J’ai rencontré François Gros en 1976 lorsque nous nous sommes retrouvés tous les deux à dîner à Moscou en route pour un voyage interminable qui nous conduisit à Tachkent, Vientiane puis Hanoi où nous fûmes reçus par le Premier ministre Phan van Dong et le général Giap. C’était le début d’une grande amitié qui resta sans faille jusqu’à la fin.
François Gros était alors professeur au Collège de France et directeur de l’Institut Pasteur. L’année suivante, il fut élu correspondant de notre compagnie puis membre en 1979. Il fut élu secrétaire perpétuel en 1991, prenant la suite d’Alfred Jost prématurément disparu. Il aimait raconter qu’il accepta cette fonction après y avoir été incité lors d’une conversation devant les magnolias de la seconde cour avec Jean Hamburger dont nous connaissions la force de persuasion dont je peux témoigner à titre personnel.
Son mandat durera 10 ans (10 juin 1991–31 décembre 2000), 10 années de bonheur mais aussi de travail et d’investissements considérables. François Gros contribua de façon majeure à la rénovation et à la modernisation de notre Académie, tant par les nombreuses actions scientifiques qu’il anima que par l’évolution de nos activités qui conduisit en 2003 à la réforme des statuts menée par Jean Salençon et Roger Monnier, avec l’appui de Claude Allègre alors ministre de l’Éducation nationale. La réforme ne fut finalisée que trois ans après la fin de son mandat mais François Gros joua un rôle très important dans l’évolution des idées qui commandèrent le succès de cette réforme d’importance majeure. En fait, la fin de son mandat ne l’empêcha pas, comme secrétaire perpétuel honoraire, de poursuivre son engagement au service de l’Académie. Faut-il rappeler qu’il continua à venir quotidiennement à son bureau de l’Académie alors qu’il venait d’avoir 96 ans, toujours habité par ses engagements et sollicité de toute part pour son expérience et la profondeur de ses avis.
En collaboration étroite avec Paul Germain, puis avec Jean Dercourt, il favorisa le développement du comité des Applications de l’Académie des sciences, le CADAS, qui donna naissance quelques années après à l’Académie des technologies. De façon plus générale il s’entendit très bien avec Jean Dercourt, secrétaire perpétuel de la première division, dont il reconnaissait lui-même la complémentarité de la personnalité, du tempérament et des intérêts. Il s’entendit aussi de façon étroite avec les 5 présidents qui se succédèrent : Jean Hamburger, Jacques Friedel, Marianne Grunberg-Manago, Jacques-Louis Lions et Guy Ourisson.
L’activité de François Gros comme secrétaire perpétuel fut essentiellement d’ordre scientifique, mettant à disposition de l’Académie son immense culture et son esprit de synthèse. Il participa activement au renouveau des Comptes Rendus dans les séries de biologie et de chimie avec Pierre Buser, Jean Rosa, Michel Tellier et François Mathey. François Gros fut le premier à ouvrir le vaste champ des relations entre la science et la société en créant un comité dont il me fit l’amitié de me confier la présidence. Quelques années plus tard, ce comité devint le comité Science, éthique et société.
François Gros anima et, en fait, rédigea en grande partie lui-même de nombreux rapports sur la sciences et la technologie que l’Académie produisit pendant cette période. Il fut tout particulièrement impliqué dans la préparation d’un rapport exceptionnel sur le génome dans lequel il put exprimer la profondeur de sa culture et de sa pensée, Développement et application de la génomique [1]. Mais on peut citer également les rapports sur la physiologie animale et humaine, le monde végétal, les plantes génétiquement modifiées ou le médicament.
En 2006, il coordonnera personnellement un grand rapport intitulé Science et pays en développement [2], sujet qui tenait particulièrement à cœur au pasteurien qu’il était.
Il s’attacha à créer des liens étroits entre l’Académie et les pouvoirs publics. C’est ainsi que le président de la République Jacques Chirac saisit l’Académie sur le vaste sujet du développement attendu de la science dans les premières décennies du XXIe siècle, tout particulièrement pour ce qui concerne l’environnement et le cadre de vie, les sciences de l’information et la santé. Il créa le comité 2000 dont il confia la présidence à Jacques-Louis Lions. La rédaction de ce rapport créa un grand engouement chez tous ceux qui y participèrent et tous les membres de la délégation qui vint remettre le rapport au président à l’Élysée en gardèrent un souvenir ému. S’agissant toujours des rapports avec les pouvoirs publics, il faut mentionner les avis extrêmement fréquents qui étaient alors demandés à l’Académie par les ministères, l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, parfois aussi par le Sénat, le Conseil économique et social, etc.
Il s’investit dans l’organisation de nombreux colloques de haut niveau, en particulier sur les Lumières, avec l’Académie des sciences allemande, la Leopoldina, ainsi que sur la biologie et les pays en développement. François Gros développa d’ailleurs de grands efforts pour se rapprocher des Académies étrangères, les grandes Académies européennes en particulier l’Académie allemande avec laquelle fut créé le prix Humboldt mais aussi les Académies des pays en développement, dans le cadre de la création du comité des Pays en développement (le COPED).
Ses nombreuses relations personnelles permirent d’engager des collaborations de grand intérêt. C’est ainsi qu’il développa une coopération étroite avec l’institut Weismann des sciences qui conduisit avec Robert Parianti à la création de la FIRAS (Fondation internationale pour le rayonnement de l’Académie des sciences) qui lui permit de lever des fonds importants venant soutenir son action au COPED mais aussi pour la rénovation de la maison de Pasteur à Arbois, qui coïncida avec une cérémonie importante célébrant le centième anniversaire de la mort de Louis Pasteur. Dans un autre registre, il collabora étroitement avec Alain Mérieux avec qui il avait développé une grande amitié. Il participa activement aux travaux du conseil d’administration de la Fondation Christophe et Rodolphe Mérieux à l’Institut de France et à la mise en place d’un prix prestigieux permettant de soutenir de façon très efficace la recherche sur les maladies infectieuses dans les pays en développement.
Je n’évoquerai pas ici ses contributions scientifiques majeures, j’insisterai simplement sur la modestie avec laquelle il en parlait, une modestie qui n’empêchait pas une grande détermination. Dans un milieu scientifique qui n’est pas toujours bienveillant, je n’ai jamais entendu de critique concernant sa personne ou ses activités. Je voudrais plutôt insister sur sa grande humanité, sa bonté, sa générosité, sa disponibilité exceptionnelles, tant vis-à-vis de ses amis, ses collègues, français ou étrangers, mais aussi du personnel de l’Académie, qui avait appris à s’adresser à lui pour les problèmes les plus divers. Comme il le disait avec humour, son problème était de ne pas oser contredire ses interlocuteurs. Sa personnalité rayonnante était telle que nous avons le sentiment qu’il est toujours parmi nous et qu’il doit continuer à nous inspirer.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leurs organismes de recherche.