Abridged English version
Populus alba is a common species of the present-day Mediterranean riparian forests. According to several Mediterranean floras, this species is considered as cultivated or sub-spontaneous around the western Mediterranean Basin. In this region, its presence and development is attributed to the Roman civilisations, which are supposed to have introduced this species during their colonisation. This note presents original data based on leaf imprints preserved in a travertine sequence, which aim to clarify the ecological status, whether natural or introduced, of Populus alba in the western Mediterranean Basin.
A travertine is a calcareous formation resulting from physiochemical mechanisms in relation with the saturation of water in bicarbonate and biological processes. They usually enclose leaf imprints conserved in constructed facies (travertine facies), often allowing a specific determination.
The travertine formation studied is located at Saint-Antonin, near the Sainte-Victoire Mountain (Bouches-du-Rhône, southern France). The thickest travertine formation is situated at approximately 400 m a.s.l. and presents 12 distinct levels, corresponding either to constructed, chalks and detrital deposits. The present-day vegetation around the site is mostly characterized by oak woodlands (Quercus ilex and Q. pubescens). In the frequently burned areas, Pinus halepensis is predominant.
The leaf imprints from the travertine blocks were extracted with hammer and chisel, and drawn after-wards using a stereomicroscope (×6; ×12) coupled with a ‘camera lucida’. Taxonomic identifications were based on the observation of morphological features of the leaves (margin, venation, …) and compared with specimens from a leaf collection and data from morphological atlases. Three 14C dates on calcite were obtained from levels 1 (8890±70 14C BP: Beta 91534), 5 (6700±80 BP: Beta 91532) and 12 (4840±210 BP: Beta 91530).
The levels 1 and 4 contain several leaf imprints of Populus. The foliar morphological characteristics of these specimens are comparable to present-day Populus alba. The fossil leaves present a whole lamina measuring between 3.5 to 6 cm in length and 3 to 5 cm in large, with a lobed margin. The venation corresponds to acrodromous/camptodromous type (three basal primary venations with secondary ones joined together in a series of prominent arches).
These imprints of Populus alba are associated with those of Quercus pubescens, Acer monspessulanum, A. campestre, A. pseudoplatanus, Sorbus domestica, Cornus sanguinea, Phragmites communis, Salix viminalis, S. cinerea, S. purpurea, Vitis vinifera, Fraxinus oxyphylla, cf. Prunus avium, Pistacia terebinthus, Smilax aspera, Olea europaea, Amelanchier ovalis, Hedera helix, Phillyrea media, Buxus sempervirens, Rosa cf. canina, Rhamnus alaternus, Viburnum tinus and cf. Frangula alnus. The different assemblages indicate hydrophilic and/or mesophilic woodlands.
The level 1, where the majority of imprints of Populus alba were collected, was deposited during the first part of the Holocene (8890±70 14C BP), i.e. 7800 years before the Roman colonisation in Provence. The presence of Populus alba during the Early Holocene indicates that this species is a spontaneous component of the southern France vegetation.
These results were confronted with other paleaobotanical data on Populus alba from other deposits located around the western Mediterranean Basin.
At Saint-Guilhem-le-Désert (France, Hérault), a travertine formation has provided two leaf imprints of Populus alba. Two 14C dates were obtained on charcoal fragments collected in detrital levels surrounding the travertine facies where the Populus alba leaves were collected. The dates, 8450 and 6997 cal. BP, indicate that this facies was deposited during the optimal climatic phase of the Holocene. The foliar assemblage is characterised both by hydrophilic (Salix viminalis, Salix sp., Populus alba, P. nigra and P. cf. tremula), mesophilous (Ulmus campestris, Sambucus nigra, Vitis sylvestris, Sorbus sp., Hedera helix, Pinus nigra ssp. salzmannii) and xerophilous (Phillyrea media, Rhamnus alaternus and Buxus sempervirens) species.
Populus alba was also identified in Holocene travertines situated in the ‘Valle d'Aosta’ (Italy), and in Serbia. These data testify that this species was present in the Mediterranean area and in Europe during the Holocene.
During the Pleistocene, Populus alba was present in southern France (Meyrargues, Aygalades, Spain (Beceite), Italy (Oriolo and Rome), Algeria (Algiers) and in central Europe (Weimar, Burgtonna). Finally, Populus type alba is reported in several Pliocene deposits located around the Mediterranean Basin and in continental Europe.
The different data presented in this note show that Populus alba is clearly an autochthonous species in both central Europe and Mediterranean regions, at least since the Middle or Lower Pleistocene. Consequently, this species could not have been introduced in the western Mediterranean Basin by Roman colonisation.
1 Introduction
Le peuplier blanc (Populus alba L.) est une espèce eurasiatique qui abonde en ripisylve et dans les zones humides d'Europe centrale et méridionale, ainsi qu'en Afrique du Nord (Fig. 1). Il croı̂t également en Asie occidentale et centrale, dans l'Himalaya et dans l'ouest de la Chine [1]. De nombreux ouvrages s'interrogent sur le caractère naturalisé ou sub-spontané de Populus alba dans la flore de Méditerranée nord-occidentale, considérant que l'espèce est naturelle uniquement en Europe centrale et orientale [2–6] alors que d'autres la considèrent autochtone dans toute l'Europe [7]. Dans son Histoire naturelle, Pline l'Ancien décrit les caractéristiques du peuplier blanc. L'espèce, qui est clairement identifiée, était donc présente dans la péninsule italienne au début de notre ère [8]. Le nom latin du peuplier, populus ou peuple, proviendrait du fait que les Romains le plantaient dans les lieux publics et, probablement, le long des voies romaines [5].
Ces quelques références contradictoires illustrent l'interrogation qui se présente à l'aménageur des espaces naturels, notamment vis-à-vis du caractère expansionniste de Populus alba dans les friches de déprises agricoles des plaines mésophiles ou des plaines xérophiles parcourues par des cours d'eau, qui constituent autant de voies de propagation de cette espèce.
La présente note rapporte la découverte d'empreintes foliaires de Populus alba dans un édifice travertineux holocène localisé en France méditerranéenne, près du village de Saint-Antonin. Les travertins sont des constructions calcaires associées à un cours d'eau chargé de carbonates [9]. Ces constructions calcaires renferment fréquemment des empreintes végétales dont la préservation est de qualité suffisante pour permettre des identifications d'ordre spécifique [10]. L'âge des travertins s'obtient par datation au radiocarbone (14C) ou par mesure du rapport thorium/uranium (Th/U).
2 Matériel et méthodes
2.1 Présentation du site
L'édifice travertineux de Saint-Antonin (43°31′N ; 5°35′E) est situé sur le versant sud du massif de la Sainte-Victoire, en basse Provence calcaire, à proximité de la ville d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône, France). Le travertin est à environ 400 m d'altitude. La végétation environnant le site se caractérise par des boisements de chêne vert (Quercus ilex) et de chênes pubescents (Quercus pubescens). Le pin d'Alep (Pinus halepensis) occupe majoritairement les aires fréquemment incendiées, avec un sous-bois de garrigue de Quercus coccifera, Phillyrea angustifolia, Pistacia lentiscus, Ulex parviflorus, Rosmarinus officinalis, Juniperus oxycedrus, Rhamnus alaternus, Viburnum tinus pour les principales espèces ligneuses.
Le travertin de Saint-Antonin est établi sur un substratum de blocs et de graviers alluviaux calcaires. L'édifice travertineux présente 12 niveaux construits, crayeux ou détritiques (Fig. 2), dont une description détaillée est donnée dans [11]. L'alternance de ces niveaux travertineux construits et détritiques met en évidence des discontinuités dans la mise en place de l'édifice.
2.2 Identification botanique
Les empreintes végétales ont été extraites du travertin à l'aide de marteaux et de burins. Elles sont ensuite observées puis dessinées à l'aide d'une loupe binoculaire (×3 ; ×6) équipée d'une chambre claire. La détermination taxinomique s'obtient par comparaison des structures morphologiques conservées avec des échantillons de feuilles d'herbier et de flores illustrées.
2.3 Datation
Des datations radiocarbone ont été obtenues sur des fragments de calcite. Le rapport 13C/12C (δ13C) permet de qualifier la mesure radiocarbone : une valeur comprise entre et indique une pollution de la calcite par de la matière organique récente contribuant à rajeunir l'âge de l'échantillon ; des valeurs supérieures à soulignent la précipitation de plus vieux carbonates dissous dans les eaux provoquant un effet de vieillissement de l'âge. Une date dont le δ13C est compris entre et présente des conditions d'acceptabilité de l'âge 14C obtenu [12].
3 Résultats
Les niveaux 1 et 4 de l'édifice sont composés de faciès travertineux poreux (Fig. 2) contenant des feuilles de peuplier. Soixante-treize fragments de feuilles de ce taxon ont été récoltés dans le niveau 1 (n. 1). Le niveau 4 (n. 4), plus récent, n'a livré que deux empreintes de peuplier. Ces feuilles ont un limbe mesurant entre 3,5 et 6 cm de longueur et 3 et 5 cm de largeur. La marge est lobée avec des sinus peu profonds, l'apex peut être obtus ou aigu et la base est arrondie. La nervation de ces feuilles est de type actinodrome (trois nervures basales) [13] (Fig. 3, n° 6–7). Cette morphologie foliaire est identique aux feuilles de l'espèce actuelle Populus alba. Ces dernières sont très polymorphes, grisâtres et duveteuses sur leur face inférieure. Le limbe des jeunes pousses et des drageons présente trois ou cinq lobes triangulaires et une nervation palmée. Sur les arbres plus âgés, elles ont une forme ovale ou orbiculaire, à marge sinueuse ou lobée (Fig. 3, n° 1–3). Certains auteurs distinguent plusieurs variétés ou races de peuplier blanc. Ainsi, Populus nivea Willd. est fréquent en région méditerranéenne, alors que les variétés pyramidalis Bunge et bachofenii Wesm. sont présentes en Chine. Populus canescens (Ait.) Sm. présent à l'état dispersé en France et dont les feuilles sont orbiculaires mais non lobées, est considéré comme un hybride naturel entre P. alba et P. tremula [5,6].
Ces empreintes de Populus alba sont associées à des feuilles de Quercus pubescens (n.1 : 71 spécimens ; n.4 : 150), Acer monspessulanum (n.1 : 12 ; n.4 : 59), Sorbus domestica (n.1 : 13 ; n.4 : 22), Cornus sanguinea (n.1 : 13 ; n.4 : 5), Phragmites communis (n.1 : 23 ; n.4 : 1), Salix viminalis (n.1 : 10), S. cinerea (n.1 : 3), S. purpurea (n.1 : 2), Vitis vinifera (n.1 : 5), Fraxinus oxyphylla (n.1 : 1), cf. Prunus avium (n.1 :1), Pistacia terebinthus (n.1 : 1), Smilax aspera (n.1 :1), Olea europaea (n.1 : 1), Viburnum tinus (n.4 : 2), Acer campestre (n.4 : 1), Acer pseudoplatanus (n.4 : 1), Amelanchier ovalis (n.4 : 29), Hedera helix (n.4 : 1), Phillyrea media (n.4 : 1), Buxus sempervirens (n.4 : 1), Rosa cf. canina (n.4 : 1), Rhamnus alaternus (n.4 : 1) et cf. Frangula alnus (n.4 : 1). Aucun charbon n'a été trouvé dans ces deux niveaux travertineux, soulignant une faible occurrence des incendies à cette époque. Ces deux assemblages (niveaux 1 et 4) caractérisent deux types de communautés végétales. Les berges du ruisseau étaient colonisées par le peuplier blanc, les saules et les roseaux, tandis que, sur les versants proches, se développait une chênaie blanche.
Le niveau 1 a été daté de 8890±70 BP (8208–7963 ans cal. BC ; Beta 91534). Le δ13C est d'environ . Cette valeur confère un indice de confiance élevé à cet âge radiocarbone. Aucune datation 14C n'a été obtenue pour le niveau 4. Les dates 14C (δ13C env. ) de deux autres niveaux localisés au-dessus du niveau 4 ont fourni des âges plus récents que le niveau 1, parfaitement conformes à la stratigraphie attendue : le niveau 5 est âgé de 6700±80 BP (5721–5509 ans cal. BC ; Beta 91532), et le niveau 12 présente un âge de 4840±210 BP (3784–3499 ans cal. BC ; Beta 91530).
4 Discussion
Le niveau 1, riche en feuilles de Populus alba, s'est édifié durant le premier quart de l'Holocène, soit environ 7400 ans avant la période de colonisation grecque, et 7800 ans avant la colonisation romaine de la basse Provence calcaire. La présence si ancienne d'empreintes foliaires de Populus alba atteste donc le caractère naturel et spontané de cette espèce dans la flore du Sud de la France méditerranéenne, à l'est de la chaı̂ne alpine. Son indigénat ne peut donc plus être mis en cause au regard de cette nouvelle donnée paléobotanique.
Un autre travertin du Sud de la France a révélé deux empreintes de feuilles de Populus alba [14] (Fig. 3, n° 8). Il est localisé à Saint-Guilhem-le-Désert dans l'Hérault (Languedoc). Deux datations 14C ont été réalisées sur des charbons de bois contenus dans des dépôts détritiques encadrant le faciès travertineux à feuilles. Les âges obtenus (8450 et 6997 cal BP) indiquent que le travertin s'est déposé au cours de l'optimum climatique de l'Holocène. Dans son ensemble la flore est fortement marquée par la présence de l'eau comme en témoignent les Saules (Salix viminalis et Salix sp.) les Peupliers (Populus alba, P. nigra et P. cf. tremula) mais également par des espèces mésophiles (Ulmus campestris, Sambucus nigra, Vitis silvestris, Sorbus sp., Hedera helix, Pinus nigra ssp. salzmannii) et xérophiles (Phillyrea media, Rhamnus alaternus et Buxus sempervirens). D'autres travertins holocènes ont révélé des empreintes de feuilles de Populus alba à l'est de la chaı̂ne alpine, en val d'Aoste [15] et en Serbie [16]. Ces données montrent que Populus alba est présent à différentes périodes de l'Holocène en Europe méditerranéenne et péri-méditerranéenne occidentale.
À notre connaissance, il n'y a pas de données sur Populus alba durant la dernière période glaciaire (Würm) dans le Sud de l'Europe. Ceci peut être expliqué par la rareté des travertins édifiés pendant cette période froide [17], ou par une migration consécutive à l'avancée du front polaire vers le sud (Péninsules ibérique ou italienne). Cependant, cette espèce qui vit également dans le Nord de l'Europe jusqu'en Sibérie n'est pas sensible au froid. On peut vraisemblablement penser que Populus alba a donc pu persister autour du bassin méditerranéen nord-occidental pendant le Würm.
4.1 Populus alba autour du bassin méditerranéen au Quaternaire
Au Pléistocène ancien, Populus alba est présent dans les tufs des Aygalades et de Meyrargues en Provence calcaire [18–20] (Fig. 3, n° 5). Au Pléistocène moyen, on trouve des empreintes de feuilles de Populus alba dans des argiles de la région d'Alger [21] ainsi qu'à Oriolo en Italie du Nord [22]. Des diatomites d'âge Mindel–Riss de Riano, près de Rome, ont aussi livré des empreintes de feuilles de Populus alba [23,24]. Durant l'Éémien, des travertins d'Europe centrale [25–27] et d'Espagne [28] ont fossilisé des feuilles de ce taxon. En fait, dès le Pliocène, de nombreux gisements en France et en Europe continentale et méditerranéenne ont livré des empreintes de feuilles de peuplier qui ont été identifiées à l'espèce actuelle Populus alba L., comme dans le gisement d'âge Pliocène final de Crespià en Catalogne [29] (Fig. 3, n° 4). D'autres empreintes pliocènes ont été rapprochées de Populus canescens (Ait.) Sm., dont les feuilles sont très proches [30]. Même si, compte tenu de l'évolution des espèces au cours du temps, certains auteurs doutent de la présence au Pliocène d'espèces absolument identiques à des espèces actuelles, les nombreuses empreintes observées nous permettent d'affirmer qu'un Populus de type alba faisait déjà partie de la flore méditerranéenne et européenne au Pliocène.
À la lumière des restes fossiles de Populus alba observés autour du Bassin méditerranéen occidental pendant le Quaternaire, il paraı̂t évident que cette espèce y est bien autochtone et survit aux alternances glaciaires/interglaciaires. Elle est présente dans le Sud de la France dès le début de l'Holocène, et son caractère spontané ne peut donc pas être mis en doute.
4.2 Conclusion
La fabrication du lieu commun de l'introduction du peuplier blanc (Populus alba) en région méditerranéenne par les Romains n'est donc qu'une spéculation, peut-être liée à la présence de peupliers blancs plantés dans les lieux publics et, par extension, le long des voies romaines [5] et aux interprétations données à la traduction du nom « populus ». Contrairement à certaines affirmations, il n'est pas fait référence au peuplier blanc dans les textes bibliques de l'Ancien Testament, mais plus généralement à des saules [31]. Les traceurs de végétation classiquement mis en œuvre (pollen, charbon de bois, graine) ne sont pas en mesure de déterminer au rang spécifique les Populus. L'analyse des empreintes foliaires des travertins est donc utile à l'étude du caractère naturel ou introduit d'espèces de la flore actuelle. L'expansion en cours de Populus alba dans les aires de déprises agricoles ne peut être comparée à un processus invasif d'une espèce allochtone, mais bien au comportement expansionniste d'une espèce naturellement en place.