1 Introduction
Les espèces du genre Tephrosia [1] sont réputées posséder des propriétés antiappétantes [2,3] et ichtyotoxiques [4,5]. Leur utilisation en médecine traditionnelle est connue. Plusieurs roténoïdes [6–8] et flavonoïdes [8–10] ont déjà été isolées parmi cette famille.
La présente étude décrit des flavonoïdes isolés de deux espèces récoltées au Sénégal, Tephrosia albifoliolis, espèce nouvelle, et Tephrosia deflexa.
2 Méthodologie
2.1 Matériel végétal
Tephrosia albifoliolis Nongonierma et Sarr [1] et Tephrosia deflexa Baker (Fabaceae) ont été récoltées en décembre 1991 près de la Réserve de la biosphère du Niokolo-Koba au Sénégal.
Les deux espèces ont été identifiées aux spécimens de l'herbier du laboratoire de botanique de l'Institut fondamental de l'Afrique noire–Cheikh-Anta-Diop (IFAN–CAD) de Dakar.
Le matériel végétal fraîchement récolté est séché, broyé et conservé à l'abri de la lumière, de l'humidité et de la chaleur, dans des bocaux hermétiques en verre.
Les parties aériennes de T. deflexa (180 g) et de T. albifoliolis (240 g) sont exhaustivement extraites à l'éthanol au moyen d'un appareillage Soxhlet.
Les extraits sont concentrés et les résidus (13 g et 14,5 g, respectivement) sont dissous dans le mélange EtOH/H2O (10:90) et divisés dans l'hexane et l'acétate d'éthyle.
Les phases « acétate d'éthyle » (1,15 g et 1,4 g, respectivement) sont fractionnées sur colonne RP–HPLC (Waters Symetry® prep C18, 19 × 300 mm, 7 μm, éluée avec un gradient d'acétonitrile de 20 à 40% dans l'eau en 30 min, 12 ml min–1, détection : 330 nm).
Les composés majoritaires sont finalement épurés sur colonne de Sephadex LH-20 (MeOH) pour donner 1 et 2 (à partir de T. deflexa et T. albifoliolis, respectivement) caractérisés par la comparaison de leurs données spectrales (UV, RMN 1H, mono- et bidimensionnelle, RMN 13C) avec celles décrites dans la littérature.
3 Résultats
Le composé 1 est isolé sous forme de poudre jaune; le spectre UV dans le méthanol présente un maximum d'absorption à 259 nm (bande II) et un autre à 359 nm (bande I).
Les données des spectres RMN 1H et 13C (Tableau 1) indiquent que 1 est un flavonoïde diglycosylé. En effet, son spectre RMN 1H (300 MHz dans le DMSO-d6) présente des signaux caractéristiques de protons aromatiques. Les protons à δ 6,38 ppm (1H, d, J = 1,9 Hz) et 6,15 ppm (1H, d, J = 1,9 Hz) couplent en système AX, caractéristique du cycle A des flavonoïdes.
Données RMN 1H et 13C du composé 1
Atome | 1H, δ (ppm), m | J (Hz) | 13C, δ (ppm) | HMBC | Cosy |
2 | 156,7 | ||||
3 | 133,4 | ||||
4 | 177,4 | ||||
5 | 161,3 | ||||
6 | 6,19 (d) | 1,9 | 98,7 | C-10, C-5, C-7 | H-8 |
7 | 164,1 | ||||
8 | 6,38 (d) | 1,9 | 93,7 | C-10, C-9, C-7 | H-6 |
9 | 156,5 | ||||
10 | 104,0 | ||||
1′ | 121,3 | ||||
2′ | 7,52 (d) | 2,2 | 116,4 | C-1′, C-3′, C-4′, C-2 | H-6′ |
3′ | 144,8 | ||||
4′ | 148,4 | ||||
5′ | 6,83 (d) | 9,0 | 115,2 | C-1′, C-3′ | H-6′ |
6′ | 7,53 (dd) | 9,0/2,2 | 121,7 | H-5′, H-2′ | |
1′′ | 5,34 (d) | 7,1 | 102,0 | ||
2′′ | 3,21 (s) | 74,9 | |||
3′′ | 3,30 (s) | 77,4 | |||
4′′ | 3,31 (s) | 70,5 | |||
5′′ | 3,31 (s) | 76,0 | |||
6′′ | 3,70, 3,28 (d) | 9,8 | 69,3 | ||
1′′′ | 4,38 (d) | 1,1 | 101,6 | ||
2′′′ | 3,28 (d) | 70,7 | |||
3′′′ | 3,28 (s) | 70,5 | |||
4′′′ | 3,08 (s) | 71,9 | |||
5′′′ | 3,25 (s) | 68,4 | |||
6′′′ | 0,98 (d) | 17,3 |
Au niveau du cycle B, le signal du proton H-6′ à δ 7,53 ppm est un doublet de doublet (J = 9,0, 2,2 Hz), révélant le couplage en ortho avec le proton H-5′ à δ 6,83 ppm, dont le signal est un doublet (J = 9,0 Hz) et, le couplage en méta avec le proton H-2′ à δ 7,52 ppm (d, J = 2,2 Hz).
La valeur élevée de la constante de couplage observée pour le signal du proton anomérique d'un des sucres centré à δ 5,34 ppm (d, J = 7,1 Hz) suggère que ce sucre est sous la forme β-d-glycopyrannose [11] ; l'autre proton anomérique à δ 4,38 ppm (J = 1,1 Hz) et le méthyle à δ 0,98 ppm (d) indiquent que ce sucre est sous la forme α-l-rhamnopyrannose [11].
Sur le spectre RMN 13C (75 MHz dans MeOH-d4), le blindage du signal du carbone C-3 (δ 133,4 ppm) et le déblindage pour les carbones C-2 (δ 156,7 ppm) et C-4 (δ 177,4 ppm) montrent que C-3 est la position d'attachement des sucres à l'aglycone. Le déplacement en champ faible de C-6′′ à 69,3 ppm indiquerait que le rhamnose est lié en position 6′′ du glucose [12,13].
L'attribution des déplacements chimiques RMN 13C et 1H est favorisée par l'étude du spectre HSQC, puis confirmée par les corrélations lointaines apportées par le spectre HMBC.
Sur le spectre HSQC, on observe les corrélations H-6/C-6, H-8/C-8, H-2′/C-2′, H-6′/C-6′, H-5′/C-5′ pour l'aglycone et H-1′′/C-1′′ et H-1′′′/C-1′′′ pour la partie sucre.
En HMBC, on observe les cascades de corrélations suivantes : (H-2)→(C-1′)→(C-3′)→ (C-4′)→(C-2), (H-5′)→(C-1′)→(C-3′), (H-8)→(C-10)→(C-9)→(C-7), (H-6)→(C-10)→ (C-5)→(C-7).
Toutes ces données permettent d'identifier la structure de 1 à celle de la rutine (quercetine 3-O-α-l-rhamnopyrannosyl (1-6) glucopyrannose) [15].
Le composé 2 isolé sous forme de poudre verte absorbe intensément à 254 nm et à 366 nm, fluorescence en jaune, après pulvérisation du réactif de NEU.
Le spectre RMN 13C (dans le DMSO-d6) (Tableau 2) indique quinze carbones. Le signal à δ 176,2 ppm (C-4) correspond à un groupe carbonyle impliqué dans une liaison hydrogène avec un hydroxyle en γ. Les quatorze autres signaux δ 163,1 ppm (C-7), 160,5 ppm (C-4′), 156,9 (C-2′), 156,8 ppm (C-9), 149,0 (C2), 136,3 (C-3), 131,7 (C-6′), 109,3 ppm (C-1′), 106,8 ppm (C-5), 103,6 ppm (C-10), 103,0 ppm (C-3′), 98,0 ppm (C-6) et 93,4 ppm (C-8) correspondent à des carbones aromatiques de flavonoïdes [14].
Données RMN 1H et 13C du composé 2
Atome | 1H δ (ppm), m | J (Hz) | 13C, δ (ppm) | HMBC | Cosy |
2 | 149,0 | ||||
3 | 136,3 | ||||
4 | 176,2 | ||||
5 | 160,9 | ||||
6 | 6,17 (d) | 1,7 | 98,0 | C-8, C-10 | |
7 | 163,7 | ||||
8 | 6,28 (d) | 1,7 | 93,4 | C-6, C-10, C-9 | |
9 | 156,8 | ||||
10 | 103,6 | ||||
1′ | 109,3 | ||||
2′ | 156,9 | ||||
3′ | 6,38 (d) | 2,1 | 103,0 | C-1′, C-5′ | H-5′ |
4′ | 160,5 | ||||
5′ | 6,33 (dd) | 8,3, 2,1 | 106,8 | C-1′, C-3′, C-6′, C-4′ | H-6′, H-3′ |
6′ | 7,22 (d) | 8,3 | 131,7 | C-2′, C-4′, C-1′ | H-5′ |
5-OH | 12,83 (s) | C-5, C-6, C-10 |
Par ailleurs, l'expression Dept 135 (1H, 300 MHz ; 13C, 75 MHz) indique la présence de cinq méthines.
Sur le spectre RMN 1H, nous notons :
- • la présence d'un signal caractéristique d'un hydroxyle, avec une liaison hydrogène avec une cétone en position γ attribuée à 5-OH des flavonoïdes [15] ;
- • des signaux de protons aromatiques entre 6,17 et 7,22 ppm, dont 4 doublets centrés respectivement à δ 6,28 ppm (1H, d, J = 2 Hz, H-8), δ 6,17 ppm (1H, d, J = 2 Hz, H-6), δ 6,38 ppm (H-3′, J = 2,1 Hz), δ 7,22 ppm (1H, d, J = 8,3 Hz, H-6′) ;
- • un doublet de doublet à δ 6,33 ppm (1H, dd, J = 8 et 2 Hz, H-5′).
L'attribution des déplacements chimiques des protons aromatiques est corroborée par les expériences 1H–1H cosy, 1H–13C HSQC et HMBC.
En cosy 1H–1H, δ H 7,22 ppm (H-6′) est corrélé avec δ H 6,33 ppm (H-5′), qui lui-même corrèle avec δ H 6,38 ppm (H-3′).
Sur le spectre 1H–13C HSQC, δ C 98,0 ppm (C-6) est corrélé avec δ H 6,17 ppm (H-6), δ C 93,4 ppm (C-8) avec δ H 6,28 ppm (H-8), δ C 103,0 ppm avec δ H 6,38 ppm (H-3′), δ C 106,8 ppm (C-5′) avec δ H 6,33 ppm (H-5′) et δ C 131,7 ppm (C-6′) avec δ H 7,22 ppm (H-6′).
L'expérience HMBC montre des corrélations entre δ H 12,83 ppm (5-OH) avec C-5 (δ C 160,9 ppm), C-6 (δ C 98,0 ppm) et C-10 (δ C 103,6 ppm). δ H 7,22 ppm (H-6) corrèle avec C-2′ (δ C 156,9 ppm), C-4′ (δ C 160,5 ppm) et C-1′ (δ C 109,3 ppm). δ H 6,38 ppm (H-3′) est corrélé avec C-4′, C-3′, C-2′ et C-1′ ; δ H 6,33 ppm (H-5′) est corrélé avec C-1′, C-3′ ; δ H 6,28 ppm (H-8) avec C-6, C-9, C-10 et C-4 ; enfin, δ H 6,17 ppm est corrélé avec C-10 et C-8.
Les données spectrales permettent d'identifier la structure de 2 à celle de 3,5,6,2′,4′-pentahydroxyflavone ou morine [16].
4 Conclusion
Deux composés ont été isolés pour la première fois de deux espèces de Tephrosia récoltées au Sénégal : la rutine 1 et la morine 2, extraites respectivement de Tephrosia deflexa et Tephrosia albifoliolis, espèce nouvelle.
Les données de la littérature concernant notamment les spectres RMN sont en parfait accord avec celles observées.
Remerciements
Dr M. Koné voudrait remercier particulièrement le colonel Émile Marinet pour son soutien et ses encouragements constants.