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Comptes Rendus

Sciences médicales / Medical sciences
L'avancement en âge, l'individu et la société
Comptes Rendus. Biologies, Volume 331 (2008) no. 11, pp. 874-877.
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DOI : 10.1016/j.crvi.2008.01.003

Maurice Tubiana 1

1 Centre Antoine-Beclère, faculté de médecine, 45, rue des Saints-Pères, 75006 Paris, France
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Maurice Tubiana. L'avancement en âge, l'individu et la société. Comptes Rendus. Biologies, Volume 331 (2008) no. 11, pp. 874-877. doi : 10.1016/j.crvi.2008.01.003. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/biologies/articles/10.1016/j.crvi.2008.01.003/

Version originale du texte intégral

L'homme est un animal social.

Au cours de ce colloque sur le vieillissement, on ne peut pas parler de l'évolution démographique sans évoquer ses conséquences sur la société, de même qu'on ne peut pas considérer l'apparition et l'aggravation des déficits moteurs ou sensoriels (la malvoyance ou la surdité) sans envisager leur retentissement sur le psychisme et le comportement de la personne vieillissante, ainsi que les réactions de la société, c'est-à-dire des autres, devant ces infirmités.

Comme le souligne l'OMS, santé physique, santé mentale et santé sociale sont étroitement intriquées et les réactions de la société devant les « vieux » (le regard des autres) est un facteur crucial du bien-être ou, plus souvent hélas, du sentiment de rejet qu'éprouvent les personnes âgées.

L'objet de cette table ronde est de rappeler ces problèmes. Il est ainsi rappeler que la société n'est pas une spectatrice, mais une partie prenante car son attitude, les mesures qu'elle prend ou ne prend pas ont un impact direct sur la vie des personnes âgées. Le vieillissement est aussi étroitement influencé par l'évolution des techniques. Il suffit de rappeler qu'à la fin du Moyen Âge, l'invention des lunettes a permis aux artisans, aux clercs d'avoir une vie active après quarante ans. Au cours du XXe siècle, la voiture automobile, l'ascenseur, le téléphone, la télévision et plus récemment le portable, l'informatique ont transformé leur vie quotidienne. À côté de cette évolution sociétale, les mesures sociales ont une grande importance. La retraite obligatoire instituée par de Gaulle en 1946 à totalement changé la vie des personnes âgées, qui de quémandeurs dépendant du bon vouloir de leur famille sont devenus autonomes, donc ont recouvré leur dignité. Le but de cette table ronde n'est pas de traiter ces problèmes (il faudrait pour cela plusieurs journées), mais simplement de rappeler leur existence et, à la lumière de quelques exemples, de montrer la possibilité, parfois la nécessité, d'une action sociétale face à ces gigantesques défis qui vont dominer l'évolution des sociétés industrialisées au cours des prochaines décennies. Les pays en voie de développement, où la natalité reste élevée, se trouvent devant une problématique différente, et la pyramide des âges leur donne un atout important.

Les relations avec les autres jouent un rôle crucial dans l'éveil de l'esprit de l'enfant et dans la lutte contre la décrépitude et la hantise de la mort qui marquent la fin de vie. Aux deux extrémités de l'existence, l'individu ne peut pas vivre en l'absence des autres, de la société, mais avec une différence considérable : chez l'enfant, la dépendance qui est totale à la naissance diminue ensuite graduellement ; l'enfant symbolise le futur, l'espoir. Inversement, l'âge apporte avec lui une dépendance initialement minime, mais qui croît inexorablement. Personne ne discute l'obligation pour l'État et la société civile d'aider les parents à protéger les enfants et à leur donner la chaleur affective dont ils ont besoin. Pour les gens âgés, l'État fait un effort financier considérable (pension et retraite), mais la société civile est réticente. Les réactions devant la vieillesse ont évolué au cours du XXe siècle et continuent dans ce début de XXIe à être très diverses malgré (ou peut-être à cause de) son importance croissante, en raison de la conjonction entre une espérance de vie de plus en plus longue (passée de 45 ans en 1900 à 81 ans en 2006) et une baisse de la natalité ; cependant, le coût financier des personnes âgées, la charge qu'elles représentent pour la société, ne sont qu'un des aspects du problème. L'essentiel, je crois, est ailleurs.

Les stigmates de l'âge (le visage qui se ride, le dos qui se courbe, la démarche qui devient vacillante) choquent le regard des adultes ; ceux-ci se détournent des vieux, non qu'ils ne les aiment plus, mais parce que, tel un memento mori vivant, ceux-ci leur rappellent le destin qui les attend, qu'ils voudraient d'autant plus oublier qu'ils le savent inéluctable. Et plus les autres s'éloignent, plus la personne âgée prend conscience de la nécessité de leur présence pour son équilibre psychique et physique, mais aussi plus elle craint de leur imposer des relations qui leur sont devenues importunes, et plus elle se sent rejeté hors de cette société comme un poisson laissé sur le sable par la marée descendante. Que peuvent faire concrètement l'individu et la société, non pour faire disparaître ces problèmes (c'est impossible), mais pour les atténuer ? C'est la question que pose cette table ronde.

Au début du XXe siècle, pendant mon enfance (je suis né en 1920), les vieillards concernaient uniquement leur famille. Celle-ci devait, sous peine de déshonneur, en assumer la charge. La société n'intervenait que pour le petit nombre de vieillards n'ayant ni famille, ni ressources : elle les hébergeait, ou plutôt les cachait, dans des hospices qui étaient presque des prisons.

La guerre, avec la pénurie de nourriture et de chauffage, fit prendre conscience de l'extrême fragilité des gens âgés. Chaque année, au début de l'hiver, la grippe et les bronchopneumonies causaient des hécatombes parmi eux (d'où l'expression p.p.h., ne passera pas l'hiver). La fin des restrictions, le système de retraite obligatoire et les antibiotiques mirent fin à cette situation. Les vieux n'étaient plus des morts en sursis ; ils avaient acquis droit de cité. Cependant, l'accroissement du chômage à la fin des années 1970 entraîna un nouveau tournant, caractérisé par le slogan « Place aux jeunes ». Sous l'influence des directeurs des relations humaines, les employeurs voulurent autant que possible remplacer les travailleurs de plus de 50 ans (dont le salaire, déterminé par les conventions collectives, avait augmenté régulièrement avec l'ancienneté) par des jeunes dont les salaires étaient beaucoup moins élevés et qui étaient supposés être plus performants. Les politiciens virent là un moyen de lutter contre le chômage, et la retraite anticipée devint une panacée encouragée par l'État, la sécurité sociale, les syndicats et les employeurs. Non seulement la France est ainsi devenue le pays occidental où la proportion de personnes en activité au-delà de 55 ans est la plus faible (38% des personnes ayant un travail entre 55 et 64 ans, contre 50% en Allemagne et 58% au Royaume-Uni), mais cette attitude jeta un discrédit sur les personnes ayant dépassé la cinquantaine, à qui l'on reprocha leur lenteur, leur manque de capacité d'adaptation. Les politiciens considéraient, avec une mentalité de fonctionnaire, que l'emploi est un gâteau qui se partage et qu'en chassant les vieux on ferait place pour les jeunes. Cette assertion est très discutable et l'expérience des pays étrangers, notamment la Suède et le Japon, montre que les sujets âgés peuvent être, si des mesures adaptées sont prises conjointement par les travailleurs et l'employeur, non seulement utiles, mais même précieux. En France, beaucoup ont de bonne foi confondu le gâtisme, les démences séniles (dont l'Alzheimer) avec les difficultés imputables à l'âge (difficulté à se remémorer un nom propre, lenteur avec laquelle un fait remonte dans le souvenir, manque d'attention), qui ne mettent en cause ni la qualité du jugement, ni la capacité de transmettre leur expérience.

Quoi qu'il en soit, la France se trouve à l'heure actuelle devant des difficultés considérables qui existent aussi, mais à un moindre niveau, dans la plupart des pays industrialisés. Dans une société où bientôt 30% de la population aura plus de 60 ans, la situation actuelle est intenable, aussi bien économiquement que socialement. Une société qui exclut de la vie active un tiers de ses habitants, tout en leur laissant le droit de vote, ne peut pas fonctionner. On dira que c'est le prix à payer pour que l'on se repose et profite de l'existence pendant le dernier tiers de la vie. Hélas, je crains que le bonheur apporté par l'oisiveté ne soit une utopie. La France est le pays au monde qui détient le record de la consommation de tranquillisants. Même si cela est en partie dû à la largesse avec laquelle les praticiens français prescrivent hypnotiques et autres euphorisants, c'est un signe inquiétant pour la santé mentale des Français, puisque la consommation croît avec l'âge. L'absence d'activité pourrait-elle être en cause ? Goethe disait : « L'oisiveté est l'antichambre de la mort ». L'angoisse que crée la finitude de la vie, surtout lorsqu'on approche de son terme, est une cause majeure de dépression et de perte d'intérêt pour l'existence. La meilleure façon de lutter contre ce sentiment est d'apporter ce que Pascal appelait des divertissements, et le plus efficace d'entre eux est le travail. Qu'il soit salarié ou bénévole, celui-ci donne une signification à la vie et un sentiment d'utilité. Il maintient des liens sociaux. L'expérience que j'ai vécue à travers mes collègues et amis m'a appris que l'absence d'activité régulière crée souvent un sentiment d'inutilité qui favorise la dépression. Pour éviter cette évolution, pour maintenir la personne vieillissante dans la société, on se heurte à deux types d'obstacles, les uns psychosociaux, les autres physiques.

Les premiers sont de deux ordres. D'abord, les préventions de la société envers les gens âgés. Combien de fois ai-je entendu la phrase rituelle : « il est temps qu'il débarrasse le plancher, d'autres plus jeunes attendent sa place et feraient mieux que lui. » Même quand la fin de la phrase est exacte, ceci ne justifie pas une exclusion ; on pourrait trouver un autre poste, une autre fonction, où cette personne plus âgée serait très efficace. En fait, ces réticences sont généralement fondées sur des préjugés. Dès le plus jeune âge, il faut apprendre aux enfants que vieillissement ne signifie pas gâtisme, qu'un vieux peut être performant, de bon conseil, s'il n'est pas atteint d'une maladie affectant sa fonction cérébrale. Son expérience peut être source de sagesse. Il est des civilisations (la Chine, le Japon, l'Afrique subsaharienne) où l'âge est respecté, car il permet de dominer les passions, les instincts. Des campagnes d'information pour réhabiliter, dans l'opinion, la vieillesse seraient les bienvenues. Les slogans du jeunisme proviennent d'une publicité qui pour vendre sa pacotille ou ses produits miracles répandent l'image de la jeunesse-beauté, source de dynamisme, déconsidérant les personnes vieillissantes. Il est temps de montrer la fausseté et le danger de cette vision simpliste et périmée de la maturité et de la sénescence en se fondant sur des faits. Les plus grands artistes (Michel-Ange, Le Titien, Picasso...), les plus grands compositeurs (Verdi, César Franck) ont produit leurs plus belles œuvres à un âge très avancé, et Churchill et Roosevelt, au moment où ils ont gagné la guerre, de Gaulle quand il était président, Pasteur quand il inventa la vaccination contre la rage auraient été débarqués sans appel par des règlements ou des directeurs des ressources humaines avisés comme ayant dépassé l'âge fatidique.

Parallèlement, la personne âgée percevant l'hostilité du milieu et ayant peur de ne plus être à la hauteur préfère s'éclipser et ne pas s'engager dans une aventure où elle risque l'humiliation. Il faut donc la rassurer, la préparer, l'encadrer, lui expliquer que sont intérêt, celui de son employeur et de l'ensemble de la société sont convergents.

Les déficits sensoriels (surdité, vision) ou moteurs (troubles de la marche, de l'équilibre) constituent une source majeure de rejet. Or, des progrès immenses ont été effectués au cours de ces dernières décennies, et les médecins sont aujourd'hui mieux armés pour surmonter la plupart d'entre eux, mais ceci exige un double effort de la part de l'individu et de la société. La personne vieillissante doit être mieux informée de l'aide que peut lui apporter la médecine ; il est inacceptable que des personnes par ailleurs restées en excellent état soient handicapées par une cataracte qui pourrait être facilement opérée ; il est inacceptable que des travailleurs ne puissent plus exercer leur métier à cause d'une baisse de l'ouïe qui pourrait être corrigée ou d'une arthrose de la hanche, du genou que l'on pourrait opérer. C'est le but des consultations systématiques que l'Académie de médecine avait proposé dans son rapport sur le vieillissement et qui ont été mises en place par le ministère. Effectuées au cours de l'avancée en âge, elles pourront détecter ces troubles et proposer des remèdes.

Mais, parallèlement, il faut que la société comprenne qu'elle a le devoir de faciliter la vie des personnes vieillissantes afin de leur permettre de rester en activité. Prenons quelques exemples. Une vie normale impose des déplacements (pour se rendre à son travail, aller voir ses enfants ou petits-enfants, se faire soigner...). Or, peu est fait pour pallier les infirmités qui apparaissent avec l'âge. Ayant vécu ces problèmes, j'illustrerai ces propos par quelques exemples. À cause des interminables escaliers qu'il faut monter et descendre, j'ai dû depuis deux ans renoncer au métro, malgré sa grande commodité, sauf quand je sais qu'il y a des escaliers roulants dans les stations que j'utiliserai. Indiquer sur le plan de métro ces stations faciliterait grandement la vie, mais il serait mieux encore d'en multiplier le nombre. En attendant, on pourrait au moins, à côté des innombrables petits escaliers qui coupent les longs couloirs, mettre des plans inclinés qui permettraient l'usage des poussettes et des valises à roulettes. Les mêmes remarques peuvent être faites à propos des gares. Au printemps dernier, j'avais été invité à faire une conférence à Clermont-Ferrand et les organisateurs m'avaient dit qu'ils m'attendraient dans le hall de la gare au point de rencontre. Je descends du wagon sans difficulté avec une petite valise à roulettes et cherche l'ascenseur pour découvrir qu'il n'y en a pas. Pour atteindre le hall de la gare, il n'y a que l'escalier, long avec une forte pente. Perplexe, j'attends au sommet de l'escalier espérant qu'on viendra me chercher, mais le quai est déjà vide et j'ai peur que mes correspondants pensent que j'ai raté le train. Je cherche un préposé de la SNCF, il n'y en a pas. Que faire ? Descendre l'escalier avec ma valise risque de me faire chuter, abandonner ma valise ? J'y pense sérieusement, mais elle contient, outre mes affaires de toilette sans grande valeur, des manuscrits auxquels je tiens, car ils représentent des semaines de travail. J'hésite, je tergiverse pendant quelques minutes quand une main frappe mon épaule et une voix chaleureuse me dit : « Mon cher maître, quelle joie de vous voir ici ; vous avez été en 1971 mon président de thèse et je ne l'oublie pas. » Je l'aurais embrassé. Il saisit ma valise et, quelques minutes plus tard, je trouve dans le hall rutilant et récemment refait mes correspondants qui m'attendaient paisiblement. Depuis cet incident, je regarde d'un œil encore plus compatissant les voyageurs âgés qui, après être sortis du métro à la station Gare de Lyon, attendent debout au pied de l'escalier à côté de leur valise la bonne âme qui voudra bien leur proposer de les aider à la monter. Je vais souvent en train à Bruxelles, au Luxembourg et à Genève ; dans ces gares, je n'ai aucun problème, car des plans inclinés rendent la circulation aisée, mais la France a ses spécificités et la SNCF n'a pas installé beaucoup de plans inclinés. Pour compléter la description de l'attitude de la SNCF face aux personnes âgées, je devrai mentionner l'ascenseur en gare de Toulon dont on m'a refusé l'accès parce que je n'avais pas une carte d'handicapé, les salles d'attente sans place réservée pour les personnes âgées qui attendent debout le train qui a du retard sous l'œil indifférent d'adolescents assis, les marches trop hautes pour monter dans le wagon (heureusement, dans la plupart des cas, des personnes complaisantes nous aident). J'ai envoyé, au temps où, naïf, je croyais que ces déficiences étaient dues à des oublis, aux présidents de la SNCF et de la RATP des lettres. Je n'ai même pas eu droit à un accusé de réception. Quand un concours de circonstance m'a donné l'occasion de parler à un décideur, il m'a répondu que la loi sur les handicapés allait résoudre ces problèmes, ce qui révèle une profonde méconnaissance de la situation, car les besoins du million d'infirmes ayant perdu leur autonomie et qui circulent en fauteuil roulant, sont très différents de ceux des dix millions de personnes vieillissantes qui se déplacent sans difficulté sur un terrain plat, mais hésitent à descendre un escalier sans rampe ou ont du mal à entrer ou sortir d'une baignoire sans barre d'appui, toutes difficultés solubles à peu de frais. La vérité, hélas, est que les gens âgés sont souvent considérés comme des gêneurs et que les architectes français sous-estiment les besoins spécifiques des personnes vieillissantes. Dans leur esprit, l'esthétique prime sur le confort des personnes âgées. Ainsi, dans les jardins publics, on a vu se multiplier les bancs sans dossier ou, dans les halls, les changements de niveau dont la seule fonction est esthétique et qui risquent de causer des chutes. Est-ce le fait des architectes ou de ceux qui ont rédigé le cahier des charges ? Peu importe. L'existence des personnes vieillissantes n'est pas prise en compte.

Ces petites difficultés ont deux inconvénients. Elles compliquent le déplacement des personnes âgés et leur vie quotidienne, alors qu'il faudrait la faciliter pour qu'ils restent insérés dans la société, qu'ils puissent travailler et se déplacer. De plus, elles leur rappellent à chaque instant que la ville, les habitations, les moyens de transport ignorent les personnes âgées. Alors que celles-ci auraient besoin d'être aidées, sécurisées, que leur participation à la vie de la société est devenue une condition de survie des vieux pays européens, cette ignorance de leur besoin leur rappelle à chaque instant qu'ils sont importuns, que leur temps est passé, qu'ils ne sont tolérés qu'à condition d'être silencieux, invisibles. Et, cependant, les décideurs devraient se rappeler qu'eux aussi vieilliront, eux aussi auront besoin d'une rampe pour monter les escaliers et risqueront de se tuer s'ils font une chute à cause d'une marche mal placée ou trop haute. Mais ils vivent emmurés dans le présent. Une des règles de la démocratie, héritée en ligne directe de l'esprit des Lumières, est qu'il ne faut pas imposer à un groupe d'hommes des règles concernant leur existence, sans que ceux-ci aient été consultés, aient pu s'exprimer. Au moment où l'on reconnaît ce droit d'expression aux enfants et aux adolescents, on le dénie aux « vieux ». Toutes les décisions les concernant sont élaborées par des commissions où il y a beaucoup de spécialistes en gérontologie, mais pas de vieux, sans doute parce qu'on considère qu'ils sont débiles ou gâteux et qu'on oublie que la vie leur a donné une expérience du vieillissement dont on ne fait pas l'effort de tirer parti. Il serait temps que cette attitude condescendante soit remise en question. Il y avait 12% de personnes de plus de 65 ans en France en 1968, 16% en 2000, il y a en aura environ 25% bientôt. Donnons leur d'une façon ou d'une autre le droit de s'exprimer.


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