Abridged English version
In 1977, geologists discovered an abundant deep-sea life community at a depth of 2.5 km around a hot spring on the Galapagos volcanic Rift (spreading ridge) off the coast of Ecuador. Since then, numerous vents sheltering rich living biotopes were discovered and explored along the volcanic ridges in the Atlantic and Pacific oceans. These hydrothermal vents are characterized by unique physical and chemical properties such as elevated pressure (up to 420 atm), high and rapidly changing temperature (from 2–4 °C to 400 °C), chemical toxicity and complete absence of light. However, numerous living organisms were discovered in these hostile environments including microorganisms and pluricellular organisms such as shrimps, clams and giant mussels, giant tubeworms, crabs and fishes. These ecosystems differ from those already known on the planet and some of their living organisms are regarded as new species. These organisms have developed different strategies which ensure their adaptation to these extreme environments. In the total absence of photosynthesis, the food chain is based on primary production of energy and organic molecules by chimiolithoautotrophic bacteria. These bacteria are able to extract chemical energy starting from the oxidation of reduced mineral compounds present in their habitat. This process involves an electron transfer chain associated to a Calvin–Benson cycle for carbon fixation and ATP production. The small organic molecules synthesized are provided to a series of animal species, which live in an obligate symbiosis with these chemosynthetic bacteria (clams, mussels, gastropods and vestimentiferan tubeworms). Nitrogen assimilation involves enzymes such as nitrate reductase, glutamine synthetase, glutamate dehydrogenase and carbamylphosphate synthetase, which are present in one or the two partners. Among the vestimentiferans (Siboglinidae annelide polychaete) present in the East Pacific Ridge, Riftia pachyptila is the most representative and constitutes a particularly interesting model to study symbiosis and biological adaptation to the deep-sea extreme environment. In this tubeworm, studies of pyrimidine nucleotides and arginine metabolisms revealed particular modes of molecular and physiological adaptation to these extremes conditions. The symbiosis between Riftia and its specific bacterial endosymbiont involves a complex metabolic organization and exchange of numerous metabolites. The hydrogen sulphide (H2S) and heavy metals (Pb, Cd, Hg, Zn...) present in high concentrations in the hydrothermal vents are toxic compounds for the living organisms. The organisms of this ecosystem developed efficient mechanisms of defence to protect themselves from these toxic molecules. Several mechanisms of protection and tolerance to the toxic effects of H2S were proposed to explain the adaptation to the habitat rich in sulphides: impermeability to sulphides, existence of cytochrome C oxydases insensitive to H2S, reversible fixation with compounds of blood (others than haemoglobin) or the presence of oxidation systems. Some mechanisms of protection and tolerance to the heavy metals were proposed as well. For example, some proteins naturally present in many organisms in deep-sea environment: the metallothionines, have the aptitude to bind heavy metals, thus ensuring protection against their toxic effects. Many thermophilic and hyperthermophilic bacteria and archaea live inside or in the vicinity of the vents at temperatures which can exceed 100 °C. The Archae Pyrolobus fumari can grow at 113 °C with an optimal temperature of growth at 106 °C. The adaptation of these microorganisms implies many modifications of their biochemical components (proteins and enzymes, membranes and nucleic acids) as well as other physiological modes of adaptation. Finally, biomolecules from these organisms might be of value for different biotechnological and medical strategies.
1 Introduction
Les océans couvrent plus de 66% de la surface de la Terre. Leur profondeur moyenne est de 3800 m. À partir de 200 m de profondeur, l'obscurité est totale et la photosynthèse est impossible. Du fait de cette absence, on pouvait penser qu'aucune vie n'était possible dans cette partie obscure de la biosphère. Cependant, l'expédition océanographique britannique du Challenger (1872–1876) démontra que la vie existe à des profondeurs pouvant atteindre 5200 m [1]. À la suite de cette campagne, d'autres expéditions se sont succédé : américaines, allemandes, hollandaises, françaises, russes et japonaises. Elles ont toutes démontré la présence de la vie dans les grandes profondeurs océaniques.
Sur les continents, les plantes jouent un rôle primordial pour l'ensemble de la chaîne alimentaire. En tant que « productrices primaires », elles fournissent la matière organique obtenue par photosynthèse, au reste de cette chaîne. Dans la zone océanique superficielle, la production primaire de carbone organique provient également de la photosynthèse par différents organismes tels que les micro-algues, microphytoplancton et picophytoplancton [2–4]. Dans les zones profondes, à l'écart des zones volcaniques, en l'absence de lumière, une chaîne alimentaire peu abondante repose sur le flux de carbone organique synthétisé en surface par photosynthèse. Une partie de cette matière organique est recyclée, l'autre est sédimentée. Lors de leur descente vers le fond, les déjections et les cadavres d'organismes sont dégradés par des micro-organismes. Seule une petite fraction atteint le fond de l'océan, et nourrit les animaux détritivores (bactéries et mycètes) et filtreurs [3]. En règle générale, la biomasse décroît avec la profondeur et l'éloignement des côtes. Toutefois, on sait maintenant qu'il existe, dans les grandes profondeurs océaniques, dans l'environnement des sources hydrothermales profondes, ainsi que dans d'autres zones de l'océan, comme les suintements froids situés sur les marges continentales, des habitats peuplés de nombreuses espèces d'organismes, constituant des écosystèmes indépendants du reste de la biosphère.
2 Les sources hydrothermales profondes
En 1977, à l'aide du sous-marin de recherche Alvin, les géologues ont découvert sur une dorsale de l'océan Pacifique à 2600 m de profondeur, au contact de sources hydrothermales chaudes, une population riche d'organismes divers [5,6]. À partir de 1979, de nombreuses expéditions de biologistes et géologues se sont succédé pour l'exploration systématique de ces dorsales océaniques. Au début, l'exploration a été ciblée sur le Pacifique oriental et occidental [7] et, ultérieurement (1985), la dorsale médio-atlantique puis la dorsale indienne ont également été explorées [8] (Fig. 1). Il semble que l'existence de biotopes hydrothermaux soit un phénomène universel, bien que des communautés animales n'aient pas encore été trouvées, à l'heure actuelle, au niveau de toutes les dorsales océaniques et en particulier dans les hautes latitudes. Toutefois, de nombreuses régions de ces dorsales restent à explorer (Fig. 1). Au cours des vingt dernières années, des spécimens ont été récoltés sur l'ensemble des zones explorées et de nombreux nouveaux taxons ont été décrits.
2.1 Formation des sources hydrothermales chaudes
L'origine des sources hydrothermales profondes est une conséquence de la dérive des continents. La surface du globe est divisée en sept plaques de croûte terrestre principales rigides et en une série de plaques, plus petites, qui sont en mouvements et s'écartent les unes des autres [9]. Ces plaques sont séparées par des dorsales divisées en de multiples segments séparés par des zones de fracture (Fig. 1). La vitesse d'expansion des segments de dorsale varie de 1 à 280 mm par an. La zone de fracture est caractérisée par une très forte activité volcanique. La coulée de lave monte en surface, se refroidit et se solidifie. Ces sites sont le siège des principales manifestations hydrothermales. L'eau de mer s'infiltre dans les fissures et se réchauffe au contact de la roche basaltique (ou roches profondes du manteau ou ultramaphiques) en fusion, pouvant atteindre des températures très élevées (jusqu'à 400 °C) puis, par d'autres fissures, remonte en surface. Ce fluide hydrothermal est riche en composés réduits tels que H2S, CH4, ainsi qu'en éléments métalliques tels que Mn2+, Fe2+, Li+, Cd2+, Cu2+ et Zn2+ [7,10,11]. Le mélange de ce fluide avec l'eau de mer froide (2 °C) provoque la précipitation de divers sulfures métalliques et de sulfate de calcium anhydre, origine des « fumeurs » (Fig. 2A) et « diffuseurs », qui constituent progressivement les cheminées hydrothermales [12] (Fig. 2B).
C'est dans cette zone de mélange turbulent, entre le fluide hydrothermal toxique surchauffé et l'eau de mer oxygénée et froide, que se développe la vie hydrothermale [13,14].
2.2 Organismes des sources hydrothermales chaudes
Les animaux se répartissent autour des cheminées hydrothermales en fonction de leur capacité à s'adapter et supporter la température et la toxicité des composés présents dans le fluide, ainsi que de leurs adaptations trophiques. Les recherches des biologistes ont montré que près de 90% des espèces, présentes dans ces zones de mélange, sont endémiques aux sources hydrothermales [13]. Dans la faune associée aux dorsales du Pacifique, on trouve des espèces appartenant aux Annélides, Galathées, Vestimentifères, Bivalves, Crustacés et Poissons [7,13] (Fig. 3). La faune associée à la dorsale médio-atlantique est dominée par des Bivalves, Crevettes, Clams, Crustacés, Poissons, Gastéropodes, Mollusques, etc. [8,15] (Fig. 4). La découverte de ces communautés d'organismes a suscité de nombreuses interrogations. Parmi celles-ci : comment de tels peuplements de biomasse très élevée peuvent-ils se développer dans un monde sans lumière, où la matière organique disponible est a priori très faible ? Un élément de réponse a été rapidement apporté par la découverte de bactéries chimioautotrophes, libres ou associées de façon plus ou moins étroite à certains de ces organismes [7,14]. Ces bactéries assurent une production primaire d'énergie et de matière organique abondante, sur laquelle reposent entièrement ces biotopes [16,17].
3 Les bactéries des sources hydrothermales profondes
Autour des sources hydrothermales, la température varie selon un gradient fluctuant, où se retrouvent différentes populations de bactéries. Certaines se développent à la température normale du fond des mers à environ 2 °C (bactéries psychrophiles adaptées au froid), d'autres, les mésophiles, à des températures moyennes (10–30 °C) ; enfin, certaines souches, dites thermophiles ou hyperthermophiles, se développent aux alentours de 60 °C et 100 °C respectivement [18]. On y trouve, par exemple, l'Archaea Pyrococcus abyssi, qui peut se développer jusqu'à 106 °C, et Pyrolobus fumarii, qui peut se développer à 113 °C [19]. Récemment on a découvert un autre micro-organisme, « souche 121 », capable de se développer à 121 °C [20].
La plupart des bactéries de ces écosystèmes sont des Archaea. Ces micro-organismes présentent diverses caractéristiques spécifiques concernant notamment l'ARN ribosomal, les lipides, l'architecture membranaires et l'ADN, qui diffèrent de celles connues chez les autres organismes vivants procaryotes et eucaryotes. Selon la classification actuelle, les Archaea constituent un groupe indépendant des Bacteria et des Eucarya. Sur la base d'arguments de génétique et de biologie moléculaire, certains auteurs considèrent les archaebactéries thermophiles, qui se sont développées près des sources hydrothermales marines, comme des espèces primitives [21,22]. Il a été suggéré que la vie était apparue dans l'environnement de sources chaudes volcaniques, en particulier au fond des océans. Il est postulé que les conditions chimiques des sources chaudes volcaniques sont voisines de celles de l'époque prébiotique, où la vie est apparue sur terre. Les premiers micro-organismes auraient utilisé l'énergie et des substrats minéraux provenant des volcans.
3.1 Les producteurs primaires : bactéries chimiolitoautotrophes
La vie dépend de l'énergie et, de ce point de vue, on distingue deux grands types autotrophes (trophos = « nourrir » en grec) : les « phototrophes » qui utilisent l'énergie lumineuse du soleil pour réaliser leurs synthèses et les « chimiotrophes » qui utilisent l'énergie chimique de leurs aliments. En l'absence de lumière, de nombreuses bactéries des sources hydrothermales chaudes sont chimiotrophes et ceux de ces organismes qui utilisent les minéraux sont « chimiolithotrophes ». En conséquence, la chaîne alimentaire de ces environnements repose sur une production primaire bacterio-chimiolithoautotrophe d'énergie et de molécules organiques [16].
Dans les écosystèmes des sources hydrothermales profondes, on trouve des bactéries de type sulfo-oxydantes (Beggiatoa, Pyrodictium, Thermococcus, Pyrococcus, Thiothrix) [23,24], des bactéries sulfatoréductrices (Archaeglobus) [25], des bactéries méthanogènes (Methanococcus) [26] et quelques autres ayant des actions nitrifiantes, dénitrifiantes ou encore mangano-oxydantes.
Sur la base de la présence en quantité importante de sulfures dans ces environnements, les bactéries sulfo-oxydantes sont indispensables pour la production primaire [17,27–29]. Ces bactéries oxydent l'hydrogène sulfuré (H2S) en soufre élémentaire (S0), qui s'accumule dans les cellules sous forme de granules. Lorsque le soufre exogène est épuisé, ces granules sont secondairement oxydés en sulfates. Ce sont souvent ces bactéries sulfo-oxydantes que l'on trouve associées en relation symbiotique avec d'autres organismes de ces sources hydrothermales, organismes dont la survie est impossible sans cette symbiose intime [30].
4 Symbiose : adaptation physiologique
L'ensemble des organismes consommateurs primaires (utilisant directement l'énergie et les substances organiques fournies par les producteurs primaires) représente une biomasse très importante qui constitue, à son tour, une production secondaire conséquente pour les prédateurs et nécrophages [31]. Les espèces les plus abondantes sont celles qui sont en relation symbiotique avec les bactéries chimiolithoautotrophes. On trouve ces bactéries en symbiose avec des groupes d'organismes tels que vers tubicoles (Riftia pachyptila), mollusques (Calyptogena magnifica), modioles (Bathymodiolus thermophilus), crevettes et autres organismes [7,10,13,14,32–34].
Les vers tubicoles symbiotiques appartiennent à la classe des Vestimentifères (Siboglinidae) qui sont bien adaptés dans cet environnement [35]. Parmi ces Vestimentifères, Riftia pachyptila est un ver très abondant autour des sources volcaniques de la dorsale du Pacifique oriental [6] (Fig. 3A). Il vit spécifiquement au contact des sources hydrothermales et il peut atteindre une dimension de 1 à 1,5 m de long. C'est un organisme qui constitue, pour les biologistes, un excellent modèle en termes d'adaptation, de symbiose et de physiologie. Ce ver vit dans un tube dont il synthétise les constituants. Il est dépourvu de tractus digestif et son existence repose, de manière absolue, sur la symbiose avec une bactérie endosymbiotique, appartenant au groupe des γ protéobactéries [28]. Cette bactérie endosymbiote est localisée, en quantité importante, dans les cellules appelées bactériocytes qui sont localisées dans l'organe du ver appelé trophosome [36]. Riftia possède un système branchial très efficace, le panache, au niveau duquel se fait l'absorption des éléments nutritifs minéraux nécessaires (O2, CO2, , ...) et les sulfures, tous ces éléments étant apportés aux bactéries par le système circulatoire du ver [17,37,38]. Ces bactéries endosymbiotes sont des autotrophes qui tirent l'énergie de l'oxydation des sulfures. L'énergie, ainsi extraite sous forme d'ATP, leur sert à convertir le carbone minéral en carbone organique (Fig. 5). Ce dernier est alors fourni au ver sous forme de petites molécules carbonées organiques qui vont lui permettre de produire son propre ATP. Ainsi, la vie du ver dépend, de manière absolue, de la présence de la bactérie qui lui est spécifique. Cette dernière n'a, jusqu'ici, jamais pu être mise en culture.
Le système circulatoire du ver constitue la connexion entre l'environnement extérieur du ver et les bactéries endosymbiotiques. Dans le sang de Riftia, de nombreuses molécules sont transportées, d'une part les métabolites minéraux provenant du milieu extérieur et, d'autre part, de nombreux métabolites échangés par les deux partenaires. Peu de choses sont connues de ces échanges métaboliques et des molécules transportées [39,40]. Les méthodologies modernes d'analyse protéomique et d'analyse du métabolome devraient fournir des informations sur les aspects métabolique et physiologique de cette symbiose.
4.1 Mécanisme d'assimilation du carbone et de l'azote
Étant donné l'importance de la biomasse provenant de la symbiose avec les bactéries chimiolithoautotrophes autour des sources hydrothermales profondes [31], ces bactéries ont besoin d'une grande quantité de composés minéraux carbonés et azotés. La concentration de dioxyde de carbone dans cet environnement est environ de 5 mM [41–43]. En ce qui concerne les molécules inorganiques azotées, l'ammonium et le nitrate sont présents à des concentrations de 40 μM et 1 mM respectivement [44].
4.1.1 Assimilation du carbone
Les bactéries endosymbiotiques sont capables de fixer le gaz carbonique, de la même manière que les plantes terrestres, via les réactions biochimiques du cycle de Calvin Benson (Fig. 5). Les enzymes du cycle de Calvin ont été mises en évidence et caractérisées dans les bactéries des sources hydrothermales [17,27,45–48]. Le cycle de Calvin consomme une énergie considérable puisque l'incorporation d'une molécule de CO2 dans le cycle requiert trois molécules d'ATP et deux molécules de NADPH. Pour cette raison, les bactéries endosymbiotiques (chimiolithoautotrophes) doivent oxyder une grande quantité de H2S pour se développer.
4.1.2 Assimilation de l'azote
Sur la base de la connaissance générale de l'assimilation de l'azote, l'ammonium peut provenir directement de l'environnement extérieur ou résulter de la conversion du nitrate en nitrite par la nitrate réductase (NRase) (Fig. 5), suivie par la transformation de ce nitrite par la nitrite réductase en ammonium. La nitrate réductase a été identifiée et étudiée chez les bactéries endosymbiotiques de Riftia pachyptila, Tevnia jerichonana, Calyptogena magnifica, Bathymodiolus thermophilus et Solemia velum [38,49–53]. En ce qui concerne les enzymes de l'assimilation de l'ammonium, la glutamine synthétase (GSase) et la glutamate déhydrogénase (GDHase) ont également été mises en évidence chez ces bactéries [49]. Les résultats obtenus montrent que ces enzymes sont présentes aussi dans les tissus de l'hôte. L'ammonium peut également être assimilé par la voie de biosynthèse des bases pyrimidiques et de l'arginine via la carbamylphosphate synthétase (CPSase). Cette dernière voie d'assimilation de l'azote et du carbone a été particulièrement étudiée dans le cas de Riftia pachyptila [53].
4.1.3 Le métabolisme des pyrimidines et de l'arginine chez Riftia pachyptila
Les résultats de ces recherches ont montré que, chez Riftia pachyptila, les trois premières enzymes de la voie de biosynthèse de novo des nucléotides pyrimidiques (carbamylphosphate synthétase, aspartate transcarbamylase et dihydroorotase) ne sont présentes que dans la bactérie symbiotique [51]. Les enzymes qui suivent (dihydroorotate déhydrogénase, orotate phosphoribosyltransférase) et le dernier de cette voie métabolique (CTP synthétase) sont présents à la fois dans la bactérie et dans les cellules de l'hôte. La voie de récupération des bases est présente seulement dans les cellules de l'hôte [54]. Ces conclusions impliquent que les cellules du ver ne sont capables de synthétiser les bases pyrimidiques qu'à partir des métabolites d'origine bactérienne qui proviennent des cellules du trophosome et sont transportés par la circulation sanguine du ver. L'étude des enzymes du catabolisme des nucléotides pyrimidiques a montré que celles-ci sont présentes uniquement dans les différents tissus du ver et aucune activité de ces enzymes n'a été pas détectée dans les extraits de bactéries isolées [54]. Une étude récente montre que chez Riftia le contenu cellulaire de la bactérie symbiotique peut être libéré par lyse de cette bactérie dans le trophosome [55]. Pour le ver, ceci peut représenter une source alternative de métabolites, y compris de bases pyrimidiques. Pour la bactérie, la voie de novo de biosynthèse des bases pyrimidiques est la seule route vers la synthèse des pyrimidines.
En ce qui concerne le métabolisme de l'arginine, les trois premières enzymes de la voie de biosynthèse de cet acide aminé (carbamylphosphate synthétase ammonium dépendante, ornithine transcarbamylase et arginosuccinate synthétase) sont présentes chez l'hôte et dans la bactérie symbiotique [56]. Ceci indique que tous les tissus de Riftia peuvent assimiler le carbone et l'azote inorganique par cette voie. Sur cette base, on peut conclure que l'arginine est un acide aminé non essentiel pour Riftia.
Une utilisation métabolique importante de l'arginine et de l'ornithine est la synthèse des polyamines qui passe par la formation d'agmatine et de putrescine par les enzymes arginine décarboxylase et ornithine décarboxylase. Dans tous les organismes vivants, y compris les virus, les polyamines jouent un rôle majeur dans la biosynthèse et la maintenance de la structure des acides nucléiques et dans beaucoup de processus biologiques comme la stabilité membranaire, le développement et la croissance [57,58]. Il apparaît que chez Riftia, l'arginine décarboxylase et l'ornithine décarboxylase sont présentes uniquement dans la bactérie endosymbiotique [56]. L'absence de ces enzymes chez le ver suggère fortement que Riftia est dépendant de sa bactérie endosymbiotique pour ces synthèses. L'agmatine et la putrescine, synthétisées par la bactérie au sein du trophosome, devraient être transportées dans les autres tissus du ver. Par ailleurs, ces polyamines peuvent y être dégradées, et par conséquent, constituer une source complémentaire de carbone et d'azote [56].
L'absence d'activité de l'arginine décarboxylase et de l'ornithine décarboxylase a aussi été rapportée dans le cas de vers parasites humains et animaux comme Dirofilaria immitis, Brugia patei et Litomosoides [59]. Par ailleurs, l'absence des trois premières enzymes de la voie de biosynthèse des pyrimidines (carbamylphosphate synthétase, aspartate transcarbamylase et dihydroorotase) est aussi une caractéristique des parasites protozoaires tels que Giardia lamblia, Trichomonas vaginalis et Tritrichomonas fœtus [51,54]. Il semble donc que Riftia ait développé un métabolisme des bases pyrimidiques et des polyamines qui ressemble à celui qui est observé chez certains parasites, ce qui suggère une ressemblance d'adaptation des voies métaboliques dans la symbiose et le parasitisme.
5 Systeme de protection contre les produits chimiques toxiques
Le sulfure d'hydrogène (H2S) et les métaux lourds (Pb, Cd, Hg, Zn...) présents en forte concentration dans les effluents des sources hydrothermales profondes sont des composés toxiques pour les organismes vivants. Les organismes de cet écosystème ont développé des mécanismes de défense efficaces pour se protéger de ces molécules toxiques.
5.1 Stratégies de protection contre H2S
Du fait de son pouvoir réducteur et de sa capacité à réagir avec de nombreux composants cellulaires (groupes sulfhydriles des protéines, cations, etc.), le H2S est un composé toxique. Il inhibe en particulier les métalloprotéines comme la cytochrome-c oxidase et les hémoglobines [60].
Plusieurs mécanismes de protection et de tolérance aux effets toxiques de H2S ont été proposés pour expliquer l'adaptation aux milieux riches en sulfures : l'imperméabilité aux sulfures, l'existence de cytochrome c oxydases insensibles à H2S, la fixation réversible à des composés du sang (autres que l'hémoglobine) ou la présence de systèmes d'oxydation. Par exemple, les hématines (hème libre avec un hydroxyle lié au fer) sont des molécules qui ont la capacité de catalyser l'oxydation des sulfures. Les hématines ont été identifiées dans les tissus de l'annélide polychète Arenicola marina ainsi que chez l'échiurien Urechis caupo (phylogénétiquement très proche des Annélides) [61]. Chez ce dernier organisme, on trouve de petits organites contenant des sulfures, les SOB (sulfo oxidizing bodies) qui présentent des capacités d'oxydation de ces sulfures [61,62]. Certains organismes comme le bivalve Solemya reidi peuvent oxyder les sulfures en thiosulfate au niveau des mitochondries. La même caractéristique a été observée chez d'autres organismes tels que la moule, certains poissons, annélides polychètes et préapuliens [63].
La présence et le métabolisme des bactéries sulfo-oxydantes endosymbiotiques est un moyen indirect de détoxication de l'organisme par la respiration de l'H2S, oxydé en sulfate qui n'est pas toxique. Chez les Annélides, l'H2S doit être transporté par la voie circulatoire aux organes contenant la bactérie, sans intoxication de l'organisme. Ce problème chez ces organismes a été résolu par la présence d'hémoglobines de haut poids moléculaire, qui transportent non seulement l'oxygène mais également les sulfures indispensables à la bactérie [64–66]. On trouve trois types d'hémoglobines chez les Annélides : des hémoglobines non-circulantes cytoplasmiques, des hémoglobines circulantes intracellulaires et extracellulaires dans le coelome et le réseau vasculaire respectivement [67]. Riftia pachyptila possède trois hémoglobines extracellulaires capables de lier réversiblement, sur deux sites différents, l'oxygène et le sulfure d'hydrogène qui, de cette manière, ne peut pas être directement oxydé par O2 [68].
5.2 Stratégies de protection contre les métaux lourds
Certains métaux et métalloïdes présents dans certains biotopes, à des concentrations extrêmement faibles, se trouvent dans les fluides hydrothermaux, à des concentrations nettement plus élevées que celles généralement observées dans l'eau de mer [69,70]. Les teneurs en éléments métalliques des fluides hydrothermaux subissent des variations quantitatives importantes en fonction des sites, qui sont à relier à la nature chimique des roches sous-jacentes et à la dynamique propre à chaque système hydrothermal (variabilité dans la direction des courants, des intensités au voisinage des cheminées actives et pression hydrostatique) [71]. À ce jour, un certain nombre d'informations ont été publiées concernant les interactions entre la richesse métallique des sources hydrothermales et leur faune associée [72,73].
Chez les mollusques bivalves marins, deux types de structures anatomiques sont considérées comme des cibles préférentielles pour l'accumulation des métaux : celles qui sont directement exposées au milieu (branchies, tractus digestif) et celles qui participent au transport et au métabolisme des métaux dans l'organisme (glandes digestives, organes excréteurs) [74]. Le franchissement des barrières membranaires est un mécanisme naturel pour les métaux essentiels (zinc, cuivre). Les ions métalliques, composés hydrophiles, doivent se combiner avec des ligands pour former des complexes apolaires ou des structures électriquement neutres, afin de franchir la membrane lipidique de nature hydrophobe. Les possibilités d'utiliser les mécanismes de transport actif ou d'être incorporés par endocytose constituent d'autres voies de pénétration. Les métaux toxiques, grâce à des phénomènes de compétition avec les métaux essentiels, empruntent les mêmes voies. La barrière membranaire franchie, le métal exogène va réagir avec des ligands intracellulaires pour lesquels il présente une affinité. Concernant Riftia pachyptila, la branchie qui baigne directement dans le milieu ambiant est exposée aux molécules organiques ou minérales dissoutes et aux particules en suspension. Les métaux lourds peuvent donc être absorbés sur les filaments branchiaux ou franchir les barrières membranaires et pénétrer dans l'organisme [75].
Il existe des protéines naturellement présentes chez de nombreux organismes, les métallothionéines, dont l'aptitude à complexer les métaux a été démontrée [76,77]. Il est aussi admis que ces protéines interviennent de façon importante dans les mécanismes de détoxification des métaux [74]. Elles constituent donc un moyen de protection contre les effets toxiques de métaux non essentiels (cadmium, mercure). Ces protéines existent sous de nombreuses isoformes. Elles diffèrent entre elles par quelques acides aminés et la synthèse de certaines isoformes constitue une réponse spécifique à la présence de certains métaux. Ces métallothionéines ont été identifiées chez les organismes des sources hydrotermales profondes telle que Alvinella pompejana, Paralvinella grasslei [76] et Riftia pachyptila [75]. Les métallothionéines sont des protéines de faible poids moléculaire caractérisées par leur richesse en cystéine (20 à 30%). La taille de ces protéines est très variable (de 25 à 80 acides aminés) et leur caractéristique commune est la présence de doublets cystéine Cys–Cys ou de triplets Cys-X-Cys. Ce sont ces cystéines qui participent à la fixation des ions métalliques.
Pour beaucoup d'espèces, la résistance à la toxicité des métaux est due à leur capacité d'accumuler les polluants métalliques sous une forme non toxique. Les formes physico-chimiques du polluant métallique sous forme « neutralisée » peuvent être divisées en deux grandes catégories : (1) les formes minéralisées, composés insolubles, relativement stables dans le temps, et (2) les formes organiques solubles, labiles dans le temps qui sont généralement des métalloprotéines. Si les mécanismes de passage entre formes solubles et formes insolubles sont loin d'être connus, il est intéressant de noter que chez le ver siboglinidé, Riftia pachyptila, il a été mis en évidence une accumulation de ces métaux sous formes insolubles [75]. De même, le stockage des éléments lourds sous des formes insolubles semble prédominer chez les polychètes des sources hydrothermales profondes. Il est montré, dans certains cas, que les métallothionéines pouvaient participer à l'incorporation de certains métaux à des structures de type granule [75]. Les crustacés et polychètes des sources hydrothermales profondes sont connus pour leur capacité à synthétiser des métallothionéines [76]. L'absence de toxicité apparente des polluants métalliques s'expliquerait alors par l'abondance de leurs formes insolubles dans les tissus, ainsi que par la présence des métallothionéines [78]. L'adaptation aux polluants métalliques peut aussi correspondre à un stockage au niveau de sites biochimiques moins sensibles [79,80]. C'est finalement l'aptitude des organes, ou des tissus, à maintenir un équilibre entre les flux entrants et sortants (excrétion, neutralisation, stockage) de métaux qui va permettre à l'organisme dans sa globalité de s'adapter à son environnement.
6 Adaptation aux hautes températures
De nombreuses Bactéria et Archaea thermophiles et hyperthermophiles vivent au contact et même à l'intérieur des cheminées des sources hydrothermales profondes à des températures pouvant excéder 100 °C. L'Archae Pyrolobus fumari peut se développer jusqu'à 113 °C avec une température optimale de croissance de 106 °C. L'adaptation de ces micro-organismes implique de nombreuses modifications de leurs composants qui doivent résister et fonctionner à ces températures. Cette adaptation moléculaire a été examinée au niveau des protéines et enzymes, ainsi qu'à celui des membranes et des acides nucléiques.
La stabilisation des protéines résulte de modifications souvent nombreuses dont la panoplie diffère d'une protéine à l'autre [81,82]. Ces modifications incluent :
- – l'augmentation du nombre d'acides aminés chargés et, ce qui en découle, du nombre de liaisons ioniques ;
- – l'augmentation du nombre de résidus prolines, ce qui augmente dans la structure le nombre de β-turns et confère à la protéine une structure plus compacte et diminue l'instabilité des boucles ;
- – l'accroissement de la taille et de la compacité des noyaux hydrophobes de la protéine, ce qui résulte de l'augmentation de la taille des chaînes latérales des acides aminés hydrophobes qui constituent ces noyaux (substitutions gly → ala, ala → leu, val → ileu) ;
- – le remplacement d'un certain nombre de résidus lysines par des arginines, ce qui augmente le nombre de liaisons hydrogène que ces résidus contractent avec leur environnement ;
- – la diminution ou l'absence d'acides aminés dont la chaîne latérale est particulièrement sensible aux hautes températures (groupe amide de l'asparagine et de la glutamine, cystéine, tryptophane).
La nature et le nombre de ces modifications varient beaucoup d'une protéine à une autre, la structure de chacune d'elles déterminant les modifications à apporter. Ceci est illustré de manière significative chez Bacillus stearothermophilus. Chez ce micro-organisme, la stabilisation de l'enzyme d'inactivation de la kanamycine implique la présence d'un seul résidu lysine supplémentaire, alors que celle de l'oligo-1,6-glucosidase implique la présence de 14 résidus prolines supplémentaires, et que celle de la glycéraldéhyde-3-phosphate déhydrogénase est associée à la présence de six ponts ioniques supplémentaires, ainsi qu'à de nombreuses liaisons hydrogène et hydrophobes, qui n'existent pas chez son homologue des espèces mésophiles [83–85]. La stabilisation des membranes cytoplasmiques résulte de modifications qui s'accompagnent de la formation de liaisons covalentes entre les deux couches lipidiques [86]. En ce qui concerne l'ADN, l'adaptation aux hautes températures semble être associée à un contenu plus élevé en paires G–C, à un taux plus élevé de super-enroulement et d'interaction avec des protéines basiques, ainsi qu'à une fixation accrue de cations [87].
Il s'agit là des processus moléculaires les plus évidents qui doivent être accompagnés d'adaptations physiologiques plus complexes. Cette hypothèse est illustrée, par exemple, par le fait que chez Pyrococcus abyssi, Archaea prélevée à l'intérieur même d'un fumeur noir [88], le seul examen des propriétés des deux premières enzymes de la voie de biosynthèse des nucléotides pyrimidiques a fait apparaître trois processus d'adaptation.
- (a) Une série de substitutions d'acides aminés qui, par exemple, conduit à la présence, dans la sous-unité catalytique de l'aspartate transcarbamylase de deux fois plus d'acides aminés chargés, localisés à la surface de ces unités et qui doivent donc conduire à la stabilisation de la structure quaternaire de cette enzyme [89].
- (b) Un phénomène « d'emprunt de gène » par lequel Pyrococcus repose pour la synthèse du carbamylphosphate, sur l'adaptation à la synthèse de carbamylphosphate d'une enzyme catalysant une réaction très proche, la carbamate kinase [90].
- (c) Un processus de « canalisation métabolique » par lequel le carbamylphosphate, métabolite très labile, synthétisé chez cet organisme par la carbamate kinase-like carbamylphosphate synthétase est directement transféré au site catalytique de l'aspartate transcarbamylase, sans diffusion dans le milieu cellulaire de ce métabolite intermédiaire. Ce processus repose sur une interaction transitoire entre les deux enzymes [91].
7 Importance biotechnologique des études des organismes des sources hydrothermales profondes
En parallèle avec l'objectif fondamental d'une meilleure connaissance physiologique et biochimique de l'adaptation des organismes aux environnements extrêmes des sources hydrothermales profondes, la connaissance détaillée des molécules biologiques des organismes qui vivent dans ces environnements est susceptible de conduire vers des applications biotechnologiques [92].
Dans les procédés industriels, les enzymes jouent un rôle de plus en plus important. Ces procédés mettent souvent en jeu des conditions physico-chimiques (température, pression, pH, etc.) incompatibles avec l'instabilité des enzymes provenant des organismes mésophiles. Les enzymes des bactéries vivant au contact des sources hydrothermales profondes, adaptées aux hautes températures et à la pression, présentent un intérêt potentiel pour les usages industriels [93]. Jusqu'ici, les applications de ces enzymes sont peu nombreuses. Néanmoins, des enzymes issues de micro-organismes des sources hydrothermales ont trouvé une application biotechnologique particulière dans le domaine de la biologie moléculaire. L'invention d'une méthode d'amplification de gène in vitro (Polymerase Chain Reaction ou PCR) par le chimiste Kary Mullis [94] avait déjà révolutionné la génétique et la biologie moléculaire. Des ADN polymérases, résistants aux hautes températures et issues des sources hydrothermales, sont maintenant commercialisés pour ces techniques de PCR [http://www.ifremer.fr/com/communiques/09-04-02_isis.htm].
Dans l'industrie agroalimentaire, les enzymes des sources hydrothermales profondes sont susceptibles d'application, en particulier dans les processus industriels de conversion de l'amidon en dérivés sucrés (amylases, pullulanases, glucosidases). Certaines de ces enzymes ont déjà été purifiées et caractérisées chez des Archae provenant de ces environnements en particulier des pullunases [95–97]. D'autres enzymes, les glycoside hydrolases, successibles d'avoir une implication biotechnologique, restent à étudier chez ces micro-organismes. Il est de même en ce qui concerne les bactéries capables de dégrader les hydrocarbures aromatiques.
Certains composants polymériques présentent également un intérêt biotechnologique. C'est le cas des exopolysaccharides (EPS) microbiens. Leurs propriétés physiques spécifiques en la présence ou l'absence d'ions monovalents et bivalents, leur aptitude à lier des métaux et certaines activités biologiques devraient trouver de nombreuses applications dans un proche avenir. Les bactéries des sources hydrothermales sont capables de synthétiser ces EPS [98] et devraient contribuer à ces développements.
Certaines molécules biologiques provenant des organismes des sources hydrothermales profondes, pourraient trouver une application dans le domaine médical. C'est le cas, par exemple, des hémoglobines de haut poids moléculaires des vers tels que Riftia pachyptila qui pourraient être utilisables comme substitut à l'hémoglobine pour le transport de l'oxygène dans le sang humain [99].
Divers agents anticancéreux actifs proviennent des plantes et des micro-organismes terrestres. Récemment, plusieurs nouveaux agents anticancéreux d'origine marine ont fait l'objet d'essais précliniques et cliniques [100]. Ces potentialités pourraient s'étendre aux organismes des sources hydrothermales profondes.
Remerciements
Les auteurs remercient le docteur Daniel Desbruyères (Ifremer, Brest) pour avoir lu et amélioré ce manuscrit et avoir fourni plusieurs des documents photographiques.