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Comptes Rendus

Vaccination ARN messager (ARNm), modèle de transition de la biologie fondamentale à la médecine
Comptes Rendus. Biologies, Volume 346 (2023) no. S2, pp. 69-74.

Résumés

Soixante ans ont séparé la découverte de l’ARN messager (ARNm) et l’utilisation de cette molécule dans une campagne planétaire inédite de vaccination ayant permis le contrôle de la pandémie de Covid-19. Soixante ans de doutes chez certains et de certitudes chez d’autres sur la possibilité d’utiliser l’ARNm — un exemple de biologie de synthèse — en médecine thérapeutique et en vaccinologie. Des années de recherche et de développement «  translationnels  » pour aboutir au succès de vaccins à ARNm anti-Covid-19 et à la promesse d’autres à venir contre de nouveaux pathogènes émergents. Un nouveau paradigme de la vaccinologie permettant d’attaquer les pandémies dans le temps de leur émergence. Une leçon à tirer, le progrès médical est moins affaire de temps que de la nature décisive de la découverte biologique qui le sous-tend. François Gros, acteur de la découverte de l’ARNm a pu, avant de nous quitter, juger de la pertinence de cette évidence.

Sixty years elapsed between the discovery of messenger RNA (mRNA) and the use of this molecule in an unprecedented global vaccination campaign that brought the Covid-19 pandemic under control. Sixty years of doubts for some and certainties for others about the possibility of using mRNA—an example of synthetic biology—in therapeutic medicine and vaccinology. Years of “translational” research and development have culminated in the success of anti-Covid-19 mRNA vaccines and the promise of more to come against emerging pathogens. A new paradigm in vaccinology, enabling pandemics to be tackled as they emerge. A lesson to be learned: medical progress is less a question of time than of the critical nature of the biological discovery that underpins it. Before leaving us, François Gros, who played a key role in the discovery of mRNA, was able to appreciate the relevance of this obvious fact.

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DOI : 10.5802/crbiol.129
Mot clés : ARNm, Vaccins, Covid-19, Biologie synthétique
Keywords: ARNm, Vaccines, Covid-19, Synthetic biology
Philippe J. Sansonetti 1, 2

1 Unité de Pathogénie Microbienne Moléculaire, Institut Pasteur, Université de Paris, Paris, France
2 Collège de France, Paris, France
Licence : CC-BY 4.0
Droits d'auteur : Les auteurs conservent leurs droits
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Philippe J. Sansonetti. Vaccination ARN messager (ARNm), modèle de transition de la biologie fondamentale à la médecine. Comptes Rendus. Biologies, Volume 346 (2023) no. S2, pp. 69-74. doi : 10.5802/crbiol.129. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/biologies/articles/10.5802/crbiol.129/

Version originale du texte intégral (Proposez une traduction )

La vaccination à ARNm illustre l’apport décisif de la recherche en biologie fondamentale à des découvertes médicales révolutionnaires. L’ARNm fut découvert en 1961, collaborativement, par des chercheurs de l’Institut Pasteur, particulièrement François Gros qui fut un acteur important de cette découverte, François Jacob et des chercheurs aux États-Unis tels Sidney Brenner et Jim Watson [1, 2]. 60 ans plus tard s’engagerait la campagne planétaire de vaccination contre la pandémie de Covid-19 reposant largement sur des vaccins ARNm utilisés pour la première fois chez l’homme à une telle échelle.

Considérant l’exemplarité de cette filiation scientifico-médicale, il est intéressant d’en suivre le fil conducteur qui est pour l’essentiel celui de la révolution moléculaire de la médecine dans la dernière partie du XXe siècle.

Cette découverte de l’ARNm fut fondamentale car elle apportait le « chaînon manquant » entre gène et protéine tel que conceptualisé par Jacques Monod et François Jacob dans une revue de référence dont le titre vaut d’être cité : Genetic regulatory mechanisms in the synthesis of proteins [3]. Ce messager hypothétique qui apparaissait sur les schémas avec un point d’interrogation était finalement une molécule d’ARN. L’article de Gros et collaborateurs se lit comme un roman policier. De faibles indices indiquaient l’ARN comme un suspect, mais les premières analyses déçoivent. L’infection d’Escherichia coli par le phage T2 ne montre pas l’augmentation massive d’ARN phagique attendue. Déception, faut-il revoir les hypothèses ? Non, on s’accroche au suspect principal, mais peut-être est-il labile, à courte durée de vie ?

On utilise alors des techniques héroïques de marquage-chasse (« pulse-chase ») par de fortes quantités de nucléosides radioactifs (P32), les compteurs grésillent et la signature apparait enfin sur les graphiques. L’ARN suspect est bien le coupable, c’est lui le « chaînon manquant » : l’ARNm. Difficile de ne pas citer in extenso la conclusion de l’article de Gros et collaborateurs : « Our pulse experiments show that uninfected cells contain unstable RNA with sedimentation constants and attachment properties similar to those of T2 specific RNA. It is tempting to believe that those unstable molecules convey genetic information and are “messenger” RNA. »

Cette labilité est au fond logique en regard de la nécessité vitale pour la cellule de ne pas accumuler les ARNm « transcrits » à partir de l’ADN génique, et donc les protéines « traduites » à partir de ces ARNm, dont la diversité et l’excès deviendraient rapidement toxiques, tout en épuisant inutilement les ressources cellulaires en nucléosides et acides aminés. La cellule dispose donc de complexes enzymatiques, les RNAses, chargées de dégrader ces ARNm au fur et à mesure de leur traduction en protéines sur les ribosomes.

Confirmant l’adage de Jacques Monod selon lequel « ce qui est vrai pour Escherichia coli l’est aussi pour l’éléphant », l’ARNm fut rapidement identifié chez les cellules eucaryotes.

Dès les années 1970, les enzymes de restriction, capables de couper l’ADN en des séquences spécifiques [4], furent identifiés chez E. coli, permettant, suite à l’article fondateur de Paul Berg à Stanford, l’émergence du « génie génétique » [5]. L’année suivante, Herbert Boyer et Stanley Cohen, respectivement à UCSF et à Stanford, insérèrent dans un plasmide, un gène de grenouille, puis introduisirent cet ADN recombinant dans E. coli qui, en se divisant, assura la réplication du plasmide, assortie de l’expression du gène de batracien dans les bactéries [6]. Le clonage génétique était né … Cependant, aussi spectaculaire que fut l’avancée scientifique, Paul Berg s’alarma immédiatement des risques du clonage de gènes eucaryotes dans des organismes procaryotes et de leur possible dissémination accidentelle dans l’environnement. Il demanda un moratoire sur le clonage génétique et une controverse s’éleva amenant d’éminents généticiens à se réunir en 1975 à Asilomar aux USA. Jugeant les risques maitrisables, ils établirent des règles de sécurité encadrant ces techniques, sans pour autant les interdire.

Cette même année, à l’Institut Pasteur, Philippe Kourilsky et François Rougeon, en collaboration avec Bernard Mach à Genève, établirent les conditions du clonage de l’ARNm [7], permettant ainsi un accès direct à la séquence codante, évitant en particulier de « jongler » avec les processus d’épissage génique. Cette approche représentera un tournant de la biologie de synthèse naissante, anticipant les plates-formes de production d’ARN messager à usage thérapeutique et vaccinal.

La médecine devint ainsi moléculaire. Les débuts furent essentiellement marqués par le développement des biotechnologies. Dès 1976, Herbert Boyer créait Genentech, la première des « biotechs », proposant un nouveau paradigme à l’industrie du médicament et offrant à la recherche académique de pointe la possibilité de prendre sa place dans l’innovation médicale. On verrait vite fleurir ces « nouvelles pousses » dans lesquelles s’investirent une masse de capitaux américains à faire pâlir l’Europe qui avait pourtant été un moteur de la révolution moléculaire. Les chercheurs français ne furent cependant pas en reste, la première biotech française, Transgène, fut créée dès 1979 à Ilkirch par Pierre Chambon et Philippe Kourilsky [8]. À l’Institut Pasteur, le Groupement de génie génétique (G3) verrait naître grâce aux travaux de Pierre Tiollais, le premier vaccin recombinant génétique, celui de l’hépatite B [9].

Le premier objectif de Genentech était le clonage des hormones du métabolisme humain dont la production restait classique, par extraction à partir des organes producteurs animaux, voire parfois humains. En 1977, le gène de l’insuline du rat fut cloné dans E. coli [10], ouvrant la voie au clonage de son homologue humain. Premier clonage d’un gène d’intérêt médical et apparition en 1982 sur le marché de la première insuline humaine produite par des bactéries, progrès décisif en regard de la lourdeur et des coûts de la production classique d’insuline à partir d’extraits de pancréas de porc, mais aussi progrès thérapeutique car l’utilisation d’insuline humaine limitait la production d’anticorps anti-insuline chez les patients, une cause d’insulino-résistance. D’autres hormones suivirent rapidement en différents lieus.

D’autres contributions fondamentales suivirent et se profila bientôt un modèle de coopération entre biotechs et « big pharmas » où les premières assumaient un rôle croissant dans la recherche d’amont et les secondes se concentraient sur le développement, y compris production, sécurité, études cliniques, enregistrement et mise sur le marché du produit, qu’il s’agisse d’un médicament ou d’un vaccin.

Dans la dernière décennie du XXe siècle s’ouvrit un nouvel horizon de la médecine moléculaire. Au-delà de l’injection d’une molécule manquante par son équivalent produit par génie génétique, on s’attaquait à la réparation du génome, offrant au patient la possibilité de produire par lui-même une molécule dont l’expression ou la fonction était perdue du fait d’une mutation. De nombreuses maladies, plus ou moins rares étaient candidates pour cette thérapie génique : mucoviscidose, hémophilie, drépanocytose, maladies neuromusculaires, déficits immunitaires congénitaux. Une des premières thérapies géniques fut réalisée à l’Hôpital Necker à Paris dans le groupe d’Alain Fischer, chez un enfant atteint d’un déficit immunitaire combiné sévère (SDICS) lié au chromosome X [11]. Les cellules souches hématopoïétiques de l’enfant infectées par un rétrovirus porteur du gène réparateur, lui avaient été réinjectées, obtenant une réparation soutenue du déficit immunitaire. La faisabilité de l’approche était confirmée, mais la survenue dans quelques cas — en France et ailleurs — de leucémies, indiquait que le gamma-rétrovirus vecteur s’était intégré au sein du promoteur d’un gène promoteur de tumeur et l’activait de manière incontrôlée. Ces accidents sporadiques suscitèrent des travaux complémentaires visant à éviter ces intégrations inopportunes, Le développement à partir de l’année 2000 du séquençage du génome humain — une autre étape clé de l’évolution de la médecine moléculaire [12] — permit d’éclaircir la nature des événements d’intégration des vecteur rétroviraux dans des sites inappropriés et largement d’y remédier.

Ces incidents suscitèrent cependant une certaine inquiétude qui incita des chercheurs à explorer, au cours des années 1990, le potentiel de l’utilisation de l’ARNm comme alternative à la « thérapie génique ADN ». Plus que de « thérapie génique ARN », on parla de « transcription in vitro » de l’ARNm (IVT). On commença à en explorer le potentiel thérapeutique sur des œufs de grenouille, des lignées cellulaires en culture et sur la souris. En résumé, une séquence génétique d’ADN est synthétisée in vitro en alignant les codons nécessaires à coder une protéine d’intérêt et cet ADN synthétique est transcrit en culture cellulaire, obtenant ainsi un ARNm susceptible d’être traduit en la protéine d’intérêt après entrée dans le cytoplasme d’une cellule cible. Ce type d’approche illustrait la montée en puissance de la biologie synthétique déjà mentionnée. En regard de la thérapie ADN, l’IVT-ARNm présente l’avantage de s’effectuer hors du noyau, évitant tout risque d’intégration génomique inappropriée, et de programmer directement la cellule cible à produire la protéine attendue dans la durée de vie de l’ARNm.

Elle présentait cependant des obstacles indiscutables. D’abord une médiocre biodisponibilité. L’ARNm a en effet une durée de vie inférieure à 5 minutes dans le sérum du fait de la présence de ribonucléases, et de plus, il ne peut quasiment pas pénétrer dans les cellules [13]. À supposer que ces deux obstacles soient surmontés, demeure celui d’une activité fortement pro-inflammatoire de l’ARNm qui, en tant qu’ARN simple brin, est reconnu par des senseurs dédiés de l’immunité innée comme les Toll-like Receptors 7 et 8 (TLR7 et 8) [14] et divers autres senseurs présents dans le cytoplasme cellulaire. Stimulés par l’ARNm, ces senseurs activent les voies NF-kappaB, responsable de la transcription des gènes des principales cytokines pro-inflammatoires, et IRF responsable de la transcription des gènes des Interférons de type 1, molécules pro-inflammatoires et premières barrières de la réponse aux infections virales.

Et ce n’est pas tout … À cette activité pro-inflammatoire de l’ARNm affectant son utilisation en clinique s’ajoute — minorant plus encore sa biodisponibilité — sa rapide dégradation cytoplasmique par un système élaboré de RNAses, des complexes enzymatiques fonctionnellement couplés à la traduction protéique. Les complexités du cahier des charges, rendirent le démarrage difficile. Dès 1993, cependant, Pierre Meulien, Jean-Paul Lévy, Jean-Gérard Guillet et leurs collaborateurs avaient montré la faisabilité du principe de vaccination à ARNm chez la souris en stimulant, par de l’ARNm encapsulé dans des liposomes, la production de lymphocytes T cytotoxiques contre le virus grippal [15]. Les applications cliniques initiales, s’effectuèrent au tournant des années 2000, se focalisèrent sur l’immunothérapie personnalisée du cancer dans des conditions où la gravité de la pathologie et le nombre restreint de cas traités justifiaient l’acceptation d’un rapport risque-bénéfice non optimal. Il était cependant évident que l’utilisation plus large nécessiterait des améliorations majeures. Les travaux de chercheurs comme Ugur Sahin, Ozlem Tureci et Christoph Huber en Allemagne amenèrent en 2008 à la création de BioNTech à Mayence qui commença à élargir ses activités à la conception de vaccins à ARNm contre des maladies infectieuses, et la thérapie IVT-ARNm de maladies rares. D’autres compagnies misant sur l’ARNm émergèrent à cette même époque comme Moderna aux USA. BioNTech établira un partenariat avec Pfizer aux USA en 2017. Mais les obstacles soulevés précédemment demeuraient. C’est en 2009, dans cette période de transition vitale pour assurer la faisabilité des stratégies thérapeutiques et vaccinales de l’ARNm que Katalin Kariko rejoint BioNTech. Elle apporte une expertise considérable qui va définitivement lancer le développement élargi de l’approche IVT-ARNm, particulièrement dans le domaine de la vaccination. Elle est biochimiste, formée en Hongrie, et spécialisée très tôt dans l’ARNm. Faute de moyens, elle rejoint les USA en 1985, à Philadelphie, d’abord à l’univerité Temple, puis l’université de Pennsylvanie (U. Penn), Dès 1990, elle développe la synthèse in vitro avec l’objectif d’une administration/traduction protéique in vivo. Elle suivra cette route en dépit d’une communauté scientifique qui, en général, ne croyait pas trop à l’ARNm comme outil thérapeutique du fait des limitations déjà soulignées. Elle poursuivra ainsi ses travaux en dépit de ses échecs à obtenir un financement du NIH.

Le tournant sera sa rencontre avec un immunologiste de U. Penn, spécialiste de l’immunité innée et de la vaccination, Drew Weissman. Avec lui, elle va contribuer à contourner plusieurs des faiblesses de l’ARNm thérapeutique ou vaccinal.

Ils vont attaquer de front les principaux obstacles techniques, en particulier l’activité pro-inflammatoire de l’ARNm qui va être réduite en combinant une purification avancée de la molécule, éliminant des composés contaminants accumulés au cours des étapes de préparation : ADN et ARN double brin, eux aussi très pro-inflammatoires. Ceci fut surtout acquis en remplaçant les résidus uridine des codons des ARNm — largement impliqués dans la reconnaissance par TLR 7 et 8 — par des pseudouridines existant dans les ARN ribosomaux, ceci sans changer la fidélité de lecture des codons [16]. Moderna développera une approche alternative utilisant le fait que le code génétique est dégénéré et que certains codons sans uridine peuvent coder pour un même acide aminé.

La présence des pseudouridines augmentait par ailleurs l’efficacité de traduction des ARNm modifiés, surtout si on y associait des modifications de la coiffe 5′ de la molécule d’ARNm et que l’on allongeait sa queue polyA 3′. La « traductibilité » de l’ARNm était ainsi largement optimisée, tout en ménageant une réduction des propriétés pro-inflammatoires de la molécule. Restait à améliorer les formulations galéniques. Ceci reposa sur des techniques dérivées de la chimie des liposomes obtenant la capture des molécules d’ARNm vaccinant au sein de nanoparticules lipidiques (NPL) assurant leur protection de la dégradation par les ribonucléases tissulaires et l’association à la membrane cellulaire, suivie de fusion et libération de l’ARNm dans le compartiment cytoplasmique [17]. L’accès direct aux ribosomes assurait alors la traduction de la protéine d’intérêt optimisée des ARNm vaccinant à laquelle il convient d’ajouter en amont la mise en place de plateformes de synthèse de gènes performantes et d’un coût abordable.

C’est la maîtrise et l’intégration de l’ensemble de ces concepts et techniques qui permit de mettre en place des « pipelines » qui offrirent en un temps record des vaccins performants et bien tolérés dans le temps de la pandémie de Covid-19. Ils ont donc, de par cette rapidité de mise en œuvre, largement participé au contrôle de cette pandémie, sauvant ainsi des millions de vies humaines sur la planète. De la séquence connue de la protéine de spicule S1 de la surface du SARS-CoV-2, début janvier 2020, à l’obtention des résultats des études cliniques, aux enregistrements par les organismes de régulation, à la production et à la mise sur le marché, 11 mois à peine se sont écoulés et la méthode a refait ses preuves en permettant l’introduction de la protéine S1 du variant Omicron qui menaçait l’efficacité protectrice du vaccin initial. Dans ce domaine, on n’avait jamais assisté à une telle accélération du temps scientifique. Dommage pour d’autres approches, en particulier l’approche des vaccins Adéno-recombinants, mais aussi des approches plus classiques. Tous ont montré des faiblesses qui furent impitoyablement sanctionnées par le crash test que fut la course au vaccin contre la Covid-19 … La vaccination à ARNm en sort comme un nouveau paradigme en vaccination humaine après des balbutiements en vaccination vétérinaire. Les vaccins du futur seront-ils tous des vaccins à ARNm ? Certainement non. Cette approche semble mal adaptée à la production de vaccins complexes, soit par le nombre d’antigènes nécessaires ou par la nature de ces antigènes comme les polyosides capsulaires bactériens. D’aucuns ne manqueront pas d’essayer, qui ne tente rien …

Inversement, cette approche semble idéale pour les épidémies ou les pandémies virales émergentes où un antigène protéique majeur assure la protection [18]. Zika, Chikungunya, dengue, Ebola et autres fièvres hémorragiques sont déjà dans le « pipeline ». Dans ce contexte, un objectif hautement mobilisateur est la grippe aviaire dont le taux de létalité des quelques centaines de cas sporadiques humains déjà causés par le sérotype H5N1 est de 60 %, supérieur donc à la mortalité due au virus Ebola. Certains autres sérotypes possiblement pandémiques existants ou anticipés font déjà l’objet de développements vaccinaux ARNm.

Il existe enfin une marge d’amélioration des vaccins à ARNm eux-mêmes en réponses aux quelques faiblesses qu’ils ont pu montrer concernant notamment la protection des muqueuses et la durée de la mémoire immunitaire B [19]. La science y répondra.

Un an après la disparition de notre ami et modèle François Gros, il paraissait utile de retisser les fils d’une saga de soixante ans au cours de laquelle l’ARNm qu’il avait découvert est devenu, comme nous en avions souvent discuté, un moteur décisif du progrès médical. François a pu y assister avant de disparaître. Lui, si attaché au partage du progrès scientifique avec les populations des contrées en développement a sans doute regretté l’égoïsme dont ont fait preuve les pays nantis lorsqu’il a s’agi de partager un accès équitable aux vaccins innovants contre la Covid-19. Enfin, quel plus bel exemple pour convaincre nos leaders politiques de l’exigence prioritaire du soutien à une recherche fondamentale forte comme garantie du progrès médical.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne rec˛oivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leurs organismes de recherche.

Remerciements

Je remercie Margaret Buckingham et Philippe Kourilsky pour leur relecture attentive de ce manuscrit et leurs suggestions pertinentes.


Bibliographie

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