Je n’ai pas eu l’occasion de collaborer aux travaux de recherche de François Gros. Et pourtant j’ai longuement marché à ses côtés, parfois même dans ses pas, dans nombre de mes activités professionnelles. Ce ne sont donc pas des souvenirs de laboratoire ou d’échanges scientifiques que j’évoquerai ici, mais plutôt quelques moments vécus dans le cadre des trois institutions où je fus appelé à travailler sous sa direction : l’Université, l’Institut Pasteur et le Conseil Pasteur-Weizmann.
1. L’Université
C’est de la rentrée académique de 1968 que datent mes premiers contacts avec François Gros. Nommé en septembre de cette année-là à la faculté des sciences de l’université de Paris, j’ai commencé à interagir directement avec lui, en tant que collègue, au sein de l’UER (Unité d’enseignement et de recherches) de la faculté des sciences, puis de l’université Paris 7. En 1969 il fut élu, si ma mémoire est bonne, le premier président de cette UER et c’est au cours des réunions de son conseil que je le vis pour la première fois dans le rôle de mon « patron ». Il dirigeait ces réunions avec une douceur, une patience, une souplesse, qui contrastaient étonnamment avec l’atmosphère houleuse, agressive, parfois verbalement violente de cette période « post-soixante-huitarde ». Je m’étonnais alors de sa capacité à écouter chacun avec une bienveillance, une très visible attention, qui contrastaient avec la brusquerie des propos de certains jeunes assistants. Jamais je ne le vis hausser le ton, ni refuser la parole à un intervenant, ni en interrompre un autre, ce qui conduisait à ce que ces réunions s’éternisassent bien au-delà de l’horaire prévu. Et pourtant, de ces interminables palabres, François réussissait à extraire une proposition qui calmait les esprits et engageait vers une action nouvelle.
Il occupait, à l’université Paris 7, la chaire que Monsieur Monod avait libérée lors de sa nomination au Collège de France. Il y enseignait la discipline « reine » qu’était la biologie moléculaire (entendre par là la biologie des acides nucléiques et de l’expression des gènes). Lorsqu’à son tour il fut nommé au Collège de France en 1974, il quitta l’Université. Bien que mon enseignement portât sur des disciplines toutes différentes (la « physico-chimie des macromolécules biologiques » et l’« enzymologie physico-chimique »), je fus promu sur cette chaire prestigieuse. C’est ainsi que, pour la première fois, je succédai à François Gros.
2. L’Institut Pasteur
La seconde occasion qui me fut donnée de travailler sous la direction de François se situa dans le cadre de l’Institut Pasteur. Au printemps 1976 nous apprîmes avec une infinie tristesse la disparition du directeur de l’Institut Pasteur, Jacques Monod, qui était notre maître et ami à tous deux. Et c’est ce triste événement qui m’entraîna dans une expérience totalement imprévue. Une commission de prospection, que l’on appellerait aujourd’hui « search committee » fut constituée pour identifier des personnalités susceptibles de succéder à M. Monod. Cette commission était animée par l’éminent immunologiste Jacques Oudin qui présidait alors le conseil scientifique. Ce fut une surprise pour moi que Jacques Oudin me demande de participer aux travaux de cette commission. Plusieurs noms furent évoqués. Ceux d’Elie Wollman et de François Gros furent retenus. Mais la commission craignait qu’il soit difficile de convaincre François d’accepter cette charge. Elle mandata donc trois de ses membres, Jacques Oudin, Léon Le Minor et moi-même, pour rencontrer François Gros et le convaincre d’accepter d’être proposé comme directeur. Lors de cette rencontre, j’insistai tout particulièrement sur la promesse faite par les membres de la commission de l’aider dans cette tâche par tous leurs moyens. Lorsque j’eus terminé vint une seconde surprise. Sans montrer la moindre hésitation, François Gros nous dit que, peu avant sa mort, Monsieur Monod lui avait demandé de lui succéder à la direction de Pasteur et l’y avait préparé. François acceptait donc que sa candidature soit proposée. La suite du processus se déroula sans autre surprise et François Gros fut élu directeur de l’Institut Pasteur à l’automne 1976.
Peu après, le nouveau directeur demanda à me rencontrer, me fit part de son intention de former très vite son équipe de direction et, troisième surprise, me demanda d’être associé à cette équipe en tant que conseiller scientifique. Je devrais épauler le directeur scientifique, Yves Chabbert, en prenant en charge les unités de recherche dite fondamentale, Yves Chabbert s’occupant, lui, des unités à caractère biomédical. Rien ne m’avait préparé à une telle fonction. Ni dans ma carrière pasteurienne, ni surtout dans ma formation et dans mes connaissances en biologie. Conscient de mon impréparation, je refusai sur le champ. Cependant, avec ce sourire si doux et convaincant qui lui était coutumier, il avança deux arguments de poids : le premier était que Monsieur Monod lui-même le lui avait conseillé. Le second, encore plus fort, fut de me rappeler la promesse que je lui avais faite de l’aider par tous nos moyens. Je ne pouvais pas ne pas honorer ma promesse. J’étais piégé et finis par accepter, mais sous la condition que mon engagement initial soit pour une durée de trois ans seulement. Période au bout de laquelle j’évaluerais l’impact de cette charge sur le fonctionnement de mon laboratoire avant de décider si je continuerais jusqu’à la fin du mandat de six ans du directeur. Le marché fut conclu.
Je ne dirai pas grand-chose de cette période, sinon qu’elle m’a pesé très lourdement, qu’elle a sans doute été la plus pénible de ma carrière professionnelle. D’autant plus qu’au bout d’une année, Yves Chabbert dut quitter ses fonctions de directeur scientifique et que « tout naturellement », François Gros me demanda de reprendre cette charge. Il n’imaginait pas, je pense, l’étendue de ma méconnaissance de la biologie, et en particulier de la microbiologie. La confiance qu’il m’accorda alors me semble le reflet fidèle de ce trait de caractère qu’il avait d’accorder plus d’importance aux atouts qu’il pensait pouvoir attribuer à un collègue qu’à ses manques. J’ai dû, et c’est cela sans doute l’aspect le plus positif de cette expérience, tout apprendre. Je me suis instruit, pendant ces trois années, infiniment plus que je ne l’avais fait pendant mes quatorze premières années de chercheur. J’ai découvert l’immense richesse des recherches pasteuriennes. J’ai découvert des hommes et des femmes modestes, dont je n’avais jamais entendu parler, dont les travaux faisaient honneur à notre maison. J’ai découvert aussi la vanité, l’arrivisme, le carriérisme de certains. J’ai frémi d’avoir à juger scientifiquement des chercheurs à qui je n’arrivais pas à la cheville. J’ai souffert d’avoir à refuser des moyens à ceux que j’estimais devoir soutenir, et d’avoir à les donner à des équipes pour lesquelles je n’avais que peu d’estime, car mon directeur et moi n’avions pas toujours les mêmes vues sur ce que devaient être les priorités de l’Institut Pasteur. François estimait, lui, que l’institut devait être présent sur tous les fronts de la biologie. Mon sentiment, au contraire, était qu’il fallait privilégier les laboratoires engagés dans des recherches — qu’elles soient fondamentales, médicales ou appliquées — touchant à la microbiologie et à l’immunologie, les deux domaines sur lesquels reposait la réputation de l’Institut Pasteur. Et cela se traduisait par des arbitrages difficiles. Car malgré le sauvetage financier de l’institut réussi quelques années auparavant par Jacques Monod et Simone Veil, nos moyens étaient très limités. Nous devions fonctionner à effectif constant, et la distribution des ressources était un exercice pénible au cours duquel nos divergences se manifestaient parfois. Il est incontestable que la vision à long terme de François Gros a largement contribué à la transformation que l’Institut Pasteur a connu au cours des décennies suivantes en devenant un centre multidisciplinaire où se sont développées d’excellentes recherches sur le développement, la neurobiologie, l’audition, la cancérologie, la biologie structurale, la bio-informatique, etc.
Parmi les grands chantiers qui ont marqué le mandat de François Gros à la direction de l’Institut Pasteur, il convient d’en mentionner trois particulièrement marquants : la construction du bâtiment d’immunologie, la promotion des biotechnologies et l’émergence de la biologie structurale.
La construction du bâtiment d’immunologie, nommé depuis bâtiment Metchnikoff, et le choix des équipes qui devaient s’y installer ont largement contribué à relancer la recherche fondamentale en immunologie à l’Institut Pasteur, avec l’arrivée de quelques chercheurs de premier plan dont le plus réputé était incontestablement Roberto Poljak. Son recrutement, auquel je fus amené à participer très activement, fut l’occasion de l’un de ces marchandages entre François et moi qui aboutirent à un compromis heureux. Roberto Poljak, l’un des premiers à avoir résolu la structure des anticorps par diffraction des rayons X, travaillait à l’université de Baltimore. Lorsque j’appris qu’il désirait, pour des raisons personnelles, quitter les États-Unis et s’installer en Europe, il me fut facile de convaincre François de l’intérêt qu’il y aurait à « importer » à Pasteur ses compétences dans le domaine des rayons X et du séquençage des protéines. Au cours de l’été de 1977, je rencontrai donc Poljak à Baltimore et, avec l’accord préalable de François Gros bien évidemment, lui proposai de rejoindre l’Institut Pasteur où il disposerait d’un étage entier du nouveau bâtiment pour y créer d’une part son laboratoire de cristallographie aux rayons X et d’autre part un service commun de séquençage des protéines. Après une visite à Pasteur où il rencontra François Gros, Roberto Poljak accepta notre proposition. Quelques mois plus tard, au fur et à mesure que se complétaient les recrutements et les attributions de locaux, les surfaces vinrent à manquer et François Gros envisagea de réduire à la moitié d’un étage celle attribuée à Poljak. S’ensuivirent de difficiles négociations à l’issue desquelles il fut proposé que le service commun de séquençage serait confié, hors du nouveau bâtiment, à l’Unité de chimie des protéines dirigée par Borivoj Keil. Roberto Poljak, que la responsabilité du séquençage n’enchantait guère, accepta volontiers ce compromis en renonçant à un tiers de son étage. Bien que l’implantation du séquençage des protéines à Pasteur eût beaucoup souffert de cet « abandon », les conséquences n’en furent guère significatives : très peu après, le développement du séquençage d’ADN, bien plus rapide et moins coûteux, rendit obsolète le séquençage direct des protéines.
C’est pendant le mandat de François Gros que le concept, et surtout le mot, de « biotechnologie » prirent en France l’essor qui devait retenir l’attention des politiques et des investisseurs. François Gros sut en tirer grandement parti, aidé en cela par le talent de communicateur et de vulgarisateur de son directeur adjoint chargé des applications de la recherche, Joël de Rosnay. Alors que l’Institut Pasteur abandonnait progressivement son implication dans la fabrication et la commercialisation des produits résultant de ses recherches (produits de diagnostic, sérums, vaccins), François Gros sut mettre en valeur le potentiel des recherches pasteuriennes pour de futures applications dans le domaine biomédical. C’est ce qui lui permit d’obtenir une subvention majeure destinée à la construction d’un nouveau bâtiment dédié aux biotechnologies, le bâtiment Fernbach. La construction de ce bâtiment débuta en 1983, peu après que François Gros quitte la direction de l’Institut Pasteur, mais c’est incontestablement lui qui en fut l’initiateur.
En dehors de quelques rares et petites équipes initialement impliquées dans des projets de recherche « appliquée », bien peu des unités qui furent alors installées dans ce bâtiment s’intéressaient aux biotechnologies. Mais son ouverture offrit l’espace nécessaire à l’expansion de disciplines fondamentales jusque-là bridées par le manque de locaux. On aurait pu reprocher aux recherches fondamentales d’avoir pris une place trop importante dans ce bâtiment initialement destinée aux biotechnologies. Ce serait négliger l’importance déterminante de la recherche fondamentale dans l’émergence de projets appliqués. Et il faut reconnaître à François Gros le mérite d’avoir joué, à l’Institut Pasteur comme au-dehors, un rôle déterminant dans le changement des mentalités qui a conduit à la fois les chercheurs et les instances qui les jugent à accepter que la recherche appliquée et les collaborations avec l’industrie puissent être aussi valorisantes que la recherche fondamentale.
Le dernier chantier initié par François Gros que je voudrais évoquer, sans doute parce qu’il touche de plus près à ce qu’étaient mes propres intérêts de chercheur, est celui de la biologie structurale et de la modernisation des outils de recherche sur le campus. J’ai évoqué plus haut le recrutement de Roberto Poljak, motivé par le souhait d’implanter à l’Institut Pasteur le seul outil — la cristallographie aux rayons X — qui, à l’époque, permettait de déterminer la structure de macromolécules biologiques à la résolution atomique. Malgré le coût extrêmement important de l’opération aussi bien en termes d’équipements que de personnel qualifié, François Gros adhéra sans hésitation à l’idée de ce recrutement et ne lésina ni sur les coûteux équipements, ni sur les collaborateurs demandés par Poljak. Ce fut là le premier pas vers l’introduction de la biologie structurale, une discipline alors prometteuse qui est depuis devenue essentielle dans la recherche aussi bien fondamentale qu’appliquée.
Un autre pas important franchi par l’Institut Pasteur sous la houlette de François Gros fut l’entrée en force de cet institut dans l’ère de l’informatique scientifique. Dès 1968, un premier ordinateur, un Linc-8 de la société Digital Equipment Corporation, avait été acquis à grand prix par les équipes d’André Lwoff, François Jacob et Jacques Monod. Cet ordinateur, utilisant à la fois bandes perforées et bandes magnétiques, avait des performances à peine équivalentes à celle d’une calculatrice de poche actuelle, et ne fut que peu utilisé. Il permit cependant d’initier un certain nombre d’entre nous à l’utilisation de l’informatique et d’en montrer les immenses possibilités. Au point que lors du dépôt des demandes annuelles de crédits de 1977, des ordinateurs de caractéristiques variées figuraient parmi les besoins exprimés par plusieurs équipes. À l’initiative d’Henri Buc, un recensement précis de ces besoins fut organisé, et aboutit à la conclusion qu’il serait préférable d’acquérir un ordinateur de bien plus grandes capacités, qui satisferait les besoins immédiats mais permettrait aussi de faire face à une sérieuse augmentation de l’utilisation de l’informatique scientifique. C’est ainsi que fut créée l’Unité d’informatique scientifique, bientôt placée sous la responsabilité de Jean-Michel Claverie. C’est dans cette unité que commença dans notre institut le développement de la bio-informatique, qui y occupe aujourd’hui une place prépondérante. Et c’est aussi avec l’appui de François Gros que furent débloqués, peu après mon départ de la direction scientifique, les crédits exceptionnels qui permirent de relier, par un câble téléphonique à haut débit (pour l’époque) l’ordinateur de l’Institut Pasteur à celui de l’École Normale Supérieure, permettant à l’Institut Pasteur de se connecter dès 1980 au réseau interuniversitaire Bitnet, précurseur d’Internet. Ce soutien de François Gros à une discipline émergente, pourtant si éloignée de ses propres intérêts scientifiques d’alors, reflète sa grande ouverture d’esprit et son écoute des autres.
De mon passage « aux affaires » sous la direction de François Gros, et malgré le profond déplaisir que j’en ai éprouvé, je garde le souvenir positif d’avoir beaucoup appris sur la biologie, l’Institut Pasteur et les chercheurs, d’avoir soulagé le directeur de quelques corvées, d’avoir contribué avec efficacité à quelques évènements importants comme la construction du bâtiment Metchnikoff, le recrutement de quelques remarquables équipes (Roberto Poljak et Gérard Orth en particulier), l’implantation de la cristallographie aux rayons X, de l’informatique scientifique et de la cytométrie en flux sur le campus.
Cependant, malgré ces aspects positifs, le bilan que j’ai tiré au terme de mes trois années à la direction ne m’a pas semblé satisfaisant. Les attentes contrariées, les contraintes financières auxquelles était soumis l’Institut Pasteur et qui réduisaient à peu de choses les capacités d’action de la direction, les difficiles arbitrages qui souvent allaient à l’encontre de mes espoirs, et surtout l’avenir de mon groupe de recherche qui était en péril me firent jeter l’éponge. J’ai donc fait part à François Gros, au début de 1979, de ma décision de ne pas continuer dans ma fonction de directeur scientifique au-delà des trois années pour lesquelles je m’étais engagé. Il n’a pas cherché à exercer la moindre pression pour que je reste. Quelles qu’en aient été les raisons, il n’a pas souhaité me forcer la main. Je lui en suis infiniment reconnaissant.
Ces trois années passées aux côtés de François Gros ont véritablement marqué ma vie professionnelle. Je tiens ici à saluer sa mémoire et à exprimer ma reconnaissance pour la confiance qu’il m’a accordée ; pour la chance qu’il m’a donnée de marquer la biophysique pasteurienne de mon sceau personnel ; pour l’expérience scientifique et humaine qu’il m’a permis de vivre ; pour l’impact que cette expérience a eu sur mes recherches ultérieures ; pour la visibilité qu’il a donnée au jeunot que j’étais.
3. Le Conseil Pasteur-Weizmann
Le troisième contexte dans lequel il me fut donné de travailler sous la direction de François Gros fut le Conseil Pasteur-Weizmann, une association du type « Loi 1901 » dont l’objet est de susciter et de soutenir des collaborations scientifiques entre chercheurs de l’Institut Pasteur à Paris et de l’Institut Weizmann en Israël. Robert Parienti en fut, avec Simone Veil et André Lwoff, le concepteur et pendant près de quarante ans l’infatigable animateur. En 1987 Raymond Dedonder, successeur de François Gros à la direction de l’Institut Pasteur, me confia la responsabilité de clarifier et de structurer les modalités de fonctionnement de cette association. Je m’acquittai de cette tâche en étroite collaboration avec un collègue de l’Institut Weizmann, Benny Geiger, et nous fûmes nommés « coordinateurs scientifiques », Benny Geiger à Weizmann et moi-même à Pasteur, avec pour mission de veiller au bon respect des règles que nous avions établies. Le conseil d’administration de Pasteur-Weizmann était alors présidé par André Lwoff, et François Gros présidait le conseil scientifique. En 1992, François succéda à André Lwoff à la présidence du conseil d’administration et laissa sa place au président de l’Institut Weizmann, Michael Sela, à la tête du conseil scientifique. C’est donc à partir de 1987 que je me retrouvai à nouveau à œuvrer sous la direction de François Gros. D’abord en tant que coordinateur scientifique, puis à partir de 1996 en tant que successeur de Michael Sela à la présidence du conseil scientifique.
Au cours de ces années passées à Pasteur-Weizmann avec François Gros, j’ai pu mesurer son engagement sans réserve au service de cette collaboration scientifique bilatérale exemplaire. Le temps et l’énergie qu’il y consacra malgré ses multiples occupations. Son entière disponibilité. Les innombrables idées et suggestions, parfois utopiques mais souvent constructives, qu’il a formulées pour renforcer et développer aussi bien les interactions entre chercheurs des deux instituts que les activités de collecte de fonds. Les facilités offertes, grâce à lui, par l’Académie des sciences pour aider au rayonnement de Pasteur-Weizmann. L’impact irremplaçable de sa personnalité sur les mécènes. Et toujours la même confiance aveugle affichée envers ses collaborateurs, Robert Parienti pour la collecte de fonds, les finances et la gestion de l’association et moi-même pour les affaires scientifiques …
Au début de 2003, François étant arrivé au terme de son second mandat et n’étant donc plus éligible, je devins à mon tour président du conseil d’administration de Pasteur-Weizmann. Là encore, la succession n’a pas été aisée. Si je me sentais à l’aise dans la gestion des affaires courantes, je n’avais ni l’expérience de la présidence d’un conseil d’administration, ni l’aura exceptionnelle de François auprès des amis et donateurs de notre association. Mais sa présence aux réunions du conseil en tant que président du comité d’orientation, ses conseils avisés, ses idées originales, sa générosité dans le soutien qu’il n’a cessé d’apporter à la collaboration entre l’Institut Pasteur et l’Institut Weizmann, ont grandement facilité ma tâche et marqué la vie de l’association.
Cette implication de François Gros dans le développement de collaborations scientifiques internationales n’est pas spécifique à Pasteur-Weizmann, qui n’est qu’un exemple de ses multiples ouvertures à l’international. Au-delà de l’Institut Weizmann, pressentant le rôle important que ce pays allait jouer dans le développement des technologies de pointe, il contribua activement à la création de l’Association franco-israélienne pour la recherche scientifique et technique (AFIRST) en collaboration avec Ephraim Katzir. Dès les toutes premières heures de l’ouverture de la Chine vers l’Occident, grâce au concours déterminant de Ming Nguy Thang, chercheur à l’Institut de biologie physico-chimique, François Gros a créé l’Association franco-chinoise pour la recherche biologique et médicale qui a joué un rôle précurseur dans les relations scientifiques franco-chinoises. Et pendant son mandat à l’Académie des sciences, en 1997, François Gros a été l’initiateur d’un important renouveau des échanges scientifiques et techniques avec les pays en développement, principalement en Afrique, en proposant la création du COPED (comité Pays en développement) dont il a assumé la présidence jusqu’en juin 2017.
4. Au bout du compte …
Les quelques souvenirs personnels évoqués dans les lignes qui précèdent ne reflètent qu’une partie du spectre des activités de François Gros, en particulier son impressionnante contribution de chercheur. En tant que jeune scientifique d’abord, avec l’isolement et la caractérisation de l’ARN messager de l’opéron lactose d’Escherichia coli, avec lesquels il apportait la confirmation définitive du concept proposé par François Jacob et Jacques Monod. Puis en tant qu’inspirateur d’un laboratoire et d’une école de pensée dont l’apport à la biologie du développement est amplement exposé dans les articles de ce numéro des Comptes Rendus Biologies.
Il faut ajouter à cela ses activités de conseiller de deux Premiers ministres qui lui ont valu tant d’injustes critiques, de secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, d’écrivain.
Travailleur infatigable, François parvenait à mener de front toutes ces activités. Un véritable tour de force. Mais ce qui demeure pour moi l’image la plus frappante, c’est qu’en toute circonstance, il restait le même homme, disponible, doux, souriant, affable, généreux de son temps, compréhensif, profondément humain. Et c’est avant tout pour cet aspect de sa personnalité que je voudrais lui rendre hommage, ainsi qu’à son épouse Danielle qui a tant fait pour qu’il soit celui qu’il a été.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leurs organismes de recherche.