1. Introduction
La notion de taux de retour énergétique (TRE), en anglais EROI « Energy Return on Investment » ou ERR « Energy Return Ratio », s’est développée au cours des dernières décennies pour évaluer l’efficacité d’un système de production énergétique [1, 2, 3]. De façon générale et pour n’importe quelle unité de production énergétique, il s’agit du rapport de l’énergie qu’elle délivre à l’énergie dépensée pour la faire fonctionner sur tout son cycle de vie, du berceau à la tombe. Pour leur part, les économistes mettent cette notion thermodynamique en œuvre pour l’étude du besoin en énergie des différents pays [4]. Dans le débat actuel sur la transition énergétique, il semble nécessaire de passer les scénarios proposés à l’horizon 2050 au crible de cette notion d’EROI, afin de s’assurer de leur compatibilité avec le niveau minimal d’EROI requis pour une société développée, ce qui est insuffisamment fait. Notre étude traite l’EROI de scénarios proposés pour le bouquet électrique français, un premier pas vers une étude du bouquet énergétique complet.
Dans le présent article, nous prolongeons la méthodologie et les résultats de précédentes études visant à déterminer le besoin de stockage associé à un bouquet électrique donné [5], pour déterminer l’effet d’un fort taux de pénétration des énergies éoliennes et solaires sur l’EROI de ce bouquet. On prendra comme référence les performances du système électrique français en 2019.
Rappelons en quoi ces extrapolations nécessitent un traitement spécifique rarement abordé, à notre connaissance. En effet, les études cherchant à calculer l’effet de l’intermittence sur l’EROI ont traité les sources électrogènes séparément les unes des autres, en s’appuyant sur l’idée qu’un réseau électrique fonctionne avec de la puissance garantie, et non avec de la puissance aléatoire. Ainsi, dans leur étude, Weissbach et al. [1] présentent pour les sources intermittentes deux valeurs de l’EROI : « buffered » qui ajoute à la source un stockage journalier pour ajuster sa production et « unbuffered » qui ne le fait pas (ces deux valeurs étant identiques pour des sources pilotables, dont la puissance est garantie). En pratique, ces auteurs ajoutent à l’énergie investie l’énergie nécessaire pour lisser la variabilité de la production, en utilisant une centrale à gaz (dont seul le coût du combustible est pris en compte). Dans le cas de l’hydroélectricité, la valeur « buffered » correspond à la dépense énergétique de construction d’une STEP (Station de Transfert d’Energie par Pompage). A l’énergie photovoltaïque (PV), il peut être associé un stockage par batteries qui est pertinent seulement à l’échelle de la journée, comme indique RTE [6] dans l’analyse des moyens flexibles en titre du chapitre 7.4.1 : « Les batteries apportent essentiellement un service modulation à l’échelle journalière ». Or, à nos latitudes, la production solaire électrique est environ quatre fois plus faible en hiver (un facteur 2 pour l’ensoleillement et un facteur 2 pour la durée du jour), ce que corroborent les valeurs mensuelles du facteur de charge du solaire (production mensuelle divisée par la puissance installée et le nombre d’heures du mois) déduite des données de RTE [7] : 23,3 % en juillet et 6,1 % en décembre pour 2019. Par ailleurs la production éolienne est deux à trois fois plus importante en hiver qu’en été comme on peut le déduire des mêmes données [7]. Les précédentes études ne calculent pas l’EROI d’un bouquet électrique que ces variations saisonnières fatales impactent. Au moment d’entreprendre cette étude, nous n’avions pas trouvé d’étude qui le fasse. Un relecteur nous a signalé une étude [8] qui aborde cette question pour la Belgique : elle calcule l’EROI d’un bouquet électrique dont la composition et les capacités flexibles de gestion de l’intermittence ne sont pas les mêmes que ce que l’on peut prévoir en France, notamment en raison d’un effet d’échelle : lorsque l’on considère un pays donné, les échanges interfrontaliers jouent un rôle d’autant plus important que sa consommation est petite par rapport aux voisins auxquels il est électriquement relié. Le cas du Danemark représente, de ce point de vue, un cas extrême en Europe, qui n’est par conséquent pas généralisable. Néanmoins, les conclusions de l’étude sur la Belgique rejoignent les nôtres, au sens où une forte pénétration de sources intermittentes réduit drastiquement l’EROI du bouquet électrique global.
2. Les pistes pour assurer l’équilibre du réseau
La Figure 1 présente les productions éoliennes et solaires disponibles sur le site eco2mix de RTE pour sept semaines de 2019 en septembre et octobre.

Historique des quantités horaires d’électricité cumulées de l’éolien (vert) et du solaire (orange) pour les semaines 36 à 42 de 2019 (source eco2mix de RTE).
En réponse aux fortes fluctuations de ces deux sources renouvelables et pour maintenir l’équilibre entre la puissance appelée et celle produite, et ainsi stabiliser le réseau, deux pistes se présentent alors :
- Soit assurer la disponibilité d’une puissance de réserve (back-up) pouvant prendre le relais en cas de défaut de production (par exemple, des fins de journée d’hiver en l’absence de vent) : c’est notamment le cas de l’Allemagne, dont la puissance installée en centrales fossiles (donc pilotables) n’a pas diminué depuis le début des années 2000 malgré l’installation de plus de 120 GW d’éolien et de solaire [9],
- Soit mettre en place de nouveaux moyens de stockage, en plus des STEP existantes, afin de « lisser » les importantes fluctuations de la production, dont l’effet sur le bouquet électrique dépend évidemment du taux de pénétration des sources intermittentes. Or les moyens en termes de puissances de réserve dont nous disposons aujourd’hui sur le réseau européen sont largement inadaptés à la croissance envisagée pour les sources intermittentes (ENRI)1 .
Dans la suite, afin d’exclure la contribution de sources fossiles à la production d’électricité, nous poursuivons donc la seconde piste, en considérant deux hypothèses de bouquet électrique à échelle 2050, selon la part que le nucléaire et les sources intermittentes y occupent : un premier cas à 50 % de nucléaire, puis un second correspondant à la proposition de l’association Négawatt d’un bouquet électrique à 100 % énergies renouvelables.
3. Définition et évaluation de l’EROI d’un bouquet à partir des sources
Pour les centrales électriques, l’EROI est calculé sur la durée de vie de l’installation qui va du « berceau à la tombe » (autrement dit de la construction au démantèlement).
L’EROI d’une source est le rapport sans dimension :
(1) |
- Le numérateur Eout est l’électricité fournie au total pendant toute la durée d’activité de la centrale,
- Le dénominateur Ein est l’énergie utile — également appelée « exergie » — qui a été dépensée pour construire, opérer la centrale, enfin la démanteler ainsi que pour extraire, transporter et transformer les matières premières utilisées pour sa réalisation et son opération, voire les recycler [1, 2].
L’exergie est un concept particulièrement adapté au calcul de l’énergie totale investie Ein. En effet, l’exergie d’une source énergétique est par définition égale au travail maximal récupérable lors d’un cycle où la température de la source froide est égale à la température ambiante et non au zéro absolu de l’échelle Kelvin. L’exergie est utilisée dans les références [1, 2] et d’autres citées ultérieurement. Le lecteur trouvera dans Borel et Favrat [10] une présentation rigoureuse de cette notion thermodynamique que nous abordons dans l’Annexe A.
Pour déterminer l’EROI d’un bouquet particulier, on suppose connu l’EROI de chaque source prise séparément. Ensuite, nous procédons en deux étapes : dans une première étape, pour une consommation électrique annuelle donnée et un bouquet de ressources électrogènes données, on détermine une valeur de l’EROI sans prise en compte du besoin de « lissage » des productions ; dans une seconde étape, on détermine le besoin de stockage en comparant, au pas horaire, production et consommation. On envisage ensuite les divers moyens d’assurer l’égalité entre les deux — condition indispensable pour le fonctionnement d’un réseau électrique sans risque de panne. On en déduit la valeur de l’EROI du bouquet considéré.
On trouve dans la littérature une diversité de valeurs de l’EROI des sources car certaines publications ne comptent qu’une partie des dépenses énergétiques, celles de la fabrication des unités de production, et omettent l’énergie dépensée d’abord pour l’extraction et le transport des matériaux entrant dans leur fabrication, et ensuite pour le raccordement au réseau des unités de production, leur entretien et leur démantèlement. Une deuxième source de différence, certes moindre, est le choix de la grandeur utilisée dans le calcul de la dépense énergétique : l’énergie ou sa part utile, l’exergie. L’exergie est la plus appropriée pour les dépenses d’installations qui produisent une exergie, l’électricité. Les bases de données qui servent au calcul des dépenses énergétiques des unités de production permettent de les réaliser à partir de l’exergie, par exemple Ecoinvent [11]. Dans la suite de l’article, puisque l’électricité est pure exergie, nous utilisons l’exergie dans le calcul de la dépense énergétique du stockage et dans celle des unités de production, sauf indication contraire.
Quant à l’électricité produite au cours de la vie d’une source Eout, en numérateur de l’EROI, elle dépend de la durée de vie de l’installation, des conditions locales dictant le fonctionnement des sources renouvelables et de leur facteur de charge (13 % pour le solaire, 24 % pour l’éolien terrestre et 35 % pour l’éolien maritime en France). Pour les sources pilotables, nucléaire, hydraulique et centrales thermiques à gaz, leur facteur de charge peut être réduit par rapport à sa valeur théorique quand le gestionnaire de réseau leur demande de réduire leur production pour l’adapter à la consommation. Ainsi le nucléaire français a un facteur de charge de 65 %, l’un des plus bas des pays nucléarisés, alors qu’il peut atteindre 90 % dans des pays où il fonctionne en base. L’EROI des sources provient de deux articles, Weissbach et al. [1] et Kis et al. [3], qui couvrent le cycle complet des unités de production du système électrique2 . Les valeurs d’EROI retenues dans notre étude sont données dans le Tableau 1 présenté ci-dessous. Les valeurs couvrent parfois un éventail assez large, mais nous voyons plus loin que ces incertitudes n’entament pas la validité des conclusions concernant l’effet du stockage sur l’EROI d’un bouquet.
Valeurs d’EROI retenues dans l’étude
Nucléaire | Hydro | Éolien | PV | Biomasse | Gaz | Charbon | |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Weissbach [1] | 50 | 49 | 16 | 4 | 4 | 28 | 30 |
Kis [3] | 33,3 | 14,4 | 13,5 | 7,4 | 3,1 | 16 | 11,2 |
Auparavant, il convient de préciser comment est prise en compte la baisse du facteur de charge imposée par le réseau qui réduit la production annuelle d’une source par rapport à la valeur théorique
(2) |
Comme indiqué précédemment, les productions pilotables ont toujours été amenées à réduire leur production horaire en dessous de ce que permet leur puissance nominale afin de ne pas dépasser la consommation. Récemment, elles doivent aussi s’effacer devant les excédents des productions renouvelables intermittentes (ENRI). En France, où le parc d’ENRI reste modéré (24 GW d’éolien et 21 GW de PV), le parc pilotable serait peu contraint au-delà du suivi de la consommation si le réseau n’était pas interconnecté avec les pays voisins surcapacitaires. En Allemagne en particulier, le parc ENRI présente une forte surcapacité (66 GW d’éolien et 84 GW de PV) qui fluctue d’une façon similaire et quasi synchrone aux productions françaises de la Figure 1, évidemment pour le PV, mais aussi pour l’éolien comme l’a montré une étude détaillée de la production du parc européen [12]. Un exemple illustrant les effets qui en découlent : les 13 et 14 avril 2024, la France a arrêté cinq centrales nucléaires pour faire face à une surproduction éolienne en Allemagne [13]. RTE demande désormais : « durant les périodes de forte production, tous les moyens de production doivent pouvoir moduler leur production à la baisse », que ce soit les productions pilotables ou celles fatales, éoliennes et solaires, qui n’avaient pas cette obligation jusqu’à présent [14].
Ainsi, le facteur de charge réel fc peut être inférieur à la valeur initiale
(3a) |
(3b) |
En revanche, la dépense énergétique Ein est largement indépendante du facteur de charge de l’installation. Elle l’est totalement pour les sources sur flux solaire, éolien ou hydraulique. Par contre, pour les énergies de stock, fossiles, biomasse ou nucléaire, une part de la dépense exergétique, celle liée à l’alimentation en combustible, suit le facteur de charge d’une année sur l’autre. En première approximation, nous négligeons cette variation et supposons la dépense énergétique Ein équirépartie sur la durée de fonctionnement de l’installation A, ce qui donne :
(4) |
D’où pour l’EROI de l’année, déduit de (3b), (4) et (1)
(5) |
4. Résultats pour le bouquet à 50 % d’ENR et 50 % de nucléaire
Les productions du scénario des années 2019 et 2050 sont tirées de Fontecave et Grand [5]. Le bouquet électrique à l’horizon 2050 est caractérisé par : (i) un besoin de 750 TWh d’électricité, en accord avec le scénario « réindustrialisation » de RTE [15] ; (ii) la disparition totale des sources d’électricité fossiles ; (iii) une part nucléaire de 50 %, une hypothèse partagée par d’autres scénarios officiels (RTE, ADEME) ; (iv) une contribution de l’éolien supérieure à celle du PV, pour profiter d’un plus grand fc.
Avec ces productions annuelles Eout(an) et les valeurs d’EROI du Tableau 1, on déduit l’Ein de chaque source de l’équation (5) réécrite sous la forme :
(6) |
Le Tableau 3 indique la dépense énergétique de chaque source en 2019 et 2050, calculées à partir des deux Réfs. [1] et [3], et par sommation la dépense énergétique du bouquet électrique. L’EROI de ce dernier est déduit de l’équation (1).
Données de productions de l’année 2019 et du bouquet 50 % nucléaire, 50 % ENR pour la France
TWh | Nucléaire | Hydro | Éolien | PV | Biomasse | Gaz | Charbon | Total |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
2019 | 379 | 60 | 34 | 12 | 10 | 37 | 4 | 536 |
2050 | 375 | 60 | 220 | 55 | 40 | 0 | 0 | 750 |
Dépenses énergétiques (TWh) du système de production de 2019 et du bouquet 50 % nucléaire / 50 % ENR [5] suivant les valeurs déduites de [1] et [3] pour les unités de production
TWh | Nucléaire | Hydro | Éolien | PV | Biomasse | Gaz | Charbon | Total | EROI |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
2019 [1] | 7,6 | 1,2 | 2,1 | 3,0 | 2,5 | 1,3 | 0,1 | 17,9 | 30,0 |
2019 [3] | 11,4 | 4,2 | 2,5 | 1,6 | 3,2 | 2,3 | 0,4 | 25,6 | 21,0 |
2050 [1] | 7,5 | 1,2 | 13,8 | 13,8 | 10,0 | 0,0 | 0,0 | 46,2 | 16,2 |
2050 [3] | 11,3 | 4,2 | 16,3 | 7,4 | 12,9 | 0,0 | 0,0 | 52,1 | 14,4 |
EROI calculés à partir des productions du Tableau 2.
Ces calculs montrent que, si l’EROI de 2019 est compris entre 21 et 30, il descend entre 14,4 et 16,2 dans le bouquet à 50 % de nucléaire, indiquant un impact important de la croissance de la part des énergies éoliennes et solaires sur l’EROI. Nous constatons que les valeurs d’EROI du bouquet électrique 2050 varient modérément en fonction du choix des EROI des sources. Ce premier résultat ne tient pas compte des besoins de stockage des productions intermittentes.
Il convient à présent de tenir compte de la contrainte de bon fonctionnement d’un réseau électrique : il ne suffit pas que les puissances moyennes consommées et produites soient égales, il est nécessaire que les puissances instantanées le soient également. Si la puissance consommée est inférieure à celle produite, l’excédent de production doit être transféré à la réserve, grâce aujourd’hui au pompage dans les STEP et à l’exportation d’électricité, tous deux comptés négativement car sortant du réseau. À l’inverse, en cas de consommation supérieure à la production disponible, la réserve doit fournir un complément positif, aujourd’hui avec le turbinage des STEP et l’importation d’électricité. Dans la suite, nous employons stockage et déstockage pour désigner ces deux situations.
5. Électricité dépensée pour gérer l’intermittence
La Figure 2A montre la puissance électrique consommée au cours de l’année 2019, au pas horaire. Aux variations journalières (creux la nuit, pics du matin et de 19h) se superpose une oscillation intersaisonnière de grande amplitude : plus de puissance appelée l’hiver, creux en été. Les variations journalières sont actuellement gérées par l’hydroélectricité et les centrales à gaz, les variations intersaisonnières par une modulation de la production nucléaire. À ces moyens s’ajoutent les échanges transfrontaliers : importations surtout en hiver, la France étant globalement exportatrice.

Séries chronologiques de la consommation (bleue) et des productions décarbonées (rouge). (A) en 2019. (B) dans le bouquet 2050 à 50 % nucléaire et 50 % ENR.
Les courbes de production et de consommation correspondant au bouquet de 2050 avec 50 % de nucléaire et 50 % ENR sont présentées Figure 2B. Les écarts entre les deux courbes indiquent les besoins de stockage (lorsque la courbe rouge est au-dessus de la bleue) et de déstockage (courbe rouge en dessous de la bleue). On note que, comme attendu, ces écarts sont beaucoup plus importants en 2050 qu’en 2019, en raison de la part plus importante d’ENRI. L’application d’une moyenne glissante à l’échelle hebdomadaire sur les données permet de séparer les échelles de temps : Fontecave et Grand ont déterminé à partir de ces courbes que le stockage hebdomadaire doit être capable à l’horizon 2050 de transférer 26 TWh, et le stockage intersaisonnier 44 TWh, pour un total de 70 TWh [5]. Les transferts intrahebdomadaires, 26 TWh au total, sont pris en compte par les échanges avec les pays voisins et l’adaptation de la demande et le stockage dans les STEP qui, avec un rendement de 80 %, entraîne une perte de 20 % de l’énergie stockée soit 1,4 TWh. Le stockage intersaisonnier est assuré par de la production d’hydrogène (décarbonée) et la mise en place de piles à combustible pour le déstockage. Le rendement global « power-to-gas-to-power » est malheureusement très bas (30 %) et entraîne la perte de 70 % de l’énergie stockée, soit 30,8 TWh. La perte totale de 32,2 TWh doit être comblée par une production nucléaire additionnelle de la même quantité (Tableau 4).
Transfert de 70 TWh/an (25,5 % de la production d’ENRI [5]) et calcul de la dépense énergétique Ein induite (à droite)
Stockage | Entrée (TWh) | Pertes (%) | Ein (TWh) |
---|---|---|---|
H2 | 44 | 70 | 30,8 |
STEP | 7 | 20 | 1,4 |
Batteries | 0 | 0 | 0 |
Échanges, conso. | 19 | 0 | 0 |
Total | 70 | 32,2 | |
Nucléaire | 32,2 | ||
Ein stockage | 64,4 |
La ligne « Échanges, conso. » cumule échanges transfrontaliers et flexibilité de la consommation.
La dépense énergétique associée aux besoins de stockage se monte alors à 64 TWh : 32 TWh de pertes, principalement dues au rendement de cycle « power-to-gas-to-power », et 32 TWh de production nucléaire additionnelle pour compenser les pertes. Notons que la dépense énergétique de stockage ne comprend que la perte d’électricité lors des transformations et sa compensation par une production additionnelle. Elle n’intègre pas la dépense énergétique des unités de stockage (batteries, électrolyseurs …) car, contrairement aux sources de production, nous n’avons pas trouvé de données représentatives de ces dépenses. De plus, les dépenses énergétiques pour l’extension du réseau et sa maintenance sont omises. Ces dépenses additionnelles augmenteraient Ein.
Le Tableau 5 donne en avant-dernière ligne la dépense énergétique du bouquet électrique 2050 obtenue par addition de la dépense énergétique du système de production (deux valeurs en fonction des sources) à la dépense énergétique du stockage du Tableau 4. La dépense totale varie entre 110,6 et 116,5 TWh et la part du stockage en représente plus de la moitié. L’EROI du bouquet se déduit de l’équation (5) avec la production annuelle de 750 TWh (Tableau 2). L’EROI est compris entre 6,4 et 6,8 suivant la source alors qu’en première étape, avec les seules unités de production, il se situe entre 14,4 et 16,2 (Tableau 3). La baisse de l’EROI par rapport à 2019 est principalement due aux pertes de stockage principalement dans le stockage intersaisonnier par l’hydrogène, à cause de son mauvais rendement. Les pertes de stockage nécessitent une production supplémentaire qui les égale, afin de rétablir l’équilibre entre production et consommation. Toutes les études précédentes, n’ayant au mieux considéré que le stockage journalier, ne donnent pas l’ampleur de la chute de l’EROI du système électrique [1]. Et plus grande est la chute que la part d’énergies intermittentes est élevée.
6. Résultats pour le scénario Négawatt « 100 % renouvelables »
Le bouquet 2050 du Tableau 6 est celui du dernier scénario de Négawatt [16] qu’on compare comme précédemment aux productions de 2019. Celui-ci se caractérise par : (i) une disparition totale de la contribution nucléaire et des ressources fossiles ; (ii) une part plus importante de la contribution éolienne par rapport à celle du PV comme dans le scénario 50 % [5] ; (iii) une électrification très limitée conduisant à une production d’électricité comparable à celle de 2019.
Productions électriques du bouquet Négawatt [16]
TWh | Nucléaire | Hydro | Éolien | PV | Autres | Gaz | Charbon | Total |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
2019 | 379 | 60 | 34 | 12 | 10 | 37 | 4 | 536 |
2050 | 0 | 59 | 305 | 167 | 1,3 | 0 | 0 | 532 |
Avec ces productions et les valeurs d’EROI du Tableau 1, on déduit, dans le Tableau 7, l’Ein de chaque source et, par leur addition, l’EROI du système de production.
Dépenses énergétiques des productions du bouquet Négawatt
TWh | Nucléaire | Hydro | Eolien | PV | Biomasse | Gaz | Charbon | Total | EROI |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
2019 [1] | 7,6 | 1,2 | 2,1 | 3,0 | 2,5 | 1,3 | 0,1 | 17,9 | 30,0 |
2019 [3] | 11,4 | 4,2 | 2,5 | 1,6 | 3,2 | 2,3 | 0,4 | 25,6 | 21,0 |
2050 [1] | 0,0 | 1,2 | 19,1 | 41,8 | 0,3 | 0,0 | 0,0 | 62,3 | 8,5 |
2050 [3] | 0,0 | 4,1 | 22,6 | 22,6 | 0,4 | 0,0 | 0,0 | 49,7 | 10,7 |
Pour les seules productions, ce bouquet sans nucléaire se situe entre 8,5 et 10,7 alors que sa valeur pour le bouquet à 50 % se situe entre 14,4 et 16,2 (voir Tableau 3).
Comme pour le bouquet 50 % en [5], nous avons fait une simulation détaillée du bouquet Négawatt à partir des données horaires 2019. Les résultats en sont donnés en Annexe B et aboutissent à un transfert des surplus vers les manques de 123 TWh. Notons qu’un quart de la production des ENRI donnerait 118 TWh, confirmant une fois de plus ce résultat vérifié dans toutes les études antérieures avec une bonne précision [16] et [17] : un quart de la production des ENRI doit être déplacé au cours de l’année des périodes de surplus vers celles de manques pour conserver l’égalité à la consommation du total des productions, condition nécessaire à l’équilibre du réseau.
L’Association Négawatt ne chiffre pas de contribution de l’effacement de la consommation ou des échanges transfrontaliers à la gestion de ce transfert, à moins que ces valeurs nous aient échappé. Tout est réalisé par des stockages dont les puissances installées prévues ne permettent pas de récupérer l’intégralité du surplus (voir Tableau B3 de l’Annexe B). Le surplus est écrêté de 19,6 TWh qui, n’étant pas stockés, ne sont pas disponibles pour combler les manques de production ultérieurs (voir Figure B3 de l’Annexe B). C’est une perte sèche notée à la première ligne du Tableau 8 qui liste ensuite les pertes des différents modes de stockage, comme il a été fait pour le bouquet 50 %.
Dépenses énergétiques associées au stockage : besoin de transfert total 123 TWh (environ un quart des 532 TWh d’ENRI) dont 19,6 TWh sont écrêtés et 103 TWh sont prélevés par le stockage
Stockage | Entrée (TWh) | Pertes (%) | Ein (TWh) |
---|---|---|---|
Écrêtage | 19,6 | ||
CH4 | 86,1 | 75 | 64,6 |
STEP | 13 | 20 | 2,6 |
Batteries | 4 | 20 | 0,8 |
Total | 103,1 | 87,6 | |
Thermique | 87,6 | ||
Ein stockage | 175,2 |
À cette perte due à l’écrêtage des surplus, le Tableau 8 ajoute celles des différents types de stockage prévus par Négawatt (voir Tableau B3 de l’Annexe B), compte tenu de leur rendement :
- La perte du stockage en méthane prévu par Négawatt à la place de l’hydrogène retenu pour le bouquet 50 %. Le stockage par CH4 nécessite une étape de transformation supplémentaire par rapport à l’hydrogène, ce qui, baissant le rendement de 30 % à 25 %, conduit à 75 % de pertes [18],
- Les pertes dans les stockages par les STEP et les batteries, aux rendements de 80 %.
Au total, 87,6 TWh sont perdus lors des transferts des surplus vers les manques. Cette quantité d’électricité perdue doit être remplacée par la production additionnelle d’une source capable de répondre au besoin en temps voulu, donc pilotable. Au vu des options de l’association Négawatt, ce ne peut pas être le nucléaire comme dans le bouquet 50 %. L’origine de cette production n’est pas définie car bien que Négawatt signale l’existence de pertes lors du stockage (voir Tableau B1), elle ne les évalue pas et par conséquent ne peut évaluer non plus le besoin de production pour les compenser. Cette production ne peut venir que de combustions : biomasse ou gaz ? La production requise est suffisamment grande pour poser un problème majeur dans un cas comme dans l’autre : limitation de la ressource si c’est de la biomasse et émissions de CO2 si c’est du gaz.
Dans le Tableau 9, la dépense énergétique du stockage ajoutée à celle des productions aboutit à une dépense totale comprise entre 225 et 238 TWh selon les références pour les sources. Pour une production électrique de 532 TWh, ceci conduit à une valeur d’EROI comprise entre 2,2 et 2,4. La baisse par rapport à 2019 est due essentiellement au stockage puisqu’avec les seules unités de production l’EROI se situe entre 8,5 et 10,7 (Tableau 7).
EROI du bouquet Négawatt déduit de la somme des dépenses énergétiques des productions [1, 3] et de stockage
Ein (TWh) | Réf. [1 ] | Réf. [3 ] |
---|---|---|
Ein productions | 62,3 | 49,7 |
Ein stockage | 175,2 | 175,2 |
Ein total | 237,5 | 224,8 |
EROI (-) | 2,2 | 2,4 |
Comme pour le bouquet 50 %, les dépenses énergétiques des installations de stockage et de transport d’électricité ou de gaz ne sont pas comptées alors qu’il faudrait les ajouter pour un calcul plus précis de la dépense énergétique. Vraisemblablement, ceci abaisserait l’EROI en dessous de 2.
Observant que, pour être vraiment comparables, les deux bouquets envisagés devraient être ramenés à une même production annuelle, nous avons refait le calcul pour le bouquet Négawatt porté à 750 TWh, comme dans le cas du bouquet 50 % nucléaire. La valeur de l’EROI ne varie qu’à la deuxième décimale (entre 2,16 à 2,24 pour 2,2) car la dépense énergétique du stockage, due aux pertes de transformation, suit l’augmentation de la production.
7. Ces bouquets électriques satisferont-ils les besoins de la société ?
Pour répondre à cette question, nous calculons le pourcentage d’électricité disponible pour la société ainsi définie : c’est le rapport entre, au numérateur, l’électricité nette délivrée à la société une fois retirée la dépense énergétique du système électrique et, au dénominateur, le total de l’électricité produite. En fonction de l’EROI, elle s’exprime par :
(7) |
L’EROI, en abscisse, varie de 1 à 30. L’électricité produite en ordonnée, se répartit en deux surfaces dont la limite est la courbe de l’équation (7). La surface bleue représente l’électricité finale qui revient à la société. La surface violette est l’exergie consommée dans la production d’électricité. Naturellement, plus l’EROI est faible et plus l’énergie disponible pour la société est faible (pour un EROI de 1, il ne reste rien pour la société). Parcourons l’axe de l’EROI de droite à gauche. En 2019, la part d’ENRI dans le bouquet électrique reste modérée et l’EROI vaut 25,5 ± 4,5 (cf. Tableau 3). Le trait vertical jaune est la valeur moyenne des deux sources [1] et [2] et le trait jaune horizontal à la limite entre les deux surfaces leur écart autour de cette moyenne. En ordonnée, le pourcentage d’électricité disponible est entre 95,2 et 96,7 %. Avec le bouquet 50 % nucléaire et 50 % renouvelables, l’EROI vaut 6,6 ± 0,2 (cf. Tableau 5) ce qui donne un pourcentage d’électricité disponible de 83,9 à 84,8 %. Enfin le bouquet Négawatt, avec un EROI de 2,3 ± 0,1, aboutit à un pourcentage d’électricité disponible de 54,5 à 58,3 %. Or, ces pourcentages d’électricité disponible des bouquets futurs sont surestimés puisque plusieurs dépenses énergétiques n’ont pas été prises en compte : extension du réseau électrique collectant des énergies diffuses, création des installations de stockage nécessaires à la gestion de l’intermittence entre autres. Pour la suite, il faudrait intégrer ces dépenses pour obtenir une estimation plus précise et évidemment plus faible de la part d’électricité disponible pour la société.
8. Aux origines de la théorie de l’EROI
L’EROI du système électrique doit être mis en regard du minimum requis pour le fonctionnement de la société. Cette question est abordée par une école d’économistes, l’économie biophysique (biophysical economics), qui est née des travaux de Charles Hall à l’origine du concept d’EROI. Ce dernier l’a inventé lors de l’étude de la remontée des rivières par les poissons à la recherche d’une nourriture plus riche en amont. Pour cela, les poissons dépensent de l’énergie en nageant à contre-courant, motivés par l’accroissement de la concentration de nourriture de l’aval vers l’amont. Le gain obtenu divisé par l’énergie dépensée pour remonter le courant est l’EROI du poisson qu’il a trouvé égal à 4 [19]. Une telle valeur d’EROI assurant le minimum nécessaire à la survie n’intègre pas les dépenses des fonctions supérieures d’une société humaine (éducation, santé, arts, information …), d’où la valeur minimale située entre 5 et 7 d’après [20].
Dans un article récent, Court [4] a étudié les historiques d’EROI pour le monde et pour plusieurs pays : Union Européenne à 15 (pays d’avant l’élargissement à l’est) de 1960 à 2010, Monde, USA, Japon, Royaume-Uni de 1900 à 2010. Il explique la difficulté de cette évaluation à partir de sources disparates et les incertitudes qui en résultent. Toutefois les graphiques qu’il présente montrent tous une forte stabilité des valeurs d’EROI dans la fourchette de 5 à 7 depuis 1970 jusqu’à 2010. L’électricité ne représente aujourd’hui qu’environ 20 % de l’énergie finale consommée en France, mais une des pistes de décarbonation consiste à électrifier les usages utilisant des combustibles fossiles, dans la mesure où nous disposons d’une électricité décarbonée à plus de 90 %. On s’attend donc à ce que la part de l’électricité augmente, et c’est bien dans ce sens que nous avons exploré des bouquets futurs. Mais une des conditions de succès de cette stratégie requiert que l’EROI du bouquet électrique ne se détériore pas de façon importante, car cela ne ferait que décroître l’EROI sociétal global. De ce point de vue, il est intéressant de noter que le minimum de 5 à 7 est atteint par le bouquet électrique à 50 % de nucléaire, mais ne l’est pas par le bouquet 100 % ENR comme l’indique la Figure 3.

Pourcentage d’électricité disponible pour la société (surface bleue) après retrait de la dépense d’exergie du système électrique (surface violette) en fonction de l’EROI du système électrique. De droite à gauche, les droites verticales jaunes situées à la moyenne des EROI déduits de [1] et [2] : en 2019, en 2050 pour le bouquet 50 % ENR (et 50 % nucléaire) et pour le bouquet 100 % de Négawatt. Les traits jaunes à la séparation des deux surfaces montrent la dispersion autour de leur moyenne des EROI suivant les sources [1] ou [2]. Masquer
Pourcentage d’électricité disponible pour la société (surface bleue) après retrait de la dépense d’exergie du système électrique (surface violette) en fonction de l’EROI du système électrique. De droite à gauche, les droites verticales jaunes situées à la moyenne des EROI déduits ... Lire la suite
9. Conclusions
Cette étude donne une évaluation de l’EROI (TRE Taux de Retour Exergétique) de deux bouquets électriques proposés pour la France en 2050, une des rares études de ce type faites pour un pays. Les bouquets diffèrent par la part d’ENR dans la production électrique (50 % et 100 %). Les économistes de l’énergie accordent de leur côté une importance croissante à l’EROI minimal nécessaire au maintien d’une société développée dans toutes ses fonctions matérielles et immatérielles. La convergence de ces deux démarches devrait guider la transition vers des bouquets électriques décarbonés devant remplacer les combustibles fossiles.
Les filières solaires et éoliennes, développées massivement depuis plus d’une décennie dans le bouquet électrique, présentent un EROI plus faible que les filières existantes (hydraulique et nucléaire qui ont déjà fait leurs preuves pour sortir des fossiles ou gaz utile pour les pointes). Pour les EROI des filières électriques, nous nous sommes basés sur deux références qui intègrent le cycle de vie complet des installations, ce qui est indispensable à une évaluation correcte. L’une utilise l’exergie (ou part utile de l’énergie) pour calculer la dépense investie dans les unités de production et nous recommandons son emploi car elle donne une meilleure estimation du rendement d’une filière de production d’électricité. De cette première étape, il résulte une baisse de l’EROI du système électrique par rapport à aujourd’hui.
De plus les sources éoliennes et solaires apportent des productions fatales et intermittentes qu’il faut compléter d’une réserve, constituée principalement d’un stockage, de façon à apporter au réseau l’électricité nécessaire à la consommation. Le stockage doit pouvoir répondre à toutes les échelles de temps de la minute à l’année. Le stockage sur une durée inférieure à la semaine est assuré par le pompage hydraulique et les batteries avec un bon rendement et donc de faibles pertes d’électricité. Mais le plus grand besoin de stockage est intersaisonnier, ce que seul un stockage chimique peut faire, avec malheureusement des pertes beaucoup plus importantes : environ trois quarts de l’électricité stockée sont perdus. Les pertes d’électricité du stockage doivent être compensées par une production supplémentaire, ce qui aboutit à une dépense énergétique supérieure à celle des unités de production du bouquet. L’addition des deux types de dépenses énergétiques (unités de production et stockage) aboutit à l’EROI des bouquets.
Celui-ci, qui vaut 25,5 ± 4,5 aujourd’hui (suivant deux jeux de valeurs d’EROI de filières), ne vaudrait plus que 6,6 ± 0,2 pour un bouquet avec 50 % d’ENR et il chuterait à 2,3 ± 0,1 pour un bouquet 100 % ENR (Négawatt).
La littérature économique recherche de son côté l’EROI minimal nécessaire au fonctionnement d’une société développée et celui-ci se situerait au-dessus de 6. Il en ressort qu’un bouquet 100 % renouvelable n’est pas tenable en raison d’un EROI trop faible, à cause notamment de la dépense énergétique du stockage. Le bouquet 50 % autour de 6,6 est très proche du seuil minimal, au-dessous duquel le système énergétique est trop dispendieux en énergie.
Tous les pays étant engagés dans la transition énergétique, les travaux dans le domaine de l’EROI devraient être poursuivis, voire intensifiés. Du côté économique en évaluant sa valeur dans les sociétés contemporaines et son lien avec le développement humain. Du côté technologique, le nôtre, en élargissant au bouquet énergétique ce que nous présentons ici pour le bouquet électrique. Pour les filières de production d’énergie, il serait utile de disposer non seulement de leurs EROI, mais aussi des dépenses énergétiques et des hypothèses prises pour leurs calculs. Enfin, il y a les dépenses énergétiques des moyens auxiliaires au système de production, dans le cas du réseau électrique son extension et les moyens de stockage qui le complètent.
Dès à présent, on peut toutefois penser que 50 % d’ENRI dans le système risque d’entraîner une trop forte chute de l’EROI et qu’une proportion moindre d’ENRI devrait être visée. Ceci a une implication majeure pour un pays comme la France : si les ressources fossiles pour la production d’électricité sont à exclure (elles sont déjà exclues en grande partie), il ne reste que la production nucléaire pour le complément, une perspective réaliste compte tenu de l’histoire nucléaire française et de l’existence d’une grande industrie électronucléaire.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leurs organismes de recherche.
B.1. Composition
Le Tableau B1 rassemble les valeurs des productions annuelles choisies pour le bouquet électrique par l’association Négawatt en 2022 [6], dont la somme égale la consommation.
Productions en France en 2019 et pour le scénario Négawatt [6] (la colonne « Autres » cumule déchets et géothermie)
TWh | Nucléaire | Hydro | Éolien | PV | Autres | Gaz | Charbon | Total |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
2019 | 379 | 60 | 34 | 12 | 10 | 37 | 4 | 536 |
2050 | 0 | 59 | 305 | 167 | 1,3 | 0 | 0 | 532 |
Nous calculons les puissances installées nécessaires à ces productions annuelles avec les facteurs de charge observés pour le PV (13 %) et l’éolien terrestre (24 %) et attendu pour l’éolien maritime (35 %), les mêmes que dans le scénario 50 % ENR et 50 % nucléaire.
Négawatt donne des valeurs semblables pour le PV et l’éolien maritime. Par contre pour l’éolien terrestre, il ne prévoit que 61 GW car il suppose un fc éolien plus élevé que le présent sous prétexte de l’élévation de la hauteur des mâts. Rien n’est moins sûr.
Cette différence entre les puissances installées est secondaire car ce qui importe pour la simulation est la production annuelle de la ligne année cible du premier tableau.
B.2. Simulation
Comme en [5], la simulation part des productions 2019 publiées sur le site RTE eco2mix dont on déduit les facteurs de charge instantanés, représentatifs de ceux à l’avenir y compris pour l’éolien maritime. En effet, l’étude des productions éoliennes européennes [12] montre le synchronisme des productions terrestres et maritimes, ces dernières ne se distinguant que par un palier prolongé à puissance maximale pendant la période ventée. La dynamique ne changera pas, même avec un facteur de charge annuel réhaussé pour l’éolien maritime, dans le rapport 35/23 des facteurs de charge annuels des deux filières. Pour le reste, le lecteur peut se reporter à [5] pour la méthode de simulation.
B.3. Résultats
La Figure B1 présente en ordonnée les quantités horaires d’électricité (GWh) de la consommation (courbe bleue) et de la somme des productions (rouge) sur l’année. L’axe horizontal couvre l’année divisée en douze parties égales.

Production horaire totale (rose) et consommation (bleue) sur l’année (GWh).
Au troisième « mois », la production dépasse 175 GWh (pour 270 GW de puissance installée, Tableau B2), alors que la consommation n’est que de 75 GWh au même moment. Sur l’année, avec ce bouquet à forte proportion d’ENRI, les fluctuations des productions sont environ dix fois supérieures à celles de la consommation.
Puissances installées (notre calcul)
TWh | fc | GW | |
---|---|---|---|
Éolien terre | 165 | 0,24 | 78 |
Éolien mer | 140 | 0,35 | 46 |
Éolien total | 305 | 124 | |
PV | 167 | 0,13 | 147 |
B.4. Travail d’un stockage idéal (sans perte)
La Figure B2 donne l’évolution du niveau dans le stockage qu’on suppose idéal c’est-à-dire sans perte lors des conversions du stockage. Elle est déduite de la différence entre la production et la consommation qui est échangée avec le stockage. Quand la production est supérieure à la consommation le niveau du stockage monte et il descend quand c’est l’inverse. Le stockage est supposé sans perte si bien que toute électricité entrante est restituée intégralement à la sortie. C’est un cas idéal qui est corrigé ensuite pour prendre en compte les stockages réels présentant des pertes.

Niveau dans le stockage idéal au cours de l’année (TWh).
D’après cette courbe, un volume de stockage proche de 50 TWh est nécessaire pour garantir l’approvisionnement en électricité sur l’année. C’est impossible à réaliser avec les STEP et a fortiori les batteries (cf. [5]), et un grand stockage chimique est nécessaire par hydrogène ou méthane obtenu à partir de l’hydrogène et du CO2 capturé dans l’hypothèse de zéro énergie fossile.
Le stockage doit assurer le transfert d’électricité des périodes de surplus vers les manques tout au long de l’année. Ce transfert est montré par la monotone de la différence entre électricités horaires de consommation et de production. Les surplus donnent des valeurs négatives et les manques des valeurs positives car dans ce dernier cas, le stockage complète la production toujours comptée positivement.
La Figure B3 présente en ordonnée les échanges entre le réseau et le stockage idéal qui causent les variations de niveau vues précédemment. Ces échanges (GWh) sont ordonnés suivant leur monotone, par valeurs croissantes de leur minimum négatif (prélèvement des surplus de production) à leur maximum positif (restitution des surplus stockés au réseau lorsque la production est insuffisante). L’axe horizontal est découpé par déciles de ces échanges.

Monotone de la différence (C − P) entre consommation C et production P (en GWh) suivant les déciles de l’année, des surplus aux manques.
L’intégration des surfaces pleines en dessous et au-dessus de l’axe montre un besoin de 122 TWh de transfert, qui représente 25,8 % de la production d’ENRI (472 TWh). Ceci confirme une fois encore la robustesse de la prévision du besoin de transférer environ un quart de la production d’ENRI [5, 17, 22].
Le minimum montre un besoin de 100 GW de puissance installée de stockage pour récupérer les surplus.
Le Tableau B3 est la prévision de stockage de Négawatt.
Stockages prévus du bouquet 100 % (source : Négawatt [16, Tableau 14])
Type de Stockage | Moyens | Puissance installée (GW) | Durée annuelle moyenne de fonctionnement (h) | Energie électrique stockée ou convertie annuellement (avant pertes de stockage/conversion) (TWh) |
---|---|---|---|---|
Intrajournalier (quelques heures) | Batteries | 2 | 2000 | 4 |
Intrahebdomadaire (quelques jours) | Pompage hydraulique | 6,2 | 2000 | 13 |
Saisonnier/intersaisonnier (quelques semaines à quelques mois) | Power-to-gas (électrolyse) | 36 | 3400 | 122 |
Négawatt ne prévoit que 44,2 GW de puissance installée de stockage au total (8,2 GW infrahebdomadaire et 36 GW saisonnier). La part foncée de la monotone de la Figure B3 montre la quantité d’électricité perdue (19,6 TWh) pour tous les prélèvements de surplus qui demandent une puissance installée supérieure. Ces 19,6 TWh non récupérés manquent donc pour compléter la production insuffisante et représentent une première perte du stockage.
Deux remarques sur le Tableau B3 de Négawatt :
- L’affirmation que le stockage prévu pourrait stocker près de 139 TWh est excessive car la puissance installée ne permet de récupérer que 102 TWh (122 TWh moins 19,6).
- La dernière colonne du tableau indique des pertes de stockage/conversion. Elles ne sont pas évaluées alors qu’elles réduisent la performance du stockage.
B.5. Stockage réel
On peut à présent en venir à la réalité du stockage en utilisant les rendements de conversion. Comme rendements, on choisit : 80 % pour STEP et batteries, et 25 % pour le stockage chimique intersaisonnier, valeur optimiste quand le CH4 est utilisé plutôt que l’H2 ainsi que le prévoit Négawatt.
Avec ces rendements, le Tableau B4 indique les pertes dues aux rendements des stockages qui s’ajoutent à la perte de 19,6 TWh dues à l’écrêtage des entrées dans le stockage.
Fonctionnement du stockage
Stockage | Entrée (TWh) | Pertes (%) | Ein (TWh) |
---|---|---|---|
Écrêtage | 19,6 | ||
CH4 | 86,1 | 75 | 64,6 |
STEP | 13 | 20 | 2,6 |
Batteries | 4 | 20 | 0,8 |
Total | 103,1 | 87,6 | |
Thermique | 87,6 | ||
Ein stockage | 175,2 |
Les pertes dues au stockage s’élèvent à 87,6 TWh et doivent être compensées par une production pilotable. Quelle peut-elle être ? Le nucléaire ? Négawatt l’exclue. Une capacité hydraulique supplémentaire ? Négawatt ne le propose pas. Alors ce doit être une production thermique. La biomasse ? Le potentiel est bien insuffisant pour couvrir le besoin au point que Négawatt ne l’envisage par pour la production, comme le montre le Tableau B1 où la partie thermique ne compte que la géothermie et les déchets. Aussi ce ne pourra venir que de gaz fossile, ce qui augmenterait les émissions de CO2 par rapport à 2019 où seulement 37 TWh de gaz et 4 TWh de charbon et pétrole sont consommés.
1 De plus, en cas de surproduction des ENRI, une partie est écrêtée malgré l’effacement des sources pilotables. Le tout entraîne un gaspillage de la production électrique.
2 [3] mentionne l’énergie plutôt que l’exergie pour le calcul de la dépense énergétique.