1 Introduction
Le genre Ocimum représente un groupe important de plantes aromatiques de la famille des Lamiaceae [1]. Selon Lawrence [2], le genre est caractérisé par un haut degré de polymorphisme, ce qui explique, d'une part, l'existence d'une multitude d'espèces et de variétés et, d'autre part, la confusion rencontrée dans la littérature concernant la taxonomie des espèces du genre Ocimum. En effet, on trouve souvent une synonymie entre les noms, Ocimum americanum, Ocimum canum, Ocimum kilimandscharicum et Ocimum basilicum, particulièrement pour les plantes contenant du camphre [2–5].
La plupart des espèces du genre Ocimum trouvent une application en parfumerie et dans l'industrie des cosmétiques pour la teneur élevée de leurs huiles en composés oxygénés : linalol, géraniol, citral, camphre, eugénol, méthylchavicol, thymol, etc. [1].
Une étude bibliographique fait ressortir plusieurs chimiotypes, à travers le monde.
L'huile essentielle de type cinnamate de méthyle est obtenue à partir de Ocimum canum de la République centrafricaine [6], de Somalie [7] et de l'Inde [8,9].
L'huile essentielle de type camphre a été rapportée par différents auteurs [1,10–12]. Selon Thomsen et al. [12], la plante entière contient en période de maturité 0,5 à 0,8 % d'essence, elle-même constituée d'environ 65 % de camphre.
À partir de Ocimum americanum de l'Inde, Sobti et al. [1], d'une part, et Gupta et al. [13], d'autre part, ont obtenu une huile essentielle dont le constituant principal est le méthylchavicol.
Gulati et al. [14] et Sobti et al. [15] ont trouvé le linalol comme composé majoritaire de l'huile essentielle de Ocimum canum de l'Inde. Plus récemment, l'huile essentielle de type linalol a été rapportée par Ntezurubanza et al. [5] et par Lawrence [16].
Ce dernier auteur rapporta également l'eugénol ou la fenchone comme principal constituant de l'huile essentielle de Ocimum canum.
L'huile essentielle de Ocimum canum du Nigeria a pour composés majoritaires l'eugénol et le farnésol [17].
L'essence de type citral a été rapportée pour la première fois par Rakshit [18], puis par d'autres auteurs [4,16,19,20].
Dans le présent travail, nous étudions l'espèce Ocimum americanum Linn. du Burkina Faso (nom vernaculaire en langue mooré : yulin-gna-raaga [21]). Cette étude, qui s'inscrit dans le cadre de nos travaux sur des plantes aromatiques à huiles essentielles du Burkina Faso, décrit pour la première fois la composition chimique de l'huile essentielle de cette espèce [22].
2 Méthodologie
2.1 Matériel végétal
Le matériel végétal est constitué par les feuilles séchées au laboratoire, à l'abri du soleil. Les échantillons A et C ont été récoltés à Ouagadougou et l'échantillon B récolté à Bobo-Dioulasso (à 360 km de Ouagadougou). Les échantillons A et B ont été prélevés à partir de peuplements spontanés. L'échantillon B est récolté dans une zone de pluviométrie abondante. L'échantillon C a été cultivé à Ouagadougou (jardin de l'Institut du développement rural) sur un sol enrichi en fumure, à partir des graines de l'échantillon A.
2.2 Extraction des huiles essentielles
Les huiles essentielles sont extraites du matériel végétal par hydrodistillation à la pression atmosphérique, à l'aide d'un appareil de type Clevenger. La distillation dure 3 h. L'huile essentielle est recueillie, puis séchée sur sulfate de sodium anhydre avant analyse. Le rendement est exprimé en pour cent volume/masse.
2.3 Analyses
Les huiles essentielles ont été analysées par chromatographe en phase gazeuse à l'aide d'un chromatographe Varian 6000, équipé de deux colonnes en silice fondue (diamètre intérieur 0,25 mm et 30 m de long), de type DB1 et DB-Wax et de deux détecteurs à ionisation de flamme, pour l'échantillon A. Les échantillons B et C ont été analysés à l'aide d'un chromatographe en phase gazeuse Shimadzu GC-14 A, équipé de colonnes capillaires en silice fondue de type OV101 (diamètre intérieur 0,25 mm et 25 m de long) et Carbowax 20 M (diamètre intérieur 0,22 mm et 25 m de long) et muni d'un détecteur à ionisation de flamme.
2.4 Identification
Les indices de rétention (indices de Kováts) des différents constituants détectés, après co-injection, dans les mêmes conditions, de l'échantillon et d'un mélange d'alcanes linéaires (C9 à C22 et C9 à C24), respectivement pour les deux colonnes : apolaire et polaire, sont calculés. L'identification est basée sur la comparaison de leurs indices de rétention avec ceux de composés témoins figurant dans la banque de données ou issues de la littérature [23,24].
2.5 Couplage chromatographie en phase gazeuse/spectrométrie de masse (CPG/SM)
L'identification des composés de l'huile essentielle de l'échantillon A est réalisée par CPG/SM à l'aide d'un chromatographe en phase gazeuse de type Varian 3400, couplé à un spectromètre de masse Saturn II de type trappe ionique et à l'aide d'un chromatographe en phase gazeuse (modèle Hewlett-Packard, type 5890) couplé à un détecteur sélectif de masse de type quadrupolaire travaillant à 70 eV.
L'identification des composés des huiles essentielles des échantillons B et C est effectuée à l'aide d'un chromatographe en phase gazeuse (modèle Hewlett-Packard, type 5970), équipé d'une colonne capillaire greffé DB1 (diamètre interne, 0,23 mm et 25 m de long) et d'un détecteur sélectif quadrupolaire, type 5970 A, dans lequel le potentiel d'ionisation est fixé à 70 eV.
3 Résultats
3.1 Extraction
Les rendements de l'extraction montrent que l'échantillon B récolté à Bobo-Dioulasso est plus riche en huile essentielle (2,2 %) que les échantillons A et C récoltés à Ouagadougou, dont les rendements sont respectivement de 1,2 et 1,0%.
3.2 Compositions chimiques
A l'examen des résultats des analyses (Tableau 1), il apparaît que les huiles essentielles des échantillons A, B, et C sont en majorité constituées de 1,8-cinéole. La teneur en 1,8-cinéole est plus élevée dans les échantillons A et C (60 %) que dans l'échantillon B (45 %).
Compositions chimiques des huiles essentielles de Ocimum americanum Linn. (échantillons A, B et C) du Burkina Faso
Composésa | Échantillon A | Échantillon B | Échantillon C | |||
Indice de Rétention (DB-1) | Pourcentage relatif | Indice de Rétention (OV101) | Pourcentage relatif | Indice de Rétention (OV101) | Pourcentage relatif | |
α-thujène | 922 | 0,1 | 925 | 0,1 | 927 | 0,1 |
α-pinène | 928 | 2,7 | 932 | 6,1 | 934 | 4,5 |
camphène | 939 | <0,1 | 945 | 2,7 | 947 | 1,3 |
sabinène | 964 | 1,5 | 968 | 0,8 | 970 | 0,9 |
β-pinène | 966 | 5,7 | 972 | 4,2 | 974 | 5,3 |
myrcène | 983 | 2,1 | 984 | 1,9 | 986 | 1,7 |
α-terpinène | 1006 | 0,2 | 1011 | 0,3 | 1013 | 0,3 |
1,8-cinéole | 1019 | 60,2 | 1024 | 45,0 | 1026 | 59,9 |
limonène | 1019 | 1,9 | 1024 | 0,1 | 1026 | 0,7 |
γ-terpinène | 1047 | 0,4 | 1052 | 0,9 | 1054 | 0,2 |
cis-p-ment-2-1-ol | 1050 | 1,4 | ||||
trans-hydrate de sabinène | 1061 | 0,6 | 1063 | 0,2 | ||
terpinolène | 1075 | 0,2 | 1081 | 0,5 | 1083 | 0,2 |
linalol | 1096 | 0,9 | 1096 | 0,8 | 1098 | 1,1 |
camphre | 1125 | 18,6 | 1127 | 8,1 | ||
NIb | 1141 | 1,3 | ||||
terpinèn-4-ol | 1155 | 1,3 | 1169 | 1,1 | 1171 | 1,3 |
δ-terpinéol | 1157 | 0,8 | 1159 | 0,7 | ||
α-terpinéol | 1168 | 6,5 | 1181 | 3,5 | 1183 | 4,1 |
myrténol | 1172 | 0,2 | ||||
phénylacétate d'éthyle | 1220 | 0,3 | ||||
acétate de bornyle | 1272 | 2,0 | 1274 | 1,3 | ||
NIb | 1300 | 0,7 | ||||
acétate de myrtényle | 1309 | 0,6 | 1311 | 0,6 | ||
Mc = 212 | 1313 | 0,4 | ||||
β-caryophyllène | 1400 | 1,9 | 1419 | 1,9 | 1420 | 1,7 |
trans-α-bergamotène | 1424 | 2,8 | 1433 | 2,2 | 1435 | 2,0 |
δ-cadinène | 1481 | 2,5 | 1516 | 0,4 | 1518 | 0,3 |
α-farnésène | 1484 | 1,0 | 1486 | 1,8 | ||
nérolidol | 1548 | 0,2 | ||||
NIb | 1630 | 0,6 | ||||
cadalène | 1664 | 0,3 | 1666 | 0,2 | ||
Total | 96,8 | 96,4 | 98,5 |
a Composés par ordre d'élution sur DB-1.
b Non identifié.
c Masse molaire.
On peut remarquer que les extraits volatils des échantillons B et C (Tableau 1) se distinguent de celui de l'échantillon A, par le fait qu'ils contiennent une teneur élevée en camphre, respectivement 18,6 et 8,1 %, composé non identifié dans l'essence de l'échantillon A.
Certains auteurs se sont préoccupés des facteurs qui influencent sur la teneur en camphre de Ocimum canum. D'après Thomsen [12], un sol volcanique semble favoriser la teneur en camphre de l'huile essentielle de la plante.
Selon Senatore [25], la présence ou l'absence de certains constituants dans la plante dépend de l'un ou de la combinaison de trois facteurs, qui sont le patrimoine génétique, l'âge et l'environnement de la plante.
Notre échantillon B a été récolté sur un sol bien arrosé et l'échantillon C cultivé sur un sol enrichi en fumure organique.
La teneur relativement élevée en camphre des huiles essentielles des échantillons B et C semble être liée à la localité.
On peut remarquer, la présence, en faibles proportions, dans les huiles essentielles des échantillons B et C (Tableau 1) du δ-terpinéol, des acétates de bornyle et de myrtényle, de l'α-farnésène, du cadalène et du trans-hydrate de sabinène, composés que l'on ne retrouve pas dans l'essence de l'échantillon A (Tableau 1).
Par ailleurs, le cis-p-menth-2-èn-ol, le myrténol, le phénylacétate d'éthyle et le nérolidol, identifiés dans l'huile essentielle de l'échantillon A (Tableau 1), sont absents dans les essences des échantillons B et C. Ces derniers, bien que récoltés sur des sites différents, ont cependant des huiles essentielles qui renferment les mêmes composés majoritaires et dans des proportions comparables : 1,8-cinéole (45,1 et 59,9 %), β-pinène (4,2 et 5,3 %), α-terpinéol (3,5 et 4,1 %), trans-α-bergamotène (2,2 et 2 %) et β-caryophyllène (1,9 et 1,7 %). En outre, la teneur en camphre de l'huile essentielle de l'échantillon B (18,6 %) est de loin plus élevée que celle de l'essence de l'échantillon C (8,1 %).
Dans chacun des trois échantillons d'huiles essentielles, plus de 20 composés ont été identifiés, dont les plus abondants sont des hydrocarbures monoterpéniques oxygénés.
Nos échantillons ne contiennent, ni cinnamate de méthyle, ni citral, ni eugénol.
Le linalol est présent, mais à des teneurs très faibles (0,9, 0,8 et 1,1 %), respectivement dans les huiles essentielles des échantillons A, B et C.
Elles renferment également des hydrocarbures mono et sesquiterpéniques. Parmi les hydrocarbures monoterpéniques identifiés, le β-pinène (5,7, 4,2 et 4,5 %), l'α-pinène (2,7, 6,1,et 4,5 %) et le myrcène (2,1, 1,9, et 1,7 %), respectivement dans A, B et C, sont les plus abondants. Les hydrocarbures sesquiterpéniques les plus représentatifs sont: le trans-α-bergamotène (2,8, 2,2 et 2 %), le β-caryophyllène (1,9, 1,9 et 1,7 %) et le δ-cadinène (2,5, 0,4 et 0,3 %), respectivement dans les huiles essentielles des échantillons A, B et C.
Le 1,8-cinéole ou eucalyptol, constituant principal des essences de nos trois échantillons est un terpène très répandu et abondant dans les huiles essentielles de certaines espèces du genre Eucalyptus et [26–28]. Ntezurubanza et al. [29] ont rapporté le 1,8-cinéole comme constituant principal de l'huile essentielle de Ocimum kilimandscharicum du Rwanda. Par comparaison avec les résultats des différentes études menées sur Ocimum americanum, c'est la première fois, à notre connaissance que nous identifions le 1,8-cinéole et le camphre comme constituants majoritaires de l'huile essentielle de Ocimum americanum.
On serait donc tenté de dire que la présence dans l'huile essentielle de Ocimum americanum, du 1,8-cinéole seul ou des deux composés (1,8-cinéole et camphre), pourrait expliquer ses propriétés insectifuges ou insecticides. Ce qui justifie peut être l'utilisation de la plante au Burkina Faso, dans les systèmes traditionnels de conservation des récoltes.
4 Conclusion
Ocimum americanum du Burkina Faso contient une essence dont le constituant majoritaire est le 1,8-cinéole. L'étude nous a permis d'identifier pour la première fois deux chimiotypes de cette plante : le type à 1,8-cinéole et celui à 1,8-cinéole et camphre. La plante pourrait bien être une source naturelle en 1,8-cinéole seul et ou en 1,8-cinéole et camphre. Le rendement en huile essentielle, assez intéressant, varie de 1 à 2,2 %.
Remerciements
Les travaux ont été réalisés en partenariat avec les Pr. C. Menut, du laboratoire de chimie biomoléculaire, et J.-M. Bessière, du laboratoire de phytochimie, tous deux de l'ENSCM à l'université Montpellier-2.
Nous avons bénéficié de subventions provenant du Centre de recherche pour le développement international (CRDI) du Canada et de la Coopération française.
L'identification de la plante a été faite par le Pr. J. Millogo-Rasolodimby, du laboratoire de biologie et physiologie végétale de l'université de Ouagadougou.