1 Introduction
Toutes les matières grasses subissent, au cours de leur conservation ou de leur transformation, des altérations de type oxydatif lorsqu'elles sont extraites de leur contexte de protection naturelle. L'auto-oxydation des lipides est un phénomène purement chimique très complexe, mettant en jeu des réactions radicalaires capables de s'auto-entretenir et qui ne nécessitent que la présence d'oxygène atmosphérique. Elle est responsable de la formation de produits chimiques nuisibles aussi bien pour la santé des animaux que des hommes.
Dans les industries agroalimentaires, le formulateur tient compte du fait que l'oxydation des corps gras est un phénomène spontané dont la cinétique d'apparition peut être accélérée ou ralentie sous l'effet de différents paramètres, dont l'ajout d'antioxydant.
Un antioxydant est une substance qui, ajoutée à faible dose à un produit naturellement oxydable à l'air, est capable de ralentir le phénomène d'oxydation en augmentant le temps au bout duquel intervient une altération décelable du produit [1].
L'utilisation des molécules anti-oxydantes de synthèse étant actuellement remise en cause en raison des risques toxicologiques potentiels (c'est le cas du buthylhydroxyanisol BHA, du buthylhydroxytoluene BHT, du tertiobutylhydroquinone TBHQ…) [2,3], de nouvelles sources végétales d'antioxydants naturels (carvacrol, eugénol, tocophérol, thymol…) sont recherchées par les industriels.
Les travaux récents, en particulier ceux de Chimi [4,5], attestent le rôle de certains composés phénoliques de l'olive sur la bonne résistance à l'oxydation radicalaire des huiles d'olive vierge : il s'agit principalement de l'oléuropeine, du tyrosol, de l'hydroxytyrosol et de l'acide caféique [6].
Dans cet ordre d'idée, les propriétés antioxydantes des extraits volatiles des plantes aromatiques ont fait l'objet de maintes investigations dans le but de protéger les acides gras insaturés d'origine animale [7]. Ainsi, l'extraction par le CO2 supercritique a permis à Djamarti et coll. [8] d'obtenir, à partir du romarin et de la sauge, un extrait riche en carnosol et ramanol, molécule dont le pouvoir antioxydant peut être équivalent ou même supérieur à celui du BHT.
Dans le présent travail, nous nous sommes intéressés à la composition chimique, aux propriétés antioxydantes de l'huile essentielle des feuilles de Clausena anisata collectées au Bénin en vue de la valorisation de cette plante aromatique.
Une comparaison avec les différentes valeurs trouvées pour les composés de référence (buthylhydroxytoluène BHT, carvacrol et thymol) a été établie.
2 Partie expérimentale
2.1 Matériels, méthodes d'extraction et analyse de l'huile essentielle
2.1.1 Matériel végétal et méthode d'extraction
Clausena anisata (Rutaceae) est une plante très connue en Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest, où elle est recherchée pour ses propriétés insecticides et pharmaceutiques [9–13].
Les feuilles de Clausena anisata ont été collectées à Akassato en octobre 2002. L'huile essentielle a été extraite par hydrodistillation sur un appareil de type Clevenger avec un rendement de 0,14 %.
2.1.2 Analyse de l'huile essentielle
CG. L'analyse des huiles essentielles a été effectuée à l'aide d'un chromatographe Varian CP-3380, muni d'un détecteur à ionisation de flamme équipé d'une colonne capillaire en silice fondue de 30 m × 0,25 mm, de type DB1. La programmation de température va de 50 à 200 °C, avec un gradient de 5 °C/min. Les températures d'injection et de détection sont respectivement de 220 et 250 °C. Le gaz vecteur est l'azote, avec un débit de 0,8 ml/min. Les indices de rétention des constituants sont calculés par comparaison des temps de rétention avec ceux d'une série d'alcanes et le pourcentage de chaque constituant dans l'huile est déterminé par l'intégrateur électronique.
CG/SM. Le couplage a été effectué sur un appareil Hewlett-Packard de type 5970, équipé d'une colonne capillaire en silice fondue de 30 m × 0,25 mm de type DB1 (30 m × 0,25 mm), opérant sous pression d'hélium avec un débit de 0,6 ml/min., et muni d'un détecteur sélectif quadripolaire, dans lequel le potentiel d'ionisation est fixé à 70 eV. La programmation de température va de 70 à 200 °C, avec un gradient de 10 °C/min. Les températures d'injection et de détection sont respectivement de 180 et 210 °C.
2.1.3 Identification des constituants
L'identification des constituants a été faite sur la base de la comparaison de leurs indices de rétention et spectre de masse avec ceux des composés de référence de la littérature [14–16] et figurant dans la banque de données.
2.2 Activité antiradicalaire
Plusieurs méthodes sont utilisées pour mesurer les activités antioxydantes des extraits volatils des plantes aromatiques [17,18]. Pour évaluer les activités anti-radicalaires et antioxydantes, nous avions utilisé la méthode du DPPH [19–21] et au β-carotène proposée par Miller [22].
L'expérience a été effectuée dans un spectrophotomètre multicuve UV-mc2 SAFAS Monaco à la longueur d'onde de 517 nm. La solution de DPPH est obtenue en dissolvant 2 mg de la poudre dans 50 ml de EtOH. 100 μl de la solution contenant les antioxydants de référence (BHT, thymol ou carvacrol) sont ajoutés à 2 ml de la solution précédente de DPPH à différentes concentrations. L'huile essentielle testée a été préparée par la même méthode. La mesure de la variation de l'absorbance a été faite 30 min après l'introduction des cuves dans le spectrophotomètre. Le graphique de la variation de l'absorbance en fonction de la concentration a permis de déterminer le SC 50 (concentration correspondant à 50 % d'inhibition).
2.3 Activité antioxydante
L'évolution de l'activité antioxydante met en jeu la dégradation oxydative du β-carotène en présence d'acide linoléique.
2 mg de β-carotène sont dissous dans 10 ml de chloroforme. On prélève 1 ml de cette solution dans une fiole contenant préalablement 200 mg de Tween 40 et 20 μl d'acide linoléique. Cette solution est évaporée au rotavapor jusqu'à disparition de l'odeur du chloroforme (environ 40 min).
L'activité antioxydante a été évaluée par la mesure à 470 nm de la cinétique de décoloration du β-carotène en l'absence ou en présence d'antioxydants (BHT, thymol ou carvacrol), qui sont les composés de référence.
3 Résultats et discussion
3.1 Rendement de l'huile essentielle
Le rendement en huile essentielle est de 0,14 %
3.2 Composition chimique
Les résultats des analyses par CG et CG/SM de l'huile essentielle extraite des feuilles de Clausena anisata collectée à Akassato sont présentés dans le Tableau 1, dans lequel les composés identifiés sont listés suivant l'ordre d'élution de leur indice de rétention.
Constituants de l'huile essentielle des feuilles de Clausena anisata de Akassato (Bénin) avec leur pourcentage
IR | Constituants | Pourcentage |
939 | α-pinène | 2,6 |
975 | sabinène | 2,4 |
982 | β-pinène | 0,2 |
987 | myrcène | 0,3 |
1003 | β-phellandrène | 0,1 |
1031 | 1,8-cinéole | 2,3 |
1043 | (E)-β-ocimène | 0,4 |
1058 | γ-terpinène | 0,2 |
1091 | linalool | 0,3 |
1193 | estragole | 66,2 |
1279 | (E)-anéthole | 17,6 |
1403 | β-elémène | 1,3 |
1441 | β-caryophyllène | 2,1 |
1475 | α-humulène | 0,6 |
1499 | germacrène D | 1,0 |
1507 | β-bisabolène | 0,1 |
1516 | germacrène A | 0,1 |
1536 | δ-cadinène | 0,2 |
1561 | germacrène B | 0,1 |
1583 | caryophyllène oxyde | 0,1 |
Total | 98,2 |
Cet échantillon d'huile essentielle extraite des feuilles de Clausena anisata collectées à Akassato est caractérisé par un taux élevé d'estragole (66,2 %) et de (E)-anéthole (17,6 %). Par sa composition, cette huile est différente de celles obtenues des feuilles de Clausena anisata collectées à Abomey-Calavi [23] et à Houin [24].
3.3 Activité anti-radicalaire
La mesure de l'absorbance (ou densité optique DO) a été effectuée par spectrophotométrie à 517 nm. Le spectrophotomètre est couplé à un enregistreur qui affiche les différentes valeurs obtenues. À partir de ces valeurs, on calcule les pourcentages d'inhibition en utilisant la formule suivante [25] :
Les valeurs obtenues ont permis de tracer la courbe de la Fig. 1, qui représente la variation du pourcentage d'inhibition en fonction de la concentration de l'huile essentielle. On a déterminé graphiquement la concentration correspondant à 50 % d'inhibition (SC50), qui constitue l'activité anti-radicalaire de l'huile essentielle de Clausena anisata. Cette valeur est comparée à celle trouvée pour les composés de référence (BHT, thymol et carvacrol).
SC50 (BHT) = 8,8 mg/l
SC50 (thymol) = 335 mg/l
SC50 (carvacrol) = 375 mg/l
SC50 (C. anisata) = 1,67 mg/l
3.4 Activité antioxydante
La mesure de la variation de l'absorbance (densité optique) a été effectuée au spectrophotomètre à 470 nm. Ledit spectrophotomètre couplé à un enregistreur étudie les constantes de vitesse de dégradation du β-carotène suivant l'expression :
Les valeurs obtenues ont permis de tracer la courbe de la Fig. 2, qui représente le pourcentage d'inhibition en fonction de la concentration de l'huile essentielle avant déduction de la concentration correspondant à 50 % d'inhibition (IC50).
En comparant les résultats de l'activité antioxydante à celle des composés de référence, on obtient :
IC50 (BHT) = 42 μg/l
IC50 (thymol) = 333 μg/l
IC50 (carvacrol) = 666 μg/l
IC50 (C. anisata) = 3,4 g/l
4 Conclusion
L'huile essentielle de Clausena anisata étudiée est riche en estragole (66,2 %) et en (E)-anéthole (17,6 %)
L'activité antioxydante de l'huile essentielle est faible par rapport à celle des composés de référence. Mais les valeurs trouvées (SC50 = 1,67 g/l et IC50 = 3,4 g/l) présentent un intérêt pour l'utilisation de cette huile à des fins thérapeutiques et pour des applications cosmétiques.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier la Coopération française pour son soutien financier, ainsi que le Pr. J.-L. Montero, directeur du laboratoire de chimie biomoléculaire de l'université Montpellier-2, pour leur avoir permis d'effectuer ces travaux dans son laboratoire.