1 Introduction
Depuis plusieurs années, des recherches sont effectuées à partir de plantes d'origine tropicale ou subtropicale afin de mettre en évidence la possibilité de développement de médicaments, de cosmétiques naturels et économiques [1–3] ou de biopesticides d'origine naturelle biodégradables [4].
Au Togo, nous nous sommes intéressés, dans une perspective de valorisation des plantes aromatiques à huile essentielle, à la composition chimique des huiles essentielles d'Aeollanthus pubescens Benth.
Le présent travail vise à compléter et à approfondir des études préliminaires de Sanda et al. [5] au Togo, d'une part, et de Sohounhloué et al. [6] au Bénin voisin, d'autre part. Ainsi, la composition chimique des huiles essentielles des plantes d'A. pubescens récoltées dans différentes localités au Togo a été déterminée.
2 Partie expérimentale
2.1 Matériel végétal
A. pubescens (Fig. 1) est une plante herbacée annuelle très odorante, relativement peu décrite [7–9]. La tige est quadrangulaire, de 30 à 90 cm de hauteur, généralement très ramifiée, souvent ligneuse à la base, de couleur rougeâtre et plus ou moins pubescente. Les feuilles, longues de 6 cm et larges de 2,5 cm en moyenne, sont opposées, pétiolées, oblongues ou lancéolées et arrondies à l'apex. Le limbe est pourvu de nombreux poils glanduleux. L'inflorescence est composée d'épis denses terminaux, formant une panicule. La fleur est réduite à une petite corolle bilabiée de couleur bleue, violette ou rose. Le calice est persistant et zygomorphe [10]. L'espèce A. pubescens existe à l'état naturel dans les savanes et sur les zones montagneuses du Togo jusqu'à 900 m d'altitude, où elle pousse généralement sur les affleurements rocheux.
2.2 Extraction des huiles essentielles
Le matériel végétal utilisé pour l'extraction des huiles essentielles a été obtenu à partir des échantillons récoltés à l'état subspontané dans sept localités des zones écologiques au Togo, entre 2000 et 2002.
Des spécimens de vouchers ont été déposés à l'herbarium du département de botanique de la faculté des sciences de l'université de Lomé, au Togo.
La biomasse utilisée pour l'extraction des huiles essentielles est composée de feuilles et d'inflorescences d'A. pubescens séchées pendant sept jours sous abri à la température du laboratoire (25–28 °C). Les huiles essentielles ont été extraites par entraînement à la vapeur d'eau [11].
2.3 Méthodes d'analyse des huiles essentielles
L'analyse et l'identification des différents constituants de l'huile et la détermination de sa composition centésimale relative ont été réalisées par chromatographie en phase gazeuse (CPG) et en chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (CPG/SM).
2.3.1 Analyses par CPG
Les huiles essentielles ont été analysées à l'aide d'un chromatographe de type Hewlett-Packard 5890 Series II équipé d'une colonne capillaire apolaire BPX-5 (longueur : 50 m, diamètre intérieur : 0,22 μm), l'épaisseur du film étant de 1 μm (polysilphénylène-siloxane, SGE), d'un injecteur split/splitless et d'un détecteur à ionisation de flamme (FID).
Le gaz vecteur est l'hélium et les gaz auxiliaires sont l'hydrogène et l'air dépourvu de toute impureté organique.
Les conditions analytiques sont les suivantes : température de l'injecteur : 280 °C ; température du détecteur (FID) : 300 °C ; température du four : 50 °C (1 min), de 50 à 150 °C (3 °C/min) et de 150 °C à 240 °C (5 °C/min) et isotherme à 240 °C pendant 5 min.
2.3.2 Analyses en CPG/SM
Les échantillons ont été analysés à l'aide d'un chromatographe en phase gazeuse de type Hewlett-Packard 5890 Series, couplé à spectrographe de masse (SM) de type Hewlett-Packard 5971 Series, dans les mêmes conditions analytiques qu'en CPG, avec un détecteur à impact d'électrons, 70 eV, scanning 20–350 uma.
Pour toutes les analyses, on injecte 0,2 μl d'échantillon d'huile essentielle dilué dans l'hexane.
2.4 Identification des constituants
Les composés ont été identifiés en CPG par comparaison de leurs indices de rétention avec ceux des produits de référence connus dans la littérature.
Les constituants identifiés en CPG ont été confirmés en CPG/SM par comparaison de leurs spectres de masse avec ceux des substances standard donnés dans la littérature [12–14].
3 Résultats et discussion
Les résultats (Tableau 1) montrent que les monoterpènes oxygénés et dérivés sont les constituants majoritaires des huiles essentielles d' A. pubescens étudiées, quel que soit le lieu de récolte de la plante. Ces huiles essentielles se répartissent en cinq chimiotypes.
Composition chimique centésimale de l'huile essentielle d'A. pubescens en fonction des lieux de récolte
Composés identifiés | Localités | ||||||
Lomé | Sagbadè | Baga | Bassan | Igbo* | Og-k* | Kamina | |
Hydrocarbures monoterpéniques | |||||||
α-thujène | 0,30 | 0,63 | 1,67 | ||||
α-pinène | 1,44 | 0,59 | |||||
sabinène | 0,40 | ||||||
β-myrcène | 0,3 | 1,56 | 1,03 | 2,47 | |||
β-pinène | |||||||
α-phellandrène | 0,87 | ||||||
α-terpinène | 0,43 | 1,95 | 0,99 | 1,27 | 3,45 | ||
limonène | 5,94 | ||||||
γ-terpinène | 3,12 | 7,79 | 0,89 | 5,67 | 7,17 | 12,75 | |
terpinolène | 9,12 | ||||||
p-cymène | 4,58 | 0,62 | 4,66 | 5,76 | 7,98 | ||
Total (%) | 8,73 | 21,05 | 1,51 | 11,32 | 15,23 | 7,38 | 30,18 |
Monoterpènes oxygénés et dérivés | |||||||
thymol | 54,34 | 57,94 | 10,75 | 27,07 | 50,07 | ||
carvacrol | 1,90 | 4,92 | 55,36 | 58,21 | 41,18 | 1,72 | |
cis-hydrate de sabiniène | 0,34 | 0,23 | |||||
trans-hydrate de sabinène | 0,80 | 1,41 | 0,09 | ||||
linalol | 0,50 | ||||||
d-fenchone | 2,44 | 83,69 | |||||
bornéol | 0,24 | ||||||
camphre | 3,19 | ||||||
terpinéol-4 | 0,92 | 1,90 | 0,57 | 1,44 | 0,86 | 2,40 | 1,70 |
acétate de thymyle | 13,32 | 6,24 | 35,05 | 1,65 | 3,70 | 7,78 | |
acétate de carvacryle | 0,58 | 1,32 | 12,57 | 8,07 | 1,44 | ||
Total | 71,06 | 72,3 | 92,64 | 87,06 | 82,29 | 89,28 | 63,27 |
Hydrocarbures sesquiterpéniques | |||||||
trans-β-caryophyllène | 2,33 | 2,23 | 2,14 | 1,44 | |||
trans-α-bergamotène | 0,62 | 0,84 | 0,57 | 0,22 | |||
α-humulène | 0,79 | 0,94 | 0,93 | 0,46 | |||
(E,E)-α-farnesène | 2,70 | 1,72 | 0,49 | 2,89 | |||
β-élémène | 1,24 | ||||||
β-sélinène | 0,80 | ||||||
β-bisabolène | 6,94 | 0,85 | 1,58 | 2,42 | |||
β-sesquiphellandrène | 0,36 | ||||||
Total (%) | 13,74 | 6,58 | 4,13 | 1,58 | 2,42 | 2,04 | 5,01 |
Sesquiterpènes oxygénés | |||||||
oxyde caryophyllène | 2,30 | 1,34 | |||||
oxyde d'humulène | 0,77 | ||||||
Total | 3,07 | 00 | 1,34 | 00 | 00 | 00 | 00 |
Phénylpropanoïdes | |||||||
trans-anéthole | 1,27 | ||||||
méthyl-eugénol | |||||||
Total (%) | 00 | 00 | 00 | 00 | 1,27 | 00 | |
Total des pourcentages | 96,60 | 99,93 | 99,62 | 99,96 | 99,47 | 99,97 | 98,46 |
3.1 Le chimiotype à thymol
Ce chimiotype représente 50 % des échantillons (Lomé, Sagbadè et Kamina). Les huiles essentielles de ce type contiennent principalement du thymol (54 à 58 % environ), auquel s'ajoutent de l'acétate de thymyle (6 à 14 %), du γ-terpinène (3 à 13 %) et du p-cymène (5 à 7 %).
3.2 Le chimiotype à carvacrol
Ce chimiotype représente 12,5 % des échantillons (Bassan). L'échantillon d'huile essentielle de ce type contient majoritairement du carvacrol (58,21 %) et, comme autres constituants d'importance, de l'acétate de thymyle (12,57 %), du thymol (10,75 %), du γ-terpinène (5,67 %) et du p-cymène (4,66 %).
3.3 Le chimiotype à carvacrol et thymol
Ce chimiotype représente 12,5 % des échantillons (Igboloudja). L'huile essentielle contient du carvacrol (41 %) et du thymol (27 %) comme constituants majoritaires, auxquels s'ajoutent du γ-terpinène (7 %), du p-cymène (6 %) et de l'acétate de carvacryle (8 %).
3.4 Le chimiotype à carvacrol et acétate de thymyle
Ce chimiotype représente 12,5 % des échantillons (Baga). L'échantillon d'huile essentielle contient principalement du carvacrol (55, 36 %) et de l'acétate de thymyle (35,05 %). On y trouve également du β-caryophyllène (2,14 %), de l'acétate de carvacryle (1,32 %) et de l'oxyde de caryophyllène (1,34 %).
3.5 Le chimiotype à d-fenchone
Ce chimiotype représente 12,5 % des échantillons (Ogou-kinko). Ce type d'huile essentielle contient principalement de la d-fenchone (83,69 %) et secondairement du limonène (5,94 %) et du camphre (3,19 %).
La mise en évidence, dans ce travail, sur toute l'étendue du territoire togolais, du chimiotype à thymol, qui semble être le plus répandu, confirme et précise les résultats de Sanda [5] et ceux obtenus au Bénin voisin [6]. À l'inverse, les chimiotypes à carvacrol, à d-fenchone, à carvacrol et thymol, à carvacrol et acétate de thymyle sont décrits pour la première fois, du moins à notre connaissance. La prédominance nette des constituants terpéniques oxygénés ou non dans les huiles essentielles d'A. pubescens indique du point de vue de la biosynthèse des différents constituants de la fraction aromatique, une nette prépondérance de la voie des terpénoïdes [12] sur celle des phénylpropanoïdes [13] chez A. pubescens. Ceci serait somme toute normal chez les Lamiacées cultivées, selon Saez [15]. L'existence des chimiotypes à thymol, carvacrol, carvacrol/thymol observés chez cette espèce s'expliquerait par la bioconversion simultanée du p-cymène en carvacrol et en son isomère, le thymol [15,16] (Fig. 2). Enfin, dans le type carvacrol/acétate de thymyle, la quasi-totalité du thymol biosynthétisé serait ultérieurement acétylé [17].
4 Conclusion
Cette étude de la composition chimique des huiles essentielles extraites des plantes d'A. pubescens récoltées dans différentes localités au Togo nous a permis d'identifier cinq nouveaux chimiotypes (chimiotype à thymol, à carvacrol, à thymol/carvacrol, à carvacrol/acétate de thymyle et à d-fenchone) chez cette espèce.
La présence du thymol et du carvacrol ou de leurs acétates comme constituants majoritaires dans certains chimiotypes d'huiles essentielles d'A. pubescens est un intéressant indicateur pour leur utilisation potentielle en tant que bactéricide [18].