1 Introduction
Les solvants jouent un rôle important, tant dans le domaine de la chimie de synthèse que dans le domaine de l'étude des propriétés des composés. Dans la littérature, de nombreux auteurs se sont intéressés aux effets des solvants sur les équilibres conformationnels des molécules. L'équilibre conformationnel du 1,2-dibromocyclohexane a, par exemple, fait l'objet de nombreuses études pour tester les théories des effets des solvants.
Azandégbé [1] a proposé un modèle thermodynamique original, qui a permis de calculer les fractions molaires du 1,2-dibromocyclohexane à partir des mesures de chaleur de dissolution par microcalorimétrie.
Pour plusieurs solvants, les résultats de ces travaux présentent un excellent accord avec ceux obtenus par Bender et al. [2], en utilisant une autre technique expérimentale. Cependant, une controverse a surgi pour le cas du solvant benzène.
Pour faire le point de ces discussions, nous avons introduit pour la première fois, dans le modèle théorique élaboré par Abraham et Brestschneider [3] pour l'étude des effets des solvants, une expression analytique très précise pour le calcul du terme correctif T(∂ΔH/∂T), en fonction du paramètre x = (ɛ − 1)/(2ɛ + 1) et du coefficient (∂ɛ/∂T).
Pour les calculs numériques, nous avons proposé un programme en langage BASIC qui présente un intérêt certain, de par sa simplicité et la rapidité des calculs.
2 Modèle théorique
2.1 Équations gouvernantes
Considérons le cas général de l'équilibre :
D'après Abraham et Brestschneider [3], l'énergie de solvatation est donnée par la relation (1) :
(1) |
on a :
(2) |
où k = kA − kB ; h = hA − hB, où kA = μA2/a3, hA = 3 qA2/a5, kB = μB2/a3 et hB = 3qB2/a5, μA (resp. μB) et qA (resp. qB) représentent respectivement les moments dipolaire et quadripolaire du rotamère A (resp. B), a est le rayon de la cavité sphérique du soluté, que l'on calcule de manière classique en utilisant l'approximation d'Onsager, soit a3 = 3VA/4 π , où VA est le volume molaire du soluté et le nombre d'Avogadro. Le paramètre l est lié à la polarisabilité α du soluté et est calculé en utilisant la relation l = 2 (nD2 − 1)/(nD2 + 2), où nD est l'indice de réfraction de la raie D du sodium.
Dans la relation (2), on a posé :
(3) |
(4) |
- • Vm est le volume molaire du solvant,
- • r est la distance soluté–solvant, telle que r = a + γ, où la constante γ est un incrément simulant la première couche de solvatation. La valeur γ = 1,8 Å donne des résultats en excellent accord avec les données expérimentales [3].
Étant donné que ΔH dépend de la température T, la relation générale non triviale figurant dans le deuxième membre de l'équation (1) est obtenue à partir de l'équation de Van't Hoff, écrite sous la forme :
(5) |
(6) |
2.2 Expression analytique pour le terme correctif T(∂ΔH/∂T)
Le terme correctif est très important dans l'évaluation des effets des solvants, et nous reportons pour la première fois, dans cet article, l'expression analytique obtenue en fonction du paramètre x = (ɛ − 1)/(2ɛ + 1) et du coefficient (∂ɛ/∂T). En effet, ce terme correctif dépend également de la variation de la constante diélectrique avec la température ɛ = ɛ(T). En conséquence, on obtient, après calcul, la relation suivante :
(7) |
Pour obtenir une expression analytique de ce terme correctif, nous devons maintenant évaluer explicitement la grandeur (∂ΔH/∂x). Pour cela, on observe que le deuxième terme de l'équation (2) dépend du paramètre x uniquement par l'intermédiaire de la fonction f(ɛ), donnée par l'équation (3).
Posons donc, pour simplifier l'écriture :
(8) |
(9) |
où P1(x) et P2(x) sont des fonctions analytiques de x, définies de la manière suivante :
(10) |
(11) |
3 Application du modèle théorique
3.1 Dans la phase gazeuse
Dans la phase gazeuse, on a ɛ = 1, de sorte que l'énergie de solvatation (ΔEv − ΔEs) est nulle, ce qui donne :
(12) |
3.2 Dans un solvant de constante diélectrique ɛ donnée
Avec ΔEv = 0, la relation permettant d'obtenir les fractions molaires s'écrit :
(13) |
3.2.1 Cas des solvants non polaires
Pour les solvants non polaires, on peut utiliser, avec une bonne approximation, la relation de Maxwell :
(14) |
(15) |
3.2.2 Cas des solvants polaires
En général, la relation de Maxwell ne s'applique pas correctement aux solvants polaires.
Comme peu de travaux existaient sur l'expression analytique de ɛ(T), Abraham et al. [3] avaient proposé, pour les solvants polaires et non polaires, une méthode numérique pour le calcul direct du terme correctif. La méthode consiste à remplacer la dérivée ∂ΔH/∂T par la relation suivante :
(16) |
La méthode numérique élaborée dans ce travail permet d'obtenir des résultats plus précis. La fonction ɛ(T) étant toujours inconnue, nous avons choisi les températures T1 et T2 de la manière suivante :
(17) |
Comme la loi ɛ(T) n'est pas connue, nous avons choisi, pour les températures T1 et T2 fixées, deux valeurs de ɛ1 et ɛ2 telles que :
ɛ1 = ɛ + δɛ ; ɛ2 = ɛ − δɛ ; ɛ et δɛ étant respectivement la constante diélectrique du solvant considéré et un incrément de valeur positive, de sorte que Δɛ = −2 δ ɛ, ce qui donne :
(18) |
3.3 Calcul du coefficient (∂ɛ/∂T) pour un solvant
Considérons la valeur de l'incrément de la constante diélectrique δɛ conduisant à des valeurs théoriques des fractions molaires en accord avec les données expérimentales. Nous pouvons donc utiliser la relation (18) pour obtenir la valeur du coefficient (∂ɛ/∂T), à défaut d'une loi ɛ(T) connue pour les solvants considérés.
Nous pouvons également obtenir une valeur précise de ce coefficient en utilisant la relation (7), soit
(19) |
4 Résultats et discussion
Le modèle théorique développé a été appliqué à l'étude des équilibres conformationnels du 1,2-dibromocyclohexane dans quelques solvants classiques. Les résultats obtenus sont reportés dans le tableau. On y remarque que la fraction en forme di-équatoriale augmente avec la polarité des solvants, ce qui confirme les résultats obtenus dans la littérature [1,3].
Pour la procédure numérique, nous avons fixé l'incrément de température δT = 50 K et la température des expériences à T = 298 K.
Les paramètres moléculaires des formes di-équatoriale et di-axiale sont tirés de la référence [3]. Les caractéristiques moléculaires des solvants sont celles publiées par Frans et al. [5]. L'examen des résultats indique un bon accord entre les valeurs de −ΔEs et les valeurs du paramètre Δ(δH) = [δ(Ha)gs − δ(He)gs] du modèle thermodynamique de Azandégbé [1], reportées dans le tableau .Les valeurs de ce paramètre étant mesurées par microcalorimétrie, les fractions molaires calculées sont donc fiables.
Nous avons retrouvé ces résultats par notre approche théorique, en attribuant aux solvants considérés les valeurs de la constante diélectrique ɛ indiquées dans le Tableau 1.
Résultats de l'étude de l'effet des solvants sur les équilibres conformationnels du 1,2-dibromocyclohexane
Solvants | C6H12 | CCl4 | CS2 | CH3COOEt | C6H6 | (CH3)2CO |
ɛ | 2,03 | 2,2 | 2,6 | 6,0 | 7,5 | 20,2 |
−ΔEs (kJ/mol) | −3,02 | −2,33 | −1,22 | 1,54 | 2,47 | 6,83 |
Δ(δH) (kJ/mol) | −3,05 | −2,42 | −1,25 | 1,50 | 2,51 | 6,81 |
−1,20757 | −1,14404 | −1,03439 | −1,57264 | −1,60376 | −2,168204 | |
−0,012218 | −0,012778 | −0,0114262 | −0,065300 | −0,090200 | −0,0352340 | |
xA | 0,77 | 0,72 | 0,62 | 0,35 | 0,27 | 0,06 |
xB | 0,23 | 0,28 | 0,38 | 0,65 | 0,73 | 0,94 |
En particulier, la valeur ɛ = 7,5 a été attribuée au solvant benzène, comme suggéré par Eliel et al. [6]. Du fait des anomalies de comportement des liaisons hydrogène dans les solvants, on peut comprendre le désaccord entre les résultats de Bender et al. [2] et ceux de Azandégbé [1] dans le cas du solvant benzène.
En réalité, ce désaccord n'est qu'apparent, dans la mesure où les calculs effectués en attribuant pour le benzène la valeur ɛ = 2,7 conduisent exactement aux résultats de Bender et al. [2], soit xA = 0,53 et xA = 0,47 pour les fractions des deux isomères. Dans ces conditions, les valeurs optimales des paramètres du modèle théorique sont les suivants :
Ces résultats confirment bien que, dans presque tous les cas d'isomérismes conformationnels, le benzène se comporte comme un solvant polaire d'une façon plus importante que ne le laisse suggérer sa faible constante diélectrique statique ɛ = 2,7. Il existe de nombreux autres exemples spécifiques dans la littérature [3].
Ceci étant, la valeur ɛ = 7,5 attribuée au benzène ne signifie pas qu'il faut en conclure que le benzène a une constante diélectrique statique égale à cette valeur. Cela ne pourrait pas non plus être une justification du comportement anormal de ce solvant. Cela fournit simplement un moyen par lequel diverses quantités de données expérimentales, sont bien ajustées aux équations gouvernantes de la théorie.
L'analyse des résultats obtenus avec ɛ = 2,7 pour le benzène par Bender et al. [2] et avec ɛ = 7,5 montre que cette valeur devrait être utilisée avec précaution. Cependant, dans tous les cas, cette procédure donne une valeur de l'énergie de solvatation en accord avec les données expérimentales [6].
5 Conclusion
Les résultats obtenus dans ce travail confirment bien que, dans tous les cas d'isomérismes conformationnels, le benzène se comporte comme un solvant polaire d'une façon plus importante que ne le laisse suggérer sa faible constante diélectrique ɛ = 2,7. En conséquence, les bons résultats obtenus avec ɛ = 2,7 par Bender et al. [2] et avec ɛ = 7,5, valeur obtenue par simulation numérique, montrent que ces quantités fournissent simplement un moyen permettant d'ajuster correctement diverses données expérimentales aux équations qui gouvernent la théorie des effets des solvants. Un autre résultat important de la méthode utilisée est la détermination directe par simulation numérique des valeurs du coefficient (∂ɛ/∂T), qui n'est pas toujours disponible dans la littérature pour certains solvants.
Le programme en langage BASIC mis au point pour effectuer les calculs numériques au cours de ce travail présente un intérêt certain, de par sa simplicité et la rapidité des calculs.