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Comptes Rendus

Géophysique externe, climat et environnement (Climat)
Les glaciations du Protérozoı̈que
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 336 (2004) no. 7-8, pp. 639-646.

Résumés

Les premières glaciations de la Terre ont la particularité de se produire à basse latitude et altitude. Dans cet article, à travers des simulations numériques du climat, nous nous attacherons à quantifier les mécanismes susceptibles d'expliquer les glaciations du Néoprotérozoı̈que : une plus forte obliquité et la fragmentation du supercontinent Rodinia. Nous avons montré que l'hypothèse de haute obliquité est incompatible avec le climat simulé par le modèle pour une des phases glaciaires. En revanche, en utilisant un modèle couplé climat–carbone, nous avons pu quantifier la baisse considérable de la teneur en CO2 atmosphérique, qui induit des baisses de températures très favorables à la glaciation globale de la Terre.

The first glaciations of the Earth are very intriguing, because they took place at low latitude and altitude. In this paper, focusing on the understanding of the Neoproterozoic glaciation, we quantify through climate model simulations the plausibility of two major causes: change in Earth Obliquity and fragmentation of the Supercontinent Rodinia. We demonstrate that high obliquity is inconsistent with the climate produced by the model during one of the glacial phases. On the contrary, we are able, using a climate–carbon coupled model, to quantify the dramatic decrease in atmosphere CO2 due to the fragmentation of the Supercontinent, which leads to favourable conditions for the establishment of a snowball Earth.

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DOI : 10.1016/j.crte.2003.12.018
Mot clés : glaciation, Protérozoı̈que, simulations numériques du climat, modèle couplé climat–carbone, snowball Earth
Keywords: glaciation, Proterozoic, climate numerical modelling, climate–carbon coupled model, snowball Earth
Gilles Ramstein 1 ; Yannick Donnadieu 1 ; Yves Goddéris 2

1 Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, DSM, L'Orme des Merisiers, Bat. 709, Centre d'études de Saclay, 91191 Gif-sur-Yvette, France
2 Laboratoire des mécanismes de transfert en géologie, 38, rue des Trente-Six-Ponts, 31400 Toulouse, France
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Gilles Ramstein; Yannick Donnadieu; Yves Goddéris. Les glaciations du Protérozoı̈que. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 336 (2004) no. 7-8, pp. 639-646. doi : 10.1016/j.crte.2003.12.018. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/j.crte.2003.12.018/

Version originale du texte intégral

1 Introduction

Nous vivons une époque un peu paradoxale où l'essentiel de l'attention est, à juste titre, centrée sur le réchauffement dû aux émissions de gaz à effet de serre anthropiques ; alors qu'en fait, la période géologique dans laquelle nous vivons est une période glaciaire, période dont l'occurrence est faible au cours de l'Histoire de la Terre.

Les deux calottes qui demeurent, lors des cycles interglaciaires/glaciaires : l'Antarctique et le Groenland, sont installées depuis longtemps, près de 3 Ma pour le Groenland et autour de 35 Ma pour l'Antarctique [5]. Ces calottes, qui ont traversé l'ensemble du Quaternaire, ont bien sûr subi quelques modifications, mais n'ont certainement pas disparu, comme les calottes Laurentide et Fennoscandienne qui se développent pendant les périodes glaciaires et disparaissent au début des périodes interglaciaires, avec un cycle de 100 000 depuis 800 000 ans et de 40 000 ans auparavant [1]. De fait, la perturbation que nous imposons aujourd'hui à notre planète peut avoir un effet dramatique à l'échelle de plusieurs siècles. D'une part, à cause de la montée du niveau marin, et d'autre part, parce que la déstabilisation des calottes s'accompagne d'une forte variabilité climatique (Fig. 1) et, enfin, parce que la fonte rapide du Groenland pourrait considérablement ralentir la circulation thermohaline et ainsi conduire à une Europe occidentale plus froide dans un monde globalement plus chaud [11].

Fig. 1

De fait, à l'échelle des temps géologiques, les périodes “glaciaires ”, où de larges calottes envahissent une partie des terres émergées, sont très rares. Le Quaternaire en est une, comme la limite Permo-Carbonifère, l'Ordovicien et les deux glaciations du début et de la fin du Protérozoı̈que.

On geological timescale, glacial periods during which a part of emerged lands were invaded by large ice caps are rare. These are the Quaternary, the Permo-Carboniferous boundary, Ordovician, the beginning and the end of the Proterozoic.

Cette mise en perspective est importante à l'échelle géologique parce que, ce que d'aucuns appellent déjà l'« Anthropocène » (c'est-à-dire le climat des siècles prochains), pourrait aussi voir disparaı̂tre les calottes de glace et correspondre à un climat bien plus chaud que l'actuel. Or, c'est à l'échelle géologique, le climat le plus couramment rencontré sur notre planète depuis 4,6 Ga (Fig. 2).

Fig. 2

La reconstruction climatique dont nous disposons grâce à l'enregistrement de δ18O de la calcite des foraminifères benthiques prouve la très forte variabilité en période glaciaire et la relative stabilité des périodes interglaciaires. Si la perturbation anthropique déstabilise les calottes de glace, il est possible que cela affecte aussi la variabilité climatique.

Climatic reconstruction by means of δ18O recording in calcite of benthic foraminifera testifies to very strong variability during glacial periods and relative stability during interglacial ones. Anthropic disturbance destabilizes ice caps and may also affect climatic variability.

Cet article va se concentrer sur les premières glaciations de la Terre qui sont des événements froids dans un continuum chaud. Ces glaciations, même si elles ne correspondent qu'à des périodes très spécifiques de l'histoire de la Terre, posent beaucoup de problèmes scientifiques intéressants.

Dès que l'on a su reconstituer l'histoire des variations de l'intensité de la constante solaire, à partir d'observations d'étoiles similaires à notre soleil, nous avons réalisé que le soleil jeune avait été 20 % moins puissant que de nos jours. Les premiers modèles dits « de balance énergétique » (EBM en anglais) ont alors montré que l'ampleur de cette baisse suffisait à englacer la Terre, et qu'une fois celle-ci couverte de glace, son albédo (c'est-à-dire sa capacité à réfléchir la lumière solaire) serait tel, qu'il faudrait fournir beaucoup plus d'énergie au système terrestre pour sortir de cette glaciation globale. Il fallait bien qu'il existe, dans le système, un élément susceptible de contrebalancer cette faible insolation d'un soleil jeune. Les meilleurs candidats sont encore les gaz à effet de serre (en particulier le dioxyde de carbone et le méthane). L'histoire de la composition de l'atmosphère au Précambrien est encore extrêmement mal contrainte, mais, compte tenu de la quasi-absence de traces de glaciation lors des 4 premiers milliards d'années de la Terre, la composition de l'atmosphère devait être différente, et permettre à la température de surface de notre planète de rester au-dessus de 0 °C.

Les premières traces de glaciation, glaciations dites Huroniennes, remontent à 2,2–2,4 Ga (le début du Protérozoı̈que) et les dépôts glaciaires sont situés à des latitudes très basses [10]. Les glaciations précambriennes ont, en effet, cette caractéristique de se situer aux basses latitudes, ce qui n'arrivera plus pour les glaciations du Phanérozoı̈que qui, toutes, se situent aux hautes latitudes.

2 L'impact de l'obliquité terrestre

Ce paradoxe de la glaciation à basse latitude a longtemps ébranlé la communauté scientifique, et dans un premier temps, Williams [33] a émis l'hypothèse extrêmement osée, mais dont l'effet était imparable, que l'obliquité de l'axe de rotation terrestre avait été, au début de l'histoire de la Terre, et jusqu'au Cambrien, bien plus forte que l'obliquité actuelle. En effet, si l'obliquité dépasse les 54° (Fig. 3), la distribution de l'insolation annuelle au sommet de l'atmosphère s'inverse et, au lieu d'avoir comme aujourd'hui, beaucoup plus d'insolation à l'équateur qu'aux pôles, on se trouve dans la situation inversée, et on a là, une explication directe de la formation de calottes de glace dans la région équatoriale.

Fig. 3

Moyenne zonale de l'insolation annuelle au sommet de l'atmosphère pour trois valeurs de l'obliquité de l'axe de rotation de la Terre, 23,5°, 60° et 90°.

Zonal average of annual insolation at the top of atmosphere for three values of obliquity of the Earth rotational axis, 23.5°, 60°, 90°.

Deux questions se posent alors :

  • – Est-il possible d'avoir une obliquité si forte pour le système Terre–Lune et comment revenir à des valeurs plus faibles correspondant à l'obliquité actuelle ?
  • – Est-ce qu'une obliquité forte ne génère pas un climat incompatible avec les observations ?

Pour répondre à la première question, Laskar et al. [25] ont démontré que, si l'angle de l'axe de rotation de la Terre avec le plan de l'écliptique venait à dépasser la valeur critique de 54°, les valeurs de ce dernier évolueraient de manière chaotique entre 60° et 90°. Levrard et Laskar [26] ont également montré que le seul mécanisme mis en avant pour permettre le retour des hautes valeurs de l'obliquité vers la valeur actuelle de 23,5°, i.e. la « friction climatique » publiée par Williams et al. [34], était en fait largement surestimé et ne pouvait constituer un mécanisme plausible.

Nous allons nous étendre davantage sur les aspects climatiques d'une Terre à haute obliquité. Pour tester quel serait le climat d'une Terre à haute obliquité dans des conditions réalistes pour le Protérozoı̈que, il est actuellement impossible de simuler le climat des toutes premières glaciations (à 2,2–2,4 Ga), les contraintes sur la teneur en gaz à effet de serre et sur la paléogéographie étant malheureusement trop faibles. Néanmoins, il est possible de faire un certain nombre d'hypothèses. D'abord, ces glaciations interviennent dans un contexte où l'oxygène de l'atmosphère augmente considérablement et devient capable d'oxyder le méthane [19,22,28]. La baisse très importante du méthane, même si elle se fait au bénéfice du dioxyde de carbone et de l'eau, déjà massivement présents dans l'atmosphère terrestre, va globalement conduire à une baisse de l'effet de serre et à une baisse importante des températures. Le fait, comme nous le verrons dans la seconde partie de l'article, de se trouver dans une situation tectonique où une majeure partie des masses continentales est située à l'équateur, va également permettre une baisse de la teneur en CO2 atmosphérique.

Quoi qu'il en soit, ces conditions très particulières ne se reproduiront pas, et la Terre restera chaude pendant près de 1,5 Ga avant les glaciations néoprotérozoı̈ques. Celles-ci, en revanche, pour les deux phases principales qui ont eu lieu à 750 et 600 Ma, sont mieux contraintes et rendent possible des simulations numériques du climat. La Fig. 4 montre les configurations paléogéographiques utilisées. L'insolation a été réduite de 6 % pour tenir compte d'un soleil plus jeune. Les paramètres orbitaux et les teneurs en CO2 ont été prises comme pour l'Actuel. Les simulations ont été faites avec des valeurs d'obliquité égales à 60° et 90° pour chaque configuration paléogéographique. Les résultats montrent que, pour la glaciation sturtienne qui correspond à un supercontinent centré sur l'équateur, il est possible d'obtenir une glaciation complète, tandis qu'à 600 Ma, la configuration des continents caractérisée par une masse continentale centrée aux moyennes et hautes latitudes de l'hémisphère sud conduit à des contrastes saisonniers énormes de ±80 °C qui empêchent toute progression de la calotte vers le pôle (Fig. 4) (cf. [7] pour une description plus détaillée).

Fig. 4

Couverture neigeuse moyenne annuelle (m) pour une obliquité de 90° et pour une teneur en CO2 atmosphérique de 350 ppm. Les cinq dernières années de simulation à l'équilibre ont été utilisées.

Mean annual snow cover (m) for an obliquity of 90° and for an atmospheric CO2 content of 350 ppm. The last five years of simulation at the equilibrium were used.

Les études climatiques de Donnadieu et al. [7] et les études sur la friction climatique de Levrard et Laskar [26], par des voies très différentes, ont permis d'écarter l'hypothèse d'une forte obliquité. Reste alors à comprendre pourquoi la teneur en gaz à effet de serre a baissé, et n'a plus été capable, temporairement, de contrebalancer la faible insolation.

3 L'impact du contexte tectonique et du climat sur la teneur en CO2 atmosphérique

Comme on l'a vu, il a donc fallu, pendant des épisodes relativement brefs du Protérozoı̈que, qu'une cause provoque une baisse de la teneur en gaz à effet de serre, suffisamment dramatique pour que la Terre puisse s'englacer. Cette glaciation a duré plusieurs millions d'années, le temps que le dioxyde de carbone, émis par les volcans, puisse s'accumuler dans l'atmosphère et provoquer, encore une fois par un gigantesque effet de serre, la débâcle. On voit que les liens entre le cycle de carbone et le climat sont fondamentaux pour comprendre l'entrée et la sortie des glaciations globales. C'est vers une modélisation du système climat–carbone dans son ensemble qu'il convient d'aller. Nous expliquerons, dans un premier temps, quelles évidences géologiques viennent à l'appui d'un scénario de glaciation globale, et dans un second temps, quel outil a été choisi pour quantifier les hypothèses de glaciation globale et à quels résultats ils ont conduit.

3.1 Évidences géologiques

En plus de la présence de sédiments glaciaires à basses latitude et altitude, dont nous avons déjà parlé, les glaciations du Néoprotérozoı̈que se caractérisent par une série de paradoxes [17,18]. D'abord, cette période correspond à une très forte baisse du δ13C mesuré dans les carbonates sédimentaires (une des plus importantes jamais enregistrées dans l'histoire de la Terre) [14,23]. Ensuite, les dépôts de fer rubané, qui avaient disparu depuis près d'un milliard d'années car l'oxygénation de l'océan avait été suffisante pour oxyder le fer et le dissoudre, font leur réapparition au moment des grandes glaciations du Néoprotérozoı̈que, et enfin, très curieusement, les dépôts sédimentaires glaciaires sont recouverts d'une couche épaisse de carbonate (Cap Carbonate), qu'on retrouve aujourd'hui dans les mers chaudes. L'hypothèse de snowball Earth initialement formulée par Harland et Rudwick [15] ainsi que par Kirschvink [24], telle qu'elle a été reformulée par Hoffman et al. [17], a eu l'énorme avantage de donner un cadre conceptuel dans lequel tous ces « mystères » prennent leur place.

En effet, une terre totalement englacée, où les continents sont couverts d'une calotte glaciaire et les océans de banquise, verrait son cycle du carbone coupé et donc le δ13C serait grossièrement celui de l'émission volcanique qui est d'environ -6 [6], ce qui est cohérent avec les enregistrements. De plus, la ventilation en oxygène de l'océan serait très limitée et trop faible pour oxyder le fer, d'où la réapparition du fer rubané. Quant à la présence d'un cap carbonate, elle serait due, dans ce scénario, à l'extrême rapidité de la débâcle, la Terre connaissant un réchauffement brutal et un déluge de pluie tropicale qui provoquerait une altération chimique extrême des surfaces continentales, conduisant à l'enfouissement de grandes quantités de carbonates dans les océans. Pour produire une terre totalement englacée, même avec une baisse de l'insolation de 6 %, il faut un taux de CO2 de 140 à 350 ppm environ [7,20,21], ce qui reste une valeur faible. Comment expliquer une telle baisse qui conduirait à l'englacement ? L'hypothèse que nous avons quantifiée est la suivante : le supercontinent Rodinia qui s'est assemblé autour de 1,1 Ga va se déliter entre 800 et 750 Ma [16,31,32]. Cette fragmentation, liée à la distribution continentale aux basses latitudes, va conduire à une augmentation des précipitations et du ruissellement continental, produisant une augmentation de l'altération chimique des continents, et en particulier des roches silicatées et donc à un enfouissement du CO2 sous forme de sédiments carbonatés au fond des océans. Cette absorption du CO2 atmosphérique peut être quantifiée à partir d'un modèle climat–carbone, et d'une distribution continentale à 800 et à 750 Ma.

3.2 Outils et résultats

Le modèle climatique utilisé pour cette étude est Climber 2, qui correspond bien à notre problématique puisqu'il incorpore une atmosphère, un océan et un module de glace de mer [29]. Pour davantage de détails concernant l'application du modèle à la Terre complètement englacée, le lecteur est invité à consulter les références [8,9].

Ce modèle a été interfacé avec le modèle d'évolution du carbone aux échelles de temps géologique COMBINE (cf. [13] pour une description détaillée du modèle géochimique). Le couplage climat–carbone permet donc de tenir compte de la position des continents et de leur forme, ce qui est un premier avantage sur les modèles du type GEOCARB [2–4], un autre avantage est de générer des cartes du cycle hydrologique, notamment du ruissellement, qui tiennent compte de la position des continents. De telles cartes permettent au modèle COMBINE de calculer l'altération continentale et la consommation de CO2 qui en résulte avec une résolution de 10° en latitude et de 51° en longitude (grille de Climber). Sur la base de cette consommation de CO2, et en fixant le dégazage de CO2 par activité volcanique à sa valeur actuelle (essentiellement par manque de contrainte), le modèle COMBINE calcule la teneur en CO2 de l'atmosphère. Ce CO2 va agir sur le climat calculé par Climber 2, via l'effet de serre et le climat va modifier le taux de consommation de CO2 atmosphérique par les processus d'altération des roches silicatées (qui dépendent de la température et du ruissellement) et donc l'enfouissement de carbone dans les sédiments marins. Il en résulte une très forte interaction entre la configuration continentale d'une part, et le taux de CO2 dans l'atmosphère et le climat d'autre part, indépendamment de toute spéculation sur le taux de dégazage de la Terre solide. Deux expériences ont été menées avec le modèle couplé, une première à 800 Ma, où la distribution continentale correspond à un supercontinent, et une deuxième à 750 Ma, où le supercontinent s'est fragmenté (Fig. 5). Pour chaque configuration, le modèle climat–cycle du carbone calcule une teneur en CO2 (et donc la température et le ruissellement sur les continents) telle que la consommation par altération des silicates puisse compenser le dégazage volcanique (maintenu constant d'une configuration à l'autre, 6,8×1012 mol an -1). Les résultats en terme de température sont illustrés sur la Fig. 5. On voit que dans la configuration « supercontinent », à 800 Ma, la température globale est de 10,2 °C (16,4 °C en moyenne annuelle sur les continents), bien au-delà de zéro degré, et la teneur en CO2 à l'équilibre est de 1800 ppm. Tandis que, pour la configuration « dispersée » à 750 Ma, la température a beaucoup baissé (réduction de 8,2 °C en moyenne annuelle) et le taux de CO2 est de 500 ppm. Cette différence s'explique par la continentalité très forte dans le cas du supercontinent, où le ruissellement continental est donc inhibé, limitant les processus d'altération chimique, ce qui entraı̂ne une montée de la teneur en CO2. La désagrégation d'un supercontinent en position équatoriale joue donc bien un rôle majeur dans le refroidissement et la baisse de CO2 associée.

Fig. 5

Distribution annuelle des températures prédites par le modèle CLIMBER-2 (cf. [9] pour de plus amples détails sur les simulations climatiques) et à des teneurs en CO2 atmosphérique prédites par le modèle couplé (voir le texte).

Annual distribution of the temperatures forecasted by the CLIMBER-2 model (cf. [9] for more details about climatic simulations) and for atmospheric CO2 contents forecasted by the coupled model (cf. text).

4 Discussions et conclusion

Les premières glaciations présentent tout un cortège d'observations surprenantes. La première, et non des moindres, est le fait que contrairement à tout ce que l'on connaı̂t au Phanérozoı̈que (les derniers 545 Ma), ces glaciations sont présentes à basses latitude et altitude. On a montré, par deux voies différentes, que l'explication la plus simple – une obliquité terrestre plus forte – n'était pas envisageable, même si des incertitudes demeurent sur la paléogéographie à 600 Ma, les dernières reconstructions [27] montrant une bonne partie des masses continentales aux moyennes et aux hautes latitudes de l'hémisphère sud. L'autre mécanisme, une baisse de CO2 par l'intermédiaire de la fragmentation d'un supercontinent, a été quantifié à l'aide d'un modèle couplé climat–carbone et montre l'impact très fort sur le CO2 et la température. Dans ce contexte géologique, d'autres facteurs concomitants, comme la mise en place de trapps lors de la fragmentation, a aussi un effet à long terme de diminution du CO2 [12]. Enfin, le rôle de dégazage important du méthane jouerait en fait un rôle de catalyse de climat froid à l'échelle géologique [30], le méthane générant, sur le supercontinent tropical, un climat chaud et des pluies abondantes, qui finissent par piéger une quantité importante de CO2 et conduisent finalement à un refroidissement. Si une littérature abondante existe aujourd'hui sur les mécanismes et les observations des dépôts glaciaires néoprotérozoı̈ques qui ont permis de soulever une partie du doute, des incertitudes demeurent qui maintiendront dans les années à venir ce champ de recherche actif.

Remerciements

Nous remercions chaleureusement Florence Gerry pour l'ensemble du travail de mise en forme de l'article, ainsi que Frédéric Fluteau et Myriam Khodri pour les illustrations (Figs. 1 et 2).


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[34] D. Williams; J.F.D. Kasting; L.A. Frakes Low-latitude glaciation and rapid changes in the Earth's obliquity explained by obliquity-oblateness feedback, Nature, Volume 396 (1998), pp. 453-455


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