Plan
Comptes Rendus

Sur la convergence des outils créés par l'homme et la Nature
Comptes Rendus. Biologies, Volume 330 (2007) no. 10, pp. 711-721.

Résumés

Le propos des auteurs sera ici de souligner la continuité des processus adaptatifs qui font d'Homo sapiens, tantôt un inventeur génial, tantôt un simple imitateur forgeant des outils déjà conçus par la Nature elle-même.

The authors' purpose will be here to underline the continuity of the adaptative processes that make Homo sapiens, sometimes a brilliant inventor, sometimes a mere imitator, forging tools already conceived by Nature itself.

Métadonnées
Reçu le :
Accepté le :
Publié le :
DOI : 10.1016/j.crvi.2007.06.006
Mot clés : Artefacts, Cerveau, Cybernétique, Evolution, Langage, Outils
Keywords: Artefacts, Brain, Cybernetic, Evolution, Language, Tools
Fernand Gaillot 1 ; Pierre-Marie Lledo 2

1 7, rue Montaigne, 17100 Saintes, France
2 Laboratoire « Perception et Mémoire », Institut Pasteur et CNRS, URA 2182, 25, rue du Docteur-Roux, 75724 Paris cedex 15, France
@article{CRBIOL_2007__330_10_711_0,
     author = {Fernand Gaillot and Pierre-Marie Lledo},
     title = {Sur la convergence des outils cr\'e\'es par l'homme et la {Nature}},
     journal = {Comptes Rendus. Biologies},
     pages = {711--721},
     publisher = {Elsevier},
     volume = {330},
     number = {10},
     year = {2007},
     doi = {10.1016/j.crvi.2007.06.006},
     language = {fr},
}
TY  - JOUR
AU  - Fernand Gaillot
AU  - Pierre-Marie Lledo
TI  - Sur la convergence des outils créés par l'homme et la Nature
JO  - Comptes Rendus. Biologies
PY  - 2007
SP  - 711
EP  - 721
VL  - 330
IS  - 10
PB  - Elsevier
DO  - 10.1016/j.crvi.2007.06.006
LA  - fr
ID  - CRBIOL_2007__330_10_711_0
ER  - 
%0 Journal Article
%A Fernand Gaillot
%A Pierre-Marie Lledo
%T Sur la convergence des outils créés par l'homme et la Nature
%J Comptes Rendus. Biologies
%D 2007
%P 711-721
%V 330
%N 10
%I Elsevier
%R 10.1016/j.crvi.2007.06.006
%G fr
%F CRBIOL_2007__330_10_711_0
Fernand Gaillot; Pierre-Marie Lledo. Sur la convergence des outils créés par l'homme et la Nature. Comptes Rendus. Biologies, Volume 330 (2007) no. 10, pp. 711-721. doi : 10.1016/j.crvi.2007.06.006. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/biologies/articles/10.1016/j.crvi.2007.06.006/

Version originale du texte intégral

Au XVIIe siècle, Descartes assignait déjà aux Sciences la tâche de nous rendre maîtres et possesseurs de la nature en simulant ses mécanismes.2 Trois siècles plus tard, l'homme conçoit couramment de nouveaux outils en imitant le Vivant afin d'améliorer ses propres performances et de maîtriser son environnement direct. Ainsi, l'avènement de nouvelles technologies a permis à l'homme moderne d'échapper aux lois si contraignantes du darwinisme biologique et social. Selon cette tendance, l'invention de nouveaux outils ne serait qu'une forme radicale d'adaptation d'une espèce à son milieu. Héritage d'un passé lointain, les mécanismes évolutifs eux-mêmes ont permis l'émergence de nouvelles fonctions, de la même façon que les outils inventés par l'homme lui ont permis d'accroître ses compétences.

Notre propos ici sera de souligner la continuité des processus adaptatifs qui font d'Homo sapiens tantôt un inventeur génial, tantôt un simple imitateur forgeant des outils déjà conçus par la Nature elle-même.

1 Introduction

L'évolution prodigieuse des sciences et techniques au cours des cinquante dernières années, ainsi que la publicité croissante consacrée à cet avènement, ont induit chez ses acteurs comme chez le public une vision souvent déformée du phénomène et de ses applications possibles. À cette ambiguïté, nourrie de craintes et d'espoirs, des réponses sont attendues. La première d'entre elles consiste à vouloir replacer les performances de nos sociétés dans leur berceau naturel, celui des processus évolutifs. À cet égard, l'exemple de l'ingénierie biologique, née pour une large part des techniques issues du génie génétique3 est exemplaire. Son avènement permet aujourd'hui d'utiliser, voire de détourner, certaines lois qui régissent le Vivant, au risque d'interférer avec les processus évolutifs les plus fondamentaux.4 Après l'ère des fermentations, après celle des antibiotiques, une troisième génération d'outils biotechnologiques est apparue, parmi lesquels se rangent les procédés qui servent à la maîtrise, à la production et à la transformation du Vivant. Aujourd'hui, l'homme peut pénétrer en profondeur les mécanismes de la nature pour les modifier, les infléchir, voire les procréer.5 Nous verrons que cette transformation n'est possible qu'après l'émergence de nouveaux outils, dont la conception même s'inspire le plus souvent des processus évolutifs.

2 L'évolution de l'outil

Pour analyser l'évolution des techniques inventées par Homo sapiens et établir un parallèle avec les processus évolutifs, il convient d'abord de rappeler les caractéristiques qui distinguent, ou rapprochent, les objets façonnés par la dimension diachronique du Vivant de ceux produits par l'homme.

2.1 Systèmes vivants et artefacts

Nous savons que des mêmes lois peuvent être appliquées sans distinction à l'évolution du Vivant et aux créations d'artefacts par l'homme. Après les théories sur l'animal-machine,6 la vogue des automates et de la cybernétique, l'espoir naquit d'interpréter les caractéristiques du Vivant par ses composés chimiques soumis aux lois physiques.7 En conséquence, des lois qui jusqu'alors semblaient réservées au monde inanimé furent transposées avec succès à celui du Vivant.8 Il n'en reste pas moins que la distinction entre le Vivant et l'inanimé paraît à chacun sans ambiguïté. Un virus, une mouche ou une fleur sont, sans conteste, des objets naturels ; un marteau, un vélo ou encore un téléphone appartiennent aux objets artificiels que l'on nommera ici artefacts.9 Plus généralement, l'outil matérialise une performance envisagée à l'avance, issue d'une véritable anticipation sur sa fonction. Sa réalisation dépend d'une intention préexistante, qui lui a donné naissance. En revanche, un objet inerte (un rocher ou un nuage, par exemple) est façonné par le jeu de forces physiques auxquelles nous ne saurions attribuer aucun dessein.10 En somme, c'est par référence à nos fonctions cognitives, conscientes et projectives, que nous distinguons aisément le monde des artéfacts, issu de notre activité mentale, de l'objet naturel produit par l'action de forces physico-chimiques.

De cette distinction émerge une propriété fondamentale qui caractérise les êtres vivants, sans exception : celle de représenter des objets doués d'un projet qu'à la fois ils représentent dans leurs structures, et accomplissent par leurs performances. La notion de structure est ici essentielle, puisqu'elle permet de définir la seconde singularité distinguant l'inanimé du Vivant. La structure d'un artefact, qu'il s'agisse d'une massue ou d'une fusée, résulte de l'application de forces extérieures aux matériaux qui le composent, tandis qu'un organisme vivant découle plutôt de l'action morphogénétique interne.11 à l'objet lui-même. Enfin, la troisième caractéristique propre aux êtres vivants est la possibilité de se reproduire, puis de transmettre l'information correspondant à leur propre structure. Cette information est riche, puisqu'elle décrit une organisation excessivement complexe, mais conservée d'une génération à l'autre.12 Il va de soi que cette propriété, que l'on désigne sous le nom de reproduction invariante, ne peut être appliquée aux objets artificiels.13

2.2 Les outils forgés par l'homme : le cas particulier du langage

Le langage, moyen de communication reposant sur un dispositif vocal-auditif performant, est un outil puissant d'aide à la conception et à la maîtrise de systèmes plus complexes. À ce titre, il constitue une composante essentielle du progrès humain. À l'origine, les écritures idéographiques sont l'exemple même du recours au symbole, support de conceptualisation d'une pensée compressée.14 À titre d'exemple, on peut noter, à propos de la notation mathématique, l'introduction par George Boole15 d'une notation symbolique, capable de pouvoir décrire le fonctionnement logique des systèmes. Ainsi, sa notation binaire, par deux symboles 0 et 1, est indispensable au traitement par « l'outil machine » des opérations numériques. Elle sert de support au « dialogue » entre les parties constitutives de cette machine et celles de son environnement.16 Enfin, comment ne pas évoquer cette filialisation de l'outil et du langage avec ce gigantesque réseau naturel qui, depuis les origines, permet le dialogue et la mise en commun des ressources cérébrales de milliards d'individus.

Le premier outil « linguistique » façonné par nos ancêtres fut le cri, dont l'utilité pour la survie et la multiplication de l'espèce est évidente.17 L'apparition du langage articulé relève des mêmes procédures que l'acquisition de la manipulation des objets ou de l'utilisation d'outils.18 Il est donc logique de considérer le langage comme un outil à usages multiples. Selon ce principe, les unités de sens du langage (ou monèmes) sont des éléments commutables du langage, tel un outil, alors que les unités de son (les phonèmes) constituent les pièces de cet outil.19 Il semblerait d'ailleurs que les circuits nerveux qui permettent au tout jeune enfant à la fois de manipuler les objets qui l'entourent et de construire son langage soient les mêmes.20 Le langage, comme d'autres organes et d'autres fonctions, s'est élaboré au cours de l'évolution des espèces, tout comme il se construit progressivement chez l'enfant, baigné par la parole.21 Rappelons que l'aire cérébrale découverte par Broca dans le cortex gauche du cerveau des droitiers,22 et qui permet à l'homme de parler, existe bel et bien chez le singe. Mais à défaut d'autoriser la prise de parole chez ce dernier, elle lui permet de manipuler des objets et de communiquer de façon gestuelle.23

La découverte récente de cellules nerveuses nommées neurones miroirs renforce cette hypothèse. Chez le singe, l'activation de ces neurones situés dans les aires motrices du cerveau provoque une reconnaissance interne et immédiate de l'acte d'autrui. En outre, ces neurones participent à la compréhension de l'intention finale de celui qui agit, car ils s'activent différemment selon l'intention de l'acteur qui saisit un objet (par exemple, le fait de saisir une tasse afin d'en boire le contenu ne va pas activer les neurones de la même manière que lorsqu'on la saisit pour débarrasser la table). Or, le système des neurones miroirs contient l'aire de Broca, si importante pour le traitement du langage chez l'homme. Et si, comme le pensent nombre de linguistes, la communication humaine a commencé par une gestuelle faciale et manuelle, alors les neurones miroirs auraient pu jouer un rôle important dans l'évolution du langage. Le mécanisme des neurones miroirs résout ainsi deux problèmes fondamentaux de communication : la parité et la compréhension directe. La parité suppose que le sens du message soit le même pour l'émetteur et le récepteur. La compréhension directe signifie qu'un accord préalable entre les individus n'est pas nécessaire pour qu'ils se comprennent. Selon cette conception, l'accord est inhérent à l'organisation neuronale des deux personnes. En somme, l'existence de ces neurones miroirs permet déjà à deux individus de se parler sans utiliser de mots.24

3 Les outils du langage

L'outil de reconnaissance vocale appartient au processus évolutif de l'homme. Pour construire cet outil, il lui aura fallu vaincre les difficultés liées aux ambiguïtés de l'expression orale. Aujourd'hui, la machine capable de traduire en temps réel et sans faute la dictée de locuteurs variés n'est peut-être plus utopique. Le long chemin parcouru à cette fin nous est apparu très représentatif de la capacité créative de notre espèce en vue de parfaire sans relâche les moyens de partager nos affects avec autrui. Nous tenterons ici de décrire quelques étapes du parcours qui aura conduit l'homme à construire ce bel outil.

3.1 Cinquante années de recherches

Découvrir le monde à l'aide de nos facultés naturelles, malgré la complexité de notre environnement sonore et visuel, décoder un texte, comprendre la parole baignée dans le bruit, font partie du possible. La faculté de décider qu'une forme sonore ou visuelle appartient à une famille donnée, à en discerner les détails et la signification dont elle est porteuse, est une condition de notre survie. Le cerveau des mammifères réalise avec une fidélité déconcertante ces fonctions complexes, mais nos tentatives de construire les outils capables d'accomplir ces fonctions restent plus qu'imparfaites.25 Deux exemples illustrent ces difficultés. Il s'agit de la reconnaissance d'un texte manuscrit et de la reconnaissance de la parole. La première machine à reconnaître le langage, limitée à quelques mots isolés, a été réalisée par les laboratoires de la Bell Telephone en 1950. Cette machine, de type câblé,26 était capable d'identifier les dix premiers chiffres prononcés par un locuteur donné. Mais pourquoi avoir attendu si longtemps pour voir enfin apparaître ces machines ? L'erreur initiale fût d'imaginer qu'en développant la reconnaissance autour de mots isolés on parviendrait, à terme, à l'étendre à tout le discours. C'était négliger l'extrême complexité du langage articulé.27 Rappelons que ce dernier est caractérisé par une suite de sons, sans séparations entre les mots, accompagnée d'une variabilité de l'intonation et du rythme dans la prononciation des individus de sexes ou d'origines différentes. En outre, la syntaxe mise en œuvre dans le langage articulé est très relâchée par rapport à celle de l'écrit. La redondance de l'oral est considérable et reste indispensable à l'intelligibilité du message et à la transmission de ses subtilités, sans compter le rôle essentiel de la prosodie. Selon les principes même de la théorie du Gestalt,28 il s'agirait d'assembler les parties élémentaires d'une même catégorie pour construire un tout cohérent, dont la forme serait précise et univoque.

Vers 1970 se développe la stratégie de la reconnaissance des mots dite « par l'exemple ». Un vocabulaire de mots susceptibles d'être reconnus est analysé sous forme de vecteurs acoustiques,29 puis ceux-ci sont successivement comparés aux mots inconnus présentés sous la même forme. Cette comparaison engendre une information de distance, qui traduit objectivement le degré de ressemblance entre le mot et l'exemple qui lui a été soumis. La méthode d'analyse et de comparaison par l'exemple a rapidement montré ses contraintes et limites, parmi lesquelles on notera : (1) des limites d'efficacité dans la reconnaissance des phonèmes ; (2) le décalage temporel entre l'exemple et le signal capté ;30 (3) le coût important du volume et du traitement des données mises en œuvre. À cette époque, il s'est avéré difficile d'étendre la reconnaissance au-delà d'un vocabulaire d'une centaine de mots. Ces systèmes restaient donc voués à des applications restreintes comme celle des mots de commande d'un automate.31 Le recours exclusif à une reconnaissance de forme fondée sur l'analyse phonologique a dû alors être complété par un examen global des finalités de la reconnaissance de la parole et des moyens nouveaux de sa réalisation.

3.2 Reconnaissance de la parole

La reconnaissance d'un nombre limité de mots isolés de leur contexte représentait une énorme simplification et, en dépit de quelques améliorations,32 elle restait fort éloignée de la compréhension d'une parole continue. En 1971, un ambitieux programme de recherche de systèmes capables de comprendre des phrases prononcées par de nombreux locuteurs a été lancé aux États-Unis.33 Le cahier des charges imposait un vocabulaire de mille mots, avec un taux d'erreur inférieur à 10%. Doté d'un budget de 15 millions de dollars, ce programme s'est achevé cinq ans plus tard. Cette expérimentation a mis en lumière les difficultés d'une exploitation multilocuteurs, dont le nombre fut limité à cinq opérateurs. En outre, le système était pénalisé par un temps de réponse prohibitif. Néanmoins, la reconnaissance de la parole continue était reconnue possible.34 Le parcours qui devait conduire de la reconnaissance des mots à la compréhension de la parole continue35 comprend successivement la reconnaissance de quelques mots (1950), d'un vocabulaire d'un millier de mots (1976), de courtes phrases modélisées (1984), puis de la compréhension de mots connectés (1990) et de la compréhension/traduction de la parole continue (2000).

Après plus de cinquante années de persévérance, le transfert entre le support écrit et la parole étant largement résolu, les recherches sont en passe d'aboutir au parcours inverse de translation entre la parole et sa traduction écrite. Malgré les convergences qui peuvent apparaître entre ces deux processus aux finalités opposées, une différence fondamentale les distingue : extraire un écrit à partir d'une source aussi complexe que la parole présente des difficultés d'un autre ordre que de produire la voix à partir de l'écrit, source en principe présentant moins d'ambiguïté.36 Nous devons, dans une large mesure, les progrès actuels à la prise en compte du modèle naturel de la communication et des solutions qu'il a inspirées.

3.3 Complexité du langage

La transmission de la pensée par le langage reste originellement entachée d'une part d'imprécisions, de flou et de perturbations imposées par le milieu externe. La prise en compte de ces éléments conditionne la réussite de la reconnaissance. Schématiquement, la transmission par support écrit peut être représentée ainsi :

Dans ce cas, il n'existe pas de rétroaction possible entre A et B, l'information est dépourvue d'ambiguïté grâce à son encadrement par des règles grammaticales strictes, et cette transmission permet la formation de traces mnésiques. La transmission verbale en environnement partagé peut être représentée comme indiqué sur la Fig. 1.

Fig. 1

Transmission verbale en environnement partagé.

Ici, les dimensions spatiales et temporelles sont communes et continues. La transmission vocale en milieu physique partagé créé des liens redondants, mais aussi des liens réactifs qui participent à l'extraction correcte du message.37 Cet exemple représente le fonctionnement naturel d'une transmission, auquel se trouve confrontée la construction d'un outil de reconnaissance de la parole. Cette synoptique montre que la communication orale comporte différentes strates et que c'est leur coopération qui autorise une réception correcte du message par le récepteur. Les systèmes actuels mettent également en œuvre les ressources offertes par les différentes couches de connaissance contenues dans le message oral.

3.4 Les aides à la reconnaissance

À la reconnaissance physique de formes, établie sur des comparaisons de nature phonologique, s'ajoutent les nouveaux termes de comparaison contenus dans l'architecture du langage que sont les connaissances lexicales (dictionnaire phonétique), sémantiques (sens des mots), syntaxiques (règles d'association des mots) ainsi que les fréquences d'emploi dans la langue considérée.38 Les systèmes actuels ont ainsi évolué, de simples « reconnaisseurs » passifs de forme vers des automates dynamiques intégrant les niveaux grammaticaux et la modélisation statistique de la langue (Fig. 2). Comme le pratique notre cerveau, l'objectif de ces opérations est bien sûr de s'affranchir des ambiguïtés du discours oral.

Fig. 2

Système actuel de reconnaissance. Dans ce système, dit « actif», toutes les reconnaissances sont utilisées simultanément. Chaque niveau de traitement peut proposer à tout instant des « hypothèses» qui seront validées ou infirmées par n'importe lequel des autres niveaux.

Cette catégorie de système procède, de façon générale, par hypothèses provisoires, évaluations successives et approche progressive, pour aboutir à une traduction écrite de la parole. Ceci implique un processus de contrôle important faisant largement appel aux techniques de l'intelligence artificielle.39 Les problèmes qui restent actuellement liés à leur efficacité concernent : (1) l'accroissement de leur « robustesse » par l'amélioration de leur résistance aux bruits et aux conditions défavorables de capture ou de transmission du signal vocal, (2) l'amélioration de la modélisation des contraintes sémantiques et syntaxiques de la langue utilisée, (3) la compréhension de la part d'auto-apprentissage.

Il est intéressant de noter l'existence de liens qui relient le fonctionnement des outils de traitement du langage aux mécanismes à l'œuvre dans l'ontogenèse ou la phylogenèse. Prenons l'exemple de l'outil de synthèse vocale où l'on dû se résoudre, par souci d'efficacité, à l'emprunt d'unités sonores prélevées, et celui de la reconnaissance vocale s'appuyant sur des stratégies inspirées par notre modèle naturel. Ce parallèle aurait pu nous conduire vers nombre d'interrogations sur le rôle du cerveau dans son processus de reconnaissance, et sur les liens existant entre les centres de production et l'interprétation de la parole.

4 L'outil « origine » et sa transposition contemporaine

Les similitudes existant entre les systèmes naturels et les automatismes recréés ne peuvent que susciter une profonde interrogation à laquelle nous tenterons d'apporter quelques éléments de réponse. Le cas de l'outil de reconnaissance vocale offre à cet égard un exemple privilégié. Outil évolué, souvent relégué au rang d'objet artificiel, il résulte cependant d'une production indirecte, mais naturelle, de notre créativité mentale. Cet outil constitue une étape importante de notre parcours évolutif. Ne serait-il pas pertinent de considérer la production de cet artefact comme un épiphénomène généré par l'homme sous l'effet de la pression évolutive ?

La filiation entre le modèle et sa transposition apparaît tout au long des étapes de sa réalisation. Au départ, l'expérimentation prend appui sur des solutions physiques, mécanistes, dont les limites apparaissent rapidement. Ces obstacles conduisent l'homme à s'interroger sur les mécanismes profonds de son système naturel de reconnaissance. Il est alors reconnu que les aléas et distorsions de la production vocale présentée à un automate classique, de fonctionnement déterministe, ne pouvaient conduire celui-ci qu'à fournir une « réponse » univoque, arbitraire, aux multiples situations de traduction rencontrées. Se libérer de la contingence du déterminisme, produire une réponse pertinente à une situation noyée dans un fond diffus d'éventualités, tel fut l'objectif assigné au nouvel artefact. Cette aptitude rapproche l'automate d'une fonction que nous attribuons à l'intelligence : s'adapter à des situations nouvelles et découvrir de nouvelles solutions aux difficultés rencontrées. Les réalisations actuelles s'appuyant sur un ensemble de moyens et ressources nouvelles fournissent ainsi une ébauche simplifiée de modélisation de notre système naturel.

On retrouve, au cœur du dispositif, la puissance informatique permettant la confrontation entre les éléments de l'information collectée et ceux de la masse des connaissances accumulées en mémoire ; l'organisation de la coopération des différents niveaux de ressources ; l'évaluation de la réponse la plus vraisemblable aux problèmes successifs posés par le transfert de l'information orale à l'écriture.

Enfin, comme contribution dominante à la construction des « reconnaisseurs » actuels figurent l'extraction et la mise en œuvre de ce que nous pourrions appeler le « contenu virtuel du langage », cette organisation cachée de l'organisation sémantique du discours.

Dans cette mutation de l'outil en système complexe, mettant en œuvre un ensemble considérable de moyens, de sources de connaissance, nous pouvons reconnaître des formes recréées de nos fonctions cognitives, actuellement désignées sous le terme d'intelligence artificielle.

5 Création et transmission du maniement de l'outil

Il existerait un rapport direct entre la capacité des espèces à créer de véritables outils et la complexité de leur système nerveux. L'éponge, incapable de dépasser des actions stéréotypées, est l'un des rares organismes pluricellulaires à être dépourvu de neurones. En revanche, les invertébrés possèdent de quelques dizaines de neurones, pour les annélides, à plusieurs centaines pour les gastéropodes. Ce nombre dépasse le milliard chez les vertébrés, pour atteindre 10 à 30 milliards chez l'homme. Cet accroissement a pour corollaire la multiplication proportionnelle du nombre de connexions entre ces neurones. Ce foisonnement vertigineux accroît les capacités adaptatives de l'homme, en laissant apparaître de nouvelles fonctions, comme la créativité, qui surpassent de loin les fonctions d'apprentissage et de mémoire partagées par les nombreuses espèces du règne animal. En somme, l'évolution animale a ainsi amplifié de façon considérable, non seulement la relation des individus à leur environnement, mais aussi, et surtout, les échanges entre individus.40

5.1 L'habitus neuronal

Rappelons que les outils se définissent d'abord par leur fonction. Le terme de fonction appliqué à un objet inerte renvoie inévitablement au projet sous-tendant la création de cet objet et, par voie de conséquence, à l'éventuel concepteur du projet. Pour les systèmes vivants, il en va tout autrement : il s'agit de pressions évolutives, au très long cours, qui, s'exerçant par essais et erreurs sous des contraintes environnementales déterminantes, ont façonné les systèmes vivants et les propriétés que nous observons aujourd'hui. En conséquence, au terme fonction, nous préférons l'expression signification évolutive, idéologiquement plus neutre pour décrire les propriétés spécifiques des systèmes vivants, comme l'aptitude du cerveau humain à créer des outils. On le sait, cette propriété dépend du double pouvoir génique et environnemental. Le pouvoir des gènes assure l'invariance de l'organisation du cerveau. L'anatomie du système nerveux est reproductible à l'intérieur de l'espèce, au sein d'une même génération et d'une génération à l'autre. En revanche, l'environnement permets l'individualisation, c'est à dire le caractère unique de chaque individu. Des troubles du comportement apparaissent à la suite de mutations sans que se manifestent pour autant des perturbations évidentes de l'anatomie du système nerveux. Mais reste à déterminer quels comportements sont associés à des tableaux génétiques reproductibles, et comment se manifeste le pouvoir des facteurs environnementaux, en particulier au cours de l'apprentissage. De même, nous ne savons toujours pas si, et comment, le pouvoir des gènes s'étend aux détails les plus fins de l'organisation cérébrale. Le même ADN, sert, une vie durant, à la mise en place, à l'entretien et à l'élimination de dizaine de milliers de contact synaptiques entre neurones. Par ailleurs, il existe un grand nombre d'arguments expérimentaux qui démontrent l'influence de l'environnement sur les remaniements morphologiques et fonctionnels des réseaux neuronaux. En somme, si la notion de programme pouvait être applicable à l'activité cérébrale de l'homme, ce ne serait que pour permettre cette forme d'apprentissage par l'expérience. Ainsi, l'apprentissage du langage n'est possible que dans un environnement adéquat et l'on sait que, sans l'école, la pratique du calcul est impossible. Jean-Pierre Changeux a résumé cette observation en proposant un mécanisme nommé épigenèse par stabilisation sélective de synapses, qui s'exerce au niveau des réseaux neuronaux dans les trois dimensions de l'espace cérébral.

Du concept d'habitus de Pierre Bourdieu, qui met en évidence à quel point la relation à l'environnement est fondamentale dans l'édification neuronale postnatale, J.-P. Changeux a forgé l'expression « habitus neuronal ».41 Nous savons que le volume crânien de l'homme augmente environ quatre fois après la naissance. Grâce à un développement rapide, le cerveau âgé de trois ans atteint déjà 60% de son volume final. À ce stade, 40 000 synapses s'établissent à chaque seconde. Si la migration anatomique des neurones et la construction des réseaux neuronaux dépendent étroitement des gènes, on sait aussi que les connexions prolifèrent de façon aléatoire, et que seuls les contacts neuronaux atteignant des neurones actifs pourront ultérieurement être conservés. Ainsi, chaque individu acquiert au cours d'un lent apprentissage exploratoire les techniques expérimentées par ses prédécesseurs. Selon ce principe, l'habitus neuronal représente le façonnement progressif des connexions neuronales à travers une fonctionnalité constamment répétée grâce aux comportements sociaux. Il faut donc penser que les édifications familiale et sociale s'effectuent à travers des couches à répétitivité de plus en plus intouchables lorsqu'on remonte dans la chronologie du développement humain. Il s'agit là d'étapes du développement qui se caractérisent par la nécessité d'une répétition individuelle acquise grâce à la répétition collective : l'habitus neuronal, c'est-à-dire la sauvegarde individuelle des connexions synaptiques par des références figées, s'acquiert par transmission de l'habitus social. Autrement dit, le développement individuel des circuits neuronaux reproduirait dans ses grandes lignes le développement collectif, d'où l'importance de la formation de groupes sociaux dans l'émergence des fonctions cognitives supérieures de l'homme.42

5.2 Créativité et transmission du savoir

Nous venons de voir que les remaniements morphologiques et fonctionnels des circuits neuronaux représentent l'aptitude des cellules nerveuses à se connecter aléatoirement de façon redondante pour ne conserver que les connexions rendues fonctionnelles par des stimulations répétées. Ce principe de fonctionnement, qui apporte des degrés supplémentaires de liberté, car il permet de s'affranchir de la dictature des gènes, n'en est pas moins contraignant. Selon cette règle, toute construction mentale, qu'elle soit élaborée par l'individualité, la famille ou la collectivité, repose sur l'obligation de répétition, pour en conserver une trace dans les réseaux neuronaux (c'est l'engramme). Ceci se fait de sorte que la plasticité cérébrale apporte, en définitive, une contrainte supplémentaire : chaque individu se voit forcé de se référer au système mental édifié depuis son enfance, que ce système soit conforme à une majorité culturelle ou qu'il s'en distingue d'une façon plus ou moins spectaculaire. Pour échapper à cette contrainte, le corollaire de l'habitus neuronal est ce que nous pourrions nommer le creativus neuronal, c'est-à-dire la capacité de pouvoir inventer de novo. On a remarqué, depuis longtemps déjà, que les enfants n'apprennent jamais mieux qu'au moment où ils ont l'impression de découvrir par eux-mêmes, avec un certain sentiment d'aventure et de création, ce que l'on essaie de leur transmettre. En vertu de cette règle, les conseils obligés ou l'excès d'autorité de leurs aînés ne peuvent être que rarement bénéfiques, car ils court-circuitent les principes mêmes du creativus neuronal. Cette propension à construire des outils pourrait être caractérisée par une volonté de l'Homo creator d'échapper à l'établissement d'une connectique neuronale collective. Ainsi, il existerait chez un sujet créatif une sorte d'intuition de la nécessité de réactiver en permanence la plasticité neuronale, pour aussi bien fuir l'ennui que se donner les chances d'une meilleure adaptation aux modifications environnementales. Ainsi, l'Homo creator se caractérise par une exigence d'exploration sans limite, un refus d'attendre passivement que les adaptations se produisent lentement, d'une génération à l'autre, au travers de la sélection génétique. En somme, grâce au génie inventeur, l'individu moderne est en passe de connaître plusieurs modalités conceptuelles au cours d'une même vie, sans devoir attendre un quelconque héritage génétique.

5.3 De la convergence des évolutions biologiques et culturelles

Il est probable que le développement de la culture, au cours de l'évolution, a été lent pendant les premières dizaines de milliers d'années d'existence d'Homo sapiens. C'est seulement quand la société a pu pourvoir aux besoins primordiaux de l'homme, comme l'abri, la nourriture, les vêtements et la sécurité, qu'il a été possible à ses membres de participer efficacement à la créativité culturelle. Il est également probable qu'il a fallu atteindre un nombre minimal de membres au sein d'une même communauté avant que les individus créatifs aient pu établir des interactions fertiles entre eux. Une fois la culture apparue, l'évolution culturelle, et sa transmission, semblent se révéler bien plus rapides et efficaces que l'évolution biologique.

Un premier point commun à ces deux modes d'évolution concerne la notion de patron, considérée ici comme instrument de reproduction. Dans le domaine de l'évolution biologique, l'ADN est l'unique patron génétique utilisé pour transmettre des caractères biologiques héréditaires. Pour l'évolution culturelle, les patrons sont partout et leur nature reste variée, comme les manuels scolaires, les instructions ou les plans d'utilisation d'un outil, par exemple. De même, les réponses aux défis posés par l'environnement sont parfois communes aux évolutions culturelles et biologiques. Ces réponses trouvées dépendent de choix possibles puisés dans une réserve d'éléments hautement variables. Pour l'évolution biologique, le générateur de diversité est contenu dans le réservoir de gènes. En revanche, en matière culturelle, les ressources sont puisées dans un réservoir artistique et éducatif qui, par nature, reste illimité. Constater que le processus de l'évolution a produit chez les hominidés des cerveaux dotés d'une capacité d'un genre et d'un ordre nouveaux par rapport à ceux des Homo sapiens primitifs, dont les capacités étaient tout à fait suffisantes pour assurer leur survie, reste étonnant. Songeons par exemple aux merveilles des mathématiques ou de la musique issus de ce creativus neuronal.

6 Vers une nouvelle conception d'Ecce Homo

L'aventure de la Science et des nouveaux outils qu'elle permet de produire est riche d'extraordinaires prouesses. L'exemple de la biologie est éloquent. Qui songerait donc sérieusement à briser l'élan qui pousse le génie biologique en avant ? Peu d'épopées scientifiques auront en effet à ce point ébranlé, mais surtout vivifié, nos sociétés. En sciences du Vivant, chercheurs et ingénieurs contribuent à la naissance d'un nouvel humanisme utilisant les progrès techniques. Il est pourtant vrai que leur chemin reste semé d'embûches. Qu'on les blâme ou qu'on les approuve, l'aventure dont ils sont maîtres d'œuvre est vécue par tous. Et tous ne sont pas vraiment guidés par un désir « marchand », mais plutôt par celui de concilier le développement individuel et celui de la collectivité.

Bien que l'attente de nos concitoyens soit forte dans ce domaine, les créativités technologiques ne sont pas toujours perçues positivement. L'un des problèmes majeurs est la définition même du progrès technologique, ce dernier ne devant satisfaire que les demandes humanistes, dont la finalité est d'améliorer les conditions de vie de l'espèce humaine. Donner un sens naturaliste et démocratique aux systèmes de création scientifique et technique, c'est aussi rappeler la prééminence de la politique sur l'hégémonie technico-économique. L'avoir oublié explique les dégâts moraux qui frappent aujourd'hui le secteur des biotechnologies,43 par exemple. Rappelons que, depuis la naissance de l' « État savant », apparu au XIXe siècle, la politique est en étroit contact avec la Science, et avec les avancées les plus hardies du savoir, afin d'appuyer ses décisions tournées vers le futur. Mais elle est prise en même temps, comme d'ailleurs l'est la Science, dans le jeu des rapports de force, et, plus encore que la Science, elle a aussi partie liée avec les préjugés, avec l'ignorance, avec l'aveuglement des calculs égoïstes.

Certains secteurs scientifiques restent plus sensibles que d'autres. Les progrès des neurosciences, par exemple, constituent un sujet fort sensible pour nos contemporains. Doit-on accepter l'implantation de cellules souches neuronales dans un cerveau développant une maladie neurodégénérative, au risque de modifier l'identité de cette même personne ? Les résultats obtenus chez les rongeurs indiquent que les outils sont prêts. Les prochaines décisions à prendre dans ce domaine relèvent d'une certaine éthique dans la régulation, ou non, du pouvoir créatif de cet Homo inventor, qui pose aussi le problème plus général du rapport de l'homme à la Nature. La question soulevée ici est celle de la définition même de l'homme et de l'emploi sans limites ou non de ses créations. Pour un biologiste, l'homme n'est qu'un être de nature, un être vivant parmi d'autres. La tradition des philosophies de la liberté (celles de Rousseau, de Kant ou d'Husserl, notamment) s'oppose à cette vision matérialiste et dominante de la biologie.44

Une attitude moins spontanéiste vis-à-vis des problèmes de cette nature relève explicitement d'une maîtrise sociale et politique de la dialectique des risques scientifiques et technologiques. Il est grand temps d'essayer de le faire comprendre et de lancer des procédures d'information et de discussion tournées vers un grand débat public pour que cessent les paniques démesurées45 qui s'inscrivent dans le discours technoscientifique contemporain. En cas de rupture de l'information entre les scientifiques et l'opinion publique, c'est le retour idéologique vers des formes de fondamentalisme qui nous menace. Le danger est de revoir surgir un intégrisme s'opposant à l'activité toujours débordante de cet Homo creator. Le risque alternatif serait alors le retour d'une méfiance systématique vis-à-vis des effets « néfastes » des progrès techniques et scientifiques. Un tel retournement de situation conduirait à installer une méfiance tout à fait abusive,46 au nom d'une transposition modernisée des terreurs sacrées à l'égard des transgressions de l'ordre du Naturel. Gageons que cette défiance à l'égard des progrès technologiques ne soit qu'une très courte parenthèse dans l'odyssée de l'espèce humaine qui, comme nous venons de le voir, se caractérise d'abord et avant tout par son intarissable propension à inventer. Vive Ecce Homo creator !

Remerciements

Nous tenons à exprimer toute notre gratitude à Henri Korn, Jean-Pierre Changeux, Gilles Gheusi et Pascale Lapeyre pour leurs commentaires éclairés sur les versions préliminaires de ce manuscrit, à Sylviane Guesdon pour la saisie du texte et à Cécile Moreau pour la production iconographique. Le laboratoire dirigé par P.-M. Lledo est financé par les soutiens généreux apportés par la Fondation NRJ-Institut de France, la Fondation pour la Recherche Médicale, l'Association Française contre les Myopathies, la Fédération pour la Recherche sur le Cerveau, l'Agence Nationale de la Recherche (ANR-05-Neur-028-01), le Groupe Arpège, le CNRS et l'Institut Pasteur. Ce laboratoire est aussi membre du réseau Européen des Instituts en Neuroscience (ENI-NET ; LSHM-CT-2005-019063).

2 Rappelons que, pour accomplir cette mission, Descartes fut parmi les premiers à introduire une conception très mécanistique des phénomènes vitaux.

3 C'est-à-dire l'ensemble des techniques moléculaires qui permettent de produire des organismes génétiquement modifiés ou OGM.

4 Selon certains philosophes, nous serions même entrés dans une aire post-humaniste.

5 C'est le cas, par exemple, du clonage reproductif.

6 Terme emprunté à la tradition cartésienne qui interprète le Vivant selon les conceptions mécanistes du XVIIe siècle. La vision de Descartes faisait fi de toute allégeance à l'autorité des anciens ou de l'Église. Elle n'eut pourtant pas de conséquences immédiates pour les connaissances physiologiques des règles du Vivant, puisque les médecins du XVIIe siècle restaient démunis de moyens techniques pour observer celui-ci et expérimenter sur lui. Mais, surtout, les esprits n'étaient pas encore mûrs.

7 Il s'agit entre autres des recherches menées par Lavoisier (1743–1794), Laplace (1749–1827) et Liebig (1803–1873). Par les règles et principes qu'il énonça, Lavoisier montra comment la chimie pouvait participer à la compréhension du Vivant. Les progrès de la physique, et en particulier de la thermodynamique, à la suite des travaux de Carnot, ainsi que la découverte du principe de conservation de l'énergie, après la conception de Lavoisier sur la conservation de la masse, vont contribuer à alimenter la thèse de la machine thermique vivante chère à ces savants.

8 Denis Diderot entreprit, dans le Rêve de d'Alembert, écrit durant l'été 1769, d'explorer toutes les implications possibles d'une position matérialiste. Ayant eu pleinement l'occasion de méditer sur les fondements scientifiques du XVIIIe siècle (le dix-septième et dernier tome de l'Encyclopédie venait d'être achevé), Diderot s'interrogea sur la nature de la matière vivante, l'origine de la vie, la diversité des espèces, la production des sensations et de la pensée, ou encore le déterminisme des actes et la responsabilité morale de l'homme. Voir aussi Éléments de Physiologie, par le même auteur.

9 Étymologiquement, des produits de l'artisanat ou de l'industrie.

10 Ceci tout au moins suivant un point de vue profane selon lequel la Nature est objective et non projective. Rappelons que ce postulat est central à la méthode scientifique contemporaine. C'est à Galilée et Descartes que l'on doit la pose de cette première pierre angulaire. Ces deux chercheurs ont refusé de considérer comme pouvant conduire à une connaissance « vraie » toute interprétation des phénomènes donnés en termes de causes finales, donc en rupture épistémologique avec les religions.

11 Il s'agit d'une partie du programme génétique dont la fonction est de régir la forme de l'organisme vivant. Cette propriété confère un déterminisme autonome, précis et rigoureux, impliquant une « autonomie » quasi totale à l'égard d'agents ou de conditions extérieures, capables certes d'entraver le développement, mais non de le diriger ou de l'orienter (cf. Le Jeu des possibles, par François Jacob, Fayard, 1981).

12 Variabilité ou stabilité du modèle transmis dépendent bien sûr de la largeur de la fenêtre temporelle à partir de laquelle nous nous plaçons pour observer cette évolution.

13 Au regard des lois physiques, l'invariance constitue une propriété paradoxale, puisque le maintien, la reproduction, la multiplication de structures hautement ordonnées paraissent incompatibles avec le deuxième principe de la thermodynamique, qui impose que tout système macroscopique ne peut évoluer que dans le sens de la dégradation de l'ordre qui le caractérise (cf. l'énoncé de Clausius en 1850, qui généralise le théorème de Carnot).

14 L'écriture chinoise est le type même de l'écriture idéographique. La représentation des objets matériels a eu recours, dès l'origine, au dessin de cet objet ; dessin stylisé, conventionnel qui, par suite de l'évolution de la graphie, est devenu méconnaissable, dans la majorité des cas. On a pu dire que le chinois a recours à un symbolisme muet qui constitue l'embryon d'une expression indépendante du langage.

15 Au XIXe siècle, le mathématicien George Boole a inventé un calcul symbolique qui permet de traduire des opérations logiques comme ou, et, si... alors..., en opérations mathématiques simples effectuées sur les chiffres binaires 0 et 1. Son rêve était de traduire toutes les opérations de l'esprit humain en une mathématique élémentaire. Remarquons ici qu'au XVIIe siècle, René Descartes avait donné le coup d'envoi de la formalisation de la pensée. Pour ce dernier, raisonner consistait à enchaîner des idées simples, selon les règles rigoureuses de la logique ; G. Boole a matérialisé ce concept.

16 La notation symbolique binaire réduisant à deux le nombre des symboles constitue le langage idéal pour la conception et le fonctionnement de l'outil artificiel. Son interprétation dépourvue de toute ambiguïté lui confère une grande robustesse.

17 Selon certains linguistes, ce ne serait pas la pensée qui inventa le langage mais plutôt le langage qui fabriqua la pensée (cf. L'instinct du langage par Steven Pinker, Odile Jacob, 1999). Le concept de compétence dû à Noam Chomsky suppose que l'aptitude humaine à engendrer des phrases soit innée et infinie (cf. Aspects of the theory of syntax par N. Chomsky, M.I.T., 1965). Pour un point de vue contradictoire, voir L'homme neuronal de Jean-Pierre Changeux, Fayard, 1983.

18 Cf. La structure des langues par Claude Hagège, Presses universitaires de France (Collection Que sais-je ?), 1982.

19 Cf. L'homme de paroles par Claude Hagège, Fayard, 1996.

20 Cf. À chacun son cerveau par François Ansermet et Pierre Magistretti, Odile Jacob, 2004.

21 Cf. Le structuralisme par Jean Piaget, Presses universitaires de France, 1968.

22 Cf. Cerveau de soi, cerveau de l'autre, Pierre Buser, Odile Jacob, 1998.

23 Cf. Le cerveau intime par Marc Jeannerod, Odile Jacob, 2002.

24 Le fonctionnement des neurones miroirs qui permettent d'attribuer des intentions à autrui serait anormal chez les personnes autistes. Cette anomalie expliquerait leur difficulté à entretenir des interactions sociales.

25 Cf. L'homme de paroles par Claude Hagège, Fayard, 1996.

26 Machines n'ayant pas recours à des moyens informatiques. Leur programme figé est matérialisé par un réseau de connexions fixes unissant leurs composants fonctionnels.

27 Le système « SERAPHINE » étudié et développé par le CNET (Centre National d'Etudes des Télécommunications), puis commercialisé par X-com., permettait vers 1970 la reconnaissance de cinq mots enchaînés ou de cent mots isolés. Dès cette époque, on a découvert que la séparation des mots n'est pas matérialisée par un silence.

28 De toutes les écoles psychologiques, la Gestalttheorie s'est avancée le plus près des thèses phénoménologiques énoncées d'abord par Husserl, puis reprises par Koffka et Merleau-Ponty. Cette théorie psychologique et philosophique constate que le tout est différent de la somme de ses parties. Elle refuse d'isoler les phénomènes les uns des autres pour les expliquer, mais préfère les considérer comme des ensembles indissociables structurés. Ainsi la Gestalttheorie (ou psychologie de la forme) est une théorie générale qui offre un cadre pour différentes connaissances psychologiques et leur emploi. L'être humain y est compris comme un système ouvert ; l'homme interagit activement avec son environnement.

29 Échantillons fréquentiels générés à partir d'une trame d'analyse appliquée aux mots et aux phonèmes prononcés et représentatifs de leur correspondance lexicale.

30 L'alignement temporel entre échantillons captés et modèles de comparaison est actuellement réalisé par un algorithme de programmation dynamique (DTW pour Dynamic Time Warping).

31 Après de nombreux siècles, matérialisation d'un projet mental dont l'antique légende nous restitue l'écho.

32 Reconnaissance multilocuteurs ou adaptable à un locuteur ; détection d'un mot de passe dans un flux de paroles ; exploitation de signatures vocales... .

33 Il s'agit du programme SUR pour Speech Understanding Research financé par l'ARPA (Advances Research Projects Agency), qui s'est achevé en 1976.

34 Le programme « SUR » (pour Speech Understanding Research) s'est achevé en 1976. Plusieurs programmes de cette nature ont été développés dans le monde à cette époque, notamment au Japon et en France.

35 Étude prospective du CRIN de Nancy, 1984.

36 Des systèmes portables d'aide à la malvoyance assurant le transfert de l'écrit vers l'oral sont devenus d'un usage courant.

37 Le contexte commun de situation contribue largement à l'interprétation correcte du message émis par le locuteur.

38 L'étude statistique des langues a déjà donné naissance à des dictionnaires d'occurrence de mots. Résultats d'un important travail de compilation de sources variées, ils fournissent, classés par ordre de probabilité d'emploi, de forme et d'association, les listes de verbes, de noms, d'adjectifs et autres interjections composant la langue contemporaine.

39 Ces stratégies évoluées de reconnaissance, faisant émerger aux divers stades de l'analyse des exemples probables, confèrent à ces automates une capacité prédictive, qui se rapproche de notre outil naturel de compréhension.

40 Deux excellents ouvrages se réfèrent plus particulièrement à cette question fondamentale : Le cœur des autres par Jean-Didier Vincent, Plon, 2003 et Cerveau de soi, cerveau de l'autre par Pierre Buser, Odile Jacob, 1998.

41 Cf. L'Homme de vérité par Jean-Pierre Changeux, Odile Jacob, 2002.

42 Cf. Tools for the body (schema) par A. Maravita et A. Iriki, Trends Cognitive Sci. 8 (2) (2004) 79–86 et The neural origins and implications of imitation, mirror neurons and tool use par A. Iriki, Curr. Opin. Neurobiol. 16 (2006) 660–667.

43 Nous pensons plus particulièrement au clonage.

44 Cf. Qu'est-ce que l'Homme, par Luc Ferry et Jean-Didier Vincent, Odile Jacob, Paris, 2000.

45 Après avoir embrassé avec enthousiasme la cause de la modernisation, l'opinion publique semble aujourd'hui frappée d'une telle pusillanimité qu'elle ne veut plus accepter le moindre risque. Cette exigence impossible d'un « risque zéro » paraît d'autant plus excessive que ce même public boit, fume, conduit, etc., n'hésitant pas à flirter avec des périls non moins réels que ceux engendrés par le progrès technologique.

46 On est loin aujourd'hui de l'opposition stérile existant entre risques perçus et risques réels. Mieux vaut que les scientifiques s'y fassent : la discussion sur les risques est devenue l'une des formes nouvelles, à la fois de la vie démocratique et de la politique scientifique.


Commentaires - Politique


Ces articles pourraient vous intéresser

Paleoanthropology of cognition: an overview on Hominins brain evolution

Jean-Jacques Hublin; Jean-Pierre Changeux

C. R. Biol (2022)