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Comptes Rendus

Biologie et devenir technologique de l’homme / Biology and the technological future of man
Problèmes éthiques posés par les nouvelles biotechnologies de la reproduction et des cellules souches
Comptes Rendus. Biologies, Volume 338 (2015) no. 8-9, pp. 571-575.

Résumés

Les recherches sur les mécanismes hormonaux, qui contrôlent la reproduction chez les mammifères, ont pris leur essor au cours de la première moitié du xxe siècle. Ils ont entraîné une série de découvertes qui ont eu un impact considérable, non seulement du point de vue scientifique, mais aussi sur les mœurs. À côté de l’avènement de la pilule contraceptive, elles ont permis d’isoler et de cultiver in vitro le gamète femelle, de le féconder et d’obtenir un zygote qui continue à se développer hors de l’organisme maternel jusqu’au stade « blastocyste ». L’embryon, transféré dans une mère porteuse, se développe normalement jusqu’à terme : le premier « bébé éprouvette » est ainsi né en 1978. Mais, le simple fait de pouvoir cultiver l’œuf humain in vitro allait ouvrir d’autres voies et permettre d’accéder à d’autres progrès biologiques : les cellules souches embryonnaires (ES cells) obtenues à partir du blastocyste et, plus récemment, les cellules souches pluripotentes induites (iPS), que l’on peut dériver virtuellement de tous les types de cellules différenciées prélevées chez un individu adulte. On pouvait dès lors envisager l’avènement d’une nouvelle médecine, régénératrice car capable de remplacer les cellules déficientes ou absentes au sein même de l’organisme. À chacune des étapes de ces recherches, les scientifiques ont rencontré une vigoureuse opposition de la part du public : elles bousculaient les conceptions qu’avait l’homme de ses rapports avec la nature, notamment dans deux domaines sensibles : la sexualité et la reproduction. Les progrès de la science ont cependant été acceptés par le plus grand nombre dès lors que l’homme a compris qu’il pouvait en retirer un avantage.

Research about the hormonal mechanisms controlling reproduction in mammals has soared during the first half of the 20th century. It has produced a series of discoveries with important outcomes, not only scientific, but also impacting the ways of life. Besides the advent of the contraceptive pill, it has permitted to isolate and cultivate in vitro the female gamete, to fertilize it, thus obtaining a zygote that continues to develop until the blastocyst stage outside the maternal organism. The embryo, transferred into a foster-mother, develops normally until term: the first “test-tube baby” was born in this way in 1978. But the only fact of being able to cultivate the human egg in vitro was to open other possibilities and allow further biological advances: embryonic stem cells (ES cells) obtained from blastocysts and, more recently, from induced Pluripotent Stem cells (iPS), which can potentially be derived from all types of differentiated cell types obtained from adult individuals. From then on, the advent of a new medicine could be anticipated, regenerative because able to replace deficient or absent cells within the organism. As each of these steps was reached, scientists have encountered vigorous opposition from the people: the new potentials disturbed the conceptions that man had of his relationship to nature, in particular in two sensitive domains: sexuality and reproduction. The progress of science has however been accepted by most as soon as it was understood that humanity could anticipate advantages from these advances.

Métadonnées
Publié le :
DOI : 10.1016/j.crvi.2015.06.013
Mot clés : Cellules souches embryonnaires, Fécondation in vitro, Médecine régénérative
Keywords: Embryonic Stem Cells, In vitro fertilization, Regenerative medicine
Nicole M. Le Douarin 1

1 Académie des sciences, 23, quai de Conti, 75006 Paris, France
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Nicole M. Le Douarin. Problèmes éthiques posés par les nouvelles biotechnologies de la reproduction et des cellules souches. Comptes Rendus. Biologies, Volume 338 (2015) no. 8-9, pp. 571-575. doi : 10.1016/j.crvi.2015.06.013. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/biologies/articles/10.1016/j.crvi.2015.06.013/

Version originale du texte intégral

La bioéthique, qui est une morale de la science du vivant, a été inventée pour en examiner tous les aspects, pour fixer des limites là où il en faut et donc pour aider les hommes à tirer le meilleur parti possible des progrès scientifiques et de leurs applications.

C’est ainsi que l’on définit généralement la bioéthique. Le sujet de cette présentation concerne les réactions suscitées dans différents éléments de la société par les découvertes réalisées dans le domaine de la sexualité, de la reproduction dans l’espèce humaine et, plus récemment, dans celui des cellules souches.

1 La conquête d’un nouveau domaine de la biologie : les mécanismes qui contrôlent la reproduction des mammifères et les phases précoces de leur développement

Les domaines de la biologie qui, à côté de la génétique moléculaire, ont connu des progrès spectaculaires au cours de la seconde moitié du xxe siècle sont ceux qui touchent aux mécanismes hormonaux qui contrôlent la reproduction des mammifères et à l’étude des phases précoces de leur développement.

Je voudrais ici donner un aperçu des progrès techniques qui ont ouvert des possibilités nouvelles et entraîné des conséquences considérables, non prévues par leurs auteurs et qui ont, très largement, dépassé le cadre de la science et envahi celui des mœurs. Je veux aussi rappeler que chaque découverte susceptible d’augmenter la maîtrise acquise par l’homme, grâce aux progrès scientifiques, sur sa reproduction, a fait scandale et a été l’objet d’un refus de la part de la société. Refus provisoire pour la plus grande partie de la société, car à chaque fois que la nouvelle avancée technologique a apporté un avantage, les réticences « morales » ont été très vite balayées.

Avant 1920, les hormones qui contrôlent les fonctions reproductrices étaient inconnues. L’impulsion considérable qu’a connue la biologie de la reproduction chez les mammifères est largement le résultat de la perception, par l’opinion publique, de la menace d’une explosion démographique. Un courant de recherche, financé par les instances publiques, s’est alors installé essentiellement en Angleterre et aux États-Unis.

La notion s’est progressivement dégagée que le problème gigantesque de l’accroissement de la population humaine pourrait être, sinon résolu, du moins contrôlé, jusqu’à un certain point, par une contraception orale basée sur une meilleure connaissance des mécanismes cellulaires et hormonaux de la reproduction. Elle a considérablement stimulé les recherches dans ce domaine. Comme nous le savons, les travaux sur ce sujet ont abouti à un grand progrès humain et sociétal : la pilule contraceptive et la maîtrise pour les femmes de la maternité.

Mais la connaissance précise des cycles hormonaux liés à la reproduction a eu aussi pour conséquence la possibilité de prévoir la maturation des ovocytes et le moment de leur libération par l’ovaire. Il est alors devenu possible de prélever le gamète femelle et de le maintenir en vie in vitro. L’idée est alors venue de réaliser sur l’œuf de mammifères ce qui l’avait été (par Jacques Lœb) au début du xxe siècle sur l’œuf d’oursin : la fécondation in vitro (qualifiée de « fécondation artificielle »), en rapprochant expérimentalement des ovocytes et des spermatozoïdes.

L’idée que l’on puisse réaliser la conception en dehors du corps avait longtemps paru hors d’atteinte chez les mammifères, si ce n’est dans des scénarios de science-fiction comme celui développé par Aldous Huxley en 1932 dans Le Meilleur des mondes (Brave New World), qui fournit une vision effrayante d’une humanité qui n’aurait plus d’humain que la forme extérieure, où les individus fabriqués industriellement seraient programmés pour accomplir au mieux des tâches définies par quelques responsables qui seuls pourraient penser, décider et faire des choix – en un mot, être des hommes.

Les expériences de fécondation pouvaient paraître comme un pas vers la fabrication de « bébés éprouvettes » et étaient perçues avec effroi dans le public.

Elles ont cependant été réalisées et même si les bouleversements qu’elles ont engendrés ont inquiété certains, force est de constater qu’ils ont été à l’origine de fascinants progrès.

1.1 Connaître les premiers stades du développement des Mammifères

Tout a commencé par une expérience très simple visant à répondre à une interrogation bien légitime : il s’agissait de connaître les premiers stades du développement des mammifères (et de l’homme) qui, peu accessibles parce qu’ils se déroulent au sein de l’organisme maternel, étaient, de ce fait, mal connus. D’où l’idée d’essayer, comme on le faisait pour d’autres cellules, de cultiver l’œuf in vitro, pour pouvoir observer son évolution.

Les premiers essais de culture d’œufs de Mammifères ont commencé en 1934, sur l’œuf de lapin, et sont dus à Gregory Pincus. Pincus était, à cette époque, professeur à l’université de Harvard. Lorsqu’il annonça avoir réussi la fécondation de l’ovocyte de lapin, le New York Times porta la nouvelle à la connaissance du grand public et la présenta comme la transposition dans la vie réelle des expériences du savant fou du Meilleur des mondes. Un magazine dénonça le travail de Pincus comme une attaque envers le mâle américain dans un article intitulé : « No father to guide them ». Il craignait en effet que de telles recherches ne permettent aux femmes d’obtenir la fécondation d’un ovule par du sperme anonyme.

La conséquence pour Pincus fut que l’université de Harvard refusa de le titulariser. Il a dû poursuivre ses recherches en dehors de celle-ci, dans un laboratoire privé.

Il fallut attendre les années 1950 pour que la mise au point de milieux de culture permette que le développement de l’œuf puisse s’accomplir normalement jusqu’au stade du blastocyste. L’introduction des antibiotiques dans les milieux a permis d’en banaliser la pratique, comme c’est le cas de nos jours dans les centres de procréation médicalement assistée (PMA). (Notons ici les contributions de Charles Thibault en France, et de Ralph Brinster aux États-Unis).

Grâce aux résultats obtenus sur l’œuf de souris, les embryons d’autres espèces ont pu être aussi cultivés : lapin, rat, mouton, bovins et homme.

1.2 L’implantation de l’œuf dans une mère porteuse : 25 ans plus tard

En revanche, on n’est pas parvenu jusqu’ici à reproduire l’environnement offert par l’utérus maternel dans la paroi duquel l’embryon s’implante quand il atteint le stade de blastocyste.

On a alors pratiqué le transfert d’un germe, développé in vitro, dans une mère porteuse. L’importance du stade d’évolution de la muqueuse utérine, qui dépend de l’état hormonal de la femelle au moment du transfert, a été mise en évidence. Ainsi, la démonstration que les embryons ayant accompli les premières phases de leur développement in vitro pouvaient se développer normalement après transfert dans une mère porteuse et donner naissance à des souriceaux normaux a été faite par Anne McLaren et John Biggers en 1958 en Angleterre.

1.3 La fécondation in vitro de l’ovocyte humain : onze années plus tard

Onze ans après l’article de McLaren et Biggers paraissait, le 15 février 1969, dans la revue Nature, un article signé par Robert Edwards intitulé : « Early stages of fertilization in vitro of human ovocytes matured in vitro » (Stades précoces de la fécondation in vitro d’ovocytes humains maturés in vitro).

Ce sont donc les progrès réalisés par les chercheurs dans le but de lutter contre une explosion démographique incontrôlable qui ont paradoxalement amené Robert Edwards à réduire, par une technique médicale nouvelle, la stérilité humaine en transposant à l’homme les résultats obtenus chez la souris.

Un gynécologue, Patrick Steptoe, associé à son projet, lui fournissait des ovocytes. Comme pour la souris, la fécondation se produisait in vitro, et l’œuf ainsi formé se développait normalement dans le milieu de culture, jusqu’à atteindre le stade de blastocyste.

Edwards et Steptoe, dans leur espoir de vaincre certaines formes courantes de stérilité, et pendant presque dix ans, n’obtinrent aucune grossesse allant à terme et produisant un enfant viable.

1.4 Naissance du premier « bébé éprouvette » : neuf ans plus tard (1978)

En 1978, leurs tentatives aboutirent enfin à la naissance de Louise Brown, le premier « bébé éprouvette ».

Les perspectives offertes par ce qui résultait de l’audace de ces chercheurs, et qui apparaissait à l’époque comme une prouesse technique, étaient considérables. Elles n’échappèrent pas aux médias, qui diffusèrent cette nouvelle avec l’emphase que l’on peut imaginer.

L’histoire des recherches qui ont conduit à la mise au point de la PMA montre que les découvertes sont souvent le résultat de l’acharnement d’un homme, parfois seul, parfois accompagné par quelques fidèles qui partagent sa passion. Dans ce cas particulier, la constance et la foi étaient nécessaires, non seulement pour mener à bien ces délicates recherches dans l’espèce humaine, mais aussi parce qu’elles étaient loin de rencontrer l’approbation d’une grande partie des citoyens pas plus que celle de l’establishment médical et scientifique.

Ces succès expérimentaux furent à l’origine d’une vague de critiques acerbes et cinglantes – autant qu’injustifiées – de la part de scientifiques, de médecins autant que de politiciens. Le summum de cette adversité se manifesta par le retrait de tout financement pour la poursuite de ce projet venant du Medical Research Council. Les deux chercheurs n’en continuèrent pas moins leurs travaux.

Après la naissance de Louise Brown, l’hostilité du public vis-à-vis de ces expériences s’estompa. Personne n’osait dire, ni même sans doute penser, de ce magnifique « bébé éprouvette » qu’il n’aurait jamais dû naître !

Il y a maintenant plus de cinq millions de tels enfants, dont plusieurs sont eux-mêmes parents.

1.5 Le prix Nobel pour Robert Edwards en 2010

En 1980, Edwards et Steptoe fondèrent la première clinique dévolue à la procréation médicalement assistée, près de Cambridge. Edwards consacra de grands efforts pour que cette démarche rencontre la pleine adhésion de tous. Afin de convaincre qu’elle était éthiquement acceptable, il livra de nombreuses batailles avec des scientifiques, des théologiens, des politiciens et même des lauréats du prix Nobel. Une distinction qui lui échut enfin en 2010, trente-deux ans après la naissance de Louise Brown.

1.6 Conséquences éthiques de ce succès

Elles sont :

  • • positives :
    • ∘ la résolution de nombreux cas de stérilité humaine : elle permet le traitement de formes d’infertilité masculine et féminine jusque-là sans remède,
    • ∘ la méthode de fécondation in vitro a rendu possible la détection d’anomalies génétiques de l’embryon préimplantatoire et ainsi permis d’éviter la naissance d’être humains gravement handicapés, dont le destin serait d’être accablés de grandes souffrances,
    • ∘ la FIV (fécondation in vitro) a ouvert la voie à la réalisation de « banques d’ovocytes et d’embryons humains » ;
  • • négatives :
    • ∘ cette technique a aussi mené à des conduites éthiquement discutables telles que le choix du sexe de l’embryon ;
  • • controversées et interdites en France :
    • ∘ la gestation pour autrui, qui est accueillie diversement dans différents pays.

2 Les cellules souches

Les cellules souches embryonnaires sont le résultat des recherches réalisées sur l’embryon précoce des mammifères grâce à la possibilité de le cultiver in vitro. Elles représentent un remarquable succès des biotechnologies.

On a pu montrer que, comme l’œuf lui-même, les cellules qui dérivent de sa division et forment l’embryon précoce ont la capacité de fournir tous les types cellulaires présents chez l’adulte, plus les annexes embryonnaires ou placenta.

Elles sont dites totipotentes.

Dans l’embryon des mammifères, très tôt au cours de l’embryogenèse, une couche externe de cellules s’individualise. Elle fournira le placenta. Une cavité interne se forme, à l’intérieur de laquelle se trouve une « masse cellulaire interne », qui sera à l’origine de l’embryon puis de l’adulte. Ces quelques cellules de la masse cellulaire interne (inner cell mass [ICM]) sont, en principe, toutes équivalentes et chacune d’entre elles a le même pouvoir de fournir, en se multipliant, tous les types cellulaires présents dans l’organisme adulte (placenta exclu) pourvu qu’elles soient placées dans un environnement favorable.

Ces cellules sont dites pluripotentes.

Ces cellules du blastocyste sont, de plus, capables de s’autorenouveler.

Ce stade de pluripotence est normalement transitoire, et les potentialités des cellules embryonnaires se restreignent progressivement au cours de l’embryogenèse, alors que se forment les feuillets ; puis elles deviennent des cellules souches spécialisées comme les HSC (ou cellules souches du sang : Hemopoietic Stem Cells), les cellules souches (CS) de la peau ou de l’intestin, c’est-à-dire les cellules souches adultes dont on dit qu’elles sont multipotentes et spécifiques des tissus et organes au sein desquels elles se trouvent.

Une autre étape très importante dans l’histoire de la biologie des cellules souches est d’ordre biotechnologique, mais elle a eu une influence très importante pour la suite des recherches sur ces cellules.

Elle a consisté à montrer que le stade de pluripotence des cellules de la masse cellulaire interne du blastocyste peut être prolongé indéfiniment in vitro dans certaines conditions de culture qui empêchent l’évolution normale de ces cellules vers l’état différencié.

Deux articles sont parus en 1981, montrant que le stade de pluripotence et d’autorenouvellement des cellules de l’embryon précoce peut être prolongé indéfiniment : les cellules souches embryonnaires sont ainsi « immortalisées »[1,2].

Ces cellules, auxquelles on donne le nom de cellules ES (pour Embryonic Stem Cells), ne perdent pas la capacité de se différencier. Elles sont donc une source inépuisable de cellules différenciées constitutives des organes du corps adulte. Le choix de la différenciation dépend des facteurs incorporés dans le milieu de culture. Ces facteurs, qui varient selon le type cellulaire, sont désormais connus et obtenus à l’état pur grâce au génie génétique.

Ces résultats spectaculaires étaient obtenus à partir d’embryons d’une souche de souris, la souche 129, à l’exclusion de toute autre. De nombreux essais pour établir de telles lignées cellulaires d’autres espèces de mammifères sont aussi restés vains pendant de nombreuses années et jusqu’en 1998, lorsque James Thomson, de l’université du Wisconsin, réussit à établir des cellules ES de Macacus rhesus tout d’abord, puis à partir d’embryons humains qui lui ont été fournis par une clinique où l’on pratiquait l’assistance médicale à la procréation. Soumises à des conditions de culture convenables, ces cellules étaient capables de fournir des types cellulaires différenciés, tout comme le font les cellules de l’embryon lui-même.

2.1 Problèmes éthiques posés par l’utilisation des cellules ES humaines en médecine régénérative

Plusieurs problèmes ont été soulevés par cette technologie. Certains sont d’ordre éthique et posés notamment par la religion catholique. D’autres d’ordre pratique : les tissus dérivés d’une culture de cellules ES transplantées chez un patient seront soumis à un rejet immunologique.

Ces difficultés sont en voie d’être résolues grâce à une nouvelle avancée technologique qui a été mise au point en 2006–2007 par un chercheur japonais, Shinya Yamanaka [3,4].

Au début des années 2000, plusieurs groupes de chercheurs se sont posé la question de savoir quels étaient les gènes actifs dans les cellules souches capables de les maintenir dans l’état de cellules ES.

Le groupe de Shinya Yamanaka a identifié vingt-quatre gènes généralement activés ensemble dans les cellules ES. Yamanaka a décidé de les introduire dans des cellules en culture de fibroblastes de la peau de souris adultes à l’aide de vecteurs rétroviraux. Il s’est aperçu que certaines régions de la culture présentaient des cellules modifiées (rondes au lieu de la forme allongée des fibroblastes) et en voie de prolifération rapide. Ces cellules isolées présentaient les caractères morphologiques des cellules ES. En fait, elles en présentaient aussi les propriétés : pluripotence, état indifférencié et autorenouvellement.

Ils les ont appelées induced Pluripotent Stem cells, ou iPS cells. Ensuite, les chercheurs du groupe de Yamanaka ont réduit le nombre de gènes capables de produire cet effet à seulement quatre : Oct4, c-Myc, Sox2 et Klf4. Ces quatre gènes sont donc capables de reprogrammer le noyau d’une cellule différenciée en celui d’une cellule embryonnaire précoce.

En 2007, le même résultat était obtenu avec des cellules fibroblastiques humaines. Ces découvertes ont suscité immédiatement un très grand intérêt dans la communauté scientifique mondiale et de nombreux laboratoires ont adopté cette technique. Il s’est avéré que la reprogrammation cellulaire par l’introduction de ces quatre gènes pouvait être obtenue facilement et à partir de virtuellement tous les types de cellules différenciées.

Ces gènes sont des facteurs de transcription qui sont capables de contrôler l’activité d’autres gènes.

Il est donc évident que la reprogrammation cellulaire reste un phénomène universel qui peut être obtenu à partir de cellules des trois feuillets embryonnaires.

2.2 Autres moyens pour reprogrammer les cellules

Il existe d’autres moyens pour reprogrammer les cellules.

L’un consiste à fusionner deux cellules, par exemple un fibroblaste humain avec une cellule souche ES de souris, afin qu’il soit possible de reconnaître si les gènes activés ou inactivés appartiennent à l’une ou l’autre espèce. Le noyau de la cellule humaine différenciée va être induit à activer des gènes actifs dans les cellules ES. L’activation de ces gènes est obtenue, ainsi que la mise au repos des gènes actifs spécifiquement dans les fibroblastes.

2.3 Quelle est la nature de la différenciation cellulaire ?

Entraîne-t-elle la destruction ou l’inactivation réversible des gènes non utiles dans un type donné de cellules ? Ce problème a été posé vers le milieu du xxe siècle.

Deux chercheurs américains, Robert Briggs et Thomas King, ont effectué, dès le début des années 1950, des transplantations nucléaires de cellules différenciées dans le cytoplasme anucléé d’un œuf de grenouille. Ils ont obtenu un développement normal de cet « œuf reconstitué » jusqu’au stade têtard. Ces expériences ont été reprises par John Gurdon en 1960. Il a publié en 1962 que le noyau de cellules déjà différenciées était capable, sous l’influence de facteurs contenus dans le cytoplasme de l’œuf, de conduire le développement d’embryons de Xénope jusqu’au stade adulte.

Il a partagé avec Shinya Yamanaka le prix Nobel de physiologie ou médecine en 2012.

Cette réversibilité de l’état différencié rend plus accessible celle des anomalies morphologiques et fonctionnelles entraînées par l’âge et rend peut-être réaliste le vieux rêve de l’humanité représenté par la fontaine de Jouvence du tableau peint par Lucas Cranach en 1545, où l’on voit des vieillards fatigués se plonger dans ces eaux miraculeuses et en ressortir rajeunis et pleins d’entrain…

3 Conclusion

Les avancées de la science dans le domaine de la reproduction ont été spectaculaires au cours de la deuxième moitié du xxe siècle et des décennies suivantes : elles ont permis de traiter des cas de stérilité humaine et ont fourni aux femmes un moyen de contrôler leur fécondité. La découverte des cellules souches a ouvert un nouveau domaine de la biologie qui, du point de vue de la recherche fondamentale, va apporter de nouveaux outils pour percer le mystère de la transformation d’une cellule unique, l’œuf fécondé en un organisme complexe. Ces cellules offrent aussi l’espoir de pouvoir, un jour, recourir à une médecine nouvelle, régénératrice, qui augmenterait la durée de vie des hommes, tout en les maintenant en bonne santé.

Le chemin parcouru par les scientifiques pour obtenir ces résultats n’a pas été sans embûches. Les nouvelles possibilités offertes à l’homme, grâce aux progrès scientifiques, ont plus d’une fois généré des scandales plutôt que de l’enthousiasme. Les oppositions provenaient des autorités religieuses ou administratives plus que du peuple lui-même. Il a fallu attendre que celui-ci en saisissent les enjeux réels, et notamment les avantages qui pouvaient en découler, pour que ces progrès soient acceptés et passent dans le domaine de la pratique courante : c’est le jugement de la société elle-même qui a prévalu sur celui de ses dirigeants.

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.


Bibliographie

[1] M.J. Evans; M.H. Kaufman Establishment of pluripotential cells from mouse embryos, Nature, Volume 292 (1981), pp. 154-156

[2] G.R. Martin Isolation of a pluripotent cell line from early mouse embryos cultured in medium conditioned by teratocarcinoma stem cells, Proc. Natl. Acad. Sci. U S A, Volume 78 (1981), pp. 7634-7638

[3] K. Takahashi; S. Yamanaka Induction of pluripotent stem cells from mouse embryonic and adult fibroblast cultures by defined factors, Cell, Volume 126 (2006), pp. 663-676

[4] K. Takahashi; K. Tanabe; M. Ohnuki; M. Narita; T. Ichisaka; K. Tomoda; S. Yamanaka Induction of pluripotent stem cells from adult human fibroblasts by defined factors, Cell, Volume 131 (2007), pp. 861-872


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