1 Introduction
La présence d’un conifère au Sahara central a été signalée dès 1860 par Tristram 〚1〛 dans l’Ahaggar (Hoggar) et par Duveyrier 〚2〛 au Tassili n’Ajjer. Il faut cependant attendre 1924 pour que la « Tarot » des Touaregs (transcrit « Tarout » dans la littérature) soit vue par le capitaine Duprez, commandant alors l’annexe de Djanet 〚3〛, oasis au pied du Tassili (Fig. 1). En 1925, Lavauden 〚4〛 a pu voir un arbre vivant dans l’oued Tamghit. Les échantillons qu’il en préleva permirent à A. Camus 〚5〛 de décrire une nouvelle espèce : Cupressus dupreziana, endémique stricte du Tassili n’Ajjer.
Jusqu’au milieu des années 40, on pensait que le nombre de cyprès vivants ne dépassait pas dix et que leurs graines étaient stériles 〚6〛. Mais, dès 1943, des plantules ont été rencontrées sous les vieux arbres 〚7–9〛. En 1949, le professeur Bernard 〚10〛 donnait le nombre de 200 arbres vivants.
Le recensement de ces arbres s’est étendu sur plusieurs décennies. Entre 1950 et 1965, diverses missions, écologiques, archéologiques et botaniques, se sont intéressées au cyprès 〚8, 11, 12〛. Un comptage des arbres vivants y a été entrepris. Il s’agissait, le plus souvent, d’une simple indication du nombre d’individus par oued. Ces informations sommaires, ainsi qu’une mauvaise transcription de la toponymie, ne permettaient pas l’identification ultérieure des arbres et donc le suivi de leur évolution.
En 1965, Barry et al. 〚13〛 ont recensé 85 sujets, qu’ils ont décrits de manière à pouvoir les reconnaître. L’essai de monographie sur le cyprès réalisé par ces auteurs constitue, jusqu’à présent, le document de référence concernant cette espèce.
Entre 1971 et 1972, un forestier, Saïd Grim, a réalisé le premier inventaire complet des cyprès. Deux cent trente arbres vivants et 153 morts sur pied ont été localisés, minutieusement décrits et numérotés. Il est encore possible (en 2001) de lire le numéro attribué à chaque arbre, peint sur le tronc ou sur un rocher voisin. C’est ce dernier travail, encore inédit, qui a servi de base aux travaux présentés ici.
2 Matériel et méthodes
Entre 1997 et 2001 et en suivant les notes de Grim (communiquées aimablement par leur auteur), nous avons parcouru la partie haute du Tassili n’Ajjer entre les latitudes 24°13’ et 25°5’ N. Tous les cyprès rencontrés ont été localisés par GPS (Global Positioning System). La numérotation des arbres a permis de repérer les individus morts après 1972 ainsi que ceux non anciennement recensés. Des mesures dendrométriques ont été effectuées sur les arbres dont la forme s’y prêtait. Les cyprès vivants présentent en effet des ports variables allant de la forme fastigiée à la forme la plus tourmentée. Quelques sujets sont rampants, d’autres éclatés, certains sont couchés, leurs branches s’étant redressées. Ceux-là n’ont pu faire l’objet de mesures dendrométriques.
Une analyse en composante principale est réalisée pour mieux visualiser la distribution spatiale des arbres en fonction de leurs caractéristiques écodendrométriques (hauteur, circonférence, port et état de santé des arbres, substratum et traces de mutilation importante).
3 Résultats
La confrontation des résultats de nos investigations aux données de la littérature nous a permis d’apporter des informations nouvelles sur l’état actuel et sur la dynamique des populations du cyprès de Duprez au Tassili des Ajjers.
3.1 Répartition et état actuels des arbres
Le nombre total des arbres vivants s’élève à 233 individus, répartis sur une bande de 120 km de long et 6 km (en moyenne) de large, longeant la bordure sud-ouest du plateau du Tassili. Les limites géographiques de cette aire, située entre 1430 et 1830 m d’altitude, sont (Fig. 1) :
- • au nord-ouest, 25°5’ N, 9°1’ E ;
- • au sud-est, 24°19’ N, 9°50’ E.
La Fig. 2 montre une discontinuité de l’aire de répartition actuelle de Cupressus dupreziana entre le Nord de Tamghit et le Sud d’In Ellidj (24°55’ N). Quelques rares sujets isolés, perchés sur des montagnes ou cachés dans des ravins, subsistent dans cette zone, alors qu’au sud de Tamghit et au nord-ouest d’In Ellidj, on rencontre des groupes d’arbres plus ou moins importants, confinés, pour la plupart, dans des oueds peu accessibles.
La population du sud ou de la région du Tassili Hedjrit compte 183 arbres. Elle est fractionnée en trois grands groupes suivant les bassins versants des oueds qui abritent les arbres. Autour de ces groupes gravitent des individus isolés. Vers le nord, on trouve une population nettement moins dense, constituée de seulement 42 sujets dispersés sur une surface presque égale à celle de la population du sud, couvrant une partie des régions de Madak et Tazolt.
La distribution spatiale du peuplement du cyprès est donc hétérogène et paraît suivre des conditions topographiques particulières, fuyant les zones de plaines pour se contracter dans des fonds de canyons profonds ou des sommets de montagnes.
L’observation des conditions stationnelles des cyprès a permis d’établir un spectre de répartition des arbres selon le substrat. La Fig. 3 montre que 37% du nombre total des arbres colonisent des lits d’oueds sableux. La rocaille sableuse en accueille 31%, ce qui signifie que 68% des cyprès sont localisés dans les fonds de vallées où la profondeur du sable est plus ou moins importante. Les dalles gréseuses abritent dans leurs fissures 22% des arbres, les crêtes, 8% ; quant aux Gueltas, qu’elles soient sableuses ou rocailleuses, elles n’en comptent que 2%, ce qui peut s’expliquer par la fréquentation de ces « abreuvoirs » par les animaux et les hommes, qui rendrait difficile toute survie d’éventuelles germinations.
La Fig. 4, issue d’une analyse en composante principale, illustre la distribution des 46 sites de cyprès dans un plan formé par deux axes (cumulant 94,25% de l’inertie totale).
L’axe 1 oppose des localités caractérisées par des arbres rabougris, situés sur des crêtes et fortement mutilés, à des localités où les arbres sont bien venants (grande taille, feuillage dense) ; malgré le sectionnement de quelques-unes de leurs branches, ils semblent ne pas en être affectés.
L’axe 2 exprime un gradient d’épaisseur de sable. Il oppose des stations d’oueds sableux ayant une profondeur de sable importante à des stations où la roche nue prédomine. C’est paradoxalement sur cette rocaille très peu ensablée que l’on trouve le plus grand nombre de cyprès de forme pyramidale et en bon état. Vers le centre, se regroupent les localités offrant les divers cas de figure précités.
3.2 Évolution du peuplement de Cupressus dupreziana
L’analyse de la dynamique du peuplement du cyprès montre :
- • une régression de l’aire de répartition de cette espèce depuis le milieu du XIXe siècle (Fig. 1) ;
- • la mort de 20 arbres depuis 1972 (Tableau 1), ce qui représente une perte de près de 8% en 30 ans ; ces dépérissements touchent tous les milieux (environ 45% des arbres morts sont localisés dans des oueds rocheux, 15% dans des oueds sableux, 30% végétaient dans des oueds rocheux sableux et seulement 10% étaient sur des crêtes).
Caractéristiques des cyprès de Duprez morts après 1971, au Tassili n’Ajjer.
N° de l’arbre | Localité | Substratum | Circonférence (m) | Mutilation | Nombre d’arbres vivants |
20 | Tamghit | oued rocheux | 1 | importante | 20 |
22 | Tamghit | oued rocheux | 1,5 | importante | |
28 | Ghiyeye | oued sableux | 4,4 | importante | 4 |
62 | Ingharohane | oued rocheux | 0,72 | pas de trace | 30 |
71 | Adhar nˈTaclit | éboulis rocheux | 8 | importante | 5 |
78 | Amazar | crête | 2 | pas de trace | 16 |
109 | Tan Abou | reg rocheux | peu importante | 13 | |
126 | Inghaldjiwen | crête | peu importante | 13 | |
155 | Inghaldjiwen | sablo-pierreux | 1,25 | très importante | |
133 | Tin Harwidha | oued rocheux | peu importante | 9 | |
134 | Tin Harwidha | roche–sable | 6,3 | peu importante | |
138 | Tin Harwidha | roche–sable | peu importante | ||
139 | Tin Harwidha | roche–sable | |||
140 | Tin Harwidha | roche–sable | importante | ||
141 | Tin Harwidha | roche–sable | importante | ||
180 | Adjedjoum | oued sableux | 3,76 | très importante | 1 |
188 | In Ellidj | oued rocheux | 5 | importante | 9 |
199 | Tihankadh | éboulis rocheux | importante | 0 | |
224 | Tiddedj | dalle | très importante | 8 | |
225 | Tiddedj | roche–sable | 3,2 | importante |
Ces arbres sont d’âges variables. Leur taille varie entre 0,70 et 8 m de circonférence ; sur la majeure partie d’entre eux sont visibles les traces de mutilations et d’émondage pastoral ; certains ont été brûlés. Cependant, le cas de quelques arbres demeure inexpliqué, car ils ne présentent pas de signe d’une fatale intervention humaine. Leur mort peut être imputée à la sécheresse.
On met également en évidence, par des mesures dendrométriques, une continuité dans la taille des arbres (Fig. 5) qui traduit une persistance des germinations jusqu’au siècle dernier. La présence de deux très jeunes arbres en témoigne.
4 Discussion
4.1 Mise au point historique sur l’aire de répartition du cyprès
En 1864, selon des renseignements recueillis auprès de Touaregs de Ghat (oasis au piedmont Est du Tassili), Duveyrier 〚2〛 rapporta que l’aire de répartition du Tarot s’étendait (Fig. 1) de Taharhara amont de l’oued Tarat, au nord, à Eriey, en amont de l’oued Rhat, vers le sud.
Nous constatons qu’une centaine de kilomètres séparent la limite septentrionale annoncée en 1864 de celle que nous avons observée. En revanche, au sud, Eriey ne correspond à aucun toponyme connu. Ce pourrait être Ghiyeye (24°32’ N, 9°44’ E), comme le supposa Lhote 〚12〛, mais aussi Eghighi (24°23’ N, 9°53’ E). Vers le sud-est, au niveau de l’oued Inghaldjiwen, dans une partie où ce dernier forme un canyon (Eghighi en Tamahaq, langue des Touaregs), on trouve, en effet, les cyprès les plus reculés de la bordure du plateau. Vers le sud, à Ankof (24°19’ N, 9°50’ E), un dernier cyprès marque la limite méridionale. Toutefois, qu’il s’agisse de Ghiyeye ou Eghighi, les deux font partie du bassin versant de l’oued Ghat, appelé aussi Tanezouft. Il semble donc qu’au sud, cette limite n’a pas changé. L’inaccessibilité de cette région, caractérisée par des canyons profonds et une haute altitude relativement aux autres régions, protégerait ses cyprès de l’exploitation humaine.
Plus tard, en 1926, le capitaine Duprez 〚3〛 notait : « N’ayant jamais rencontré cet arbre dans aucune des autres parties du Tassili des Ajjers, j’interrogeai les indigènes et j’appris que, de mémoire d’homme, on n’avait signalé la présence du « Tarout » que dans la région appelée Edehi. »
Une divergence est à remarquer entre les renseignements recueillis à Ghat et ceux recueillis à Djanet. Si la première description se rapproche de nos résultats, la seconde restreint l’aire du cyprès à la seule région d’Edehi. Or, les informateurs du Capitaine Duprez ne pouvaient ignorer la présence du cyprès dans les régions du Tassili Hedjrit, de Madak et de Tazolt.
Par ailleurs, il n’existe actuellement, dans la région d’Edehi, aucun cyprès vivant et c’est ainsi depuis au moins le séjour de Lhote 〚12〛 en 1956. En revanche, l’existence de bois mort, signalée par ce dernier, prouve qu’à une époque antérieure, l’aire du cyprès couvrait aussi l’Edehi. Il apparaît vraisemblable que les derniers cyprès de cette région ont été décimés entre les années 1920 et les années 1950.
Les habitants des deux oasis utilisaient le bois du cyprès en menuiserie. Des caravanes étaient organisées pour le débitage et le transport du bois. Edehi est, en effet, traversé par une piste chamelière reliant Djanet et Ghat. Vers l’ouest, cette piste franchit la falaise, haute de plus de 400 m, par le col de l’Assakao (Fig. 1), ce qui permettait aux « bûcherons du Tassili » d’acheminer les planches débitées (à l’aide de haches ou du feu) sur le dos de dromadaires vers les oasis. D’ailleurs, la discontinuité de l’aire de répartition du cyprès, présentée sur la Fig. 2, coïncide avec cette piste. La concentration des prélèvements dans cette région expliquerait la disparition de ses cyprès.
Si on admet, enfin, qu’au milieu du XIXe siècle existaient encore des cyprès dans la région de Taharhara, un repli de 100 km, vers les hauteurs, de leur limite septentrionale en l’espace de près d’un siècle ne peut être que le résultat d’une intense exploitation humaine.
Vers le début des années 1950, Freulon 〚8〛 a vu des morceaux de bois mort de cyprès à l’oued Ahloun (25°50’ N, 9°30’ E). Cet oued, qui se trouve à près de 800 m d’altitude, prend naissance sur un versant du massif d’Ekohawen, culminant à 1500 m (Fig. 1). Si les débris de bois rencontrés n’ont pas été abandonnés par les caravanes, ils ne peuvent provenir que de ce massif, d’où ils auraient été charriés par de fortes crues. Il est à remarquer que l’oued Ahloun est à la même latitude que Taharhara, dont il est proche. Par ailleurs, Lhote 〚12〛 a signalé du bois mort de cyprès à l’oued Djerat (26° N, 8°30’ E).
4.2 Dépérissement et dégradation
En plus des 20 individus reconnus morts après 1971 grâce à la numérotation portée par Grim sur les troncs, il existe de très nombreux arbres morts sur pied. Il est difficile de déterminer la date de leur dépérissement, vu le caractère imputrescible du bois du cyprès, riche en résine. Sa persistance est d’autant plus grande qu’il n’est attaqué pratiquement par aucun insecte 〚14, 15〛.
Les données en notre possession ne permettent pas une analyse statistique plus approfondie de la mortalité caractérisant le peuplement du cyprès. Néanmoins, quelques observations existant dans la littérature, quoique sporadiques, nous permettent d’apprécier la vitesse d’élimination du bois mort. Sa consommation varie d’un site à un autre, selon la fréquentation de ces derniers par les nomades, mais surtout par les touristes. Le cas de deux oueds est éloquent.
L’oued Tin Harwidha (24°22’ N, 9° 51’ E) représente un véritable cimetière des cyprès. Il compte 12 morts, dont six dépéris après 1972 et seulement neuf arbres vivants.
Si l’oued Tamghit et les dédales qui l’entourent abritaient 27 cyprès vers les années 1950 〚12〛, seulement 22 ont été rencontrés en 1965 〚13〛. Une équipe de botanistes tchèques en mission au Tassili en 1975 faisait état, en plus de 22 arbres vivants, de cinq souches mortes (archive OPNT, Office du Parc national du Tassili). Actuellement, il en reste 20 individus. Pourtant, il n’existe aucune trace de bois mort. Son élimination rapide est due à l’implantation d’un camp d’attraction touristique, suscitant un gardiennage permanent, dès le milieu des années 1950. Par ailleurs, le bivouac actuellement quasi quotidien, à Tamghit, de groupes de jeunes immigrés clandestins (venant des pays du Sud et traversant le plateau du Tassili en direction de la Libye) a pour conséquence l’élagage sévère des cyprès vivants.
Tamghit, célèbre par sa vallée des cyprès, constitue une étape dans tous les circuits touristiques proposés dans la région du Tassili Hedjrit, riche en peintures rupestres, ce qui n’est pas le cas de l’oued Tin Harwidha, qui se trouve à l’écart de cette zone.
Enfin, à la suite de la sécheresse des années 1970, la plupart des nomades du Tassili se sont installés à Djanet. Cette sédentarisation a réduit la pression sur les cyprès. Cependant, l’activité touristique concentrée depuis une quarantaine d’années sur le triangle Tamghit–Séfar–Djabbaren, maintient la surexploitation du bois, déjà très rare sur le plateau du Tassili.
4.3 Régénération
La continuité dans la taille des arbres illustrée par la Fig. 5 montre la persistance des régénérations pendant le dernier millénaire et particulièrement ces derniers siècles.
Parmi les arbres d’aspect juvénile, deux individus sont remarquables. Le plus jeune cyprès 〚16〛 (Fig. 6a) a été rencontré à l’oued In Gharohane. Il n’a été aperçu ni par la mission de Barry en 1965 〚13〛, ni par celle de Grim en 1971, lesquelles pourtant décrivent précisément le site (24°27’ N, 9°47’ E). Néanmoins, l’équipe de botanistes tchèques (précitée) soulignait en 1975 l’existence de ce semis.
Certains de nos guides touaregs nous ont affirmé qu’aussi loin que puisse remonter leur mémoire, ils ont toujours vu ce jeune cyprès dans sa taille actuelle. Pourtant, de 1975 à 2001, sa hauteur est passée de 1,6 à 3,4 m et sa circonférence de 18 à 34 cm, ce qui atteste la régularité de la croissance de cet individu.
Il est fort probable que la germination dont est issu ce jeune plant a eu lieu sous le buisson épineux de Rhus tripartita qui existe encore à côté de lui. Ce buisson aurait protégé la plantule contre le piétinement et le pâturage. Cette dissimulation expliquerait le fait qu’il n’ait pas été aperçu en 1971.
À In Ellidj également (24°57’ N, 9°21’ E), un jeune individu mesurant 3 m de haut et 37 cm de circonférence a été observé en 1998 près des six arbres décrits en 1971 (Fig. 6b).
Dans la littérature, des germinations naturelles ont été signalées à proximité des vieux arbres. En 1943, le lieutenant d’Estienne d’Orves 〚7〛 a récolté un jeune semis au bord d’un point d’eau. Le capitaine Bret 〚8〛 a trouvé deux plants, dont un aurait repris après avoir été transplanté à Djanet. Enfin, Simonneau 〚9〛, de passage à Tamghit en 1960, a noté la présence de deux plantules. Il est, cependant, incontestable pour de nombreux auteurs 〚4, 8, 9, 13, 17–22〛 que les plantules du cyprès germées in situ sont vouées à une inéluctable disparition. Leur système racinaire serait insuffisamment développé pour atteindre des eaux souterraines qui leur permettraient de résister aux longues périodes de sécheresse.
À la lumière des observations récentes, nous pensons que, bien qu’exceptionnelles, ces germinations se produisent et donnent, malgré les caractéristiques biologiques inhérentes à la reproduction de l’espèce 〚23, 24〛, de jeunes arbres bien adaptés aux conditions climatiques actuelles du Tassili.
C’est ce que Balachowsky 〚14〛 et Capot-Rey 〚25〛 soulignaient, en attirant l’attention sur deux jeunes cyprès observés à l’oued Tamghit, respectivement en 1949 et en 1954. Ces deux auteurs considéraient que ces deux jeunes cyprès ne dépassaient pas les 200 ans. L’étude de leur croissance radiale menée par l’un des auteurs (F. Abdoun, thèse en préparation), montre que ces deux jeunes arbres ont poussé, respectivement, de 13 et 5 cm en diamètre en 30 ans. Ils auraient respectivement des vitesses de croissance radiale de 2,1 et de 0,83 mm an–1, sous une pluviométrie de 30 mm an–1 〚26〛. À titre indicatif, signalons que le cyprès de l’Atlas, au Maroc, enregistre une croissance radiale moyenne variant entre 1,01 et 2,11 mm an–1, sous une pluviométrie de 400 à 500 mm an–1 〚27〛.
Par ailleurs, l’observation fréquente, d’une part, d’un système racinaire latéral très développé et, d’autre part, de nombreux arbres couchés par la crue, suppose l’absence de racine pivotante. Nous pouvons en déduire que les cyprès exploitent les couches superficielles du substrat ainsi que, très probablement, les condensations atmosphériques.
Pour le substrat, les analyses pédologiques 〚28, 29〛 montrent le caractère ordinaire (par rapport aux sols sahariens) des sols à cyprès. Ils sont pauvres en éléments fins (15 % seulement de limons et d’argiles), l’humidité est de 3 à 5% en moyenne et de 0,1 à 1,1% en moyenne de carbone organique. Le pH est voisin de 7, alors que le rapport C/N est de 11,9. Il s’agit ici des conditions les plus favorables (fonds de vallées) dans lesquelles puissent se trouver les arbres. L’étude microbiologique 〚28〛 de ces sols, réalisée dans l’objectif de mettre en évidence un déséquilibre écologique du cyprès, n’a pas permis de confirmer cette hypothèse.
Par ailleurs, sur le plan physiologique, il est connu que les conifères absorbent l’eau et des éléments nutritifs par leur feuillage 〚30〛. Dubief 〚26〛 fait état de nombreuses observations de brouillard, de gelée, de rosée et de neige sur le plateau du Tassili. La sporadicité de ces observations et l’absence d’une station météorologique sur ce plateau ne permettent pas une quantification des précipitations occultes. La variabilité spatiale des précipitations, caractéristique du climat désertique, n’autorise pas l’extrapolation des données de la station de Djanet, située à 1050 m d’altitude. De ce fait, les conditions climatiques auxquelles est soumis le cyprès demeurent encore très peu connues, ainsi que les adaptations physiologiques de cette espèce.
5 Conclusion
Cupressus dupreziana est un conifère remarquable, par sa présence au Centre du Sahara, sous un climat hyper-aride et par son classement par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) au douzième rang des espèces les plus en danger d’extinction au monde. Il n’est représenté que par 233 arbres vivants dont une dizaine, jeunes individus, attestent une régénération spontanée. La longévité du cyprès peut dépasser le millénaire voire plusieurs millénaires. Une germination par siècle, à l’abri des troupeaux et des hommes, ne serait-elle pas suffisante pour perpétuer l’espèce ?
Les régénérations observées devraient apporter l’espoir d’une pérennité de l’espèce dans son aire naturelle, à la condition qu’elle soit protégée. Sans protection effective, elle ne pourra faire face à la pression conjuguée des activités pastorales et touristiques, ce qu’atteste le taux de dépérissement considérable observé au cours de ces 30 dernières années.
Remerciements
Nos plus vifs remerciements s’adressent au Pr. H. Duranton, à M. S. Grim, à Mme M.-F. Maka, à Mlle M. Mathon, aux guides et chameliers, MM. M. et A. Gahmed, W. Iknan, B. et W. Machar, W. Ayoub, A. Taloum, H. Boubaker, M. Benkalia, D. Nowell, M. Roux, M. Thinon. Cet article à été écrit en hommage à Mme Nicole Balaguer-Poinsot.
Abridged version
The presence of a conifer in the central Sahara was reported as early as 1860 from the Ahaggar Plateau and the Tassili n’Ajjer range. It was not until 1924, though, that the tree that the Touareg called ‘Tarout’ was seen by Captain Duprez, at that time commandant of the Djanet oasis at the foot of the Tassili. Samples of this tree gathered in 1925 enabled A. Camus to describe a new species: Cupressus dupreziana.
Until the mid-1940s, it was thought that there were no more than ten living individuals of this cypress, and that their seeds were sterile. However, in 1943, seedlings were found under the old trees, and in 1949, Prof. Bernard was given a figure of 200 living trees.
The counting of these trees has gone on for a number of decades. Between 1950 and 1965, various ecological, archaeological and botanical expeditions undertook censuses of the living trees; most often, there was no more than a simple indication of the number of individuals in each wadi. This was summary information, which did not provide for subsequent identification of the trees or, accordingly, any following of their development.
A methodical inventory was undertaken for the first time starting in 1965, when 85 individuals were sufficiently described to be recognised. Between 1971 and 1972, a forester, Saïd Grim, counted 230 living trees. Even now (in 2001), the number attributed to each one of the trees can be seen, painted on its trunk or on a nearby rock. The report of this work has never been published.
Between 1997 and 2001, following Grim’s notes (graciously supplied by their author), we covered the upper part of the Tassili n’Ajjer from latitudes 24°13’ to 25°5’ N. All the cypresses found were given precise locations by GPS (Global Positioning System). The numbering of the trees made it possible to discover which individuals had died since 1972 and also which ones had not been counted before.
During this survey it was noted that 20 of the 230 trees counted by Grim had died, while 23 other specimens have joined the tally, bringing the number of living cypresses to 233, though in varying states of health. Around ten of the newly-listed trees are very young, indicating that germination continues in spite of the current drought.
The 233 trees found are distributed over a strip 120 km long by 6 km (average) wide, along the southwestern border of the Tassili plateau.
Cupressus dupreziana’s present range has a lacuna between the northern extremity of Tamghit (24°38’ N) and the southern one of In Ellidj (24°55’ N). Here a few scattered individuals manage to survive, clinging to the mountains or hidden in the ravines, while, north and south of this zone, we find trees in groups of four to fifteen together, mostly confined to the less accessible wadis.
According to information gathered in 1860 from the Touaregs of Ghat (or Rhat, an oasis at the eastern foot of the Tassili), the northern boundary of the trees at that time was Taharhara, almost at latitude 26° N.
Subsequently, in 1926, Captain Duprez recorded, on the basis of information gathered in Djanet, that the range of the cypress was restricted to the region known as Edehi.
No living cypress is nowadays to be found in this region, and this has been the case at least since Lhote’s visit in 1956, though he did note the presence of dead wood, proving that, at an earlier period, the range of this cypress covered Edehi also.
We know that the inhabitants of the two oases used to use cypress wood for carpentry, and that caravans were organised to extract and transport the wood.
Lastly, on the hypothesis that in the mid-19th century there were still cypresses in the Taharhara region, this retreat of some 100 km in their northern limit over barely a century can only have been the result of intense human exploitation.
The total number of cypresses in the Tassili has fallen by nearly eight per cent (8%) in 30 years. The causes of this loss are not always easy to identify.
The 20 dead trees are of various ages; their girths range from 0.7 to over 8 m; and, on the majority of them, traces of lopping by shepherds are to be seen: some have been burnt to death. The fate of two of the trees, however, remains unexplained, since they do not show any sign of any fatal human intervention. Their decline might be attributed to the drought.
The distribution of the dead wood throws into relief the cases of two wadis that present similar environmental conditions, but have one differentiating feature.
Wadi Tin Harwidha (24°22’ N, 9°51’ E) is a veritable cypress graveyard. It contains nine living trees and 12 dead ones, six of which have died since 1972.
Wadi Tamghit was home to 25 cypresses in 1949; today, 20 individuals remain, and yet there is no trace of dead wood. Its rapid removal is due to this wadi’s exploitation by both tourists and shepherds.
By another way, dendrometric study of the cypresses shows a continuous range of tree sizes. This continuity indicates that there has been persistent regeneration during the last millennium, including over the last few centuries.
Naturally germinated seedlings have been reported in the proximity of old trees, in 1943, during the 1950s and in 1960. Though rare, these germinations do produce young trees. There are some dozen trees, measuring between 0.32 and 1 m in girth.
The youngest cypress that we found was at Wadi In Gharohane (24°27’ N, 9°47’ E). It is 3.45 m high and 0.32 m in girth. This site was described in 1965 and in 1971, with no mention of the young cypress.
At In Ellidj also (24°57’ N, 9°21’ E), one new, young individual was observed in 1998 near six trees that had been described in 1971.
Many authorities are nevertheless firmly of the opinion that these saplings are ineluctably destined to disappear: their root systems are, it is said, insufficiently developed to reach the underground water that would enable them to withstand long periods of drought. And yet the existence of these young trees indicates that the species has been capable of surviving the current arid conditions.
The radial growth study of Cupressus dupreziana undertaken by one of the authors (F. Abdoun, thesis in preparation) shows that two trees, of girths 217 and 102 cm, have grown 13 and 5 cm respectively in girth in the last 30 years. This would give them radial growth rates of 2.1 and 0.83 mm yr–1 respectively, where average rainfall has been 30 mm yr–1. By comparison, we may note that Atlas Cypresses in Morocco had radial growths recorded averaging between 1.01 and 2.11 mm yr–1, with rainfall of 400 to 500 mm yr–1.
Furthermore, frequent observations of a lateral root system on the one hand and, on the other one, many trees uprooted by sudden floods, favour the hypothesis that there is no taproot. These cypresses exploit the shallow layers of their substrate, and – in all probability – atmospheric condensation as well, for it is known that conifers do absorb water and nutrients through their foliage.
There have been many cases of mist, hoarfrost, dew and snow observed on the Tassili plateau. These observations are of course sporadic, and the absence of a weather station on this plateau means that it has not been possible to quantify such hidden precipitation: great variations in precipitation over small distances is a feature of desert climate, and we are not justified in extrapolating data from the Djanet station, at an altitude of 1050 m. Because of this, the climate conditions to which the cypresses are subject are little known to this day.
Conclusion
Cupressus dupreziana, represented by 233 living trees in the wild, is a conifer classified by the IUCN (International Union for the Conservation of Nature) in 12th place among the world’s most endangered species. Some ten or so of these cypresses are young. Their presence gives evidence of spontaneous regeneration in their natural habitat. For a tree whose lifetime is reckoned in thousands of years, would not one germination per century, if untouched by flocks or humans, be enough to perpetuate the species?
Nevertheless, the significant rate of decline observed over these last three decades is disturbing, not least because these trees have no form of protection.
The regenerative specimens observed should arouse hope that the species will survive in its natural range; but without protection, they will not be able to stand up to the combined pressure of pastoral and tourist activities.