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Comptes Rendus

Biomodélisation/Biological modelling
Sur la vitesse d’extinction d’une population dans un environnement aléatoire
Comptes Rendus. Biologies, Volume 340 (2017) no. 5, pp. 259-263.

Résumés

This study focuses on the speed of extinction of a population living in a random environment that follows a continuous-time Markov chain. Each individual dies or reproduces at a rate that depends on the environment. The number of offspring during reproduction follows a given probability law that also depends on the environment. In the so-called subcritical case where the population goes for sure to extinction, there is an explicit formula for the speed of extinction. In some sense, environmental stochasticity slows down population extinction.

On s’intéresse à la vitesse d’extinction d’une population qui vit dans un environnement aléatoire gouverné par une chaîne de Markov en temps continu. Chaque individu meurt ou se reproduit à un taux qui dépend de l’environnement. Lors de la reproduction, on suppose que le nombre de rejetons suit une certaine loi de probabilité, qui dépend également de l’environnement. Dans le cas dit sous-critique où la population s’éteint à coup sûr, on détermine de manière explicite la vitesse d’extinction. En un certain sens, la stochasticité environnementale ralentit l’extinction de la population.

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DOI : 10.1016/j.crvi.2017.04.002
Keywords: Population dynamics, Demographic stochasticity, Environmental stochasticity
Mots clés : Dynamique des populations, Stochasticité démographique, Stochasticité environnementale
Nicolas Bacaër 1, 2

1 Institut de recherche pour le développement, Unité 209 (UMMISCO), Bondy, France
2 Université Pierre-et-Marie-Curie, campus des Cordeliers, Paris, France
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Nicolas Bacaër. Sur la vitesse d’extinction d’une population dans un environnement aléatoire. Comptes Rendus. Biologies, Volume 340 (2017) no. 5, pp. 259-263. doi : 10.1016/j.crvi.2017.04.002. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/biologies/articles/10.1016/j.crvi.2017.04.002/

Version originale du texte intégral

1 Introduction

De nombreux travaux de modélisation ont étudié l’influence de la stochasticité démographique et environnementale sur la dynamique d’une population. Comme l’ont noté, par exemple, Gaveau et al. [1] et Lebreton et al. [2], les travaux où la population est traitée comme un nombre réel et qui utilisent des approximations de diffusion [3] peuvent conduire à des résultats inexacts pour la vitesse d’extinction d’une population lorsque cette extinction est certaine. Pour que la population reste un nombre entier, Athreya et Karlin [4] ont étudié les processus de branchement en temps discret avec un environnement aléatoire stationnaire et montré à quelle condition l’extinction de la population est certaine. Comme, dans un environnement constant, on peut distinguer trois cas — surcritique, critique et sous-critique —, Cogburn et Torrez [5] et Bacaër et Ed-Darraz [6] se sont intéressés aux conditions d’extinction pour les modèles analogues en temps continu, c’est-à-dire pour les processus de naissance et de mort dans un environnement aléatoire. Pour le cas sous-critique avec temps discret et environnement aléatoire, D'Souza et Hambly [7] et Guivarc’h et Liu [8], parmi d’autres, ont calculé la vitesse d’extinction, ce qui conduit à distinguer encore deux sous-régimes qualifiés de fortement et de faiblement sous-critiques. En temps continu, Bacaër [9] a calculé la vitesse d’extinction pour un processus linéaire de naissance et de mort dans un environnement aléatoire markovien; la méthode consistait à discrétiser le temps pour se ramener au cas de [7], puis à faire tendre le pas de temps vers 0. Mais ce modèle ne permettait pas la naissance simultanée de plusieurs individus. L’objectif ci-dessous est de lever cette restriction, c’est-à-dire d’étudier les «processus de branchement en temps continu » [10, §5.4] dans un environnement aléatoire, de calculer la vitesse d’extinction correspondante et d’observer que cette vitesse est moindre (en valeur absolue) que celle à laquelle on aurait pu s’attendre.

Dans la Section 2, on présente notre modèle avec un environnement qui oscille entre un nombre fini K d’états suivant une chaîne de Markov en temps continu. Dans la Section 3, on calcule le taux de croissance δi (positif ou négatif) de la population dans l’environnement i (1 ≤ i ≤ K) et la proportion moyenne ui du temps que l’environnement passe dans l’état i. On montre dans la Section 4 que la population s’éteint à coup sûr si ∑iuiδi ≤ 0, c’est-à-dire si la moyenne des taux de croissance est négative. Puis, on montre dans la Section 5 que, dans le cas sous-critique où ∑iuiδi < 0, la vitesse (ou le taux) d’extinction ω de la population, définie par le fait que la probabilité de non-extinction décroisse comme eωt avec ω < 0, est donnée par la formule

ω=min0α1s(Q+αΔ),
où:
  • Q est la matrice qui décrit les transitions aléatoires de l’environnement;
  • Δ est la matrice diagonale avec les taux de croissance (δi)1iK sur la diagonale;
  • s(Q + αΔ) désigne la borne spectrale, c’est-à-dire la valeur propre de plus grande partie réelle, de la matrice Q + αΔ.
C’est une généralisation de la formule obtenue dans [9] pour les processus linéaires de naissance et de mort, qui ne tiennent pas compte des naissances simultanées. On montre dans la Section 6 que
iuiδiω<0
et que la première inégalité est stricte si les δi ne sont pas tous égaux. La vitesse d’extinction est inférieure (en valeur absolue) à la moyenne des taux de croissance. On peut donc dire que, d’une certaine manière, la stochasticité environnementale ralentit l’extinction de la population dans notre modèle. En conclusion, on note qu’une inégalité similaire vaut pour les processus de branchement en temps discret avec environnement aléatoire: elle se trouve d’ailleurs déjà implicitement dans [8].

2 Le modèle

On suppose que l’environnement oscille de manière aléatoire entre un nombre fini K d’états selon une chaîne de Markov en temps continu. Autrement dit, il y a des nombres Qi,j ≥ 0 tels que, si l’environnement se trouve dans l’état j, il y a une probabilité Qi,jdt que l’environnement bascule vers l’état i (pour i ≠ j) pendant chaque intervalle de temps infinitésimal dt. Soit Q = (Qi,j) la matrice carrée dont les termes diagonaux sont définis par Qj,j =− ∑ijQi,j. Supposons, de plus, que la matrice Q soit irréductible, ce qui veut dire que, dans le graphe orienté à K sommets avec une arête de j vers i (i ≠ j), si Qi,j > 0, deux sommets i1 et i2 peuvent toujours être joints par un chemin de i1 vers i2 et un chemin de i2 vers i1. Il existe alors un unique vecteur u tel que Qu = 0, ui > 0 pour tout i et ∑iui = 1 [11, p. 152]. La composante ui représente la proportion moyenne du temps que l’environnement passe dans l’état i.

Considérons une population d’individus, asexués ou femelles, qui meurent et se reproduisent dans cet environnement indépendamment les uns des autres. Si l’environnement est dans l’état i, supposons que, pendant chaque intervalle de temps infinitésimal dt, chaque individu se reproduise avec une probabilité aidt (ai > 0) et meure avec une probabilité bidt (bi > 0). Si l’individu se reproduit, supposons qu’il donne naissance à n individus (n = 0, 1, 2…) avec une probabilité qn,i, de sorte que n=0qn,i=1 pour tout i. Une autre manière de voir cela est de dire que, dans l’environnement i, chaque individu subit un événement avec une probabilité cidt (où ci = ai + bi) pendant chaque intervalle de temps infinitésimal dt. Si l’événement se produit, l’individu se retrouve remplacé par 0 individu avec une probabilité p0,i=biai+bi et par n individus (n ≥ 1) avec une probabilité pn,i=aiai+biqn1,i. Ainsi, n=0pn,i=1 pour tout i. Il s’agit donc d’une généralisation du processus de branchement en temps continu [10, §5.4] au cas d’un environnement aléatoire. On suppose, de plus, que l’espérance mi = ∑n≥1npn,i est finie pour tout i. Notons δi = ci(mi − 1). Soit Δ la matrice diagonale avec (δi)1iK sur la diagonale.

3 Les taux de croissance δi

Dans ce modèle, la probabilité πn,i(t) d’avoir une population de taille n (n = 0, 1, 2, …) dans l’environnement i (1 ≤ i ≤ K) au temps t est solution du système:

dπn,idt=nciπn,i(t)+cik=1n+1kpn+1k,iπk,i(t)+jQi,jπn,j(t).(1)
En effet, s’il y a n individus au temps t dans l’environnement i, alors il y a une probabilité de l’ordre de ncidt qu’un événement intervienne pendant l’intervalle de temps infinitésimal (t, t + dt) et modifie le nombre d’individus. De plus, on peut se retrouver avec n individus à l’instant t + dt si, en partant de k individus (1 ≤ k ≤ n + 1) à l’instant t, l’un d’entre eux subit un événement (probabilité d’ordre cikdt) pour être remplacé par n + 1 − k nouveaux individus (probabilité pn+1−k,i), car k − 1 + (n + 1 − k) = n. Enfin, on peut se retrouver avec n individus dans l’environnement i à l’instant t + dt si l’on avait n individus dans l’environnement j à l’instant t et si l’environnement a basculé de l’état j à l’état i (probabilité d’ordre Qi,jdt). Avec les paramètres ai, bi et qn,i, le système s’écrit aussi:
dπn,idt=n(ai+bi)πn,i(t)+(n+1)biπn+1,i(t)+aik=1nkqnk,iπk,i(t)+jQi,jπn,j(t).
On prend comme condition initiale n0 individus (n0 ≥ 1) dans l’environnement i0, de sorte que πn0,i0(0)=1 et πn,i(0) = 0 si (n, i) ≠ (n0, i0). Comme il se doit pour des probabilités, on a alors πn,i(t) ≥ 0 et in=0πn,i(t)=1 pour tout t > 0.

Si l’on pose π = (π0,1, …, π0,K, …, πn,1, …, πn,K, …), on voit que dπdt=Mπ(t), où M est une matrice infinie de la forme

(2)
C est la matrice diagonale (ci)1iK et Pn la matrice diagonale (pn,i)1iK. Dans le cas particulier des processus linéaires de naissance et de mort, seules les matrices P0 et P2 sont non nulles: la matrice M est alors tridiagonale par blocs.

Introduisons les fonctions génératrices

gi(x)=n=0pn,ixn,fi(t,x)=n=0πn,i(t)xn.
On remarque que
n=1nπn,i(t)xn=xfix(t,x)
et
n=0k=1n+1kpn+1k,iπk,i(t)xn=k=1kπk,i(t)n=k1pn+1k,ixn=k=1kπk,i(t)xk1gi(x)=gi(x)fix(t,x).

On déduit donc de (1) le système d’équations aux dérivées partielles

fit=ci(gi(x)x)fix+jQi,jfj(t,x).(3)
Dans le cas particulier des processus linéaires de naissance et de mort, on a gi(x) = p0,i + p2,ix2, ce qui donne ci(gi(x) − x) = (x − 1)(aix − bi).

Notons que l’espérance de la population ei(t)=nnπn,i(t)=fix(t,1) est solution d’un système d’équations différentielles ordinaires, qui s’obtient en dérivant le système (3) par rapport à x, en prenant x = 1 et en remarquant que gi(1) = 1:

deidt=δiei(t)+jQi,jej(t).(4)
Si l’on reste dans l’environnement i, l’espérance de la population au temps t, lorsqu’on part d’un individu au temps t = 0, est donc eδit.

Le système (4) fait intervenir la matrice Q + Δ. On verra cependant, dans la Section 5, que la vitesse d’extinction de la population n’est pas toujours donnée par la valeur propre s(Q + Δ).

4 Condition d’extinction

Cherchons à quelle condition le modèle conduit à l’extinction certaine de la population. Pour cela, considérons la chaîne de Markov en temps discret dont chaque pas de temps est la durée entre deux sauts de l’environnement. Cette chaîne a pour espace d’états les couples (i, t) dans l’ensemble {1, 2, …, K} × [0, + ∞[, où la première composante i représente l’environnement et la seconde composante t la durée avant le basculement vers un autre environnement. Ainsi, au lieu de dire que l’environnement est dans l’état i0 pendant une durée t0, puis dans l’état i1 pendant une durée t1, on dit qu’on passe de (i0, t0) à (i1, t1), etc. On a déjà vu dans [6, §2.1] que si l’on pose Qi =− Qi,i pour tout i, alors la distribution stationnaire de cette chaîne de Markov est

wi,t=QiuijQjujQieQit.
On peut donc appliquer les résultats de [4], qui concernent les processus de branchement dans un environnement markovien: la population s’éteint presque sûrement si et seulement si
i0wi,tlog(eδit)dt0,
ce qui donne, puisque 0teQitdt=(1/Qi)2, la condition
iuiδi0.
Comme δi = ci(mi − 1), ceci peut d’ailleurs s’écrire sous la forme ∑iθimi ≤ 1, avec θi = ciui/(∑jcjuj). Autrement dit, le nombre «moyen »de rejetons engendrés est inférieur à 1, avec des poids pour chaque environnement donnés par les θi.

5 La vitesse d’extinction

On s’intéresse désormais au cas sous-critique où ∑iuiδi < 0. Dans ce cas, les probabilités πn,i(t) vérifient: π0,i(t) → ui et πn,i(t) → 0 pour tout n ≥ 1 quand t → +∞. On cherche à déterminer la vitesse (ou le taux) d’extinction de la population, qui est le taux exponentiel commun auquel les πn,i(t) pour n ≥ 1 convergent vers 0:

ω=limt+1tlogπn,i(t),n1,   1iK.
Cette limite existe bien et ne dépend pas de n (pourvu que n ≥ 1), de i ou des conditions initiales (n0, i0) [12, section 4.5]. Avec notre notation, on a ω < 0 et la probabilité de non-extinction 1 − ∑iπ0,i(t) = ∑in≥1πn,i(t) décroît aussi exponentiellement vers 0 avec le taux ω.

Comme dans [9, §2.1], le calcul de ω utilise une discrétisation du temps, une formule de [7] pour la vitesse d’extinction des processus de branchement en temps discret avec un environnement markovien, et un passage à la limite qui fait tendre le pas de temps vers 0.

Discrétisons donc le temps avec un petit pas de temps régulier τ > 0. Imaginons que l’environnement reste constant à l’intérieur de chaque petit pas de temps et que les transitions suivent la chaîne de Markov en temps discret sur l’espace d’états {1, 2, …, K} avec la matrice de transition eτQT, où QT est la matrice transposée de Q. La chaîne de Markov en temps continu qui décrit l’environnement dans notre modèle est la limite du processus décrit ci-dessus lorsque τ tend vers 0.

Pendant chaque petit intervalle de temps de longueur τ, où l’environnement est disons dans l’état i, on suppose que la population suit le processus de branchement en temps continu et environnement constant avec les paramètres ci et (pn,i) de la Section 2. Notons πn,i[τ](t) la probabilité d’avoir une population de taille n dans l’environnement i au temps t dans ce modèle modifié avec un environnement constant dans chaque intervalle de temps de longueur τ. Pour tout t > 0, n ≥ 0 et 1 ≤ i ≤ K, on a πn,i[τ](t)πn,i(t) quand τ → 0.

Pourvu que l’interversion de limites:

ω=limt+limτ01tlogπn,i[τ](t)=limτ0limt+1tlogπn,i[τ](t)limτ0ω[τ]
soit légitime, on est ramené au calcul de la vitesse d’extinction d’un processus de branchement en temps discret dans un environnement markovien puisque (avec N entier):
ω[τ]=limN+1Nτlogπn,i[τ](Nτ)=1τloglimN+[πn,i[τ](Nτ)]1/N1τlogΩ(τ).

L’espérance de la population croît ou décroît d’un facteur eδiτ pendant un pas de temps τ où l’environnement est bloqué dans l’état i. Noter que uT est la distribution stationnaire de la chaîne, puisque Qu = 0 implique que uTQT = 0 et que uTeτQT=uT(I+τQT+12(τQT)2+)=uT. Cette chaîne est toujours sous-critique, d’après [4], puisque

iuilog(eδiτ)=τiuiδi<0.
Alors D'Souza et Hambly [7] et Bacaër [9, §2.1] montrent que le taux géométrique Ω(τ) d’extinction de la population est donné par
Ω(τ)=min0α1ρ(eτQTeατΔ),
ρ(·) désigne le rayon spectral d’une matrice. Prenons pour valeur de τ l’inverse d’un nombre entier. On a
ω[τ]=1τlogΩ(τ)=log[Ω(τ)1/τ]=logmin0α1ρ([eτQTeατΔ]1/τ).
La matrice [eτQTeατΔ]1/τ converge vers eQT+αΔ quand τ tend vers 0 (formule dite de Lie–Trotter–Kato). On en déduit, comme dans [9, §2.1], que la vitesse (ou le taux) exponentiel(le) d’extinction en temps continu est:
ω=limτ0ω[τ]=min0α1s(Q+αΔ),(5)
s(Q + αΔ) est la borne spectrale de la matrice Q + αΔ. Ainsi, seule l’expression de la matrice diagonale Δ change par rapport à [9]. Rappelons que tous les éléments en dehors de la diagonale de la matrice Q + αΔ sont ≥0; dans ce cas, la borne spectrale s(Q + αΔ) est une valeur propre réelle de cette matrice et la valeur propre de plus grande partie réelle.

La formule (5) pour ω est une généralisation de celle obtenue dans le cas des processus linéaires de naissance et de mort [9]. Pour ceux-ci, chaque individu donne naissance à un seul nouvel individu (pour des bactéries, chacune se divise en deux) avec une probabilité aidt et meurt avec une probabilité bidt pendant chaque intervalle de temps infinitésimal dt dans l’environnement i. Cela correspond à q1,i = 1 et qn,i = 0 si n ≠ 1. On a alors ci = ai + bi, p0,i=biai+bi, p2,i=aiai+bi, pn,i = 0 si n = 1 ou n > 2, et δi = ai − bi.

Intuitivement, la formule pour la vitesse d’extinction ω est liée au fait que si l’on cherche une solution fi(t, x) du système (3), qui se comporte comme eωt(1 − x)αϕi au voisinage de x = 1 avec x < 1, on obtient l’équation

ωϕi=αδiϕi+jQi,jϕj,
ce qui suggère que ω est une valeur propre de la matrice Q + αΔ. Ceci ne permet pas néanmoins de comprendre quelle est la valeur de α qui convient. Comme nous l’avons vu, c’est celle qui minimise s(Q + αΔ) dans l’intervalle [0, 1].

6 Une inégalité

Bacaër [9, §2.2] avait déjà observé que la fonction α ↦ s(Q + αΔ) valait s(Q) = 0 en α = 0, était convexe (pourvu que Δ soit une matrice diagonale) et même strictement convexe si les δi ne sont pas tous égaux. De plus, sa dérivée en α = 0 était précisément ∑iuiδi, qui est <0. La fonction α ↦ s(Q + αΔ) est donc au-dessus de sa tangente en α = 0. Ainsi αiuiδi ≤ s(Q + αΔ) pour tout α. Donc les minimums de ces fonctions sur l’intervalle 0 ≤ α ≤ 1 vérifient:

iuiδiω<0(6)
avec inégalité stricte dans la première inégalité si les δi ne sont pas tous égaux. Comme exemple numérique, considérons, par exemple, le cas de deux environnements avec Q1,2 = Q2,1 = 1, de sorte que u1 = u2 = 1/2: l’environnement passe en moyenne la moitié du temps dans chaque état. Si les taux de croissance dans les deux environnements sont δ1 =−1 et δ2 =−2, alors la fonction α ↦ s(Q + αΔ) est décroissante, donc ω = s(Q + Δ) ≃ –1,38, tandis que ∑iuiδi =–1,5.

L’inégalité (6) peut s’interpréter de la manière suivante. Le modèle de population sans stochasticité démographique, mais avec stochasticité environnementale le plus proche de notre modèle, est sans doute celui où la population p(t) au temps t obéit à l’équation dpdt=δθ(t)p(t), où la fonction aléatoire θ(t) est à valeurs dans {1, 2, …, K} et représente l’évolution de l’environnement. Alors p(t)=p(0)exp(0tδθ(z)dz). Le théorème ergodique assure que, presque sûrement, 1t0tδθ(z)dziuiδi quand t → +∞. Donc 1tlogp(t)iuiδi quand t → +∞. Ainsi ∑iuiδi est en quelque sorte la vitesse d’extinction du modèle sans stochasticité démographique, même si p(t) ne s’annule pas à proprement parler. La population s’éteindra plus rapidement que dans notre modèle. Inversement, le modèle de population avec stochasticité démographique, mais sans stochasticité environnementale, le plus proche de notre modèle est sans doute le processus de branchement en temps continu [10, §5.4] avec un taux de croissance (ou plutôt d’extinction) moyen δ = ∑iuiδi. La population s’éteindra plus rapidement que dans notre modèle. Ainsi, la stochasticité démographique et environnementale ralentit en un certain sens l’extinction de la population. Tirard et al. [13, p. 211] remarquent aussi que «la stochasticité environnementale peut sauver des populations en déclin. » En revanche, Primack et al. [14, p. 159] notent qu’«en géneral, l’introduction de la stochasticité environnementale dans la modélisation de la dynamique des populations conduit, dans un souci de réalisme, à des taux de croissance et des effectifs de populations plus faibles et des probabilités d’extinction plus élevées ». C’est le contraire qui se produit dans notre modèle.

7 Conclusion

En fait, on a une inégalité similaire dans le cas des processus de branchement en temps discret et environnement aléatoire. Supposons, par exemple, que les environnements soient choisis parmi un nombre fini d’états de manière indépendante et identiquement distribuée: vi>0 est la probabilité que l’environnement soit dans l’état i à chaque pas de temps, et on a ivi=1. Si l’environnement est dans l’état i, chaque individu est remplacé par n individus avec une probabilité pn,i ≥ 0, de sorte que ∑n≥0pn,i = 1. Supposons que les espérances mi = ∑n≥1npn,i soient finies. Dans le cas sous-critique où ivilogmi<0, le taux géométrique Ω de décroissance de la probabilité de non-extinction est tel que

1>Ω=min0α1ivimiαexpivilogmi=imivi(7)
[8, théorème 1]. Le dernier terme à droite est le taux géométrique de croissance (ici de décroissance) du modèle sans stochasticité démographique p(t+1)=mθtp(t), où θt est l’état de l’environnement et p(t) la population au temps t = 0, 1, 2… C’est aussi le taux géométrique de décroissance de la probabilité de non-extinction dans les processus de branchement en environnement constant (donc sans stochasticité environnementale) de moyenne m=imivi.

Lorsque mi < 1 pour tout i, l’inégalité (7) s’écrit

1>Ω=ivimiimivi.
Cela traduit la concavité de la fonction logarithme: log(ivimi)ivilogmi.

Lorsque, plus généralement, ivilogmi<0, l’inégalité dans (7) se démontre un peu comme dans la Section 6. Posons h(α)=logivimiα pour 0 ≤ α ≤ 1. Alors quelques calculs montrent que:

h(α)=ivimiαlogmiivimiα,h(α)=i<jvivjmiαmjα(logmilogmj)2(ivimiα)2.
Ainsi h(0) = 0, h(0)=ivilogmi<0 et h″(α) ≥ 0 sur l’intervalle [0, 1]. La fonction h(α) est donc convexe et au-dessus de sa tangente en α = 0: h(α) ≥ αh′(0) et min{h(α);0 ≤ α ≤ 1} ≥ h′(0). Donc min{eh(α);0α1}eh(0). C’est l’inégalité (7).

Par conséquent, l’extinction est moins rapide lorsqu’on a à la fois la stochasticité démographique et la stochasticité environnementale, que le modèle soit en temps discret ou en temps continu.


Bibliographie

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Jean-Dominique Lebreton

C. R. Biol (2006)