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Comptes Rendus

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Évolution et spécificité des interactions insectes hôtes–insectes parasitoïdes
Comptes Rendus. Biologies, Volume 342 (2019) no. 7-8, pp. 265-267.

Abstract

Charles Darwin parlait ainsi de certains insectes hyménoptères parasitoïdes: « Je ne peux pas me persuader qu’un Dieu bénévolent et omnipotent aurait créé volontairement les Ichneumonidae avec l’intention expresse qu’ils se nourrissent du corps vivant des chenilles. »

Mais qu’est-ce qu’un parasitoïde? Il s’agit d’un organisme au mode de vie à moitié parasite – il se développe au contact et aux dépens de son hôte – et à moitié prédateur, car son développement conduit généralement à la mort de l’hôte, dont il consomme les tissus. Les parasitoïdes sont pour la majorité des insectes. On les rencontre dans six ordres d’insectes différents, mais plus particulièrement dans l’ordre des Hyménoptères, au sein duquel 80 % des espèces seraient des parasitoïdes. Ils parasitent des hôtes arthropodes et sont donc des régulateurs naturels de leurs populations ainsi que des auxiliaires importants en lutte biologique. Ils ont en effet l’avantage d’être plus spécifiques que les prédateurs. Les parasitoïdes peuvent se développer à la surface de l’hôte (« ectoparasitoïdes ») ou à l’intérieur du corps de leur hôte (« endoparasitoïdes »). Ils peuvent être solitaires (un seul parasitoïde adulte émergera de l’hôte) ou grégaires (plusieurs parasitoïdes se développeront dans un même hôte).

Ce résumé présente trois aspects des recherches de l’équipe sur les interactions immunitaires entre des guêpes endoparasitoïdes et leurs hôtes drosophiles. La réponse immunitaire au parasitisme est décrite dans un premier temps pour apporter le contexte nécessaire.

Face à un corps étranger de grande taille comme un œuf d’endoparasitoïde, la plupart des insectes mettent en place une réponse d’encapsulement. Elle met en jeu des cellules circulantes ou hémocytes, parmi lesquelles les plasmatocytes qui formeront une première couche de cellules autour de l’œuf du parasitoïde. Sur cette couche cellulaire viendront s’agréger des lamellocytes qui formeront les couches cellulaires suivantes. Les lamellocytes sont typiques du sous-groupe melanogaster de drosophiles et ils sont produits essentiellement en réponse au parasitisme. L’encapsulement implique aussi la mélanisation de la capsule qui fait intervenir des enzymes appelées phénol oxydases (PO; proenzymes PPO). PPO3 est produite par les lamellocytes, PPO1 et PPO2 étant stockées sous forme de cristaux dans les cellules à cristaux qui font partie des hémocytes. PPO1 et PPO2 sont activées par une cascade de protéines à sérines régulée par des serpines. Les radicaux cytotoxiques produits par la cascade PO (conduisant à la mélanisation) sont supposés tuer l’œuf ou la larve du parasitoïde. Les parasitoïdes du genre Leptopilina, qui se développent dans des drosophiles, peuvent cibler ces différents composants immunitaires. Ils injectent par exemple des molécules (Rho GAPs) capables d’inhiber les GTPases Rac1 et Rac2 de D. melanogaster, qui sont nécessaires à la réaction d’encapsulement, ou des serpines qui inhibent l’activation des phénol oxydases. Dans la larve de drosophile, stade parasité par les Leptopilina, les hémocytes sont présents dans deux compartiments: (i) des îlots sessiles sous-cuticulaires au niveau de chaque segment larvaire, dans lesquels on trouve des plasmatocytes et des cellules à cristaux–les lamellocytes peuvent se transdifférencier à partir des plasmatocytes sessiles mis en circulation après parasitisme–; (ii) la glande lymphatique, composée d’une série de lobes postérieurs contenant des prohémocytes et de deux lobes antérieurs contenant des prohémocytes dans la zone médullaire et des hémocytes différenciés dans la zone corticale. La différentiation est contrôlée par des signaux produits par un groupe de cellules formant le PSC (Posterior Signaling Center).

Notre équipe s’intéresse aux bases génétiques de la résistance de D. melanogaster à un type de souche du parasitoïde Leptopilina boulardi. Nous avons pu identifier un candidat pour le gène majeur de résistance caractérisé (un gène à deux allèles, l’allèle résistant étant dominant sur l’allèle sensible), edl/mae, qui code pour une protéine contenant un domaine SAM d’interaction protéine–protéine. La protéine Edl/mae est un interactant et un régulateur de Pointed P2 et Aop/Yan, deux protéines jouant un rôle dans le développement et la différentiation/prolifération cellulaire. L’analyse du phénotype immunitaire entre souche résistante et sensible met en évidence deux événements importants dans la réponse immunitaire (proportion des types hémocytaires en circulation, phénotype lié à la glande lymphatique) plus précoces dans la souche résistante que dans celle sensible. Ceci suggère un rôle important du déroulement temporel de la libération des hémocytes en circulation dans la résistance de l’hôte.

On retrouve cette question du déroulement temporel de la réponse d’encapsulement en comparant des espèces de drosophiles. Nous avons en effet étudié la réponse de l’espèce invasive ravageuse D. suzukii aux parasitoïdes locaux comme Leptopilina heterotoma. L’encapsulement par D. melanogaster commence dès le dépôt de l’œuf du parasitoïde et est achevé 48 h après parasitisme, la capsule formée étant ensuite visible dans la larve et l’adulte de drosophile. Chez D. suzukii, la larve de parasitoïde n’est ni mélanisée ni entourée de cellules 48 h après parasitisme. Les premiers signes d’encapsulement n’apparaissent qu’à 96 h, la capsule n’étant achevée que 120 h après parasitisme. La réponse immunitaire apparaît donc très retardée par rapport à ce qu’on observe chez D. melanogaster. Voir la Fig. 1 pour une illustration. Par ailleurs, la capsule se formant autour de la larve de parasitoïde et non de l’œuf, elle est de taille importante, ce qui pourrait fortement impacter la valeur sélective de la mouche adulte qui la contient. L’encapsulement tardif pourrait être associé à un coût important.

Nous nous intéressons également aux stratégies de virulence des parasitoïdes. Considérons des guêpes hyménoptères endoparasitoïdes qui doivent transférer des facteurs de virulence dans leur hôte et/ou dans les cellules de leur hôte pour réguler sa physiologie et assurer le développement de leur descendance. Certaines espèces Braconidae ou Ichneumonidae produisent pour ce faire des particules virales dans leurs ovaires. Elles proviennent d’une association évolutive entre un ancêtre de ces guêpes et un virus ancestral, à l’origine de cette symbiose virus–eucaryote originale. L’ADN viral est intégré dans les chromosomes de la guêpe et des cercles d’ADN (d’où le nom de polydnavirus) sont présents dans les particules virales, codant une fois entrés dans les cellules de l’hôte pour des facteurs de virulence de la guêpe. Chez Venturia canescens, cette association virale a été remplacée par une nouvelle association avec un autre virus, le résultat étant la production de particules ne contenant pas d’ADN, mais directement des protéines de la guêpe. Enfin, les autres espèces produisent essentiellement du venin qui, chez certains Cynipidae, contient des vésicules que nous appelons vénosomes. L’appareil à venin d’une espèce de ce type, Leptopilina boulardi, est composé d’une glande connectée au réservoir par un canal. Si on prélève le contenu du réservoir, on peut observer par électrophorèse le profil protéique du venin, qui diffère entre espèces proches, mais aussi entre souches d’une même espèce et entre individus, les différences étant essentiellement quantitatives. Par centrifugation du venin, on peut récupérer les vénosomes et montrer, en les injectant dans l’hôte, que cette fraction « vénosomes » est responsable du succès parasitaire. La formation des vénosomes dans l’appareil à venin de la guêpe peut être suivie avec une protéine de virulence « marqueur », appelée LbGAP, sur des coupes en microscopie électronique avec un marquage immunogold. Dans la glande à venin, on observe LbGAP en petite quantité. On la retrouve ensuite au niveau du canal de jonction dans une matrice dense aux électrons puis associée aux vénosomes matures dans le réservoir. Par ailleurs, les images observées à la jonction entre canal et réservoir montrent des vénosomes formés dans le réservoir et des structures membranées vides dans le canal, ainsi qu’un empilement de membranes à l’extérieur des cellules. Ceci suggère une formation extracellulaire de ces vésicules qui reste encore à élucider. Une fois injectés dans l’hôte, les vénosomes sont internalisés dans les lamellocytes de l’hôte, comme le montre la détection des protéines marqueurs LbGAP et LbGAP2. On peut voir sur la Fig. 2 à droite la localisation des vénosomes marqués par fluorescence (en vert) et de LbGAP (en rouge) ainsi que leur coimmunolocalisation (en jaune). On montre ainsi que l’association des protéines de venin avec les vénosomes lors de leur biogénèse dans la guêpe permet ensuite leur entrée dans les cellules de l’hôte. Les vénosomes sont un moyen de transport.

Une question intéressante était ensuite de savoir si les vénosomes et leur entrée dans les hémocytes pouvaient constituer un facteur de spécificité d’hôte. Pour le tester, nous avons utilisé des souches de D. melanogaster (90 % de réussite de L. boulardi), D. simulans (60 % de réussite), D. yakuba et D. suzukii (pas de réussite) en observant la proportion de lamellocytes contenant LbGAP (vénosomes internalisés) et le nombre de spots de LbGAP par lamellocyte. Les résultats montrent une internalisation forte chez D. melanogaster, plus faible chez D. simulans et faible à nulle chez D. yakuba et D. suzukii. Ils suggèrent que la capacité d’internalisation des vénosomes dans les lamellocytes influe sur la gamme d’hôte du parasitoïde Leptopilina boulardi. La recherche de « récepteurs » aux vénosomes sur les lamellocytes est en cours.

Un dernier aspect concerne le venin des parasitoïdes et le potentiel d’évolution de la composition de ce venin en fonction de paramètres abiotiques (température) ou biotique (résistance de l’hôte, espèce ou souche hôte). Ainsi, un protocole d’évolution expérimentale a été utilisé comme résumé ci-dessous pour tester l’influence de la souche et espèce hôte sur l’évolution de composition du venin. Deux souches de L. boulardi différant par leur virulence et leur venin ont été croisées dans les deux sens pour produire une F1 puis une descendance F2, qui a ensuite été élevée en différents réplicas et parallèlement sur des souches de D. melanogaster, D. yakuba et D. simulans. L’expérience a été analysée en F3, F7 et F11 en étudiant le taux de virulence du parasitoïde (réussite) et la composition du venin. La méthode utilisée pour cette dernière analyse a été développée et publiée en 2015 (Mathé-Hubert et al., Mol. Ecol. Res.). Elle s’appuie sur la migration individuelle du venin et l’analyse des gels obtenus avec une méthode semi-automatique à l’aide de Phoretix 1D. Elle permet d’obtenir des bandes de référence calibrées et de produire un jeu de données donnant l’intensité de chaque bande pour chaque individu, cette intensité étant corrélée à la quantité de protéines. Les résultats montrent une rapide augmentation de la virulence du parasitoïde sur l’hôte de sélection et de la composition du venin selon l’hôte et la génération. Trois à quatre générations suffisent pour observer des changements significatifs. Les données suggèrent aussi un trade-off pour la virulence et la composition du venin entre D. melanogaster et D. yakuba (un changement dans un sens sur une espèce est corrélé à un changement dans l’autre sens sur l’autre espèce). Enfin, il est possible d’identifier les bandes dont le changement d’intensité est responsable de l’évolution du venin sur un hôte donné. On voit ainsi que toutes les bandes dont l’intensité a changé sur D. yakuba sont spécifiques de cette espèce, montrant que les protéines sélectionnées le sont également. En synthèse, le venin évolue rapidement en fonction de l’hôte. En termes de lutte biologique, des parasitoïdes locaux pourraient ainsi s’adapter à un nouvel hôte invasif. Par ailleurs, l’élevage de parasitoïdes pour cibler un hôte donné se fait parfois sur un hôte alternatif, ce qui peut induire une adaptation à cet hôte et un échec ensuite sur l’hôte ciblé. En tous les cas, l’étude du venin devrait permettre d’identifier les souches les plus efficaces et de mener des contrôles qualité avant lâchers sur le terrain.

Metadata
Published online:
DOI: 10.1016/j.crvi.2019.09.019

Marylène Poirié 1

1 Université Côte d’Azur, INRA, CNRS, Institut Sophia Agrobiotech, Sophia Antipolis, France
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L’auteure déclare qu’elle n’a pas de liens d’intérêts.


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