Plan
Comptes Rendus

Commentaire à la note intitulée Réfutation de l’hypothèse sismo-acoustique invoquée pour le double bang de la catastrophe de Toulouse (France) du 21 septembre 2001 de A. Joets [C. R. Geoscience 341 (2009) 306–309]
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 341 (2009) no. 12, pp. 1038-1040.
Métadonnées
Reçu le :
Accepté le :
Publié le :
DOI : 10.1016/j.crte.2009.09.004

Michel Cara 1 ; Antoine Schlupp 1 ; Christophe Sira 1 ; Michel Granet 1

1 Bureau central sismologique français, université de Strasbourg, 5, rue R.- Descartes, 67084 Strasbourg cedex, France
@article{CRGEOS_2009__341_12_1038_0,
     author = {Michel Cara and Antoine Schlupp and Christophe Sira and Michel Granet},
     title = {Commentaire \`a la note {intitul\'ee~\protect\emph{R\'efutation} de l{\textquoteright}hypoth\`ese sismo-acoustique invoqu\'ee pour le double bang de la catastrophe de {Toulouse} {(France)} du 21~septembre 2001}~de {A.} {Joets} {[C.} {R.} {Geoscience} 341 (2009) 306{\textendash}309]},
     journal = {Comptes Rendus. G\'eoscience},
     pages = {1038--1040},
     publisher = {Elsevier},
     volume = {341},
     number = {12},
     year = {2009},
     doi = {10.1016/j.crte.2009.09.004},
     language = {fr},
}
TY  - JOUR
AU  - Michel Cara
AU  - Antoine Schlupp
AU  - Christophe Sira
AU  - Michel Granet
TI  - Commentaire à la note intitulée Réfutation de l’hypothèse sismo-acoustique invoquée pour le double bang de la catastrophe de Toulouse (France) du 21 septembre 2001 de A. Joets [C. R. Geoscience 341 (2009) 306–309]
JO  - Comptes Rendus. Géoscience
PY  - 2009
SP  - 1038
EP  - 1040
VL  - 341
IS  - 12
PB  - Elsevier
DO  - 10.1016/j.crte.2009.09.004
LA  - fr
ID  - CRGEOS_2009__341_12_1038_0
ER  - 
%0 Journal Article
%A Michel Cara
%A Antoine Schlupp
%A Christophe Sira
%A Michel Granet
%T Commentaire à la note intitulée Réfutation de l’hypothèse sismo-acoustique invoquée pour le double bang de la catastrophe de Toulouse (France) du 21 septembre 2001 de A. Joets [C. R. Geoscience 341 (2009) 306–309]
%J Comptes Rendus. Géoscience
%D 2009
%P 1038-1040
%V 341
%N 12
%I Elsevier
%R 10.1016/j.crte.2009.09.004
%G fr
%F CRGEOS_2009__341_12_1038_0
Michel Cara; Antoine Schlupp; Christophe Sira; Michel Granet. Commentaire à la note intitulée Réfutation de l’hypothèse sismo-acoustique invoquée pour le double bang de la catastrophe de Toulouse (France) du 21 septembre 2001 de A. Joets [C. R. Geoscience 341 (2009) 306–309]. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 341 (2009) no. 12, pp. 1038-1040. doi : 10.1016/j.crte.2009.09.004. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/j.crte.2009.09.004/

Version originale du texte intégral

Dans sa Note, Joets [3] propose l’existence de deux sources distinctes pour expliquer le « double bang » sonore perçu par la population lors de l’explosion AZF de Toulouse du 21 septembre 2001. Son analyse le conduit à rejeter une hypothèse basée sur une seule source d’émission d’ondes, formulée en 2002 par Souriau et al. [4]. Selon cette hypothèse, le premier « bang » pourrait provenir de la conversion de l’onde sismique P en onde acoustique, le deuxième, plus énergétique, venant de la transmission directe du son dans l’air. Les auteurs [4] indiquaient par ailleurs que, pendant les 13,5 secondes précédant l’arrivée de l’onde sismique P, aucun signal n’était observable sur l’enregistrement du sismomètre, alors en test dans le bâtiment de leur laboratoire situé à 4,2 km du lieu de l’explosion. Ils concluaient que, si une première explosion avait précédé l’événement principal, « elle n’a pas engendré de signal sismique détectable (elle n’était pas couplée au sol, ou était d’énergie trop faible) ». Pour sa part, Joets [3] ne rejette pas la possibilité d’ondes sismo-acoustiques précédant « l’énorme onde de choc AZF », mais il conclut qu’elles ont « les caractéristiques attendues de ces ondes, comme leur simultanéité avec les ondes P et un spectre fréquentiel centré sur les basses fréquences acoustiques (grondement) ».

Contrairement à cette affirmation, les caractéristiques des ondes sismo-acoustiques ne se résument pas à de simples « grondements ». L’expérience acquise par le Bureau central sismologique français (BCSF) sur les témoignages de bruits entendus lors de séismes montre qu’un claquement sonore sec – qualifié ici de « bang » comme dans [3] – est fréquemment entendu à proximité de l’épicentre d’un séisme tectonique [2,5]. Ces témoignages évoquent « l’explosion d’une bouteille de gaz » ou celle « d’une chaudière », ou encore le « passage du mur du son par un avion ». Ce « bang » sonore s’explique par le couplage sismo-acoustique sol–air. Il est audible à proximité de l’épicentre d’un séisme dont le foyer est à quelques kilomètres de profondeur. En plus de ce « bang » accompagnant l’onde sismique P, les témoins rapportent fréquemment avoir entendu des « grondements souterrains » accompagnés de vibrations. Pour les petits séismes, ces « grondements » sont souvent audibles jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres de l’épicentre.

Dans le cas du séisme de Rambervillers du 22 février 2003 à 21h41 – heure légale (magnitude locale ML = 5,4, profondeur 12 km) [2] parmi les 2653 témoins situés à moins de 50 km de l’épicentre et ayant répondu positivement à la question « bruits entendus », 28 % d’entre eux ont coché la case « forte explosion » (Tableau 1). Dans les dix premiers kilomètres, ce pourcentage monte à 52,6 % et il diminue ensuite régulièrement avec la distance (tableau). Dans le cas du séisme de Cognac du 24 août 2006 à 22 h (ML = 4,1, profondeur 2 km) [1] l’effet est encore plus net. Dans la tranche 0–15 km le BCSF dispose de 180 témoignages dont 162 signalent un « bruit » et, parmi ces derniers, 67 % rapportent un « bruit d’explosion ». Ce pourcentage chute à 28 % dans la tranche de distance 15–50 km, alors que le « grondement » devient prépondérant avec 60 % des témoignages. Pour les séismes de magnitude plus faible, le nombre de témoins se réduit en général à quelques dizaines (le BCSF déclenche une enquête pour ML ≥ 3,5,) et les témoignages de « bruits d’explosion » restent très fréquents près de l’épicentre. On peut citer [2] : Bagnères-de-Bigorre le 5 novembre 2005 à 1h30 (ML = 3,5), « on a cru à un bang d’avion supersonique » ; Albertville le 31 octobre 2005 à 4h39 (ML = 3,6), « grondement soudain, parfois bruit d’une explosion »… Pour une source superficielle de magnitude ML = 3,4 qui est la magnitude sismique attribuée à l’explosion AZF, on peut ainsi conjecturer, par analogie avec ces observations de séismes, que des témoins ont pu entendre un premier « bruit d’explosion » d’origine sismo-acoustique jusqu’à une quinzaine de kilomètres de l’épicentre.

Tableau 1
Intervalle de distances, km Nombre de témoignages Nombre de témoins entendant un « bruit » Nombre de témoins entendant une « forte explosion » Pourcentage de « Fortes explosions » parmi les « bruits » (%)
0–10 211 209 110 52,6
10–20 571 558 205 28,0
20–30 1002 962 269 21,2
30–40 584 546 116 10,8
40–50 411 378 41 10,2
Total 2779 2653 741 28,0

L’analyse de Joets [3] réfutant le fait qu’un couplage sismo-acoustique puisse être à l’origine du premier « bang » perçu par la population, repose sur l’examen d’une sélection de seulement 12 témoignages distribués sur des distances allant de 110 m à 48,3 km et de quelques enregistrements sur magnétophone dont deux seulement semblent exploitables. Les signaux des magnétophones ne sont pas montrés, si bien que le lecteur ne dispose d’aucune information sur le rapport d’amplitude entre les deux « bangs ». La partie droite de cette figure [3] montre 16 localisations d’observations et sa partie gauche 14 estimations d’écarts de temps entre les deux « bangs », dont deux provenant probablement des magnétophones (points). Le raisonnement présenté dans [3] ne concerne que cet écart de temps : si couplage sismo-acoustique il y a, l’écart devrait croître quasi-linéairement avec la distance. Cette croissance n’étant pas observée, l’hypothèse de [4] est réfutée.

Il est clair que, sauf à remettre en cause les témoignages, un premier « bang » arrivant six à 11 secondes avant l’onde de choc principale ne peut en aucun cas être expliqué par un couplage sismo-acoustique à moins de 1 km de l’épicentre. Par contre, entre 1 et 10 km, rien ne permet d’écarter la possibilité qu’un premier « bang » sonore soit dû au couplage sismo-acoustique de l’onde P. C’est dans cet intervalle de distances que se situent cinq des 12 témoignages, dont un à 1180 m, trois secondes environ avant l’onde de choc principale (figure), ainsi que les deux mesures sur magnétophone que l’on suppose correspondre aux deux points sur la figure [3]. C’est aussi dans cet intervalle de distances, que se trouve le sismomètre dont l’enregistrement de la composante verticale montre une claire onde P impulsive dix secondes avant l’arrivée de l’onde acoustique principale [4]. C’est enfin dans cet intervalle de distances, que des « bangs » sonores sont très largement observés lors de petits séismes tectoniques [1,2].

Si l’on n’écarte pas l’hypothèse d’explosion précurseur, supportée par les témoignages les plus proches, il reste à expliquer pourquoi elle n’a pas produit de signal sismique observable sur le sismomètre situé à 4,2 km de l’épicentre. Un tel signal émis entre six et 11 secondes avant l’explosion AZF devrait en effet arriver dans l’intervalle de temps de 13,5 secondes précédant l’onde P, alors qu’aucun signal n’y est détectable [4]. Comment se fait-il qu’un « bang » créé par cette première explosion ait pu être entendu jusqu’à 50 km de distance [3], sans engendrer d’onde sismique observable sur le sismomètre situé à 4,2 km de l’épicentre [4] ? On peut difficilement concevoir une source sonore assez puissante pour être audible à près de 50 km, tout en étant suffisamment découplée du sol pour ne pas créer de signal sismique détectable à 4,2 km.

En résumé, les témoignages sur les effets des séismes reçus au BCSF nous permettent d’affirmer que des « bang » sonores d’origine sismo-acoustique sont fréquemment entendus à proximité de l’épicentre de séismes de magnitude comparable à celle de la source sismique liée à l’explosion AZF. Si l’on extrapole au cas d’une source en surface, il nous paraît tout à fait possible qu’un phénomène sismo-acoustique ait engendré un « bang » sonore précurseur, coïncidant avec l’arrivée de l’onde P réfractée en profondeur, en accord avec l’hypothèse des auteurs [4]. L’argumentation présentée dans [3] nous paraît très succincte et basée essentiellement sur une sélection de quelques rares témoignages. Ceci contraste avec les très nombreux témoignages spontanés reçus au BCSF, qui montrent que les « bruits d’explosion » sont communément entendus lors de séismes.


Bibliographie

[1] BCSF (2006) – Séisme de Cognac (Charente) du 24 août 2006, note préliminaire, BCSF2006-NP2, 30p.(www.franceseisme.fr/donnees/intensites/2006/060824_2000/060824NotePreli_Cognac.pdf).

[2] M. Cara, A. Schlupp, C. Sira, Observations sismologiques : sismicité de la France en 2003, 2004, 2005, Bureau central sismologique français, ULP/EOST-CNRS/INSU, Strasbourg (2007) 197p.(http://www.franceseisme.fr/donnees/publi/2003-2005/OBS_SISMO_2003-05_W.pdf).

[3] A. Joets Réfutation de l’hypothèse sismo-acoustique invoquée pour le double bang de la catastrophe de Toulouse (France) du 21 septembre 2001, C. R. Geoscience, Volume 341 (2009), pp. 306-309 | DOI

[4] A. Souriau; M. Sylvander; V. Maupin; J.-F. Fels; A. Rigo Enregistrements sismologiques de l’explosion sur le site de l’usine AZF (Toulouse, France), C. R. Geoscience, Volume 334 (2002), pp. 155-161

[5] M. Sylvander; D.G. Mogos The sounds of small earthquakes: quantitative results from a study of regional macroseismic bulletins, Bull. Seismol. Soc. Am., Volume 95 (2005), pp. 1510-1515


DOI d’article original : 10.1016/j.crte.2009.03.001.

Commentaires - Politique