1 Introduction2
L’Académie des sciences accepte le dépôt de plis cachetés dans ses archives dans le but d’attribuer une date certaine aux découvertes qu’ils sont supposés contenir, sans avoir recours à̀ leur publication. La procédure de dépôt de plis cachetés à l’Académie remonte à la fin du XVIIe siècle. Elle permet à un chercheur ou à un inventeur de prendre date quant à une découverte scientifique ou l’invention d’un procédé. Lorsque l’auteur d’un pli déposé est décédé, l'Académie tient à̀ lui assurer la priorité́ de la découverte dont il est possible que la science lui soit redevable. Ainsi, l’ Académie ouvre les plis non ouverts cent ans après leur dépôt.
1.1 Le pli Malburet
C’est ainsi qu’a été ouvert et nous a été transmis pour analyse un pli cacheté déposé auprès des secrétaires perpétuels de l’Académie des sciences par Jean Malburet, alors « aux armées » (420 TM BCM) le 9 juin 1918 et portant « sur la période des maxima d’activité solaire » (Malburet, 1918a). Ce pli avait été accepté le 17 juin 1918 et enregistré sous le n° 8539 aux archives de l’Académie des sciences – Institut de France.
L’analyse a fait apparaître l’intérêt et l’actualité de ce travail et justifie de le publier dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences. Le sujet central en est la recherche d’une cause plausible aux cycles quasi périodiques, d’environ 11 ans, de l’activité solaire. L’activité du soleil reste un sujet brûlant (sans jeu de mot), et plusieurs équipes qui travaillent sur le sujet seront intéressées par le travail de Jean Malburet, écrit dans les derniers mois de la Première Guerre mondiale, « au hasard des loisirs de la vie militaire, parfois considérables, mais... inconfortables », comme l’écrira plus tard Malburet (1925).
Jean Malburet propose de rechercher dans l’attraction gravitationnelle combinée de plusieurs planètes, principalement Vénus, la Terre et Jupiter, la cause des variations et, notamment, des maxima de l’activité solaire. Il explique comment procéder et calcule principalement les dates des syzygies (ou alignements) des trois planètes (en y ajoutant parfois Mercure) de 1837 à 1917, qu’il compare aux observations, avec un très bon accord. Il propose de partir de ses calculs pour prévoir les prochains maxima de l’activité.
1.2 Poursuite de l’enquête (Philippe Malburet et les articles de 1918 et 1925)
Nous avons utilisé Internet pour tenter de retrouver des références sur la suite de la carrière et des publications de Jean Malburet. Nous avons ainsi pu prendre contact avec Philippe Malburet, un petit-fils de Jean Malburet, qui trie actuellement les papiers de son grand-père. Grâce à lui, nous avons eu accès à un article de deux pages de Jean Malburet, intitulé « Les planètes et les taches du soleil », paru à Nancy, dans les colonnes de l’Est Républicain du 14 juillet 1918 (Malburet, 1918b). Il y formule la loi suivante : « Chaque fois que Vénus, la Terre et Jupiter se trouvent en ligne droite avec le Soleil, surtout si Mercure vient à s’y joindre, on est à l’époque d’une plus grande activité solaire. » Philippe Malburet nous a aussi communiqué copie d’un article plus long et fondamental, paru en 1925 dans l’Astronomie sous le titre « La cause de la périodicité des taches solaires » (Malburet, 1925). Cet article dense de 13 pages décrit en détail les hypothèses et les calculs qui faisaient l’objet du pli cacheté de 1918, dont il signale l’existence (bien qu’il ne l’ait pas récupéré et n’en ait pas demandé l’ouverture). Dans cet article, qu’il n’est pas si aisé de retrouver, Jean Malburet rappelle les noms des auteurs qui ont évoqué des hypothèses se rapprochant des siennes. Aucune n’en a la clarté et ne donne la possibilité de vérifications par le calcul s’appuyant sur les lois de la gravitation. Malburet évoque les forces de marée de syzygie, forces de marée qu’il estime assez puissantes pour affecter l’évolution du Soleil et notamment des taches, qui sont un indicateur de son activité. De façon assez moderne, il parle d’action déclenchante des planètes, de synchronisme et de résonance. Il détermine l’action déformante de Jupiter, de Vénus et de la Terre (et aussi de Mercure) qu’il appelle coefficient de syzygie triple. L’article s’achève par le calcul un peu laborieux des écarts syzygiques et de leurs maxima, qui correspondent aux maxima solaires, comme le montrent d’impressionnantes figures où l’on voit la correspondance des cycles calculés et observés de 1750 à 1920 (Malburet, 1925).
1.3 Les informations fournies par Nicola Scafetta
Ce sujet est toujours un sujet de recherches actif. On peut en prendre pour exemple les travaux de Nicola Scafetta, qui a suggéré un calcul voisin, reproduisant assez fidèlement des périodes allant de moins de 11 à plus de 100 ans (Scafetta, 2012a). Nous avons nous-mêmes étudié les pseudo-périodicités longues de l’activité solaire (voir par exemple Le Mouël et al., 2017). Nous avons donc interrogé Nicola Scafetta, qui n’a pas eu l’occasion de citer Jean Malburet, mais qui en connaissait l’existence par un article critique de 1927 paru dans les Publications of the Astronomical Society of the Pacific, qu’il nous a communiqué. Dans cet article, qui veut répondre à la suggestion de Malburet (1925), Hazel Mary Losh conclut: « The combined tide-raising force of all the planets on the Sun is very small. The effect is approximately one thirty thousandth that of the Moon on the Earth. It is inconceivable that changes in sun-spot activity could be caused by variations in such a small force, unless the force of gravitation on the Sun is nearly balanced by radiation pressure. »
Le débat n’est pas clos. Si beaucoup de physiciens et d’astronomes doutent de la possibilité que ces très faibles forces de marée puissent affecter de manière observable le Soleil, ce n’est pas le cas de tous les chercheurs. Scafetta, dans une longue série de contributions, a proposé un modèle voisin de celui de Malburet (1918a, 1925) et pense avoir répondu à la critique de Losh (1927) (voir par exemple Scafetta, 2012a, 2012b). Partant de la relation entre la masse et la luminosité des étoiles de la séquence principale, il calcule un coefficient d’amplification par la fusion nucléaire de la dissipation de l’énergie potentielle de marée dans le Soleil. Le résultat est compatible avec les observations des variations de l’irradiance solaire.
1.4 Conclusion
Nous nous sommes contentés de tenter de vérifier le pouvoir prédictif de la méthode de Malburet, en comparant les prédictions basées sur les trajectoires des principales planètes et les observations faites entre 1850 et 2018. Nous avons utilisé les éphémérides de toutes ces planètes dans un système héliocentrique du 1er janvier 1850 au 17 décembre 2027, éphémérides que l’on trouve sur le site de l’IMCCE de l’Observatoire de Paris (http://vo.imcce.fr/webservices/miriade/?forms).
En faisant la somme des forces de marée correspondantes, puis en en réalisant l’analyse spectrale singulière (SSA ; voir, par exemple, Lopes et al., 2017), il est possible d’extraire une courbe de périodicité 11 ans, la courbe bleue de la Fig. 1. Les maxima et les minima de cette courbe correspondent aux syzygies (conjonctions et oppositions) des planètes. La courbe rouge représente les taches solaires observées (moyenne annuelle ; http://www.sidc.be/silso/datafiles). Comme le dit très justement Jean Malburet, les maxima et minima de la période qu’il a analysée jusqu’en 1918 arrivent en phase ou presque avec les syzygies des astres. Il tente ensuite de prédire les dates des maxima suivants ; on observe en fait un déphasage pendant les 90 années suivantes, mais à nouveau un taux de succès élevé depuis 1990 (Fig. 1).

En rouge, nombre moyen annuel observé de taches solaires (ISSN) ; en bleu, la composante de 11 ans obtenue par analyse spectrale singulière (SSA) de la fonction d’excitation de Jean Malburet.
Le problème est que Malburet considère, comme unique « moteur » des taches solaires, l’attraction gravitationnelle de quatre planètes ; or, la mécanique céleste ne conduit à aucun déphasage entre cause (gravitationnelle des planètes) et effet (sur les taches solaires). Pourtant, nous observons un déphasage entre 1920 et 1990 : ce déphasage entre les courbes bleue et rouge atteint π. Cette durée de presque 90 ans rappelle le cycle de Gleissberg (Le Mouël et al., 2017). Quant aux deux dates mentionnées, elles correspondent à deux sauts de phase connus dans les séries de taches et de facules solaires. Le déphasage a déjà été observé dans le mouvement du pôle, la longueur du jour et dans certains indices climatiques (Blanter et al., 2005; Le Mouël et al., 2019).
En tout état de cause, Jean Malburet peut être considéré comme l’un des fondateurs des études portant sur une cause planétaire du cycle undécennal des variations d’activité du Soleil. Nous espérons que des lecteurs de ce pli, qui fait de Malburet un précurseur, seront intéressés à vérifier et compléter ses analyses. Nous avons dactylographié le texte manuscrit d’origine pour en faciliter la lecture. Il est placé à la suite de cette note introductive.
2 Le texte intégral du pli cacheté de Jean Malburet
Les planètes déterminent dans l’atmosphère du soleil des perturbations comme le Soleil et la Lune produisent sur la Terre les marées océaniques, atmosphériques et terrestres. Par suite de la rotation du soleil, l’action de chaque planète engendre une onde qui parcourt en 3 semaines 1/2 environ la surface du globe solaire.
Ces ondes ont beau être de faible amplitude, elles peuvent, par suite d’un phénomène de synchronisme, acquérir une importance considérable et puisque je ne les invoque que comme action « directive », peut-être « déclanchante » (sic), l’énergie mise ensuite en jeu étant fournie par l’astre lumineux, les effets constatés finalement pourront être gigantesques. C’est ici qu’il ne faut pas objecter, comme on le fait en général trop hâtivement, le principe peu fécond de la proportionnalité des causes et des effets ; il ne vaut en toute hypothèse que pour les causes efficientes prochaines.
Voici (Tableau 1) les valeurs relatives de l’action de chaque planète, proportionnelle à la masse, inversement proportionnelle au cube de la distance. La première colonne correspond au cube du périhélie, la seconde à l’aphélie, la troisième est une moyenne.
Voir texte.
Jupiter | 2,633 | 1,970 | 2,30 |
Vénus | 2,203 | 2,115 | 2,16 |
La Terre | 1,051 | 0,953 | 1,00 |
Mercure | 1,926 | 0,551 | 1,24 |
L’action des autres planètes est négligeable ici, Saturne, malgré sa masse, n’arrivant qu’à une moyenne de 0,11 et Mars, malgré sa proximité, atteignant tout juste 0,03 en moyenne.
Les maximums d’activité solaire sont déterminés par la conjonction ou l’opposition simultanées (syzygies) par rapport au soleil de Jupiter, Vénus et la Terre, tout comme la Nouvelle et la Pleine Lune déterminent, quand il s’agit des Océans terrestres, les dates des marées maxima, dites de « syzygie ».
La règle suivante permet de prévoir, aussi longtemps à l’avance qu’on le voudra, les époques remarquables de la vie du soleil ; je la restreins ici aux maxima.
Le maximum d’activité solaire suit immédiatement l’époque où la syzygie de Jupiter et de Vénus et la syzygie suivante – ou précédente – de Jupiter et de la Terre sont le plus rapprochées.
De plus, l’influence de Mercure peut le retarder de 1,6 ans (et peut-être 3 ans parfois) et peut être l’avancer, le retard étant du reste plus fréquent et plus vraisemblable que l’avance, étant donnée la nature du phénomène.
On obtient ainsi des périodes de 10,382 et 12,002 alternant suivant une loi déterminée avec un décalage tendant vers 1,62 et peut-être 3,24, ce qui expliquerait peut-être les deux périodes de 15 ans attribuables autrement à des erreurs d’observation.
La syzygie simultanée de Vénus et la Terre avec Mercure, même en quadrature avec Jupiter, peut aussi donner lieu, sinon à un vrai maximum, du moins à une forte ascension de la courbe des taches. Témoins celle du début d’octobre 1859, qui donne une pointe indiquée par Flammarion comme maximum, alors que Newcomb reporte le maximum réel en 1860 où se produisent les syzygies Jupiter, Vénus, Terre et Mercure (du 20 juillet au 6 août).
J’ai calculé les conjonctions et oppositions de ces quatre planètes pendant 312 ans. J’ai trouvé ainsi 28 maximums pour un laps de temps de 311,76 ans, ce qui donne 11,134 ans pour la période moyenne. Cette valeur est identique à celle donnée par M. Puiseux il me semble et aussi à celle déduite empiriquement par Newcomb de la discussion des 25 max. observés, embrassant une durée de 280 ans, de 1615 à 1893. Ce dernier concluait à une valeur pouvant aller de 11,11 à 11,15. Il est vrai que sa discussion l’amenait à placer en 1904.9 et 1916.1 les max. suivants, qui se sont produits en 1905 et 1917,65 et qui, par leur retard, portent la moyenne à 11,19. Mais il suffit de supposer que le max. précédent 1615,5 eut lieu en 1605,5 pour retrouver avec la valeur moyenne 11,134 une concordance rigoureuse entre ma théorie et l’observation: concordance allant, on le voit, jusqu’à la troisième décimale.
Voici (Tableau 2), en regard l’une de l’autre - je me borne ici à la période contemporaine, mais mes calculs vont jusqu’en 1605 – l’époque des syzygies3 de Jupiter, Vénus, la Terre, et celle des maxima observés:
La coïncidence ne peut vraiment être plus complète. Les nos 5, 7 et 8 ont leur max. déterminé par l’adjonction de Mercure, dont l’opposition avec Jupiter s’est produite
- • en 1882 entre syzygie de Image 1 et de Image 2 avec Image 3
- • " 1905 immédiatement avant leur opposition -d°-
- • " 1917 -d°- après syzygie de Image 1et opposition de. Image 2 , -d°-
Par contre, en 1881 et 1915, son action était négative et en 1903, à peu près nulle4. Ceci explique le retard, faible en 1905 (11,4 au lieu de 11,13), considérable en 1883 et en 1917 (12,8 et 12,7).
Le n° 1 1837,1 provient d’une cause analogue, mais demande une discussion spéciale.
Presque toutes les particularités importantes de la courbe d’activité solaire s’expliquent ainsi. En particulier, on peut conclure que le max. actuel est bien passé et que 1918 est en décroissance, avec une poussée dans la première moitié de l’année, une autre au début de 1919, assez importante, une dans la seconde moitié de 1919 et de 1920...etc. Ceci, en dehors même de la nature des phénomènes, déjà suffisante, explique la chute lente de la courbe.
Je dois ici rendre hommage à mon ami A. Dina, très versé dans les sciences astronomiques des peuples anciens et spécialement des Indiens, qui m’a poussé à calculer la valeur numérique des actions des planètes.
- Aux armées, 9 juin 1918
- Jean Malburet
Remerciements
La publication de cette note a été validée par Jean-Paul Poirier, membre de l’Académie des sciences, Edgardo Carosela, président de la Commission des plis cachetés, et Étienne Ghys, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, directeur de la publication des Comptes rendus, que les auteurs remercient. Nous remercions chaudement Philippe Malburet et Nicola Scafetta pour les informations qu’ils nous ont communiquées. Les lecteurs intéressés par plus de renseignements sur la carrière de Jean Malburet peuvent contacter son petit-fils Philippe Malburet (philippe.malburet@gmail.com).
2 Présentation rédigée par Vincent Courtillot, Jean-Louis Le Mouël et Fernando Lopes.
3 Avec une tolérance de 4 ou 5 jours
N° | Syzygie Image 1Image 2Image 3a | Max. obs. | N° | Syzygie Image 1Image 2Image 3 | Max. obs. |
1 | 1836,5 1838,2 |
1837,1 | 6 | 1893,3 | 1896,6 |
2 | 1848,5 | 1848,6 | 7 | 1903,7 1905,3 |
1905,3 |
3 | 1860,5 | 1860,2 | 8 | 1915,7 1917,35 |
1915,7 1917,65 |
4 | 1870,9 | 1870,9 | |||
5 | 1881,3 1882,96 |
1883,7 |
a Note: rappel des symboles astronomiques. Image 4 Mercure Image 1 Vénus Image 2 Terre. Image 5 Mars Image 3 Jupiter Image 6 Saturne
4 F = f cos 2α, α étant l’écart Image 4– Image 3