L'histoire récente du climat (IIe millénaire apr. J.-C.) est fondée sur de nombreuses données ; du côté des sciences exactes, elles font de l'historien climatologique un homme orchestre : données glaciaires, événementielles, et thermométriques, bien sûr, dès la fin du XVIIe siècle. On se bornera dans cet article aux dates de vendanges. Celles-ci sont fort influencées par les températures du printemps et de l'été, de mars à septembre et, plus précisément d'avril à août, en particulier mai–juin, spécifiquement depuis la date de débourrage de la vigne, au mois de mars ou avril selon que l'année est précoce ou tardive dans la région parisienne, jusqu'à fin août principalement. Printemps–été chaud, vendanges précoces – on l'a bien vu en 2003, avec des vendanges au 30 août, au 31 août, ou même avant. Vice versa, printemps–été frais : vendanges tardives, ainsi que l'indiquent les études récentes de Pascal Yiou, du laboratoire du CNRS de Gif-sur-Yvette [1], et les graphiques (Fig. 1) de J.-P. Legrand [2], sur lesquels on relève les dates de vendanges à Argenteuil et les températures de l'observatoire du parc de Montsouris et celles de l'Observatoire de Paris, printemps–étés ; quand ces températures tendent vers froid ou fraîcheur, les vendanges, de ce fait tardives, se situent en bas de la courbe (par exemple, 1816, l'année sans été, en raison de l'éruption en 1815 du volcan indonésien de Tambora, d'où des vendanges ultra-tardives) ; en revanche, les printemps–étés doux et tièdes, ou chauds, ainsi que les vendanges précoces, c'est logique, sont en haut du graphique : par exemple, 1811 et 1846, année ultra-chaude et sèche, avec échaudage destructif à l'encontre des récoltes céréalières et, en conséquence, maintes répercussions négatives via une grosse crise économique en 1846–1847, contribuant même au déclenchement de la Révolution des mécontents de février 1848, mais ceci est une autre histoire. L'attiédissement contemporain du XXe siècle (compte tenu partiellement d'un certain réchauffement d'origine urbaine parisienne, certes) pourrait bien être visible sur ce graphe à partir de 1930 environ. Notons aussi les étés chauds de 1943, et surtout 1945 et 1947, mais ce n'est pas le sujet de cet article, qui concerne des périodes plus anciennes.
Les corrélations positives entre dates de vendanges et températures de mars à septembre peuvent aller jusqu'à 0,86 pour le XIXe siècle français ; Yiou [3] trouve également des corrélations positives, dans le sens indiqué : entre chaleur et précocité, et vice versa (voir aussi les courbes genevoises [4], Fig. 2).
Sur la Fig. 3 sont représentées les dates de vendanges bourguignonnes, centrées sur Dijon, mais pas seulement : soit de 1372 à 1500, d'après Henri Dubois (sa thèse sur les vignerons de Bourgogne) [5] et d'après les travaux plus anciens de M. Lavalle, sur la vigne en Côte-d'Or [6]. Le calendrier est grégorien – en d'autres termes, la correction grégorienne a été faite. En considérant d'abord trois cas extrêmes, une vendange très précoce (1420) ; une autre également très précoce (1473) ; une vendange très tardive (1481) ; l'année 1420 est très peu différente de 2003 : une vendange très précoce en effet, le 30 août, en grégorien. Chaleur dès février, été dès le mois de mars, vigne fleurie deux semaines avant la date vendémiologique de 1893, qui sera plus tard une année très chaude. Donc pour l'an 1420, un mois d'avance sur les moyennes thermiques ; tous les mois de février à août y sont de 2 à 3 °C plus chauds que la moyenne entre 1901 et 1960. C'est aussi, hors climat cette fois, une mauvaise période politico-militaire : Isabeau de Bavière, la guerre de Cent Ans, etc. Pour cette raison, les néfastes conséquences du climat de l'année sont compliquées par les guerres ; il y a en tout cas, en 1420, échaudage–sécheresse, beaucoup de chaleur, peu de pluies. La chaleur n'est pas nécessairement dangereuse pour le blé, puisque le blé est un citoyen venu du Moyen-Orient, un immigré sans-papiers, mais qui reste amateur du climat chaud et sec de son lieu de naissance. Ne fut-il pas sélectionné (vers 8200 ans avant notre ère) sur l'actuelle frontière syrienne–turque, aux abords de la Méditerranée ? Et pourtant, à ce froment, fût-il amateur de chaude sécheresse, il lui faut quand même un petit minimum d'humidité. Or, 1420 est vraiment trop sec, et du coup la récolte de blé est assez endommagée. Dès le mois de décembre, on manque de pain à Noël en saison maintenant hivernale et froide, ce qui donne des textes assez tragiques : « À Paris, vous entendiez les lamentations des petits enfants qui criaient “Je meurs de faim” » ; et sur les fumiers, parce que, sur le fumier, on a chaud, à Noël, et donc à Paris en décembre 1420, post-moisson, vous pouviez trouver sur ces fumiers « dix, vingt, trente enfants, fils et filles, qui là mouraient de faim et de froid, et n'était cœur si dur qui de nuit ne les entendait crier : “Hélas je meurs de faim”, qui grande pitié n'en eut ; mais on ne pouvait les aider car on n'avait ni pain, ni blé, ni bûche, ni sarment » [7].
L'an 1420 fait partie, sur le mode extrême, du « coin de ciel bleu » relativement aux étés presque tous précoces, chauds ou tièdes qui courent en termes de vendanges (effectivement précoces) de 1415 à 1435, mais là, pour le coup, 1420 fut vraiment un peu trop chaud et surtout ultra sec : quasi-aride ! Par ailleurs, le « coin de ciel bleu » en question fut accompagné et brièvement suivi par un recul consécutif des glaciers alpins, sous l'impact d'une ablation des glaces logiquement accrue... comme il sera montré plus loin.
1473, printemps–été très chaud aussi ; sur le graphique, vendanges précoces (30 août) ; mais bonne moisson, car il y eut un peu de pluie ; néanmoins, les anneaux des arbres, pour cette année-là, sont très durs et dépourvus d'eau en fin de parcours, parce que c'est quand même une année fort sèche, à tout le moins au terme de l'été.
En revanche, 1481, hiver froid ; printemps, été et automne frais–humides, trop frais, trop humides, trop pluvieux, grosse famine ; là il y a vraiment excès... le blé, encore une fois, venu du Moyen-Orient, souffre, il apprécie la chaleur, la sécheresse, s'il n'y en a pas trop, mais il n'aime pas l'excès de pluie ; ni même l'excès de froid quand vraiment excessif ; adoncques il y a famine depuis juillet 81, depuis la moisson 1481, jusqu'à la nouvelle récolte qui sera meilleure, elle, celle de l'été 1482 ; Louis XI essaie de faire quelque chose au début de 1482, pour aider le commerce du blé, pour nourrir les gens, alors que Louis X le Hutin, lors de la grande famine de 1315, n'avait rien fait du tout, mais l'État n'existait pas vraiment à cette époque, alors qu'il commence à se manifester comme tel sous Louis XI. L'an 1481, c'est une famine due à l'hiver trop froid, puis due aux printemps et été 1481 pourris, pluvieux ; il y en aura du reste bien d'autres, et l'on aimerait pouvoir citer intégralement, à ce propos, le poème de Baudelaire :
« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un cou
vercle,
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et de longs corbillards [c'est la mortalité]
sans tambours ni musique, etc. »
On voit bien sur la Fig. 4, en moyennes mobiles, le coin de ciel bleu (1415–1435) au XVe siècle ; il correspond, par ailleurs, au recul modéré des glaciers alpins, qui sera constaté à peine un peu plus tard, vers 1450, et qu'a étudié notamment M. Holzhauser [8], excellent glaciologue de Zurich. L'école de Berne, avec Pfister [9] et Luterbacher [10,11] et aussi l'école de Zurich, ont beaucoup fait pour notre connaissance du climat passé.
Ensuite on arrive à une sorte de beau XVIe siècle...
Donc :
- – 1491–1495, vendanges précoces, beaux étés, belles moissons ; les gerbes sèchent bien sur le champ ;
- – 1516, été très chaud, mais là il y a dû avoir échaudage : hausse des prix du blé ; 1524, vendanges précoces ; là aussi, hausse des prix du blé, probablement vendanges abîmées par la sécheresse – c'est le chaud XVIe siècle, de 1500 à 1560, avant la grande poussée glaciaire des années 1560–1600, cette chaleur est dans l'ensemble plutôt favorable aux moissons et à l'agriculture, mais il y a quand même quelques inconvénients quand le temps est trop sec : ainsi les années 1516 et 1524 (voir ci-dessus) ; qui plus est, fin mai 1524, un incendie massif de 1500 maisons et cinq églises est survenu dans la ville de Troyes, en Champagne. Chaleur sèche bien sûr, poutres desséchées ;
- – 1536–1545, série assez alternative de printemps–étés chauds, qui fait elle aussi partie du beau et chaud XVIe siècle. L'année 1540, en particulier, formidablement xérothermique, même à Salins dans le Jura, où les vendanges sont très tardives d'habitude – c'est un peu la montagne – ; or il y a une vendange le 6 septembre 1540. Les huit mois de mars à octobre 1540 sont tous chauds et secs, on pense à l'été de 1947, les rivières et les fleuves sont traversés à pied, y compris le Rhin ; le vin du millésime 1540 est tellement chargé de sucre, lui-même mûri par l'éclatante chaleur solaire, qu'il se transforme en quasi-apéritif, du genre sherry, dont les bouteilles se vendront à prix d'or jusqu'au XIXe siècle. En juin 1540, c'est évidemment l'anticyclone des Açores qui en est responsable. Le blé 1540 n'a pas du tout souffert ; on a dû profiter de quelques pluies, et le prix du blé reste très stable. C'était de la bonne chaleur, c'était du bon été à la Breughel. Cet été s'est étendu jusqu'à l'Europe orientale ;
- – 1538 et 1544, étés chauds également, avec cette fois des phénomènes d'échaudage du blé et des disettes ;
- – 1556, aussi, grosses chaleurs, cherté du blé, échaudage et sécheresse, incendies de forêts en Normandie, disettes et épidémies corrélatives, ou collatérales, comme on dit maintenant ; grosse exportation de vin et de sel par le port de Nantes, car le soleil évidemment est favorable, peut-être pas au blé, il y a trop de calories sèches et torrides, mais cette canicule 1556 stimule la vigne, plante qui aime les ardeurs du soleil : d'où la qualité du vin, sinon la quantité ; stimulation de l'évaporation productrice de sel dans les marais salants de Charente.
Puis, à partir de 1560–1565 environ [12,13], ce sera la poussée du petit âge glaciaire, qu'on voit bien sur le grand graphique multiséculaire (Fig. 5), avec un paquet de vendanges tardives ; signalons, entre autres, la grande fraîcheur des années 1591 à 1597 (la décennie 1590), avec la disette de 1596–1597, la mauvaise récolte de 1596, en France, en Bretagne, en Angleterre ; les Anglais l'ont bien remarqué, puisque quelqu'un a dit dans ce pays : « Le ciel pleure comme un veau » ; des grosses pluies, des étés pourris, et Shakespeare, dans Le Songe d'une nuit d'été, a évoqué cela : « brouillards contagieux, rivières orgueilleuses et gonflées, le blé a pourri, épizootie, le dessin des jeux de marelle est maculé de boue, l'herbe folle efface les lacis de ce labyrinthe abandonné, la lune est pâle de fureur, elle détrempe l'air à tel point que fleurissent les rhumatismes ; inversions de température : les saisons sont altérées, les gelées couvertes de poils blancs piquent du nez dans le frais giron des roses cramoisies ». De tout cela, c'est nous qui sommes responsables ; ce n'est pas encore l'imputation au Politique (2003) ; c'est l'imputation au péché des hommes. Peut-être dirait-on, dans le monde actuel, imputation au CO2, mais ce serait un tout autre problème.
En évoquant la fin du XVIe siècle, notons aussi, sans insister sur ce point, le rapprochement que les chercheurs allemands et autrichiens [9,10] ont fait, au sujet de cette décennie 1590, avec la grosse baisse de la production du vin en raison des saisons froides, des gelées, années très tardives de 1586 ou 1587 à 1597... Le vin étant devenu plus rare à la suite de récoltes beaucoup moins abondantes, en raison d'une fluctuation météo fraîche–humide–gélive–pourrie, ce même vin étant (de ce fait) fort renchéri, il y a eu passage à la consommation de bière, laquelle était nettement meilleur marché.
Et puis, de même, la multiplication, surtout dans ces années 1590, des procès de sorcières, accusées de détraquer le temps, de fabriquer de la grêle, de la tempête, etc. Mais là, les corrélations seraient nettement plus délicates à établir.
Il y a aussi les années 1648, 1649, 1650, voire 1651, années de printemps et étés très frais, qui correspondent aux fortes précipitations printanières–estivales et à des récoltes diminuées du fait de cet excès de pluie, comme on peut le voir au travers de diverses sources. Cela coïncide en France avec les années de Fronde, en Angleterre avec des épisodes de la révolution britannique, et en Hollande avec tel ou tel petit événement contestataire également. En fait, bien entendu, ces événements politiques ont leur logique propre et ne sont point a priori déterminés par le climat. Mais les difficultés de subsistance dues à ces trois années pluvieuses ont certainement augmenté les prix des grains et accru le mécontentement du peuple frondeur ; elles ont déstabilisé Anne d'Autriche et Mazarin, et fragilisé plus encore le trône du petit Louis XIV, roi qui par ailleurs deviendra grand... et saura fort bien s'en sortir.
Permettez-moi aussi, dans cette lignée de la Fronde, de parler encore des fraîcheurs, des vendanges tardives ; voyez le haut du graphique, 1648–1649–1650, déjà mentionné à l'instant, mais aussi 1675, 1725, 1740, 1816.
1675 d'abord : grosse dépression dès le mois de juin sur l'Angleterre. Vendanges le 30 octobre en Gironde ; quasiment des vendanges de Toussaint ; voici les lettres de Madame de Sévigné du 28 juin, du 3 juillet, du 24 juillet 75 ; « il fait un froid horrible, nous nous chauffons, et vous aussi », le 28 juin : « nous avons eu un froid étrange, mais j'admire bien le vôtre », c'est ce qu'elle écrit de Bretagne à destination de la Provence. Et encore le 24 juillet, de retour à Paris, elle écrit à sa fille : « vous avez donc toujours votre bise, ô ma bonne, qu'elle est ennuyeuse, nous avons chaud nous autres, quand la Provence continue à avoir froid ». De fait, on a sorti en procession la châsse de sainte Geneviève ; faut-il mettre en cause des éruptions volcaniques, génératrices de poussières ? La marquise croit en tout cas que « le procédé du soleil et des saisons est changé », et il est possible qu'elle ait obtenu à ce sujet des informations de la part de l'Observatoire de Paris, où l'on avait remarqué la rareté des taches solaires depuis 1645, rareté qui durera jusqu'en 1715, et ce sera le fameux « minimum de Maunder ».
1725, c'est un été extrêmement froid, indice 1 : extremely cool, c'est-à-dire le minimum sur l'échelle de Van Engelen ; du mauvais vin – en effet c'est plutôt un désastre viticole – ; la France, la Suisse et l'Autriche sont entièrement placées sous la trajectoire des perturbations venues de l'ouest. La moisson, sans cesse interrompue à cause des pluies, dure six semaines ; de ce fait, il y a certainement un déficit des céréales, notamment en Normandie, mais ce n'est pas une vraie famine ; on s'en sort, il y a quand même des régions qui ont des récoltes de blé convenables en 1725, on importe du blé d'Angleterre, où apparemment l'agriculture est plus efficace. Les gens ne meurent plus de faim (il y a eu des progrès agricoles, commerciaux et autres), mais ils « contestent », et jusque dans la rue...
C'est aussi le début de griefs très graves contre le gouvernement royal, qui pourtant fait ce qu'il peut, c'est l'accusation du « complot de famine ». On reproche à ce même gouvernement de constituer des stocks de blé pour les revendre au profit du roi, ce qui est tout à fait tendancieux. En fait, des stocks gouvernementaux sont réellement mis en place, mais c'est pour parer à la famine éventuelle.
1740, une année très froide, aux quatre saisons, hiver, printemps, été, automne ; froidures puis fraîcheur ; anticyclone sibérien d'hiver, puis année cyclonique et dépressionnaire, perturbations, pluies importantes ; récoltes des céréales, et en général les autres récoltes très compromises, et même la plus forte inondation de la Seine connue au XVIIIe siècle, en décembre 1740. Voici, par exemple, le texte d'un ecclésiastique du collège de La Flèche : « l'hiver de 1739–1740 dura depuis les Rois (la fête des Rois) en janvier jusqu'au 8 mars 40 sans cesser de geler, et se fit encore sentir jusqu'à la fin du mois de mai, de sorte qu'on ne voyait pas d'espérance pour les blés ; la récolte se releva cependant par des pluies douces, mais lorsqu'on se flattait d'abondance, la continuation de la pluie la fit perdre. » Telle est la crise de subsistance assez grave de 1740, d'où est venue, semble-t-il, l'expression « je m'en fous comme de l'an 40 ». Sous le coup des crises de subsistance et des épidémies collatérales, la mortalité européenne, qui est à l'indice 100 de 1735 à 1744, est à l'indice 115 en 1740, et 115 encore en 1741 : +15 %. Et puis, continuation de ces morts par épidémies « collatérales », indice mortel 117 en 1742, etc.
Et l'on arrive enfin à 1816, l'année la plus froide de toute la série, vous en connaissez la cause concevable : l'année sans été de 1816 serait due à l'explosion indonésienne du volcan de Tambora, en 1815, qui détruisit à moitié le mont Tambora, lequel était presque aussi haut que le mont Blanc, couvrant la planète d'un voile de poussières, causant de ce fait de très mauvaises récoltes en 1816 (année sans été), engendrant de la sorte une crise de subsistances au cours de l'année post-récolte 1816–1817, avec une mortalité non négligeable. Mais enfin, ce ne sont plus les grandes famines du temps de Louis XIV. Disette plutôt... C'est aussi l'époque où Mary Shelley, âgée de 19 ans, enfermée par l'interminable pluie d'été dans un chalet près du lac de Genève, enclose avec Byron et Shelley, accouche, si l'on peut dire, du monstre le plus épouvantable qui soit jamais sorti de l'imagination d'une jeune femme : Frankenstein.
Mais revenons à nos années de canicule plus ou moins forte, puisque c'est aussi notre sujet.
Notons les années très chaudes de la décennie 1680, notamment 1684–1686 ; le prix du blé est bas, il y a d'excellentes moissons, comme l'a montré Marcel Lachiver [14]. Et Louis XIV a le vent en poupe, en pleine période de paix, de bonnes récoltes : le blé n'est pas cher. L'État français ayant ainsi de grands moyens financiers, Louis en profite, ce qui n'est pas glorieux, pour promulguer la révocation de l'édit de Nantes en 1685, et surtout pour imposer la paix de Ratisbonne, qui fait de lui, momentanément, le maître de l'Europe.
En 1704–1706, après les mauvaises années froides de la décennie 1690, nous avons quelques années très chaudes, brûlantes même, précisément 1704 et 1706, avec des vendanges précoces et des épisodes brûlants à 40 °C, en particulier en Languedoc, y compris en 1705. Excellent vin, incendies de forêts en Alsace et puis grosse épidémie de dysenterie, surtout en 1706, toujours provoquée par la baisse des nappes phréatiques, l'assèchement partiel des rivières et la consommation d'eau polluée par les plus pauvres, les riches pouvant toujours boire du vin ; à l'échelle française, on compte 414 000 morts supplémentaires en trois ans (1705, 1706, 1707) dont 84 000 dans les quatre départements les plus victimaires, ceux du Maine-et-Loire, de la Mayenne, de la Sarthe et de la Vienne, la dysenterie étant responsable d'une grosse partie d'entre elles ; nous retrouvons là une structure thermique qu'on va rencontrer derechef lors des chaleurs de 2003. C'est la vulnérabilité du Val de Loire, peut-être une extension septentrionale extrême d'un cœur d'anticyclone des Açores qui intervient sur ces régions lors des années de forte canicule. Évidemment, c'est encore plus vrai pour 1718–1719 ; ce biennat fait partie du reste d'un cycle de réchauffement estival de la première moitié du XVIIIe siècle [11] mais, en ces années très chaudes, 1718 surtout, 1719 encore assez chaud, on assiste à une très grosse poussée de dysenterie : 450 000 morts supplémentaires, non pas des vieillards comme en 2003, mais de très nombreux enfants. Comme toujours, c'est le Val de Loire, plutôt le Nord de la France, plus affecté que le Sud ; j'ai donc l'impression qu'on est là en présence d'une structure géographique très importante, puisqu'elle se retrouvera en 2003 ; lorsqu'il y a menace de canicule d'été, il faut, selon F. Lebrun [15], faire très attention dans ces départements limitrophes du Val de Loire, au nord et également au sud du fleuve : ils ont été affectés aussi bien en 1706 qu'en 1719, 1779 et 2003.
1726–1728, ou plutôt 1724–1728, en dépit de l'exception de 1725, très belles années chaudes aussi : cela fait partie du réchauffement des étés du XVIIIe siècle, ainsi que le note Luterbacher [11], avec surproduction viticole très nette en 1726–1728, et encore pendant la décennie 1730 : on a là deux décennies chaudes et ardentes (les années 1720 et 1730) ; on voit cela aussi sur notre courbe, à partir de moyennes mobiles. Tout cela, encore une fois, appartient à cet attiédissement du XVIIIe siècle, qui va largement au-delà, de 1720 à 1779, décrit récemment par ce chercheur suisse.
Nous avons ensuite la jolie période 1759–1762 : étés chauds, de bonnes moissons, des baisses du prix du blé ; du coup, Choiseul croit possible, surtout quand la guerre de Sept Ans est terminée, de libérer le commerce du grain (1764), de créer un commerce libre, avec le laisser-faire. Malheureusement la belle série d'étés chauds 1759–1764 s'interrompt tout à fait vers 1770, comme on peut le voir sur notre graphique général, en haut et même en bas. On fut alors obligé d'abroger cette mesure libératoire, parce que, après tout, dès qu'il y a pénurie, il faut restreindre les libertés frumentaires : d'où les tickets de pain de 1914–1918 et 1940–1945, etc.
On a ensuite les quatre étés chauds (1778–1781) avec une « superbe » crise de surproduction viticole, prolongée même jusque vers 1784, mais c'est surtout, de 1778 à 1781, l'écroulement des prix du vin par surproduction de cette boisson. Ernest Labrousse [16], le maître de l'auteur de ces lignes, a fait sa grande thèse là-dessus, il a appelé cela la « crise économique prérévolutionnaire » ; nous croyons que c'est surtout une très grosse crise de surproduction viticole, avec, au titre de ces chaleurs, l'année 1779 : printemps et été chaud, et une forte mortalité par dysenterie caniculaire (moins forte quand même qu'en 1706 et 1719), puisque les conditions sanitaires et alimentaires se seront un peu améliorées à la fin du règne de Louis XVI. On a, malgré tout, selon la façon de compter, disons au moins 160 000 morts supplémentaires en 1779, peut-être davantage, en grande partie par dysenterie.
Autre canicule, 1788, cette fois-ci, c'est un épisode politique ; ça n'est pas qu'une canicule. C'est même complexe ; automne 1787 pourri, des semailles très compromises, cela prépare une mauvaise récolte ; hiver, début du printemps, ça va. Peut-être printemps froid, il faudrait voir... Et puis, surtout, fin de printemps, début d'été très chaud, échaudage des grains. Là-dessus, une situation météorologique qui produit la grêle du 13 juillet 1788, comme on peut le lire dans le numéro de mai 2004 de la revue Le Débat, et puis l'échaudage du blé suivi de vendanges précoces, sans aucun doute, ainsi qu'on peut le voir sur la Fig. 5. Il faudrait voir les situations météorologiques sur un fond anticyclonique, une irruption (dans celui-ci) de basses pressions, d'air froid qui provoquent la grêle. Enfin des tempêtes, des orages, des pluies en août, si bien que la récolte est mauvaise, sans être désastreuse : ce n'est pas une famine, car le temps louis-quatorzien des grosses et terribles disettes est passé.
Mais les prix du blé montent quand même très fort ; le 14 juillet 1789, c'est le bilan final de la mauvaise récolte de 1788 avant la moisson suivante d'août 1789 ; donc, le 14 juillet 1789, ce sont les prix du blé les plus élevés du XVIIIe siècle – il est vrai qu'ils avaient monté pendant tout le Siècle des lumières. Et puis, on a connu les émeutes de subsistance, fin 1788, première moitié de 1789, un peu dans toute la France, qui font que les États généraux se préparent dans un très mauvais climat. Malheureux Louis XVI ! C'est un peu l'infratexte des agitations de 1788–1789.
En 1794, coup d'échaudage aussi, en particulier les blés de printemps souffrent. La situation n'est pas facile par ailleurs, c'est la Terreur, la guerre, et on a donc une disette assez forte, due à la mauvaise récolte de 1794... Donc un peu de mortalité, et surtout la grande révolte du printemps 1795, quand les greniers sont vides ; c'est l'émeute de Prairial, durement réprimée par la Convention thermidorienne, et qui, on peut le dire, met fin à la phase violente de « gauche » des grandes années authentiquement révolutionnaires (celles-ci allant de juillet 1789 à « prairial » 1795). On pourrait donc considérer, en simplifiant les choses, que le détonateur qu'est la canicule (1788) a donné un coup de pouce aux débuts de la Révolution, déjà violente du reste, enfin révolution des droits de l'homme quand même, 1788–1789, et qu'une autre canicule, en 1794, a contribué sotto voce au tournant final. Par la suite, la Révolution va se traîner, puis s'effacer, Directoire, puis Bonaparte.
1811 : c'est l'année de la Comète, mais ce n'est point cet astre qui compte, c'est surtout une année très précoce, comme on peut le voir, avec des vins du reste excellents, les fameux « vins de la Comète », flanqués d'une mauvaise moisson échaudée, avec des émeutes un peu partout. La police de Fouché étant bien faite, il n'y a pas de nouvelle révolution à craindre dans cette conjoncture, si fâcheuse fût-elle.
1816, été pourri post-Tambora, déjà rencontré.
Enfin, 1846, sous Louis-Philippe plus libéral, là aussi une année de canicule, six ou sept mois très secs entre février et l'été ; une mauvaise récolte, pas de mortalité bien forte, mais des prix du blé très relevés par la mauvaise moisson de 1846 ; le pouvoir d'achat se reporte sur le pain ; le textile souffre ; on a la crise économique de 1847, qui se répercute jusque sur la fin de 1847, et le détonateur climatique est l'une des causes – il y en a bien d'autres – de la révolution de février 1848, qui s'étendra, du reste, à l'échelle ouest-européenne. Ajoutons la maladie de la pomme de terre en Irlande, (un million de morts), peut-être provoquée par une année 1845 très pourrie et pluvieuse.
On terminera sur 1865–1868, quelques belles années chaudes, qui sont vraisemblablement à l'origine du recul très important des glaciers alpins, lequel commence à se manifester à partir effectivement d'étés chauds autour de 1860.
Notez aussi, sur la Fig. 5D, les corrélations avec les températures d'avril à septembre.
Enfin, il y a là une moyenne mobile de cent ans, qui permet d'éliminer le retard séculaire des vendanges, dû lui même au fait que les vignerons veulent faire du meilleur vin et qu'ils vendangent ainsi de plus en plus tard, notamment au XVIIIe siècle ; il est certes difficile de séparer le facteur humain du facteur climatique, mais enfin, en gros, au XVIIIe, les viticulteurs font vraiment un effort pour vendanger tard, afin d'obtenir un vin de qualité quelque peu supérieure. La moyenne mobile de cent ans élimine, semble-t-il, ce facteur proprement humain, ou du moins le réduit : on détecte ainsi le beau XVIe siècle, avec pas mal d'étés chauds jusqu'en 1560, ou un peu après ; il y a ensuite un retour du petit âge glaciaire, la poussée glaciaire alpine préparée par les années tardives de 1560 à 1600, grosso modo ; c'est ce qui est en grisé, le tardif, le froid. Ensuite, on retrouve les belles années Colbert, les années 1662–1671, avec des prix du blé très bas, des étés chauds ; ultérieurement, les belles années 1680, dont il a été question plus haut, au temps de la révocation de l'édit de Nantes et de la paix de Ratisbonne ; et puis les très dures années 1687–1701 ou 1702, les années froides, avec la famine de 1693 en France, avec, sur deux ans, 1 300 000 décès en plus, l'équivalent des pertes de la guerre de 1914–1918, mais étalées sur deux ans au lieu de quatre ; elles ne frappent évidemment pas seulement les jeunes hommes, comme lors de la tragédie de 1914–1918, elles frappent l'ensemble de la population. Ce sont des famines de pluie (1692–1693), d'automnes pluvieux qui empêchent de labourer en 1692, de préparer les champs, et puis de printemps et d'étés pluvieux également, pas tellement d'hivers froids. Printemps–été pluvieux en 1693, on a quand même une énorme mortalité de faim, mais aussi bien sûr des pertes collatérales dues aux épidémies répandues du fait de la baisse du niveau de vie, de la misère et de la mendicité, celle-ci propageant les épidémies tout au long des routes.
On retrouve plus tard les mauvaises années 1770 dont il a été question, et la nouvelle poussée du petit âge glaciaire entre 1812–1815 et 1860, disons, mais surtout les années froides 1812–1825, avec le volcan de Tambora, encore lui, comme accentuation pour tout cela. Et ensuite la fusion des glaciers alpins, par suite d'étés chauds entre 1860 et 1878, à droite du graphique. Cela dit, le vrai réchauffement contemporain ne commence, d'après Luterbacher [10], qu'à partir de 1902–1903 ; aussi mentionnerai-je à ce propos la surproduction viticole de 1904–1907, par effet de chaleur notamment lors de ces quelques années, effectivement attiédies. Mais ceci nous conduirait vers d'autres horizons, loin du Bassin parisien, en direction des ciels bleus de Languedoc–Provence...