1 La contrefaçon, un fléau pour le continent africain
1.1 Définitions
Selon l'Organisation mondiale de la santé, un médicament contrefait est un médicament qui est délibérément et frauduleusement muni d'une étiquette n'indiquant pas son identité et/ou son origine véritable.
La contrefaçon peut viser une spécialité de référence (produit de marque) ou un médicament générique.
La contrefaçon de médicaments peut recouvrir des réalités tout à fait différentes [1] : La présentation et/ou composition de la contrefaçon peut être identique au médicament initial, mais la composition peut également en être différente (absence, sous dosage ou surdosage de principe actif, présence d'ingrédients nocifs) ; Il peut enfin s'agir d'une falsification du conditionnement (permettant par exemple de « repousser » la date de péremption de médicaments périmés).
1.2 Ampleur du phénomène
L'OMS a publié en novembre 2006 les dernières estimations de l'ampleur du phénomène au niveau mondial. Selon l'OMS, alors que seulement 1% des médicaments dans les pays développés seraient des contrefaçons (bien qu'on assiste à une augmentation du nombre de saisies dans ces pays), jusqu'à 30% des médicaments vendus sur le marché africain sont contrefaits. Certains pays sont particulièrement touchés par ce fléau (Angola : 70%, Nigeria, etc.). Les contrefaçons se concentrent dans le marché illicite des médicaments.
1.3 Facteurs favorisant le développement du marché des médicaments contrefaits
Comment peut-on expliquer l'ampleur de ce phénomène sur le continent africain ? Plusieurs facteurs concourent au développement des contrefaçons de médicaments : une législation faible quant au circuit du médicament, une absence ou une faiblesse des autorités de régulation du médicament, le manque de contrôles efficaces des médicaments importés, l'absence de lois ou une inefficacité dans leur application, parfois la corruption et les conflits d'intérêts, une absence de protection sociale qui, combinée à des prix élevés, conduit à la recherche d'un accès aux traitements à moindre coût, l'alimentation du marché illicite (par des médicaments non utilisés par exemple).
1.4 Les dangers de la contrefaçon
On estime que 32,1% des médicaments contrefaits ne contiennent pas de principe actif, 21,4% contiennent le mauvais principe actif, 20,2% ne contiennent pas la bonne quantité de principe actif, 15,6% contiennent le bon dosage du bon principe actif mais pas le bon emballage, et pour 8,5% des médicaments contrefaits, des taux importants d'impuretés ou de substances toxiques ont été détectés. Enfin, 1% des contrefaçons de médicaments ne sont que des copies illégales de produits (cf. Fig. 1).
Ainsi, les médicaments contrefaits peuvent être dangereux de différentes manières. En Afrique, de tristes exemples ont montré l'impact dévastateur que ceux-ci peuvent avoir : au Nigeria, en 1990, un sirop contre la toux à base de diéthylène glycol a causé la mort de 109 enfants ; au Niger, en 1995, lors d'une épidémie de méningite, 50 000 personnes ont été vaccinées par des vaccins contrefaits (inefficaces), causant la mort de 2500 personnes (par défaut de protection vaccinale).
2 Le rôle du pharmacien dans la lutte contre les contrefaçons
2.1 Le pharmacien, acteur de la sécurisation de la chaîne : l'organisation du circuit légal des médicaments
Dans de nombreux pays africains, il existe une chaîne pharmaceutique : les médicaments ne peuvent être vendus que par des pharmaciens inscrits à l'Ordre (au niveau de l'industrie, de la distribution, des officines, ...).
Il est indispensable de permettre aux pharmaciens de vérifier la licité de leurs sources d'approvisionnement via des registres d'établissements autorisés par l'Agence du médicament et par la mise en ligne des listes des pharmaciens inscrits au Tableau de l'Ordre.
A travers les sanctions disciplinaires, l'Ordre peut en outre sanctionner les pharmaciens exploitant délibérément des contrefaçons de médicaments.
2.2 Les actions du pharmacien auprès des patients : l'éducation des patients sur les sources d'approvisionnement
Le pharmacien doit conseiller aux patients de n'acheter ses médicaments qu'auprès de sources fiables. En cas de doute sur une source d'approvisionnement, le patient peut se référer à l'Ordre des pharmaciens ou au Ministère de la santé (Fig. 2).
Les pharmaciens peuvent délivrer des messages simples tels que demander aux patients de leur signaler tout changement dans l'efficacité ou dans l'aspect des médicaments, même si ces derniers n'ont pas été achetés dans la pharmacie.
3 Les engagements et actions des pharmaciens
3.1 Les actions des organisations internationales de pharmaciens
Au-delà du groupe IMPACT de la Fédération internationale pharmaceutique, les initiatives de la Conférence internationale des ordres de pharmaciens francophones (CIOPF) méritent d'être soulignées.
La CIOPF est une association rassemblant les Ordres nationaux de pharmaciens des pays qui ont en commun l'usage du français. Elle a été créée en 1994 et comporte aujourd'hui 31 membres.
Le 16 février 2006, la CIOPF a adopté une déclaration intitulée : « Les pharmaciens s'engagent pour préserver la sécurité des patients face aux médicaments ». Dans ce texte, la CIOPF émet un certain nombre de recommandations qui s'adressent à la fois aux pharmaciens, aux pouvoirs publics et aux patients. Le texte de la déclaration est consultable à l'adresse suivante : http://www.ciopf.org.
Mais il convient également d'agir à l'échelle nationale et locale. De nombreuses actions ont ainsi été menées par les Ordres africains.
3.2 Les combats particuliers menés par les Ordres africains : exemple de la Côte-d'Ivoire
En Côte d'Ivoire, des groupes criminels structurés et puissants, qui bénéficient de soutiens en plus haut lieu, sont à l'origine des contrefaçons de médicament.
Depuis fin 2006 : l'Ordre des pharmaciens mène une campagne active de lutte contre les « médicaments de la rue » autour de trois axes : couper les sources d'approvisionnement, sensibiliser la population aux risques, saisir et détruire les médicaments des sites connus (cf. Fig. 3).
Concrètement, l'Ordre a radié du tableau les pharmaciens impliqués, a demandé la fermeture des marchés de médicaments de rue et la suppression des doubles comptes des pharmaciens auprès des grossistes répartiteurs.
Cette bataille n'a pas été menée sans difficultés. Les pouvoirs publics ont affiché une certaine réticence à cette politique, et le 1er juin 2007, le siège du Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens de Côte d'Ivoire a été attaqué par des hommes armés.
4 Conclusion
Les pharmaciens sont des acteurs majeurs de la lutte contre les contrefaçons, de par leur expertise du médicament et leur capacité à détecter des produits contrefaits, de par leur sélection des sources fiables d'approvisionnement, de par leur contact régulier avec les patients (information des populations sur les risques des sources illégales).
Toutefois, leur action n'est efficace que si elle est soutenue par les pouvoirs publics.