juin 1947), reportaient la présence de la maladie. Ainsi aux États-Unis, une épidémie de 49 000 cas et 173 morts a été rapportée en 1930 et, en 1939 encore, 9875 cas de variole ont été déclarés. De grandes épidémies sont aussi survenues en zone d’endémie dans le Tiers-Monde, comme par exemple en Inde, où plus d’un million de cas, avec 230 849 morts, ont été officiellement rapportés en 1944, puis une autre vague en 1950, avec 157 322 cas et 14 092 morts, chiffres largement sous-estimés. L’éradication globale de la variole a commencé formellement par la résolution de la 20e Assemblée de la santé mondiale en janvier 1967, à une époque où plus de 40 pays étaient encore atteints par la variole de façon endémique 〚2〛. Le dernier cas naturel de variole est survenu en octobre 1977 en Somalie 〚3,4〛. La vaccination a cessé d’être pratiquée aux États-Unis dès 1972, et dans la plupart des pays à partir de 1985. Actuellement, la majorité de la population du globe n’est plus vaccinée, à l’exception de la population la plus âgée, qui a été vaccinée au cours de l’enfance et garde probablement une certaine protection.

3 La maladie

La variole correspond à deux maladies distinctes, appelées variole majeure (asiatique ou classique) et variole mineure (alastrim ou variole africaine), dues à deux souches de virus smallpox, aux caractéristiques distinctes 〚1〛. La variole mineure entraîne un faible de taux de mortalité chez les non-vaccinés (1 %). Cette maladie a sévi aux États-Unis jusqu’en 1949, remplaçant la variole majeure dans ce pays au début du XXe siècle. La variole majeure induit un taux de mortalité estimé entre 15 et 45 %. Cependant, on a rapporté, notamment en Afrique subsaharienne dans les années 1970, la survenue de variole avec un taux de mortalité de 10 à 15 %, suggérant la circulation de souches de virulence intermédiaire.

L’OMS distingue six types de varioles majeures, suivant la forme de l’éruption et la sévérité de la maladie, avec différents taux de mortalité : (1) une éruption discrète, vésiculo-pustuleuse, avec une mortalité inférieure à 10 % ; (2) une éruption vésiculo-pustuleuse semi-confluente, avec une mortalité entre 25 et 50 % ; (3) une éruption confluente, avec une mortalité entre 50 et 75 % ; (4) une éruption de type papuleuse, survenant chez 2 à 5 % des patients, avec des signes de toxicité sévère et un taux de mortalité supérieur à 95 % chez les non-vaccinés, tandis qu’il est de 66 % chez les sujets vaccinés ; (5) une éruption hémorragique (3 % des patients), caractérisée par des pétéchies extensives, des hémorragies muqueuses, une sévère toxémie et une mortalité de près de 100 % ; (6) la variole sans éruption chez des patients correctement vaccinés avec un syndrome fébrile survenant après une période habituelle d’incubation et une mortalité estimée à 3 % 〚1〛. Une relation entre la sévérité clinique de la maladie et la virulence de la souche virale responsable de cette maladie a été clairement établie 〚5〛.

Les patients sont très contagieux par aérosols au début de la phase éruptive de la maladie, au moment où les virus sont massivement libérés dans la salive. À partir d’un seul patient, on estime le nombre de cas secondaires sur une population sensible entre trois et six, ce qui donne une idée de la rapidité de propagation de la maladie 〚6〛 . Suivant une exposition aux aérosols infectants, le virus de la variole s’implante dans l’ensemble des voies respiratoires, gagnant rapidement les ganglions lymphoïdes régionaux, où il se réplique. Suit une virémie, avec dissémination aux autres organes lymphoïdes, à la rate et aux organes cibles comme le foie, la moelle osseuse, les poumons et la peau, expliquant l’éruption. Après une incubation de 12 j en moyenne (7–17 j), les symptômes de la phase pré-éruptive (3–5 j) surviennent de façon brutale ou progressive, avec maux de tête, fièvre, malaise, prostration, courbatures et vomissements. L’éruption typique apparaît entre trois à six jours après le début de la maladie, avec des macules qui, successivement, se transforment en papules, vésicules et pustules. En cas de survie, les pustules cicatrisent à la fin de la deuxième semaine de la maladie, formant des croûtes, qui vont tomber au bout d’une semaine, laissant des lésions cicatricielles indélébiles roses (pockmarks), qui se dépigmentent lentement. La distribution de l’éruption est centrifuge, prédominant au visage, aux avant-bras et aux poignets, aux paumes, à la plante des pieds et à l’oropharynx, alors que le thorax, l’abdomen, les bras et les cuisses sont relativement épargnés. L’apparition de l’éruption coïncide avec une chute de la température, suivie d’une nouvelle poussée de fièvre associée à l’apparition des pustules. Une conjonctivite peut se voir chez certains patients durant la première semaine. Les pustules peuvent être le lieu de surinfections bactériennes, notamment à staphylocoques, avec des complications (abcès, arthrites septiques, ostéomyélites, ulcères cornéens pouvant entraîner la cécité...). Le mécanisme de la mort est mal compris, mais celle-ci pourrait être due à des signes toxiques et à une coagulation intravasculaire disséminée.

4 Le virus de la variole

Le virus smallpox fait partie de la famille des Poxviridae. Parmi les virus existants, c’est une des familles les plus vastes et les plus complexes. On distingue deux sous-familles, les Chordopoxvirinae des vertébrés, et les Entomopoxvirinae des insectes 〚7〛. Ces virus infectent la plupart des vertébrés (mammifères, oiseaux, reptiles...) et les insectes. Ils ont une forme ovoïde caractéristique, en « brique », avec un corps biconcave, contenant le génome de l’ADN. Excepté le virus de la fièvre porcine africaine, les Poxvirus se répliquent dans le cytoplasme des cellules infectées. Le virus smallpox croît rapidement en culture cellulaire en quelques jours, donnant des inclusions cytoplasmiques. Il est facilement distinguable des autres Poxvirus comme ceux de la vaccine et du monkey-pox, par les profils de restriction du DNA, par des sondes moléculaires et par PCR.

Le génome des Poxvirus est constitué d’une molécule linéaire d’ADN double-brin de taille variable (130 à 375 kb), avec des répétitions terminales inverses (ITR) et des structures de type « épingle à cheveux » aux extrémités 〚7〛. La région centrale des Poxvirus est hautement conservée, avec des gènes essentiels codants pour la multiplication du DNA viral. Les régions terminales des Poxvirus sont très variables, avec de larges délétions, des duplications et des transpositions. Les gènes impliqués dans la spécificité d’hôte et dans la virulence ont été localisés dans ces régions. Ces gènes codent pour des homologues cellulaires, tels que une thymidine kinase, des facteurs de croissance (epidermal growth factor), des protéines régulatrices du complément, des inhibiteurs des sérine-protéases, des cytokines et des récepteurs du TNF-α et de l’interféron-γ 〚8,9〛. Au cours de leur réplication dans le cytoplasme, les Poxvirus pourraient intégrer des fragments de génome cellulaire par reverse-transcription de RNA messagers cellulaires, suivie d’une recombinaison dans le génome viral.

À partir de 1990, le virus de la vaccine, puis trois souches de virus smallpox, dont deux responsables de variole majeure et une de variole mineure, ont été clonés et entièrement séquencés 〚9–13〛. Le génome du virus smallpox est constitué de 186 102 pb et présente de très fortes similarités avec celui du virus de la vaccine. Sur les 196 protéines putatives du virus smallpox, 150 sont très similaires à des protéines du virus de la vaccine, incluant une hémaglutinine, une protéine d’enveloppe et des homologues de facteurs de croissance humains. En revanche, près de 37 protéines du virus smallpox ne présentent aucune homologie et pourraient de ce fait éventuellement jouer un rôle important dans la virulence.

5 Une arme biologique redoutable

Le virus smallpox est une arme biologique d’une efficacité potentielle redoutable, du fait de sa très haute contagiosité par aérosols et de la forte mortalité. Ce virus a déjà été utilisé avec succès par les Britanniques contre les Indiens d’Amérique en 1763. Sir Jeffrey Amherst, commandant en chef des troupes britanniques, fit distribuer des couvertures et des mouchoirs de varioleux à des tribus indiennes de l’Ohio, entraînant des épidémies meurtrières. Cela témoigne aussi du fait que ce virus est très résistant et reste contagieux dans l’environnement, où il peut persister durant des années 〚1〛. Bien que la probabilité reste très faible, on ne peut exclure que puisse survenir une ré-émergence accidentelle de la maladie après un long temps de stockage du virus dans le froid. On pense que le virus pourrait persister dans les cadavres de varioleux morts dans les régions polaires.

En 1979, la commission de l’OMS a recommandé que les souches du virus smallpox disséminées dans le monde entier soient transférés dans deux laboratoires de références au États-Unis (Center for Diseases Control and Prevention 〚CDC〛 à Atlanta) et en URSS (Research Institute of Variola Preparation à Moscou). À notre connaissance, le CDC maintient actuellement 450 souches virales provenant du monde entier, et la collection russe contiendrait environ 150 souches virales transférées de Moscou à Novossibirsk il y a quelques années. Les clones de DNA utilisés pour séquencer le génome viral, à partir des années 1990, ont été répertoriés et leur distribution a été fortement contrôlée. Ces clones ont été gardés, à partir de 1993, dans quelques laboratoires en Angleterre, aux États-Unis, en Russie et en Afrique du Sud. Ils présentent aussi un danger potentiel, car on pourrait être tenté de les utiliser pour créer des virus de type smallpox par recombinaison avec le virus de la vaccine ou du monkeypox.

L’existence de ces souches virales extrêmement dangereuses en Russie et aux États-Unis représente un danger potentiel, du fait de groupes terroristes qui pourrait se procurer les virus, ou de l’exposition accidentelle ou intentionnelle (par un déséquilibré) de la population aux conséquences catastrophiques. En 1978, on a frisé la catastrophe à Birmingham, lorsque trois personnes travaillant au voisinage d’un laboratoire dit P4 de « haute sécurité » ont contracté la variole, dont une est décédée.

La ré-émergence de la variole sur la planète aurait des conséquences catastrophiques, du fait de sa haute contagiosité chez des populations non vaccinées très sensibles et de sa dissémination incontrôlable à partir de régions urbaines surpeuplées à travers le monde, notamment par les voyages aériens. Actuellement, les conséquences seraient donc très différentes de celles observées chez des populations vaccinées dans la région de Birmingham en 1978. De plus, la virulence de la souche en cause est d’une importance extrême pour la sévérité et la rapidité de dissémination de la maladie.

Une autre menace pourrait aussi venir de l’émergence de souches virulentes d’autres Poxvirus pathogènes pour plusieurs espèces animales, et soudainement adaptées à l’homme. En Afrique, le virus monkeypox entraîne une maladie chez l’homme, qui ressemble à la variole. Cependant, ce virus, quoique très proche de celui de la variole, présente une spécificité d’hôte beaucoup plus large, puisque les singes et les écureuils sont ses réservoirs naturels. Il reste peu contagieux chez l’homme : on n’a pas rapporté plus de quatre transmissions horizontales successives 〚14–16〛. Dans la période 1970–1986, on a rapporté 404 cas d’infections à virus monkeypox chez l’homme, dont 33 morts, la plupart au Zaïre, où une résurgence récente a été décrite 〚17–20〛. À l’avenir, on pourrait craindre l’émergence d’une nouvelle épidémie, du fait de l’apparition d’une souche hautement contagieuse de virus monkeypox.

6 Que faire des stocks de virus de la variole ?

Puisqu’il n’existe aucun réservoir du virus de la variole en dehors des êtres humains, il est très improbable que ces virus puissent spontanément ré-émerger, à l’exception d’une dissémination volontaire ou accidentelle à partir de souches conservées dans les stocks officiels de Russie et des États-Unis, ou dans des stocks illicites (Corée du Nord, Irak, Iran...), dont l’existence réelle reste à prouver. L’éradication de la variole pose donc la question complexe de la destruction des stocks officiels.

En faveur de la destruction des stocks de virus, on peut avancer que la destruction du virus est un bénéfice pour l’Humanité, pour plusieurs raisons 〚21–23〛 : (1) la prévention d’une libération accidentelle ou intentionnelle du virus, à partir des laboratoires de haute sécurité, qui reste un sérieux risque exposant des millions d’êtres humains très sensibles au virus ; (2) l’impossibilité pour les groupes terroristes de s’emparer et d’utiliser le virus comme armes biologiques ; (3) l’élimination d’un des pathogènes les plus dangereux qui soient pour l’Humanité, un argument lié à des considérations émotionnelles, sociologiques et politiques. La décision collective de la communauté internationale, basée sur des considérations de santé publique, a été d’éradiquer la maladie et de détruire tous les stocks connus. Cette destruction mettrait alors en exergue l’illégalité et l’activité criminelle associée aux stocks restants en dehors de la Russie et des États-Unis, s’ils existent réellement. De plus, il existe des arguments scientifiques en faveur de la destruction du virus de la variole : (1) l’élimination du virus est acceptable à partir du moment où le génome est entièrement cloné et séquencé, les questions sur les protéines virales pouvant être résolues à partir du matériel génétique du virus ; (2) en l’absence de tout modèle animal, il n’y a pas de possibilité d’étudier la pathogenèse virale et de tester des nouveaux vaccins et de nouvelles drogues testées, excepté in vitro en cultures cellulaires.

Les opposants à la destruction mettent en exergue le fait que la destruction des stocks officiels existants donnerait une sécurité illusoire, du fait des nombreuses sources potentielles de virus qui pourraient exister dans différents laboratoires, ce qui n’est pas prouvé aujourd’hui, et même dans la nature 〚24,25〛. La destruction du virus de la variole pourrait ainsi donner un avantage aux groupes terroristes et aux gouvernements qui pourraient les soutenir, bien que la manipulation du virus requière des installations sophistiquées et une expertise scientifique. Il convient de dire que ce risque existe, avec ou sans stocks officiels, et que, si la variole ré-émergeait, les stocks pourraient être rapidement reconstitués, du fait de la grande facilité d’isolement en culture de ce virus à partir des patients. Il est aussi avancé que la destruction des stocks existants est inutile, puisque le génome du virus a été séquencé, ce qui pourrait permettre de recréer un virus smallpox. Cependant, cette construction resterait techniquement très difficile et le problème majeur serait encore une fois de tester une telle souche, puisqu’il n’existe aucun animal sensible en dehors de l’homme.

Un argument éthique parfois présenté est que la destruction des stocks de virus serait la première élimination délibérée d’une espèce vivante sur la planète. Que l’Humanité ait le droit d’exterminer une espèce vivante reste évidemment un sujet de controverse. Après avoir étudié cette question, le Board of Directors de l’American Type Culture Collection, le Council of the American Society for Microbiology, et l'Executive Board of the International Union of Microbiological Societies, notamment, se sont prononcées en faveur de la destruction des stocks de virus pour décembre 1993.

Les principaux arguments contre la destruction du virus sont en fait basés sur des considérations scientifiques 〚24,25〛. La destruction serait une perte de connaissance scientifique pour la compréhension de la pathogenèse de cette maladie, connaissance qui pourrait être d’un grand intérêt pour l’Humanité. Le virus smallpox est très adapté à l’espèce humaine et a mis en œuvre des mécanismes moléculaires probablement très originaux pour échapper aux défenses du système immunitaire humain, mécanismes éventuellement exploitables pour le développement de nouvelles drogues antivirales. L’organisation des séquences terminales du virus de la variole est unique, avec des gènes codants pour des protéines qui miment les fonctions de régulation du système immunitaire. Il pourrait être aussi important d’étudier les protéines de surface de la variole à partir de nombreuses souches provenant d’origines géographiques dispersées. La destruction des stocks rendrait donc impossible de telles études sur ce virus.

La nécessité d’un nouveau vaccin est un argument souvent présenté pour conserver les stocks. Cependant, il faut rappeler que le virus de la vaccine est très protecteur, puisqu’il a permis d’éradiquer la variole. Ce vaccin peut entraîner des complications graves (un à deux cas par million de vaccinés) et ne peut être utilisé chez les sujets immunodéprimés. Cependant, la variole a été éradiqué par ce virus de virulence atténuée, qui s’est avéré très efficace. De plus, la nécessité de nouvelles générations de vaccins dérivés du virus smallpox reste problématique, puisque ces vaccins ne pourront être testés, du fait de l’absence de modèle animal. On pourrait alors imaginer la mise au point de nouveaux modèles animaux pour tester le virus de la variole, en particulier l’obtention de souris transgéniques. L’alternative serait de réaliser des expériences utilisant des virus pathogènes pour différentes espèces animales, comme le virus de l’ectromélie (mousepox) ou le virus rabbitpox.

Une autre raison pour maintenir les stocks est le développement de nouvelles drogues antivirales contre le virus de la variole, dans le but de prévenir d’éventuelles épidémies. En effet, il n’existe aucun traitement antiviral, en dehors de la vaccination administrée dans les quatre jours suivants l’exposition au virus. Cependant, il reste possible d’utiliser les virus monkeypox ou de la vaccine pour réaliser un criblage de nouvelles molécules anti-virus smallpox par cultures cellulaires in vitro. Mais les résultats obtenus pourraient être difficilement transposables au virus de la variole. En cas de destruction, la seule alternative serait de tester les drogues antivirales sur les produits de certains gènes cibles du virus de la variole. Cependant, il est douteux que des compagnies pharmaceutiques puissent massivement investir dans une recherche à haut risque sans modèle animal et avec un marché très hypothétique.

7 Conclusion

L’histoire de la guerre utilisant des armes biologiques, particulièrement celles des expériences japonaises au cours de la deuxième guerre mondiale, nous apprend plusieurs points importants: (1) les armes biologiques ont un fort pouvoir de destruction ; (2) les conséquences des attaques biologiques sont souvent imprévisibles et n’ont que peu d’intérêt en guerre conventionnelle ; (3) ces armes sont de faible coût et faciles à se procurer, nécessitent souvent un minimum d’expertise scientifique et constituent donc une alternative menaçante pour les bioterroristes ; (4) l’attaque peut être difficile à identifier, aussi bien que l’agent infectieux ou les toxines utilisées ; (5) les traités internationaux ne préviennent pas contre une recherche offensive d’armes biologiques. Même s’il y a un faible nombre de victimes dans la population civile en cas d’attaque bioterroriste, on peut prédire des conséquences psychologiques graves d’une attaque par des armes biologiques qui pourraient déstabiliser un pays démocratique.

La destruction des stocks de virus smallpox aux États-Unis et en Russie reste une question controversée 〚26,27〛. Il y a peu de doute que ces stocks représentent un danger potentiel accidentel et même intentionnel de la dissémination du virus par des actions individuelles. La prévention de la ré-émergence de la variole peut être basée sur plusieurs principes simples : (1) les procédés de sécurité pour préserver les stocks du virus de la variole avant destruction doivent être régulièrement évalués par des observateurs indépendants, et renforcés si nécessaire ; (2) il ne doit pas y avoir de projets de recherche sur le virus de la variole ou sur ses gènes qui puissent être menés sans autorisation, après évaluation des objectifs scientifiques, qui doivent être sans équivoque et soigneusement évalués ; (3) les procédures du diagnostic moléculaire et immunologique de détection du virus de la variole doivent être standardisés pour permettre d’identifier et de circonvenir rapidement une attaque.

La catastrophe d’une ré-émergence de la variole reste peu probable, mais obligerait la mise en place de mesures de vaccination massive de la population et d’une large collaboration internationale.


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