Plan
Comptes Rendus

Biomodélisation/Biological modelling
Sur l’extinction des populations avec plusieurs types dans un environnement aléatoire
Comptes Rendus. Biologies, Volume 341 (2018) no. 3, pp. 145-151.

Résumés

On étudie le taux d’extinction d’une population modélisée par un processus de branchement à plusieurs types en temps continu dans un environnement aléatoire. Des calculs numériques dans un exemple particulier inspiré d’un modèle épidémique suggèrent une formule explicite pour ce taux d’extinction, mais seulement pour certaines valeurs des paramètres.

This study focuses on the extinction rate of a population that follows a continuous-time multi-type branching process in a random environment. Numerical computations in a particular example inspired by an epidemic model suggest an explicit formula for this extinction rate, but only for certain parameter values.

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DOI : 10.1016/j.crvi.2018.01.009
Mot clés : Dynamique des populations, Processus de branchement, Environnement aléatoire, Extinction
Keywords: Population dynamics, Branching process, Random environment, Extinction
Nicolas Bacaër 1

1 Unité UMMISCO, Les Cordeliers, Institut de recherche pour le développement, 75006 Paris, France
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Nicolas Bacaër. Sur l’extinction des populations avec plusieurs types dans un environnement aléatoire. Comptes Rendus. Biologies, Volume 341 (2018) no. 3, pp. 145-151. doi : 10.1016/j.crvi.2018.01.009. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/biologies/articles/10.1016/j.crvi.2018.01.009/

Version originale du texte intégral

1 Introduction

Supposons que l’environnement, noté k, oscille de manière aléatoire entre un nombre fini d’états 1, …, K selon une chaîne de Markov en temps continu. Pour k≠ ℓ, la probabilité pour que l’environnement bascule de ℓ vers k est Qk,ℓ dt pendant chaque intervalle de temps infinitésimal dt, avec Qk,ℓ ≥ 0. Introduisons la matrice Q=Qk, telle que Qℓ,ℓ = − ∑k≠ℓQk,ℓ pour tout ℓ ; c’est la matrice transposée du générateur infinitésimal de la chaîne [1].

Considérons, par ailleurs, une population d’individus qui peuvent être de I types différents et qui évoluent dans l’environnement aléatoire que l’on vient de décrire. Supposons qu’il y ait au moins un individu dans la population au temps initial t = 0. Un individu de type i dans l’environnement k a une probabilité cikdt de subir quelque événement pendant chaque intervalle de temps infinitésimal dt, avec cik>0. Si l’événement se produit, on trouve à la place de cet individu nj individus de type j, pour 1 ≤ j ≤ I, avec une probabilité πikn1,   ,   nI. Autrement dit, entre deux sauts de l’environnement, chaque individu a un temps de vie aléatoire qui suit une loi exponentielle de paramètre cik   ; au bout de ce temps, la loi de reproduction est donnée par πikn1,   ,   nI, indépendamment des autres individus. Il s’agit donc d’un processus de branchement en temps continu à plusieurs types [2].

Notons p(k) (t, n1, …, nI) la probabilité que la population soit composée de ni individus de type i pour 1 ≤ i ≤ I et que l’environnement soit k au temps t. Ordonnons les états (k, n1, …, nI) du système par groupes selon le nombre total d’individus n = n1 + … + nI, de manière à avoir un vecteur colonne infini p(t). On observe dans la section 2 que p(t) est solution d’un système linéaire d’équations différentielles dpdt=Zp(t),Z est une matrice infinie de la forme

Z0,0Z0,1000Z1,1Z1,20Z2,1Z2,20Zn1,n0Zn,1Zn,2Zn,n(1)

et les blocs Zm,n sont eux-mêmes des matrices de tailles différentes. On voit sur la structure de cette matrice que, lorsqu’un individu subit un événement, le nombre total d’individus ne peut décroître que d’une unité, mais qu’il peut croître de plusieurs unités. De plus, la classe des états avec zéro individu est absorbante : elle correspond à l’extinction de la population. On se restreint dans la suite au cas sous-critique où la population s’éteint presque sûrement ; un résultat de [3] relatif aux modèles en temps discret permet de déterminer à quelle condition il y a extinction dans notre modèle en temps continu. L’objectif est alors d’essayer de déterminer le taux d’extinction de la population.

Les articles [4–6] ont calculé ce taux d’extinction dans un modèle analogue mais en temps discret, où les environnements successifs sont aléatoires, indépendants et identiquement distribués. Les deux premières références donnent une formule simple pour le taux d’extinction, mais avec des conditions assez restrictives sur les différents environnements (les matrices moyennes doivent avoir un vecteur propre commun). Vatutin et Wachtel [6] donnent une formule moins explicite, mais avec des hypothèses plus générales, en restant néanmoins dans le cas fortement sous-critique.

Le taux d’extinction dépend des propriétés spectrales de la sous-matrice infinie extraite de (1) avec Z1,1 dans son coin supérieur gauche. Notons

Mi,jk=cjkn1,   ,   nI0ni   πjkn1,   ,   nIδi,j,(2)

δi,j = 1 si i = j, δi,j = 0 sinon. Soit M(k) la matrice Mi,jk. Notons diag(M(1), …, M(K)) la matrice diagonale par blocs avec M(1), …, M(K) sur la diagonale. Notons ω1 la borne spectrale, c’est-à-dire la valeur propre de plus grande partie réelle, de la matrice

W1=QI+diag(M1,   ,   MK),

I est la matrice identité d’ordre I et Q ⊗ I est le produit tensoriel des deux matrices. Les calculs de la section 2 suggèrent que ω1 serait le taux d’extinction de la population pour certaines valeurs des paramètres. Cela reste néanmoins une conjecture.

Dans la section 3, on considère tout d’abord le cas particulier des processus de naissance et de mort à plusieurs types, puis on se restreint aux populations avec seulement deux types d’individus. On présente un exemple où l’on compare la valeur numérique de ω1 avec la limite α1 quand n → ∞ de la borne spectrale de la sous-matrice finie de (1) avec Z1,1 dans son coin supérieur gauche et Zn,n dans son coin inférieur droit. Les résultats numériques suggèrent l’égalité de ces deux nombres pour certaines valeurs des paramètres, mais pas pour toutes, comme d’ailleurs dans le cas où il n’y a qu’un seul type d’invidu [7]. On conjecture par ailleurs que la limite α1 est bien le taux d’extinction de la population, défini, par exemple, comme étant la limite

limt+   1tlogpk   t,n1,,nI.

D’après [8] (section 4.5), cette limite (appelée paramètre de Kingman) ne dépend ni de k, ni de (n1, …, nI) pourvu que n1 + … + nI ≥ 1, ni des conditions initiales (environnement et nombre d’individus des différents types).

2 Cas général

2.1 Le système d’équations différentielles

Notons n = (n1, …, nI) et 0 = (0, …, 0) le vecteur dont les I composantes sont égales à 0. Convenons que n ≥ 0 signifie que ni ≥ 0 pour tout i. Notons uj = (0, …, 0, 1, 0, …, 0) le vecteur avec le 1 en je position. Les hypothèses du modèle impliquent que

dpkdtt,n=j=1Inj   cjk   pk   t,n+=1KQk,   p   t,n
+j=1Ir+s=nrj+1   cjk   pk   t,r+uj   πjk   s,(3)

r = (r1, …, rI) ≥ 0 et s = (s1,… sI) ≥ 0 sont des vecteurs de nombres entiers positifs ou nuls. En effet, s’il y a n individus dans l’environnement k au temps t, alors il y a pendant chaque intervalle de temps infinitésimal dt une probabilité nj   cjk   dt qu’un événement survienne pour l’un des nj individus de type j, et aussi une probabilité −Qk,k dt que l’environnement bascule dans un autre état. Si, en revanche, il y a n individus dans un environnement ℓ ≠ k, il y a une probabilité Qk,ℓ dt que l’environnement bascule vers l’état k. Enfin, s’il y a r + uj individus dans l’environnement k, un événement survient chez l’un des (rj + 1) individus de type j avec une probabilité rj+1   cjk   dt, et l’on retrouve à sa place s individus des différents types avec une probabilité πjk   s   ; si r + s = n, on se retrouve avec ni individus de type i pour tout i. Le système (3) a bien la structure (1).

2.2 Le système d’équations aux dérivées partielles

Notons 1 = (1, …, 1) et x = (x1, …, xI). Introduisons les fonctions génératrices

fkt,x=n0pkt,n   x1n1      xInI,

où les xi sont des nombres complexes et les indices ni des entiers. Puisque kni0pk   t,n1,   ,   nI=1, le domaine de convergence de ces séries inclut l’ensemble x1,   ,   xI   ;   xi<1   pour   tout   i [9] (chapitre IV). Notons

gjk   x=n0πjk   n   x1n1      xInI.

On a gjk1=1. Alors

fkxjt,x=r0rj+1   pkt,r+uj   x1r1      xIrI.
et
fkt   t,x=n0dpkdt   t,n   x1n1      xInI.

Avec le système (3), on obtient

fkt==1KQk,   f+j=1Icjk   gjk   x1,   ,   xIxjfkxj.(4)

C’est une généralisation du système (3) dans [7], qui correspond à I = 1.

2.3 Le vecteur des espérances

Introduisons les espérances

Eik   t=fkxi   t,1=n0ni   pk   t,n.

Comme gjk1=1, on déduit de l’équation (4), en prenant sa dérivée partielle par rapport à xi puis en prenant x = 1, que

dEikdt==1KQk,   Ei+j=1IMi,jk   Ejk,
Mi,jk=cjkgjkxi(1)δi,j(5)
comme dans l’introduction, et on suppose que Mi,jk<+ pour toutes les valeurs des indices. C’est la généralisation de l’équation (4) de [7], qui correspondait à I = 1. Soit E le vecteur colonne
E11,   ,   EI1,   ,   E1K,   ,   EIK.

Alors dEdt=W1E, avec

W1=Q1,1I+M1Q1,2IQ1,KIQ2,1IQ2,2I+M2QK1,KIQK,1IQK,K1IQK,KI+MK

comme dans l’introduction. Rappelons que ω1 est la borne spectrale de cette matrice, c’est-à-dire la valeur propre de plus grande partie réelle. Comme Qk,ℓ ≥ 0 pour k≠ ℓ et Mi,jk0 pour i ≠ j, on remarque, en effet, que W[1] est une matrice dont les coefficients en dehors de la diagonale sont tous ≥ 0. D’après un corollaire du théorème de Perron et Frobenius, W[1] a bien une valeur propre réelle dominante, c’est-à-dire supérieure à la partie réelle de toutes les autres valeurs propres.

Supposons, pour simplifier, que la matrice Q soit irréductible : pour tout k ≠ ℓ , il existe une suite (k0, …, kN) telle que k0 = k, kN = ℓ , et Qkn,kn+1>0 pour tout n. Supposons de plus que les matrices M(k) soient toutes irréductibles. Alors, la matrice W1 est elle aussi irréductible. Puisque E(0) ≠ 0, on a

1tlogEtt+ω1

et ω1 est le taux de croissance ou de décroissance du vecteur des espérances E(t).

2.4 Le cas sous-critique

Considérons une suite fixée d’environnements engendrés par la chaîne de Markov en temps continu de matrice Q : l’environnement est d’abord k0 pour t0 < t < t1 avec t0 = 0, puis k1 pour t1 < t < t2, etc. Entre deux sauts de l’environnement, la population évolue selon un processus de branchement en temps continu à plusieurs types dans un environnement constant. À notre processus en temps continu, on peut donc associer un processus en temps discret qui ne considère que l’état de la population aux instants tn où l’environnement bascule. Les deux processus sont simultanément surcritiques, critiques ou sous-critiques.

Le vecteur des espérances e(t)=(e1(t), …, eI(t)) des populations de chaque type, sachant que l’environnement est kn pour tn < t < tn+1, est solution de dedt=Mkn   e(t) pendant cet intervalle de temps. Notons τn = tn+1 − tn. Alors, etn+1=expτn   Mkn   etn. D’après [3] (section∼4), la suite

1nlogexpτnMknexpτ0Mk0(6)

converge presque sûrement vers une limite indépendante de la suite particulière d’environnements ; de plus, la population dans le processus en temps discret s’éteint presque sûrement dans le cas sous-critique où λ1 < 0 et ne s’éteint pas avec une probabilité > 0 lorsque λ1 > 0. Ainsi, le processus en temps continu dans notre modèle de départ est aussi sous-critique quand λ1 < 0. Si T est la limite de tn/n quand n → +∞, on remarque que λ1/T est l’exposant de Lyapounoff du système différentiel pour e(t).

Notons enfin que la borne spectrale ω1 de la section précédente peut être positive alors que λ1 est négatif ; c’est déjà possible lorsqu’il n’y a qu’un seul type d’individus [10].

2.5 Les valeurs propres dans le cas régulier

Cherchons des solutions du système (4) de la forme fkt,x=eωtFkx avec des fonctions F(k) (x) qui ne sont pas toutes identiquement nulles. Ainsi,

ωFk   x==1KQk,   F   x+j=1Icjk   gjk   xxj   Fkxj   x.(7)

En prenant x = 1, on voit que

ωFk   1==1KQk,   F   1.

Ou bien F(k) (1) = 0 pour tout k, ou bien ω est une valeur propre de la matrice Q.

Si les fonctions F(k) (x) sont analytiques dans un voisinage de x = 1 (c’est le cas régulier), alors on voit, comme dans la section 2.3, en dérivant l’équation (7) par rapport à xi et en prenant x = 1, que

ωϕik==1KQk,   ϕi+j=1IMi,jk   ϕjk,

ϕik=Fkxi1. Donc ou bien Fkxi1=0 pour tout i et tout k, ou bien ω est une valeur propre de W1.

Pour tout entier n ≥ 1, pour toute suite d’indices i1,   ,   in1,   ,   In, notons

ϕi1,   i2,   ,   ink=nFkxi1   xi2      xin1.

Soit n ≥ 2. Supposons que ϕi1,   i2,   ,   imk=0 pour tous les indices 1 ≤ k ≤ K, 1 ≤ m < n et i1,   ,   im1,   ,   Im. Dérivons l’équation (7) par rapport à xi1,   ,   xin et prenons x = 1. À cause de l’hypothèse sur les dérivées partielles d’ordre < n et puisque gjk1=1, il ne reste que les termes suivants :

ωϕi1,   i2,   ,   ink=j=1IMi1,jk   ϕj,i2,   ,   ink++Min,jk   ϕi1,i2,   ,   jk+=1KQk,   ϕi1,i2,   ,   in(8)

pour tout i1,   ,   in1,   ,   In et 1 ≤ k ≤ K. Donc, ou bien ϕi1,i2,   ,   ink=0 pour tous les indices i1, …, in et k, ou bien ω est une valeur propre de la matrice carrée Wn d’ordre K × In définie par les équations linéaires (8).

En résumé, on conclut que si les fonctions propres F(k) (x) associées à la valeur propre ω sont analytiques dans un voisinage de x = 1, alors, ou bien ω est une valeur propre de la matrice Q, ou bien ω est une valeur propre d’une matrice Wn pour un certain n ≥ 1. En effet, si tel n’était pas le cas, on aurait F(k) (1) = 0 et ϕik=0 pour tous les indices. D’après ce qui précède, on en déduirait par récurrence que ϕi1,   ,   ink=0 pour tous les indices avec n ≥ 2. D’après le principe du prolongement analytique [9] (chapitre∼IV), l’application F(x) serait identiquement nulle, ce qui n’est pas possible.

Remarque. Pour I = 1, on note plus simplement

ψnk=nFkx1n   1,Mk=c1k   g1kx1   11.

L’équation (8) s’écrit alors

ωψnk==1KQk,   ψn+nMkψnk.

On en déduit que ω est une valeur propre de la matrice Q ou d’une matrice Q+ndiag   M1,   ,   MK avec n ≥ 1. La section 4.2 de [11] avait déjà remarqué ce cas particulier pour les processus linéaires de naissances et de mort à un seul type.

2.6 La matrice tronquée

Notons Yn la sous-matrice finie de la matrice (1) avec Z1,1 dans son coin supérieur gauche et Zn,n dans son coin inférieur droit. Sa borne spectrale μn est telle que μn ≤μn+1 ≤ 0. En effet, comme dans la proposition 2 de [11], notons 1 le vecteur ligne (1, …, 1) de taille convenable. Alors 1Yn ≤ 0 = 0 · 1. Donc μn ≤ 0 (voir par exemple [12] [théorème 30.1]). Soit vn ≠ 0 un vecteur colonne tel que Ynvn = μnvn et vn ≥ 0. Soit wn le vecteur colonne (vn, 0). Alors Yn+1wn ≥ μnwn puisque les matrices Zn+1,1, …, Zn+1,n sont toutes à coefficients ≥ 0. On en déduit que μn+1 ≥ μn d’après [12] (théorème 30.3). De ceci, il résulte aussi que la limite α1 de μn quand n → ∞ existe bien.

3 Cas particuliers

3.1 Les processus de naissance et de mort

Pour chaque environnement k, on se donne comme dans [13] trois matrices de même taille : une matrice de naissance Ak=Ai,jk à coefficients ≥ 0, une matrice de transfert Tk=Ti,jk telle que iTi,jk=0 pour tout j et Ti,jk0 pour tout i ≠ j, et une matrice diagonale de sortie Sk=Si,jk avec Sj,jk0 pour tout j. Autrement dit, chaque individu de type j qui se trouve dans l’environnement k a, pendant chaque intervalle de temps infinitésimal dt, une probabilité Ai,jk   dt de donner naissance à un nouvel individu de type i, une probabilité Ti,jk   dt de se transformer en un individu de type i pour i ≠ j, et une probabilité Sj,jk   dt de mourir ou de sortir de la population. Ainsi,

cjk=iAi,jk+Tj,jk+Sj,jk
et
gjkx1,   ,   xI=iAi,jk   xixj+Sj,jkijTi,jk   xi/cjk.

Posons Bi,jk=Ti,jk+Si,jk. Alors, l’équation (4) s’écrit

fkt==1KQk,f+i=1Ij=1Ixi1Ai,jkxjBi,jkfkxj,(9)

qui est la généralisation de l’équation présentée dans la section 2 de [14] au cas d’un environnement aléatoire, ou encore la généralisation de l’équation (5) de [11] au cas de plusieurs types. En distinguant le cas où i = j de celui où i ≠ j, on montre facilement que Mi,jk, défini par l’équation (5), est donné par Mi,jk=Ai,jkBi,jk. La population est sous-critique lorsque la limite λ1 de (6) est < 0.

3.2 Deux types d’individus

Prenons le cas d’un processus de naissance et de mort où il n’y a que I = 2 types, ce qui permet d’ordonner facilement les différents états de la population. Introduisons les matrices diagonales

Cj=diag   cj1,   ,   cjK,Ai,j=diag   Ai,j1,   ,   Ai,jK,
Ti,j=diag   Ti,j1,   ,   Ti,jK,Sj,j=diag   Sj,j1,   ,   Sj,jK.

Ordonnons les fonctions p(k) (t,n1,n2) selon le nombre total n1 + n2 d’individus, et ce nombre fixé, par le nombre d’individus de type 1 puis par l’environnement. Avec cet ordre, on considère le vecteur colonne infini

pt=p1t,0,0,,pKt,0,0,p1t,1,0,,pKt,1,0,p1t,0,1,,pKt,0,1,p1t,2,0,,pKt,2,0,p1t,1,1,,pKt,1,1,p1t,0,2,,pKt,0,2,.

Alors le système (3) s’écrit aussi dp/dt = Zp(t), où :

–Z est la matrice infinie tridiagonale par blocs

Z0,0Z0,1000Z1,1Z1,20Z2,1Z2,20Zn1,n00Zn,n1Zn,n
et les zéros sont des matrices nulles de la taille qui convient ;

–Zn,n est la matrice carrée d’ordre (n + 1)K tridiagonale par blocs qui décrit les transitions lorsque le nombre total d’individus est n et lorsque celui-ci ne change pas (saut de l’environnement ou individu transféré dans l’autre des deux types)

QnC1T1,200nT2,1Q(n1)C1C22T1,200(n1)T2,1Q(n2)C12C2nT1,200T2,1QnC2
et Z0,0 = Q ;

–Zn−1,n est la matrice rectangulaire à nK lignes et (n + 1)K colonnes qui n’a que deux bandes de blocs non nuls et qui décrit les transitions où le nombre total d’individus passe de n à n − 1 (morts ou sorties)

nS1,1S2,2000(n1)S1,12S2,2000S1,1nS2,2   ;

–Zn+1,n est la matrice rectangulaire à (n + 2)K lignes et (n + 1)K colonnes, également avec deux bandes de blocs non nuls, qui décrit les transitions où le nombre total d’individus passe de n à n + 1 (naissances)

nA1,1000nA2,1(n1)A1,1+A1,200(n1)A2,1+A2,2A1,1+(n1)A1,20A2,1+(n1)A2,2nA1,200nA2,2.

3.3 Exemple

Comme exemple de processus avec deux types d’individus, considérons le cas du modèle épidémique linéaire de [14], où les individus de type 1 sont les personnes infectées, mais pas encore infectieuses (c’est-à-dire dans la phase latente), et les individus de type 2, autrement dit ceux qui sont infectieux. Le cas linéaire sous-critique correspond par exemple à la situation où la maladie est importée dans un environnement aléatoire défavorable à sa propagation. Alors

Tk=τ0τ0,Ak=0βk00,Sk=000γ.

Le paramètre τ est le taux auquel les personnes dans la phase latente deviennent infectieuses, indépendamment de l’environnement. Le paramètre β(k) est le taux selon lequel les personnes infectieuses infectent de nouvelles personnes au début d’une épidémie ; il dépend de l’environnement à cause de l’influence du climat sur la probabilité de transmission. Le paramètre γ est le taux de guérison des personnes infectieuses. Ainsi,

Mk=τβkτγ.

Supposons de plus qu’il n’y ait que K = 2 environnements différents et posons :

Q=q1q2q1q2.

Le système (9) s’écrit

f1t=q2f2q1f1+τx2x1f1x1+β1x11x2γx21f1x2
et
f2t=q1f1q2f2+τx2x1f2x1+β2x11x2γx21f2x2.

On a choisi les valeurs numériques suivantes, utilisées dans [14] pour la rougeole : 1/τ = 8 jours, 1/γ = 5 jours. Quant à β(k), supposons que β(1) = 4ɛ par mois (avec un mois de 30 jours) et que β(2) = 8ɛ par mois ; dans [14], le coefficient β variait de manière périodique entre 4 et 8 par mois pour avoir un bon ajustement avec la courbe épidémique. Le paramètre ɛ est destiné à varier. Supposons enfin que q1 = q2 = 1, de sorte que l’environnement passe en moyenne la moitié du temps dans chacun des deux états.

Avec une méthode itérative qui tire avantage de la structure tridiagonale par blocs [15], on estime la borne spectrale μn de la sous-matrice finie Yn de Z lorsque n vaut successivement 25, 50, 100 et 200. Cette sous-matrice carrée est d’ordre 2K+3K++n+1K=nn+3K/2. On estime, par ailleurs, le paramètre critique λ1 lié à l’exposant de Lyanounoff en utilisant par exemple 5000 sauts de l’environnement. Les résultats sont exposés sur la Fig. 1. Notons que si l’environnement était constant, le processus serait sous-critique pour β < γ.

Fig. 1

Le paramètre critique λ1 (en rouge), la borne spectrale ω1 (en noir) et la borne spectrale μn (en bleu avec des croix pour n25,   50,   100,   200 de bas en haut) en fonction de ɛ. Notons que α1, qui doit être le taux d’extinction, est la limite de μn quand n → ∞.

La figure suggère qu’on a α1 = ω1 lorsque ɛ est petit, en particulier tant que β(1) < γ et β(2) < γ, ce qui équivaut à 8ε30<15 ou ɛ < 0,75. Mais α1 < ω1 dans une zone où λ1 reste < 0. Malheureusement, on n’est pas parvenu à déterminer α1 plus explicitement. On s’attend à ce que α1 = 0 lorsque λ1 = 0. Rappelons que, lorsqu’il n’y a qu’un seul type d’individus (I = 1), les matrices M(k) sont en fait des nombres scalaires M(k), et Bacaër [7] tendait à montrer dans ce cas que

α1=min0θ1   sQ+θdiagM1,,MK,

s désigne la borne spectrale. L’analogue de cette formule lorsqu’il y a plusieurs types d’individus reste à déterminer. Dyakonova [4,5] et Vatutin et Wachtel [6] n’y étaient pas non plus parvenus dans le cadre des modèles en temps discret. Sans doute une meilleure compréhension du comportement des fonctions F(k) (x) près du point singulier x = 1 dans le système (7) permettrait de progresser.


Bibliographie

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