1 Introduction
Callosobruchus maculatus Fab. est le ravageur le plus nuisible des stocks de niébé (Vigna unguiculata L.) en Afrique tropicale. Les dommages peuvent atteindre 100 % en quelques mois [1]. Les paysans africains recourent, depuis les temps anciens, aux végétaux, dont certains organes, tels que les feuilles, les fleurs, les fruits, etc., possèdent des propriétés insectifuges et/ou insecticides.
Les effets néfastes causés par l'utilisation des insecticides de synthèse sur la santé des populations, sur l'environnement et leur coût très élevé obligent les paysans à recourir à nouveau aux techniques traditionnelles de lutte.
Les huiles essentielles extraites de ces plantes aromatiques à propriétés insectifuges et/ou insecticides ont déjà fait l'objet d'importants travaux, notamment ceux de Delobel et Malonga au Congo [2], de Kayitare et Ntezurubanza au Rwanda [3] ou de Kétoh et al. [4] au Togo.
Cette étude qui s'inscrit dans le cadre de la protection du niébé, évalue sur Callosobruchus maculatus l'effet insecticide des huiles essentielles extraites de deux plantes aromatiques de Côte-d'Ivoire : Melaleuca quinquenervia (L.) et Ocimum gratissimum (L.)
2 Matériel et méthodes
2.1 Matériel
2.1.1 Matériel végétal
Les feuilles de Melaleuca quinquenervia et d'Ocimum gratissimum ont été récoltées en zone tropicale humide (la région d'Abidjan). Ces plantes ont été identifiées au Centre national de floristique de l'université d'Abidjan–Cocody.
Les graines de niébé (Vigna unguiculata) utilisées appartiennent à une variété locale appelée « Touba », à tégument rouge, provenant des parcelles expérimentales de notre laboratoire sises à la ferme de l'université d'Abobo-Adjamé. Elles ont servi de substrat de ponte et de développement à C. maculatus.
2.1.2 Matériel animal
Les adultes de C. maculatus sont issus d'une souche d'élevage de masse au laboratoire de zoologie et de biologie animale, à une température de 27,5 ± 0,2 °C environ et à une humidité relative de 80,3 ± 1,6 %. La forme non voilière de l'insecte, à capacité reproductrice plus importante, a été utilisée.
2.2 Méthodes
2.2.1 Méthodes d'extraction et d'analyse
Les échantillons d'huiles essentielles ont été obtenus par hydrodistillation à l'aide d'un appareil de type Clevenger pendant en moyenne 3 h.
L'identification des composés de chaque huile essentielle a été faite par GC/SM Turbomass, colonne capillaire SGEBP1, à 70 eV. La programmation de température est la suivante : 50 °C pendant 5 min, puis 6 °C/min jusqu'à 250 °C. Le débit de l'hélium est de 2 ml/min à 250 °C.
2.2.2 Tests de toxicité
Les solutions d'huiles essentielles sont testées par fumigation. Pour favoriser leur diffusion dans le milieu de traitement, la charge d'huile est déposée sur une rondelle de papier filtre Whatman no 2.
Les différentes concentrations d'huiles essentielles, définies par rapport au volume d'air de l'enceinte du bocal à canette, sont exprimées en microlitre par litre (μl/l). La quantité d'huile est fonction du volume des bocaux, de façon à obtenir les quatre (4) concentrations suivantes : 6,66 μl/l, 10,0 μl/l, 16,66 μl/l et 33,3 μl/l [4]
L'étude du taux de mortalité est menée sur 100 grammes de graines saines de niébé, soit 1116,2 ± 1,09 graines, afin de se rapprocher du milieu normal de l'insecte. Pour suivre l'importance de la ponte, nous avons utilisé cent (100) graines, soit 9,8 ± 0,04 g de graines saines de niébé, afin de faciliter le comptage des œufs.
Chaque bocal reçoit, selon le cas, la quantité de graines de niébé prévue, une rondelle de papier filtre imbibée de la charge d'huile essentielle à étudier et 40 couples de C. maculatus. Un témoin est réalisé dans les mêmes conditions, avec une rondelle de papier filtre non chargé. Trois répétitions sont ainsi effectuées. Au bout de 24 h, le contenu de chaque bocal est récupéré.
Pour la mortalité, le nombre d'insectes morts est compté 24 h après la fin de l'expérience et le taux de mortalité est calculé.
Pour l'importance de la ponte, les œufs pondus sur les parois des bocaux et sur les graines sont comptés sous loupe binoculaire. Leur nombre est comparé à celui du témoin. Le taux de réduction de la ponte est ensuite calculé.
2.2.3 Méthodes de calcul
Les concentrations testées sont obtenues en divisant le volume d'huile essentielle prélevé par le volume du bocal.
Le taux de mortalité observé est corrigé par la formule d'Abbott :
Le taux de réduction de la ponte est donné par la formule suivante :
La méthode de Finney [5] est utilisée pour la détermination de la CL50 qui exprime la toxicité des huiles essentielles vis-à-vis des insectes.
3 Résultats
3.1 Rendement et composition chimique des huiles essentielles
Le rendement à l'extraction par rapport à la matière fraîche est de 0,8 % pour chacune des deux huiles étudiées.
L'analyse de la composition chimique de l'HE de M. quinquenervia révèle la présence de 52 % de 1,8-cinéole, 13 % de limonène, 8 % de α-pinène et 3 % de β-pinène. Celle de O. gratissimum contient 44 % de γ-terpinène, 18 % de p-cymène, 9 % de myrcène, 6 % de thymol et 2 % de limonène.
3.2 Activité biologique des huiles essentielles
3.2.1 Effet des huiles essentielles sur la mortalité des adultes de C. maculatus
La Fig. 1 montre que l'action de chaque huile sur la mortalité de C. maculatus est fonction croissante de la concentration et varie d'une huile à l'autre.
En effet, à la plus faible concentration (6,66 μl/l), l'huile essentielle de M. quinquenervia provoque une mortalité de 60,44 ± 3,35 % des adultes de C. maculatus, tandis qu'à cette même concentration, l'huile essentielle de O. gratissimum ne provoque que 39,11 ± 5,39 % de mortalité.
À la plus forte concentration (33,3 μl/l), les huiles de M. quinquenervia et O. gratissimum ont une action significativement plus élevée par rapport au témoin et provoquent respectivement 100 % et 98,66 ± 8,30 % de mortalité.
Les DL50 de ces huiles sont de 3,09 μl/l (M. quinquenervia) et 6,99 μl/l (O. gratissimum) Le taux de mortalité observé dans le bocal témoin est de 6,25 ± 1,25 %.
3.2.2 Effet des huiles essentielles sur l'importance de la ponte
Malgré la mort précoce des adultes de C. maculatus, aucune concentration d'huile n'a totalement empêché la ponte chez les femelles. La Fig. 2 montre que le nombre d'œufs pondus est inversement proportionnel à la concentration des huiles essentielles testées. Ainsi, à la plus faible concentration, le nombre moyen d'œufs pondus par femelle est de 1,52 ± 0,58 (M. quinquenervia) et 2,01 ± 0,51 (O. gratissimum), soit un taux respectif de réduction de la ponte de 97,18 % ± 1,10 et 96,18 ± 0,97 % par rapport au témoin. À la concentration la plus élevée, le nombre moyen d'œufs pondus par femelle diminue fortement et atteint 0,64 ± 0,45 (M. quinquenervia) et 0,27 ± 0,17 (O. gratissimum). Le taux de réduction de la ponte est de 98,78 ± 0,87 % (M. quinquenervia) et de 99,94 ± 0,35 % (O. gratissimum). Le nombre d'œufs pondus par femelle de C. maculatus dans le bocal témoin est 52,90 ± 0,80.
4 Discussion
Les résultats montrent que les deux huiles essentielles provoquent la mortalité des adultes de C. maculatus en 24 h de traitement. L'huile essentielle de M. quinquenervia présente l'effet insecticide le plus marqué, puisque la plus faible concentration (6,66 μl/l) entraîne une mortalité de 60,44 ± 3,35 %. Cette grande efficacité serait due à la faible valeur de la CL50, qui est de 3,09 μl/l et qui serait elle-même induite par l'action des composés majeurs comme l'eucalyptol (52 %) et le limonène (13 %). Cette hypothèse a été également émise par Kétoh et al. [6] pour expliquer l'efficacité des huiles de Cymbopogon schoenanthus sur ce même ravageur.
La présente étude montre également que les deux huiles étudiées provoquent une réduction significative du nombre d'œufs pondus par femelle. Cette réduction s'observe dès la concentration la plus faible. Le nombre moyen d'œufs pondus par femelle est respectivement de 1,52 ± 0,58 (M. quinquenervia) et de 2,01 ± 0,51 (O. gratissimum) contre 52,90 ± 0,80 dans le bocal témoin, soit une réduction respective de 97,13 ± 1,10 % et 96,18 ± 0,97 % par rapport au témoin. Des résultats similaires ont été rapportés par Kétoh et al. [6] et El-Nahal et al. [7]. Cette réduction de la ponte serait le fait de la mort précoce des adultes de C. maculatus due aux vapeurs d'huiles essentielles, comme l'ont montré Schmidt et al. [8] et Mazibur et Gerhard [9] en étudiant l'effet de l'huile de Acorus calamus sur Callosobruchus phaseoli.
5 Conclusion
Callosobruchus maculatus, espèce reconnue comme la plus nuisible des stocks de niébé en Afrique de l'Ouest, continue d'être contrôlée par une utilisation abusive des insecticides de synthèse.
Pour préserver l'environnement ainsi que la santé humaine et animale, des solutions alternatives sont toujours recherchées, notamment dans la flore africaine, regorgeant de nombreuses plantes à effet insecticide ou insectifuge biodégradable.
À partir de ces deux espèces végétales testées, cette étude montre que les huiles essentielles extraites de Melaleuca quinquenervia (L.) et Ocimum gratissimum (L.) ont une action certaine dans le contrôle de C. maculatus.
Ces travaux pourraient donc être poursuivis en vue de déboucher sur une utilisation pratique de ces huiles essentielles dans la protection des stocks de niébé en milieu paysan africain.