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Comptes Rendus

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Notice biographique
Hommage au professeur Roger Guillemin, un pionnier de la neuroendocrinologie (1924–2024), prix Nobel de physiologie ou médecine
Titre original : Tribute to Roger Guillemin, a pioneer in neuroendocrinology (1924–2024), Nobel Prize in Physiology or Medicine

Résumé

Roger Guillemin a mis en évidence et caractérisé les facteurs hypothalamiques qui contrôlent les fonctions de l’adénohypophyse. Cette découverte majeure a permis de démontrer que ces peptides du cerveau régulent par voie neuroendocrine un grand nombre de fonctions importantes de l’organisme. C’est le cas de la croissance, de la fertilité et de la reproduction, des fonctions des glandes endocriniennes et du stress. Ces travaux pionniers ont ouvert la voie à des applications innovantes dans de nombreux domaines de la physiologie et de la médecine pour le diagnostic, la pharmacologie et la thérapie, bien au-delà de la découverte initiale et des propriétés de ces molécules. Ces domaines comprennent en particulier la cancérologie, l’immunologie, les problèmes inflammatoires, les addictions et le comportement.

Métadonnées de la traduction
Traduction mise en ligne le :
DOI : 10.5802/crbiol.156-fr
Keywords: Neuroendocrinology, Releasing factors, Hypothalamus, Anterior pituitary, Endorphins
Mots-clés : Neuroendocrinologie, Facteurs hypophysiotropes, Hypothalamus, Adénohypophyse, Endorphines
Licence : CC-BY 4.0
Droits d'auteur : Les auteurs conservent leurs droits
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Texte intégral traduit par :

Roger GUILLEMIN, prix Nobel de Médecine en 1977, s’est éteint à l’âge de 100 ans le 21 février 2024 à San Diego, où il résidait.

Figure 1.

Roger Guillemin à l'Institut Salk en 2017 (Collection personnelle, Bertrand Bloch).

Roger Guillemin, né à Dijon le 11 janvier 1924, étudie au lycée Carnot, puis débute ses études de médecine dans cette même ville en 1943. Toute sa jeunesse a été nourrie par ses racines franc-comtoises du côté de son père. Un arrière-grand-père était maître de forges à Vuillafans ; son père était né à Dole et c’est par l’intermédiaire de la famille doloise que, enfant, adolescent et plus tard étudiant en médecine, il s’est retrouvé très proche de la famille Duvernoy de Besançon. Durant la Seconde Guerre mondiale, il participe à la résistance pendant l’occupation allemande à Besançon, dans le groupe de passeurs fondé par le docteur Maurice Duvernoy. C’est au professeur Maurice Duvernoy, alors directeur de l’École de médecine de Besançon, qu’il doit ses premières leçons d’anatomie. Par un juste retour des choses, les premiers travaux de Roger Guillemin ont inspiré certains des travaux de son fils, Henri Duvernoy sur la vascularisation de l’hypothalamus, de l’hypophyse et du système artériel hypothalamo-hypophysaire, travaux connus dans le monde entier par les spécialistes du domaine.

Figure 2. 

Henri Duvernoy (à gauche) à côté du futur prix Nobel de Médecine Roger Guillemin, lui-même à côté de son mentor Maurice Duvernoy (Collection personnelle Christiane Mougin. Don d’H. Duvernoy).

Très tôt dans sa carrière, Roger Guillemin se passionne pour l'endocrinologie. À la fin de son cursus médical, il rencontre à Paris Hans Selye, pionnier des études sur le stress. Fasciné par sa conférence traitant de l'adaptation du corps au stress, Roger Guillemin quitte la France pour travailler avec lui à l'Université de Montréal. Ses travaux de recherche lui ont permis de défendre d'abord sa thèse de médecine à Lyon, puis son doctorat en 1953 à Montréal. Il a ensuite commencé à travailler pendant plusieurs années au Baylor University College of Medicine (BUCM) à Houston (Texas).

À la fin des années 40, Geoffrey Harris, un des pères de la neuroendocrinologie avait proposé que des substances présentes dans l’hypothalamus pouvaient atteindre l’adénohypophyse par voie sanguine et contrôler la libération d’hormones hypophysaires et en conséquence de nombreuses fonctions de l’organisme, dont le stress. Roger Guillemin, en suivant ces travaux précurseurs du chercheur d’Oxford, va isoler et caractériser ces facteurs et les synthétiser. Ce travail le conduira au prix Nobel. Entre 1960 et 1963, il revient au Collège de France à Paris. Il y développe les prémisses de ses travaux sur l’hypothalamus par la mise au point des premiers bioétalonnages pour caractériser ces substances [1]. Mais selon ses propos, les conditions de travail et les freins administratifs rencontrés en France étaient aux antipodes de sa vision d’une recherche ambitieuse et novatrice telle qu’il souhaitait la développer. Roger Guillemin retourne alors au BUCM à Houston en 1963, en tant qu’enseignant-chercheur en physiologie. Il crée dans son laboratoire les conditions matérielles, techniques et organisationnelles nécessaires à l’isolement de ces molécules.

Figure 3.

Roger Guillemin et son équipe au Salk Institute en 1983 (Collection personnelle, Bertrand Bloch).

Il émet l’hypothèse que ces facteurs sont des petites protéines (des « peptides ») produites par les neurones de l’hypothalamus. Alors même que ses concepts et ses premiers résultats sont fortement contestés par ses pairs et une partie de la communauté scientifique, il développe de manière acharnée des stratégies novatrices pour isoler ces substances, présentes en quantité infime dans le cerveau. C’est ainsi qu’il fait collecter dans les abattoirs plusieurs tonnes de fragments hypothalamiques provenant de millions de moutons. À la fin de l’année 1968, Roger Guillemin et son équipe, dont ses élèves Roger Burgus, Wylie Vale, Catherine et Jean Rivier et Nicholas Ling, obtiennent enfin, à partir de 300 000 hypothalamus de mouton, 1 mg du premier peptide hypothalamique, le TRF. Ce peptide régule la production des hormones thyroïdiennes par l’intermédiaire de l’hypophyse [2]. Avec cette première découverte pionnière, la neuroendocrinologie devient une discipline majeure en biologie et en médecine. La structure de ce peptide est établie en 1969. Simultanément, Andrew Schally et ses collaborateurs, compétiteurs dans la même démarche, identifient le même TRF à partir de fragments hypothalamiques de porc.

À partir de 1970, Roger Guillemin fonde et dirige le Laboratoire de neuroendocrinologie du Salk Institute à San Diego (Californie) et concentre ses recherches sur la purification, l’isolement et la caractérisation du peptide qui stimule la libération des hormones qui agissent sur les gonades. (Gonadolibérine ou GnRH). Il cherche aussi à isoler le peptide qui stimule la production de l’hormone de croissance. Ce sont 15 années de recherches parfois déroutantes, car le premier peptide qu’il découvre est un inhibiteur, la somatostatine ! Et c’est finalement quelques années plus tard que fut isolé le GRF, le peptide activateur de la production de l’hormone de croissance, de manière inattendue, à partir d’une tumeur pancréatique responsable d’acromégalie [3]. Cette dernière découverte a un impact immédiat en clinique, pour le diagnostic ou le traitement de certains nanismes, mais aussi en médecine vétérinaire. Au début des années 1980 , a caractérisation du CRF, la molécule qui stimule la production d’ACTH par Wylie Vale clôt le chapitre de la découverte de ces facteurs hypothalamiques [4].

À la suite de la découverte des enképhalines, ces morphines endogènes, par John Hughes et Hans Kosterlitz en 1975, Roger Guillemin découvre plusieurs autres peptides opioïdes, travail auquel l’un d’entre nous (JR) a participé [5].

Figure 4.

Salk Institute, La Jolla, San Diego (Collection personnelle, C. Mougin).

Figure 5

Neurones de l’hypothalamus producteurs de peptides détectés par immunohistochimie (Documents Bertrand Bloch).

Roger Guillemin a donc contribué de façon décisive à la compréhension des mécanismes qui contrôlent les sécrétions de l’hypophyse et du système endocrinien par le cerveau. Les conséquences de ses découvertes débordent rapidement le cadre de la neuroendocrinologie et intéressent en particulier toute la physiologie et la pathologie endocrinienne, le contrôle de la fertilité (contraception, procréation médicalement assistée), la pathologie tumorale et inflammatoire, la régulation des troubles de l’humeur et la psychiatrie et bien évidemment la pharmacologie [6]. Elle trouve aussi de nombreuses applications dans le domaine vétérinaire, ce qu’il aimait à rappeler.

Ses travaux ont donc conduit à l’attribution par ses pairs du prix Nobel de physiologie ou médecine en 1977, qu’il a partagé avec Andrew Schally et Rosalyn Yalow. Roger Guillemin a aussi reçu les plus grands honneurs internationaux. Il fut élu membre de l’Académie des Sciences américaine en 1974 et membre de l’Académie des Arts et des Sciences en 1976 ; en France, il est nommé en 1984 membre associé étranger de l’Académie des sciences. Ses travaux de recherche ont été couronnés par de nombreux autres prix et distinctions honorifiques. Il était commandeur de la Légion d’honneur. Plusieurs universités ont conféré au Pr Roger Guillemin le titre de docteur honoris causa, dont l’Université de Bourgogne (le 4 novembre 1978) et l’Université de Franche-Comté (le 20 novembre 1998).

Roger Guillemin a formé des dizaines d’élèves et collaborateurs de par le monde ; tous ceux qui le connaissent ont été impressionnés par ses qualités : un esprit ingénieux allié à une rigueur scientifique, une sérénité qui n’enlevait rien à son autorité reconnue par ses élèves et ses pairs. Nous avons eu chacun le privilège de travailler à ses côtés à la fin des années 1970 et au début des années 1980, comme plusieurs chercheurs venus de France au sein de ce paradis des sciences qu’est le Salk Institute. Son laboratoire était une ruche de citoyens du monde où travaillaient côte à côte de jeunes chercheurs et des scientifiques aguerris de toutes origines. L’exigence scientifique de Roger Guillemin allait de pair avec une générosité et une bienveillance qui permettaient toutes les audaces. Au-delà de ce magistère, Roger Guillemin était très attaché à l’idée d’une science sans frontières idéologiques ou géographiques ; il s’est engagé à de nombreuses reprises pour faire valoir avec de nombreux autres chercheurs et médecins cette vision humaniste de la science, ouverte sur le monde et ancrée dans les besoins de nos sociétés. En témoignent les nombreuses relations personnelles tissées avec des scientifiques et médecins du monde entier, y compris en France, durant toute sa vie. À titre d’exemple, rappelons entre autres ses liens profonds d’amitié et de science avec le Pr Etienne Emile Baulieu, inventeur et promoteur du RU486, la pilule du lendemain, et des neurostéroïdes. Bien au-delà des découvertes scientifiques et des frontières, son rayonnement personnel et l’expérience acquise ont permis à chacun de ses élèves et collaborateurs de créer des amitiés indéfectibles et de promouvoir les valeurs qu’il défendait.

Figure 6.

Roger Guillemin lors de la cérémonie « Honoris causa » à l'Université de Franche-Comté avec Henry Duvernoy (à sa gauche), Bertrand Bloch et Christiane Mougin (à sa droite) (Collection personnelle, Christiane Mougin).

Roger Guillemin était aussi un esthète élégant, très fin œnologue, un artiste et un passionné d’art novateur. Il peignait sur écran grâce à son ordinateur et à des logiciels courants. Nul ne sait quel peintre il serait devenu, s’il n’avait décidé de se consacrer complètement à la science.

Selon ses propos, il a pris conscience que la démarche menant à la création de chacune de ses « computer paintings », comme il les appelait, n’est pas très différente du processus intellectuel de la recherche menée en laboratoire concernant un fait scientifique ou un concept. Il y a toutefois, selon lui, une différence majeure entre la démarche d’un scientifique et celle d’un artiste : « il y a des règles et des lois auxquelles le scientifique ne peut échapper : les lois de la gravité, le fait que telle séquence d’ADN code telle protéine et pas une autre, que l’or fond à telle température et pas une autre, etc., alors que la règle pour l’artiste contemporain est justement qu’il n’y a pas de règles. C’est vraisemblablement un niveau supérieur de ce que les neurosciences et les sciences cognitives nomment qualia ». Par ailleurs ses collections de sculptures et poteries d’origine précolombienne en provenance du Mexique et de Papouasie Nouvelle-Guinée, sa proximité avec de nombreux artistes, dont Nikki de Saint Phalle, illustrent son goût raffiné pour l’art. De cette passion pour l’art, ses six enfants en sont les témoins : un fils sculpteur à Princeton, une fille galeriste, une autre danseuse… sans oublier son épouse, Lucienne Guillemin, une pianiste talentueuse, une artiste peintre accomplie, décédée en 2021 à l’âge de 100 ans. Avec sa famille, Roger Guillemin a toujours aimé se retrouver dans sa ferme que la nature a dotée d’un site exceptionnel, à Truchas, au Nouveau-Mexique, loin de toute urbanisation ; ce havre de paix a sans cesse été un lieu de réflexion et de travail pour lui.

Figure 7.

Exposition de Computer paintings de Roger Guillemin à Milan (1991) (Collection personnelle, Bertrand Bloch).

Déclaration d' intérêt

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas d'actions ou ne reçoivent pas de fonds de toute organisation qui pourrait bénéficier de cet article, et n'ont déclaré aucune affiliation autre que leurs organismes de recherche.


Bibliographie

[1] R. Courrier; A. Colonge; E. Sakiz; R. Guillemin; M. Jutisz Presence in a saline extract of hypothalamus of an rsh type follicle-stimulating activity, C. R. Hebd. Seances Acad. Sci., Volume 257 (1963), pp. 1206-1210 ([Article in French])

[2] R. Burgus; T. F. Dunn; D. Desiderio; R. Guillemin Molecular structure of the hypothalamic hypophysiotropic TRF factor of ovine origin: mass spectrometry demonstration of the PCA-His-Pro-NH2 sequence, C. R. Acad. Hebd. Seances Acad. Sci. D, Volume 269 (1969), pp. 1870-1873 ([Article in French])

[3] R. Guillemin; P. Brazeau; P. Böhlen; F. Esch; N. Ling; W. B. Wehrenberg; B. Bloch; C. Mougin; F. Zeytin; A. Baird Somatocrinin, the growth hormone releasing factor, Recent Prog. Horm. Res., Volume 40 (1984), pp. 233-299 | DOI

[4] R. Guillemin Neuroendocrinology: a short historical review, Ann. N. Y. Acad. Sci., Volume 1220 (2011), pp. 1-5 | DOI

[5] J. Rossier; Q. Pittman; F. Bloom; R. Guillemin Distribution of opioid peptides in the pituitary: a new hypothalamic-pars nervosa enkephalinergic pathway, Fed. Proc., Volume 39 (1980), pp. 2555-2560

[6] R. Guillemin Neuroendocrine basis of human disease, Ann. N. Y. Acad. Sci., Volume 1038 (2004), pp. 131-137 | DOI


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