Plan
Comptes Rendus

Biologie et devenir technologique de l’homme / Biology and the technological future of man
Une carte d’identité génétique pour demain ?
Comptes Rendus. Biologies, Volume 338 (2015) no. 8-9, pp. 547-553.

Résumés

Depuis 2005, plusieurs dizaines d’entreprises privées se sont développées, avec pour objectif commercial d’offrir au public une grande variété de tests génétiques – les direct-to-consumer personal genome tests. Simultanément, une initiative de recherche collaborative sur le séquençage individuel – le Personal Genome Project – a vu le jour dans les murs de l’université de Harvard, puis sur Internet. Ce texte offre une analyse des promesses et des limites des tests proposés. D’une part, la portée et la qualité prédictive des séquençages génétiques individuels sont encore loin d’être acquises. D’autre part, il s’agit de s’interroger sur la nécessité de faire évoluer les normes éthiques en termes de confidentialité et de respect de la vie privée à l’ère de l’information connectée.

Dozens of private companies have emerged in 2005, with the commercial purpose of offering the public a wide variety of personal genetic tests – direct-to-consumer personal genome tests. Simultaneously, a collaborative research initiative on individual sequencing – the Personal Genome Project – was born in Harvard University, then online. This text provides an analysis of the promises and limits of the proposed individual sequencing. First, the scope and quality of individual predictive genetic sequencing are still far from being acquired. Moreover, it is necessary to question the ethical standards of confidentiality and respect for privacy in the connected information era.

Métadonnées
Publié le :
DOI : 10.1016/j.crvi.2015.06.016
Mot clés : DTC-PGT, Personal genome project, Éthique
Keywords: DTC-PGT, Personal genome project, Ethics

Laurence Perbal 1

1 Centre de recherche interdisciplinaire en bioéthique, Université libre de Bruxelles, 50, avenue Franklin-Delano-Roosevelt, CP 175/01, 1050 Bruxelles, Belgique
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Laurence Perbal. Une carte d’identité génétique pour demain ?. Comptes Rendus. Biologies, Volume 338 (2015) no. 8-9, pp. 547-553. doi : 10.1016/j.crvi.2015.06.016. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/biologies/articles/10.1016/j.crvi.2015.06.016/

Version originale du texte intégral

1 Introduction

Quand le projet « Génome humain » (HGP) publia ses premiers résultats le 26 juin 2000, le Président américain Bill Clinton, entouré de Francis Collins, Craig Venter et James Watson, déclara : « Aujourd’hui, nous apprenons le langage avec lequel Dieu a créé la vie. » [1]. Cette ébauche de travail consistait en des milliers de petits segments d’ADN, dont l’ordre et l’orientation au sein du génome étaient largement inconnus, 70 % de la séquence ayant été obtenus à partir d’un seul individu anonyme, tandis que les 30 % restant provenaient de différents individus. En 2003, le consortium international propose une version plus ordonnée des 3,1 milliards d’unités de l’ADN humain [2] et, depuis, le séquençage du génome humain n’a cessé de s’affiner : séquençage plus rapide, plus précis, moins coûteux et provenant de nombreux individus [3].

Le HGP a mis en évidence que, parallèlement à une grande similarité génétique entre espèces différentes, une variabilité moléculaire impressionnante existe entre individus d’une même espèce. Les Genome-Wide Association Studies (GWAS) ont pour objectif d’identifier les petites variations dans le génome connues sous le nom de polymorphismes nucléotidiques simples (SNP). L’association éventuelle entre SNP et des traits observables (tels que la pression artérielle ou le poids), ou la présence/absence d’une maladie ou d’un état est alors étudiée. Si certaines des variations génétiques SNP sont significativement plus fréquentes chez les personnes atteintes de la maladie par rapport aux personnes sans maladie, elles sont dites « associées » à la maladie. Il semble en effet que la présence ou l’absence de certains SNP particuliers confère un risque de développer une variété de conditions. Les GWAS cherchent également à déterminer comment les polymorphismes nucléotidiques simples les plus communs sont répartis dans les différentes populations.

Nombreux sont ceux qui ont vu les premiers séquençages du génome humain comme un aboutissement des recherches en génomique. Mais ces séquençages ne sont en réalité qu’un point de départ pour comprendre la fonction normale de nos gènes, et le rôle de leurs variations dans la modulation des fonctions physiologiques et dans les pathologies qui affectent l’homme. C’est l’ère postgénomique.

La variabilité génétique interindividuelle est fondamentale pour la médecine de l’ère postgénomique : elle est au cœur de ce qui est appelé la médecine personnalisée. La rhétorique de la médecine personnalisée est basée sur trois éléments : la perspective de réduire les coûts en soins de santé ; la rapidité croissante avec laquelle les technologies parviennent à caractériser le génome et, enfin, un intérêt grandissant pour la translation de l’information génomique en de meilleurs outils pour la prédiction et la prévention des maladies. La forme la plus médiatisée de la médecine personnalisée est probablement le profilage du risque génétique. Avec le coût toujours décroissant du séquençage individuel, il est désormais possible pour tout le monde d’obtenir sa propre carte génétique, et donc de connaître son profil de risque pour un certain nombre de maladies.

Dans cette optique, plusieurs dizaines d’entreprises privées ont vu le jour depuis 2005, avec pour objectif commercial d’offrir au public une grande variété de tests génétiques : diagnostics préconceptionnels, des tests indiquant une prédisposition à des maladies courantes, profilage de risque pour la dépendance, nutrigénomique, pharmacogénomique et tests de généalogie. La plupart de ces entreprises sont basées aux États-Unis, mais certaines existent également en Europe et au Royaume-Uni, à Dubaï, au Canada et en Chine. Les entreprises les plus importantes et les mieux établies sont 23andMe, deCODEme et Navigenics [4].

Ainsi, pour un montant d’au moins 840 €, deCODEme propose une analyse de votre génome et étudie 47 risques de maladies et de prédispositions génétiques (http://www.gentest.fr/decodeme) : maladie coronarienne, diabète, réaction allergique à l’alcool, calvitie masculine ou informations généalogiques. Un « profilage » pour sept cancers communs, y compris le cancer du sein et le cancer de la prostate, ainsi que pour certaines maladies cardiovasculaires, peut être commandé moyennant un supplément. Les clients commandent un kit en ligne, prélèvent un échantillon de leur ADN, et l’envoient ensuite au laboratoire de l’entreprise pour les tests génétiques. Les résultats sont disponibles en ligne et peuvent être partagés avec la famille et les amis. deCODEme a même ajouté une « fonction de comparaison » à son logiciel, qui permet aux consommateurs de comparer leur profil génétique avec d’autres.

Les direct-to-consumer personal genetic tests, ou DTC-PGT, sont le résultat d’une translation directe entre l’accumulation du savoir en génomique et son application au service du citoyen et de la société. Ils offrent un nouveau paradigme pour les tests génétiques et, étant donné leur jeunesse, il est difficile d’en tirer des conclusions assurées sur leurs avantages et leurs limites éthiques.

Néanmoins, en termes d’avantages, il est à noter que les concepts d’autonomie, responsabilisation, prévention, commodité et confidentialité sont généralement les mots clés utilisés pour la commercialisation des tests génétiques DTC.

1.1 Droit d’accès à l’information personnelle

Les individus ont le droit fondamental d’accéder à des informations sur eux-mêmes, y compris génétiques. Les partisans du dépistage génomique DTC – essentiellement les entreprises elles-mêmes – soutiennent qu’il existe un intérêt public dans l’information génomique et qu’il est paternaliste de refuser aux personnes le droit d’accéder à des informations sur leur propre corps.

1.2 Autonomie et proactivité accrue

Ces tests permettent à leurs utilisateurs de prendre des décisions informées et autonomes dans leur vie quotidienne, en particulier pour surveiller ou améliorer leur état de santé. L’accès direct à des tests génétiques peut permettre au public de récolter l’information, de prendre des décisions proactives en connaissance de cause pour leur propre santé, comme décider de modifier un mode de vie ou un comportement dans le but de réduire les risques de maladie.

Par exemple, quelqu’un qui présenterait un risque plus important que la moyenne de la population de développer une thrombose veineuse peut adapter son comportement en avion : ne pas consommer d’alcool et bouger davantage.

1.3 Confidentialité accrue

Les entreprises DTC soutiennent que la commande d’un test génétique en dehors des systèmes traditionnels de soins de santé se traduit par une meilleure protection de la vie privée, du moins en ce qui concerne les compagnies d’assurance et les employeurs. Il s’agirait d’une alternative viable pour les personnes qui ont peur de la discrimination génétique.

De fait, les préoccupations concernant la confidentialité génétique constituent un enjeu pour l’éthique biomédicale depuis plus de 15 ans. Elles ont débuté dans les années 1990 dès le lancement du projet du génome humain (HGP) et la mise en place des banques de données sur les populations dans les années qui ont suivi. La crainte résidait dans le fait que l’information génétique sur les personnes, ou même sur des sous-populations puisse être utilisée pour discriminer ou stigmatiser [5]. Le sujet est sensible et a conduit le Sénat américain à adopter une loi en 2008 afin de prévenir la discrimination des personnes en relation avec leur profil génétique (GINA).

Les avantages précités en termes d’autonomie, responsabilisation, prévention et confidentialité répondent bien aux attentes des citoyens-patients modernes dans leurs rapports avec le milieu médical. Le modèle médical paternaliste, où le médecin est à la fois le détenteur de l’information et le décideur sous un mode quasi exclusif, est dépassé. Avec Internet, chacun a désormais un accès direct à certaines informations (forums, Wikipédia, etc., informations dont la qualité peut évidemment être questionnée) et avec elles, l’exigence d’autonomie décisionnelle se fait plus urgente. Internet bouleverse le dialogue patient–médecin et le patient moderne souhaite participer activement à la gestion de sa santé. En conséquence, l’éthique de la décision partagée est un domaine en plein développement. Les enjeux éthiques des tests génétiques DTC doivent être analysés dans ce contexte.

2 Enjeux éthiques et sociétaux

Les problèmes éthiques posés par les DTC-PGT sont assez nombreux, et la littérature est relativement unanime sur ces aspects critiques.

2.1 Manque d’utilité clinique

Certains tests proposés par la génomique DTC ont été validés cliniquement et servent déjà dans le cadre de la routine clinique : par exemple, les tests génétiques pour le cancer du sein familial et ceux pour la maladie de Huntington. Si un test est positif pour le gène de Huntington, il est certain que la personne développera la maladie au cours de son existence. Et un test positif pour les mutations BRCA signifie qu’une personne a, en gros, 50–85 % de risque de développer un cancer du sein ou de l’ovaire au cours de sa vie. Néanmoins, même si ces tests ont prouvé leur valeur de test diagnostique en milieu clinique, ils peuvent n’avoir qu’une validité limitée lorsqu’ils sont offerts comme test de dépistage pour le grand public [4]. Par exemple, les tests pour les gènes BRCA1 et BRCA2 n’ont pas été évalués en tant que tests de dépistage dans la population générale et peuvent ne pas être liés à un risque accru de cancer du sein chez les femmes qui n’ont pas d’antécédents familiaux de cette maladie [6].

Ces cas mis à part, la plupart des DTC-PGT proposés actuellement n’ont pas démontré leur utilité clinique. Un examen récent des tests génétiques commercialisés en ligne a mis en évidence que, pour eux tous, sauf deux, les associations gène-maladie sur lesquelles les tests sont basés étaient extrêmement modestes [7]. De fait, ce sont des tests qui fournissent des informations génétiques sur le risque d’avoir (ou de développer) des traits multigéniques complexes, tels que le diabète sucré, les maladies cardiaques ischémiques, l’obésité et le cancer. Par exemple, un test positif pour une maladie cardiaque signifie que le risque d’avoir une crise cardiaque à l’âge de 65 ans augmente de 1 % à environ 2 % [8]. La valeur clinique de ce type de test génétique est inférieure à la valeur clinique que représente la mesure du poids, de la pression artérielle et/ou du cholestérol. Un grand nombre de tests proposés n’ont donc pas passé l’étape de la validation clinique [9]. Ils fournissent des informations sur les risques possibles pour la santé ou les effets protecteurs sur la base de très modestes associations gène-maladie avec des données d’association génétique qui ne modifient les risques que d’un facteur de 1–5 % [10]. Compte tenu des faibles risques associés aux variants génétiques les plus communs et du fait que la plupart des variants identifiés à ce jour ne représentent qu’une petite fraction de la variance génétique d’une maladie, la valeur informative – et donc prédictive – de ces tests est limitée.

Les sociétés qui commercialisent les DTC-PGT ont également été accusées d’exagérer l’utilité du séquençage en biaisant l’information offerte au client. Ils font leurs calculs de risque en sélectionnant préférentiellement des études positives qui montrent des mesures significatives pour les gènes qui les intéressent, alors que certaines études ont été par la suite contredites et que leur utilité clinique s’est avérée nulle. Ainsi, des études récentes sur les tests CYP450 ont montré qu’en définitive ils étaient inutiles pour aider à la sélection des antidépresseurs [11,12].

Ce manque de rigueur explique également le fait que les estimations de risques proposées par les différentes entreprises sont souvent incompatibles entre elles, principalement en raison de l’utilisation de différents polymorphismes nucléotidiques simples (SNP) et de différents algorithmes de prédiction du risque [13]. Des tests génétiques commercialisés pour des problèmes de santé spécifiques (par exemple la dégénérescence maculaire liée à l’âge, la maladie d’Alzheimer, la maladie de Crohn, l’hypertension, l’angine de poitrine et la mort subite d’origine cardiaque) présentent des risques à la fois au-dessus et en dessous de la moyenne en fonction de l’entreprise concernée [4].

Le 22 novembre 2013, la Food and Drug Administration aux États-Unis demandait à la société 23andMe d’arrêter la vente de ses kits de génomique personnelle à 99 $. Cinq jours plus tard, le 27 novembre, elle déposait une plainte en Californie contre la société de génomique pour publicité mensongère : « 23andMe diffuse une publicité mensongère en affirmant que son kit permet de découvrir plus de 240 conditions et caractéristiques, réactions aux médicaments, maladies génétiques récessives », alors qu’il n’y a pas la moindre validation clinique ou analytique. Le 2 décembre 2013, 23andMe renonçait à la production et à la vente de PGT liés à la santé, et cette entreprise se contente désormais de proposer des données brutes concernant le génome et l’information généalogique… [14].

2.2 Absence de suivi et de conseil génétique

Au cours d’une enquête menée en 2012 sur 127 DTC-PGT, il est apparu que 95 % des tests n’étaient pas accompagnés d’un conseil génétique personnalisé au client [9]. Les conséquences de l’absence de suivi individualisé doivent être interprétées à la lumière des incertitudes qui accompagnent les tests génétiques personnalisés. La plupart des gens comprennent que le terme « risque » désigne la probabilité qu’un événement se produise. Dans le cadre des DTC-PGT, le risque renvoie à la probabilité qu’un individu avec un résultat de test positif développe un état (par exemple une maladie). Communiquer sur les risques devrait idéalement aboutir à une meilleure compréhension de la portée existentielle de ces statistiques et donc, également, à une prise de décision réellement informée, ce qui est la condition sine qua non d’un exercice plein de l’autonomie.

Il y a, cependant, un certain nombre d’obstacles qui peuvent compromettre une communication efficace sur les risques.

Les cas de résultats faux positifs ou faux négatifs ne sont pas à exclure, surtout quand les études utilisées pour mesurer les risques n’ont pas passé l’épreuve de la validation clinique. Un résultat faux positif pourrait ainsi causer des inquiétudes inutiles, de l’anxiété ou même un état dépressif, et inciter à la prise de mesures préventives non justifiées [15]. Certains soulignent que la prise en charge de mesures médicales inutiles et coûteuses pourrait avoir des conséquences budgétaires néfastes sur les systèmes publics de santé [4,16,17]. A contrario, d’autres études menées à ce sujet semblent montrer que l’impact des DTC-PGT sur les systèmes de santé est faible, étant donnée la demande modeste dans ce domaine [18–20].

Dans le cas de résultats faux négatifs, les consommateurs qui encourent vraiment un risque de développer des conditions multigéniques complexes peuvent être faussement rassurés, ce qui pourrait les dissuader de prendre des mesures préventives, ou de demander des soins médicaux, là où ils sont véritablement justifiés [8]. Dans tous les cas, il est important de comprendre que les risques représentent des estimations et qu’il s’agit de les interpréter en fonction des expériences personnelles. Pour faire sens, ils doivent être intégrés dans un bilan clinique et biologique complet, ce qui n’est pas proposé dans le cadre des DTC-PGT.

Mais, finalement, qui sont donc les usagers des DTC-PGT ? Les études ont montré que la majorité d’entre eux peuvent être appelés des early adopters, c’est-à-dire des personnes informées et intéressées par les nouvelles (bio)technologies et qui souhaitent aider à leur développement [21]. Les recherches d’analyse comportementale sur ces premiers utilisateurs sont assez unanimes : après leur séquençage, ils ne manifestent pas de modifications significatives d’un point de vue psychologique ou comportemental, et l’interprétation qu’ils font des résultats semble réaliste touchant à leurs avantages et à leurs limites. Il ne paraît pas y avoir de changements mesurables dans le niveau d’anxiété, la consommation de matières grasses, ou l’implication sportive après le dépistage génétique. La grande majorité des répondants ne montrent pas de perspectives déterministes sur la génétique, indiquant qu’ils pensent que les maladies sont multifactorielles et que l’information génomique ne saurait pas définitivement déterminer si oui ou non ils vont développer la maladie [22]. Enfin, peu ont communiqué avec leur médecin sur les résultats obtenus et ceux qui l’ont fait se sont souvent retrouvés face à un praticien qui ne savait quoi faire de cette information [22–24]. Le défi posé par les DTC-PGT existe donc également pour les médecins dans leur rapport au patient.

2.3 Vie privée et confidentialité

Malgré un argument de vente mettant en avant la confidentialité, il est important de souligner que le degré de protection de la vie privée varie sensiblement d’une entreprise DTC-PGT à l’autre. La société 23andMe permet aux consommateurs de choisir s’ils souhaitent communiquer des renseignements personnels, mais elle avertit que la divulgation des renseignements personnels est toujours possible. Elle n’exclut pas non plus d’autoriser l’accès à ses bases de données dans le cadre de partenariats commerciaux (www.23andme.com). deCODEme propose différents niveaux de visibilité, et ne donne accès à des tiers qu’avec l’autorisation explicite des consommateurs (www.decodeme.com). Navigenics se veut transparente : « If you elect to contribute your genetic information to science through the Navigenics service, you allow us to share your genetic data and your phenotype information with not-for-profit organizations who perform genetic or medical research. » (www.navigenics.com). Enfin, SeqWright tente d’assurer l’anonymat des données génétiques de ses clients en séparant les renseignements personnels de leurs informations génétiques (www.seqwright.com) [5].

De plus, il convient de souligner que les entreprises DTC-PGT sont incapables d’éviter que quelqu’un soumette un échantillon biologique d’une autre personne en son nom propre. Il est tout à fait possible de prélever un échantillon d’ADN d’une tierce personne (par exemple, un conjoint ou un enfant) et de faire une demande de séquençage en son nom. Dans certaines situations, cela peut constituer une violation importante de la vie privée [25].

Certaines personnes considèrent que les données génétiques représentent une information particulière et différente des autres données biologiques et que, à ce titre, le processus de consentement devrait être adapté. C’est ce qui est appelé l’exceptionnalisme génétique. Deux arguments majeurs sont avancés pour défendre l’exceptionnalisme génétique. Pour commencer, l’analyse des gènes ne fait pas que nourrir un diagnostic sur une maladie existante, elle peut aussi mettre en évidence des prédispositions à développer certaines maladies dans l’avenir. La discrimination pourrait donc s’appliquer à des personnes en bonne santé dans le présent mais potentiellement malades dans l’avenir. À cet égard, les enjeux liés à la confidentialité génétique seraient différents de ceux liés à la confidentialité des données médicales classiques. De plus, l’existence d’un variant génétique à risque chez un individu peut avoir des conséquences pour les membres de sa famille [26]. Il est donc important d’informer les utilisateurs des tests génétiques que les prédispositions de santé qui seraient identifiées pourraient avoir des conséquences sur leur avenir, leur assurance santé, leur carrière, leur mariage ou leurs choix en termes de reproduction.

Si ces conséquences potentielles ne peuvent pas être niées, elles ne justifient pas selon nous de faire des données génétiques un cas particulier du consentement informé. Les individus peuvent également être discriminés par des compagnies d’assurance sur la base de données de santé qui n’ont rien à voir avec les gènes (poids, métabolisme, maladie non génétique, antécédents familiaux, etc.). De plus, il n’y a pas que les gènes qui apportent des informations sur le futur médical d’un individu et qui pourraient avoir des conséquences néfastes sur des tiers.

2.4 Absence de réglementation claire

À l’échelle internationale, les approches réglementaires des tests génétiques DTC varient considérablement [27]. Quelques pays européens n’autorisent l’accès aux tests génétiques qu’à des professionnels de soins de santé, mais dans de nombreux autres pays, il n’y a pas ou très peu de réglementations spécifiques relatives aux DTC-PGT.

Les DTC-PGT ont attiré l’attention de la Food and Drug Administration (FDA) en 2010 quand Pathway Genomics s’est associée avec Walgreens Drug Stores aux États-Unis. Il était alors convenu de vendre les kits salivaires de tests ADN dans plus de 6000 magasins sur tout le territoire américain. Ce passage des DTC-PGT d’Internet à la vente au détail a rendu plus urgente la question de la qualité du service proposé par les entreprises de génomique et de l’existence d’une réglementation adéquate [28]. J’ai signalé précédemment l’attaque menée par la FDA contre 23andMe pour publicité mensongère. Parallèlement, les National Institutes of Health (NIH) ont construit une base de données en ligne, le Genetic Testing Registry (GTR) [29], qui permet au public de trouver une information fiable sur la disponibilité, la validité clinique et l’utilité des différents tests génétiques. La transparence et la centralisation de l’information devraient nourrir l’esprit critique des consommateurs face aux arguments de vente des entreprises DTC-PGT.

3 Médecine et ère de l’information

Les tests génétiques DTC sont au croisement de plusieurs courants philosophiques et techniques.

Pour commencer, ils s’inscrivent dans la volonté postmoderne d’encourager le développement d’une médecine autonomiste et le rejet du paternalisme médical. Avec le développement extraordinaire de la biologie au XXe siècle, l’homme se conceptualise de plus en plus en termes biologiques. Et cette conceptualisation, associée à la recherche d’autonomie dans le domaine médical, offre un terrain de choix pour les DTC-PGT. Certes, les entreprises DTC ne prétendent pas fournir un service médical, mais il s’agit néanmoins dans leur rhétorique de permettre aux clients d’obtenir des informations sur le corps, exploitables au niveau de la santé.

Ensuite, ces tests se développent grâce à l’émergence d’une ère de l’information distribuée et coopérative via Internet. La volonté d’autonomie s’exprime particulièrement bien sur Internet avec ses forums sur la santé et son accès inégalé à l’information. Internet développe d’ailleurs une politique de libre accès des données, comme le montre Google. Le partage des connaissances se veut de plus en plus large et le filtre interprétatif de l’expert est parfois regardé avec suspicion. La politique du libre accès se généralise, notamment dans le domaine de la recherche scientifique – pour obtenir des financements, il faut désormais prendre des initiatives en termes de partage des savoirs, et assurer le libre accès aux résultats produits (publications scientifiques, mais aussi données brutes).

Le projet « Génome humain » a suivi cette approche en libre accès dans les principes des Bermudes de 1996 : « It was agreed that all human genomic sequence information, generated by centres funded for large-scale human sequencing, should be freely available and in the public domain in order to encourage research and development and to maximise its benefit to society » [30], puis en 2003 dans les règles de Fort Lauderdale [31], qui soulignent que l’approche collaborative de la génomique personnelle a pour objectif d’optimiser le travail des chercheurs. De façon générale, la nouvelle politique sur la publication en libre accès a été étendue à l’ensemble des données de recherche (y compris les données de prépublication) lors du Toronto International Data Release Workshop en 2009 [32], même si la recherche de confidentialité dans le domaine du séquençage génétique reste un point majeur de réflexion [33].

Pour l’instant, les utilisateurs des DTC-PGT sont des early adopters, technophiles et informés. Ils ne sont donc sans doute pas complètement représentatifs du grand public, mais ils donnent un aperçu de ce que pourraient être les interactions entre le public et ce type de données. La juriste canadienne Bartha Knoppers souligne que l’ère de l’information invite à repenser les normes éthiques qui régissent la recherche clinique dans le contexte du data-driven research et de la bio-informatique des systèmes sociaux d’aujourd’hui. « Perhaps it is time to create ethics review and oversight systems that are particularly adapted for those citizens who seek either to participate through online services or to contribute to population research resources. Both are contexts of minimal risk and require structural governance reforms rather than the application of traditional ethics consent and privacy review processes that are more suited to clinical research involving drugs or devices. In this information age, genetic information is probabilistic, and participating in population or online studies might not create the fatalistic and harmful discriminatory scenarios originally perceived or imagined. The time is ripe for a change in governance and regulatory approaches, a reform that is consistent with what citizens seem to have already understood and acted on. » [4].

Il reste que la translation directe entre les données des GWAS et la mise sur le marché de tests basés sur ces associations est un abus commercial évident. De plus, les données stockées par ces entreprises servent peu aux chercheurs et aux médecins, alors même qu’ils en appellent au séquençage massif des génomes pour améliorer les outils diagnostiques et thérapeutiques. Dans cette perspective, une initiative s’est développée dans les murs de l’université de Harvard en 2005, le Personal Genome Project, en cohérence avec la volonté de séquençage massif et la politique du libre accès à l’ère de l’information connectée.

4 Personal Genome Project

Le généticien et professeur de Harvard George Church a fondé le projet « Génome personnel » (PGP) en 2005. Ce projet est basé sur l’idée que des renseignements personnels généraux et complets – en combinaison avec les données du génome – sont nécessaires pour comprendre les diverses conséquences fonctionnelles des variations génétiques. Il s’agit de mettre en relation les données de séquences génomiques avec des analyses des tissus, des données moléculaires (métabolome, microbiome, VDJome), des données environnementales (régime alimentaire, exposition aux polluants, etc.) et une description précise des traits phénotypiques (phénome) [3], tout en rendant cet ensemble de données accessible au public et aux chercheurs du monde entier.

Cette idée soulève des problèmes éthiques évidents sur le partage des données et la confidentialité. Certes, les données personnelles peuvent être publiées anonymement, mais si elles sont disponibles en plus d’un site sur Internet, alors il existe un risque non négligeable de possible identification par recoupement, malgré l’anonymat. De plus, la popularité croissante des réseaux sociaux sur Internet appelle à faire évoluer la notion traditionnelle de « confidentialité » sur les données personnelles. Par exemple, de nouveaux groupes sociaux fondés sur « l’identité » génétique et le risque ont vu le jour [34].

Ainsi, pour ne pas revenir sur la politique du libre accès, qui est considérée comme une avancée importante pour la recherche collaborative, George Church défend la nécessité d’une nouvelle approche du consentement informé : le consentement libre. Il faut éviter de promettre le respect de la vie privée, et recruter des bénévoles qui comprennent les risques et veulent rendre leurs données à caractère personnel accessibles publiquement. Le modèle de consentement libre est basé sur le postulat que la décision autonome et la validité du consentement doivent reposer sur des informations « vraies » et complètes. Il ne peut donc renvoyer à une promesse idéaliste de confidentialité [35]. Les informations « vraies » doivent souligner les difficultés qu’il y a à sécuriser les données sur Internet et les limites des mesures de confidentialité. Le respect de la vie privée ne peut pas être garanti et ne peut pas servir de préalable au consentement [3,36]. De plus, il s’agit également de communiquer sur les incertitudes de la recherche et de souligner la possibilité d’erreurs : les données ne sont pas toujours validées cliniquement, même si elles permettent de faire avancer la recherche en génomique de façon globale, notamment grâce à des erreurs.

L’approche non anonyme va de pair avec un système collaboratif à grande échelle. D’une part, les participants potentiels au PGP sont testés – notamment sur leur connaissance en génétique – pour garantir leur pleine connaissance des conséquences éventuelles de la participation. Ils manifestent généralement un niveau d’engagement élevé et ils ont un plein accès à leurs données et à l’usage qui en est fait dans les programmes de recherche [36]. Au 31 décembre 2013, 3181 participants étaient inscrits.

D’autre part, les bases de données et le logiciel qui tente d’interpréter et de connecter entre elles toutes ces données, le GETEvidence (Genome–Environnement–Trait), sont accessibles à tout utilisateur enregistré. Les créateurs du PGP espèrent que l’échange d’information et le partage d’évaluations scientifiques entre chercheurs connectés permettra d’atteindre un consensus public sur l’interprétation des variants génétiques [37].

George Church et son équipe expliquent que le modèle de consentement libre et de non-anonymat a montré plusieurs avantages. Pour commencer, il n’y a plus d’isolement : les participants et les chercheurs peuvent se rencontrer lors des GET conférences organisées par le PGP. Certains ont également créé un forum et des groupes en ligne sur Facebook ou LinkedIn [38]. Ils peuvent ainsi partager leurs connaissances, leurs expériences, et s’entraider dans l’interprétation et la gestion des résultats du séquençage. Certains participants – comme les professeurs d’université Steven Pinker et Misha Angrist [39,40] – ont même choisi de communiquer publiquement sur leur séquençage global. Le journaliste John Lauerman notamment a partagé le fait que le PGP a trouvé dans son ADN un variant génétique très spécifique (JAK2-V617F), qui est lié à des maladies rares du sang [41]. C’est la première fois que ce variant était identifié chez une personne en bonne santé, et cela implique évidemment un suivi de santé préventif très régulier.

Ces témoignages permettent de réfléchir sur un plan prospectif quant à l’évolution des modèles collaboratifs connectés de la (post)génomique. Le PGP s’offre en modèle d’étude transparent et en constante évolution pour les analyses sociologiques, éthiques ou juridiques (ELSI) sur les enjeux des analyses génétiques individuelles [3].

5 Conclusion : une carte d’identité génétique pour demain ?

La carte d’identité génétique existe déjà aujourd’hui. Elle est disponible à la fois via des entreprises commerciales de génomique – les DTC-PGT – et des initiatives de recherche collaborative – le PGP. Néanmoins, la portée et la qualité prédictive des séquençages génétiques individuels sont encore loin d’être acquises. Le travail d’interprétation est encore énorme. La translation adéquate des informations génomiques en outils prédictifs à la fois dans le domaine clinique et sociétal est en voie de construction.

Les arguments de vente liés aux DTC-PGT sont de trois niveaux : l’autonomie, le droit d’accéder à des informations personnelles et la confidentialité. Ces deux premiers avantages peuvent-ils être obtenus par une autre voie que celle de la commercialisation ? Certainement, et le Personal Genome Project en est un exemple. De même, il a été montré que la confidentialité des données génétiques individuelles ne peut être garantie sur internet. À cet égard, le Personal Genome Project refuse de promettre la confidentialité aux participants à travers le concept de « consentement libre », comme une résonance à celui de « libre accès », si cher au monde virtuel. Un consentement réellement informé doit reposer sur la vérité, et cette vérité implique que la confidentialité des données personnelles sur Internet ne peut être garantie.

Bartha Knoppers en appelle à faire évoluer les normes éthiques en termes de confidentialité et de respect de la vie privée en regard de l’évolution de l’ère de l’information, soulignant que les scénarios catastrophe de discrimination et de déterminisme ne sont probablement pas une fatalité. Il existe d’autres possibles. Et des initiatives comme celle du PGP peuvent non seulement faire avancer la recherche – dans son aspect collaboratif et connecté – mais également d’un point de vue sociétal – dans sa transparence. Les artisans des réflexions éthiques, sociologiques et juridiques sur l’existence des cartes génétiques individuelles trouvent là un modèle d’analyse à la fois novateur et prometteur.

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.


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