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Comptes Rendus

Géosciences de surface
Effets d'amplification du changement d'usage des terres sur le taux de CO2 atmosphérique
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 335 (2003) no. 16, pp. 1179-1198.

Résumés

Nous avons construit un modèle afin d'analyser les interactions entre le changement d'usage des terres et la concentration atmosphérique en CO2, sur la période 1700–2100. Le premier impact de la conversion de forêts en terres agricoles est l'augmentation de la concentration atmosphérique en CO2, à cause de la perte de biomasse et de carbone du sol en faveur de l'atmosphère. Cette augmentation continuera probablement dans les prochaines décennies, en fonction du scénario d'utilisation des terres envisagé. Nous montrons que cet effet de premier ordre est amplifié par la diminution afférente des puits terrestres de carbone, parce que lorsque les cultures remplacent les forêts, le temps de résidence du carbone dans la biosphère décroı̂t, et avec lui la capacité de séquestration de ces écosystèmes. Cet effet d'amplification se traduit par un supplément de CO2 atmosphérique pouvant atteindre 100 ppm en 2100. Les incertitudes sur l'amplitude d'un tel effet d'amplification sont grandes, car elles intègrent tant les incertitudes sur le fonctionnement (puits ou source) des écosystèmes terrestres dans le futur que les incertitudes inhérentes à la reconstruction des flux de carbone liés au changement d'affectation des terres. Une telle augmentation supplémentaire de CO2 est toutefois partiellement limitée par le réservoir océanique et par des puits existant dans les écosystèmes primaires non perturbés par l'homme. Ces résultats impliquent que la conservation de forêts primaires, pour lesquelles la productivité primaire nette et les temps de résidence du carbone sont élevés, est une stratégie efficace de mitigation de l'effet de serre.

A model is presented here, which attempts to determine interactions between change in land use and concentration of atmospheric CO2 over the 1700–2100 period. The main impact of the conversion of forests to agricultural areas is the increase of atmospheric CO2 because of the losses of biomass and soil carbon in favour of the atmosphere. This raise will probably increase in the next years, correlated with the proportion of cultivated areas. We show here that this first-order effect is amplified by the correlative decrease of terrestrial sinks of CO2; in fact, as forests are replaced by cultivated parcels, carbon residence time in biosphere decreases, as well as sequestration ability of these ecosystems. This amplification effect leads to an additional increase in atmospheric CO2, which could reach 100 ppm in 2100. The uncertainties on the range of such an increase are important since they cumulate both uncertainties on the behaviour (sink or source) of terrestrial ecosystems in the future and inherent uncertainties of the modeling of carbon fluxes linked to changing land uses… Such an additional increase in CO2 is partially limited by the ocean reservoir and by the existing CO2 sinks in primary non-anthropologically disturbed ecosystems. The results imply that conservation of primary forests, for which primary productivity and carbon time of residence are high, is an efficient strategy for greenhouse-effect mitigation.

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DOI : 10.1016/j.crte.2003.10.010
Mot clés : changement d'usage des terres, taux de CO2 atmosphérique, biomasse, cycle du carbone, deforestation, modélization
Keywords: changes in land use, atmospheric CO2, carbon cycle, biomass, deforestation, modeling
Vincent Gitz 1 ; Philippe Ciais 2

1 CIRED–CNRS/EHESS, 45 bis, av. de la Belle-Gabrielle, 94736 Nogent-sur-Marne, France
2 LSCE–CEA/CNRS, Bât. 709, L'Orme des Merisiers, 91191 Gif-sur-Yvette, France
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Vincent Gitz; Philippe Ciais. Effets d'amplification du changement d'usage des terres sur le taux de CO2 atmosphérique. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 335 (2003) no. 16, pp. 1179-1198. doi : 10.1016/j.crte.2003.10.010. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/j.crte.2003.10.010/

Version originale du texte intégral

1 Introduction

Il est aujourd'hui établi que les usages des terres et les changements d'usage des terres contribuent fortement aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre vers l'atmosphère. Par ailleurs, année après année, la biosphère terrestre et les écosystèmes non perturbés par l'homme se comportent au niveau global comme un puits de carbone, et contribuent ainsi à atténuer l'impact atmosphérique des émissions anthropiques, tant fossiles que liées au changement d'affectation des terres. Se pose donc la question de l'impact quantitatif des changements d'usage des terres sur les flux biosphériques globaux et, in fine, sur le niveau de CO2 atmosphérique, dans le passé récent et pour le futur.

Une telle question impose de rendre compte des mécanismes de transfert du carbone entre les différents réservoirs terrestres lorsqu'un écosystème est perturbé ou « change d'affectation ». Nous avons aussi besoin de déterminer le devenir du CO2 émis par ces changements, en particulier la fraction réabsorbée par l'océan, par les écosystèmes non perturbés, et celle qui reste dans l'atmosphère. Les changements d'affectation des terres ont une myriade de conséquences locales, socio-économiques et climatiques, mais nous nous focalisons ici sur les seules conséquences au niveau du cycle du carbone. Contrairement aux émissions fossiles, qui sont soumis à des inventaires par la voie des statistiques énergétiques avec un précision de l'ordre de 10 %, les estimations actuelles des flux de carbone vers l'atmosphère dus aux changements d'usage des terres sont sujets à de larges incertitudes [21]. Premièrement, ces incertitudes portent sur l'évaluation des surfaces soumises à de tels changements [18,31]. Deuxièmement, sont également sujets à incertitude tant la perte de carbone de la biomasse vers l'atmosphère durant la conversion que les flux dits différés sur les terres ayant subi une conversion à une date antérieure. Ces derniers flux, liés à l'établissement éventuel d'une végétation secondaire, ou à un changement des réservoirs du sol, s'étalent sur plusieurs années voire plusieurs décades : quand une forêt est convertie vers l'agriculture par exemple, du carbone du sol est réemis vers l'atmosphère avec des constantes de temps de 10 à 30 ans [33]. Un dernière source d'incertitude, bien plus grande encore, est liée à la prospective des surfaces gagnées et perdues par les différents écosystèmes d'ici à 2100.

Des études récentes de modélisation utilisant des modèles de circulation générale (GCMs) ont souligné l'existence de rétroactions positives entre le cycle du carbone et l'évolution du climat. Ces rétroactions induisent des niveaux de CO2 atmosphériques encore plus élevés : le supplément de concentration atmosphérique lié à la rétroaction du réchauffement climatique sur le cycle du carbone peut atteindre de 80 à 200 ppm en 2100 [7,13,14]. Cependant, ces études, tout comme les projections actuelles de l'IPCC, ont traité les émissions de CO2 induites par les changements d'usage des terres de manière identique aux émissions fossiles, les deux flux de CO2 étant injectés dans l'atmosphère depuis un réservoir considéré comme inerte (ne réagissant pas avec le reste du cycle du carbone). De plus, dans les études précitées, la distribution de la végétation était, soit supposée constante dans le temps [14], soit évoluant en réponse au changement climatique [7], mais pas aux usages des terres. En réalité, les changements d'affectation des terres, consistant principalement en la conversion de forêts vers des cultures ou vers des pâturages, réduisent les temps de résidence globaux du carbone dans le système plante–sol, et par conséquent réduisent la capacité de séquestration de la biosphère. On peut donc anticiper le fait que modéliser de manière interactive le changement d'usage des terres avec le cycle du carbone, conduira à amplifier les niveaux futurs de CO2 par rapport à ceux prédits par des modèles où la végétation est supposée non perturbée.

Notre objectif est de quantifier les impacts des changements d'usage des terres passés et futurs sur la concentration de CO2 atmosphérique. Nous avons construit un modèle du cycle global du carbone, où les écosystèmes terrestres et l'océan sont traités d'une manière simplifiée et agrégée, comme dans des études précédentes [10,28,34]. La paramétrisation de la biosphère est dérivée d'un modèle plus complexe et à plus haute résolution spatiale. La principale originalité de notre modèle est liée au fait qu'il calcule, à chaque pas de temps, suite au changement d'affectation des terres, les flux de carbone dans les écosystèmes perturbés, et en parallèle, entre l'atmosphère, l'océan et les autres réservoirs terrestres. Ainsi, le modèle offre une description interactive et cohérente des changements d'usage des terres avec le cycle global du carbone.

Nous regardons particulièrement le fait que la déforestation [31] cause tant une augmentation directe et indirecte du taux de CO2 atmosphérique, mais qu'elle contribue aussi, indirectement, à stimuler l'absorption de CO2 par les forêts primaires, ainsi que par les océans. Dans la suite, nous donnons une description de notre modèle du cycle global du carbone et de son module de flux terrestres. Nous forçons ensuite ce modèle par les émissions fossiles prescrites et les données historiques des surfaces soumises à changement d'usage des terres, de manière à calculer l'augmentation du CO2 atmosphérique entre 1700 et le présent. Ces résultats sont confrontés à l'augmentation observée du CO2 atmosphérique. Finalement, nous calculons les trajectoires futures de CO2 atmosphérique pour quatre scénarios de référence de l'IPCC, et évaluons la contribution propre au changement d'usage des terres à la date 2100. Quelques tests de sensibilité sont ensuite effectués par rapport aux principaux paramètres du modèle, de manière à tirer des conclusions plus générales.

2 Méthodes

2.1 Description du modèle de cycle du carbone

Notre modèle du cycle global du carbone consiste (i) en une forme réduite du modèle océanique pour quantifier les échanges de CO2 entre l'océan et l'atmosphère, basé sur une fonction de réponse à couche-mixte [23] (voir Appendix A pour le formalisme), et (ii) en un modèle du cycle terrestre du carbone pour rendre compte des différents flux entre l'atmosphère et la biosphère.

2.1.1 Carte de végétation et cycle terrestre

La distribution de végétation globale dans notre modèle est basée sur une carte de végétation simplifiée. Quatre régions mondiales sont définies comme dans le troisième rapport de l'IPCC (IPCC–TAR) : OCDE-1990, REF, ASIE, ALM (Fig. 1). Chaque région est à son tour divisée en trois zones climatiques (tempérée, tropicale, boréale), à l'intérieur desquelles trois biomes sont définis : forêts, terres agricoles et prairies, ainsi que des écosystèmes en transitions entre ces biomes. Dans un tel schéma, paturâges (créés par l'homme) et prairies définissent un seul et même biome. Les déserts chauds et glacés sont exclus du modèle. Les différentes caractéristiques biophysiques des biomes, et leur distribution pré-industrielle dans chaque région, sont spécifiées à partir du modèle biosphérique CASA–SLAVE [11,12].

Fig. 1

Régions mondiales définies par l'IPCC. Source: [4].

World areas defined by IPCC (from [4]).

Sur chaque biome j, d'aire sj, nous définissons un réservoir de biomasse Bj(t) et un réservoir de carbone du sol Sj(t). En absence de changement d'usage des terres, l'évolution de la biomasse, dans le pas de temps d'une année est :

Bj(t+1)-Bj(t)=ηj(t)sj-μjBj(t)(1)
où la mortalité de la biomasse est supposée être une fraction constante μj de la biomasse sur pied et la productivité primaire nette (NPP) ηj est fonction de la concentration de CO2 atmosphérique C(t) :
ηj(t)=ηjt=01+β log C(t)C(0)(2)
La facteur β, identique pour tous les biomes, sera fixé à β=0,4, de manière à ce que le rythme moyen d'augmentation du CO2 atmosphérique calculé par le modèle soit égal au rythme observé pour les années 1980–2000. En l'absence de changement d'usage des terres, la dynamique du réservoir de carbone du sol est donnée par l'équation suivante, où la respiration hétérotrophe est définie comme une fraction δj du réservoir de carbone du sol :
Sj(t+1)-Sj(t)=μjBj(t)-δjSj(t)(3)

Parce que nous voulons évaluer séparément le rôle des usages des terres, nous avons supposé un climat constant, ignorant ainsi la réponse de la respiration hétérotrophe et de la productivité primaire nette à une variation de température [6,8].

Pour chaque biome, propre à une région et à un type climatique précis, les trois paramètres biophysiques (η,μ,δ) sont obtenus par moyenne géographique des paramètres équivalents du modèle à point de grille CASA–SLAVE. Ce dernier ne présentant pas de biome agricole, la NPP des terres agricoles dans notre modèle a été fixée partout à la valeur moyenne mondiale déterminée par Goudriaan et al. [16] à partir de statistiques agricoles (334 g/m2/an). L'utilisation de valeurs distinctes pour la NPP des cultures régionales aurait nécessité de connaı̂tre le type de culture concerné par les transitions, ce qui n'est pas documenté chez [19]. Toutefois, ceci n'aurait pas changé grandement les résultats, car Goudriaan et al. [16] ont reporté des différences inférieures à 20 % parmi la NPP des sept plus grands types de cultures mondiaux, représentant 81 % de la surface récoltée. Nous avons supposé que 70 % de la production agricole était oxydée dans l'année, les 30 % restants étant délivrés au réservoir du sol. Le temps de résidence δ−1 du carbone dans le sol (Éq. (3)), est un des paramètres parmi les plus incertains, en raison de l'hétérogénéité de ce réservoir. Le taux de respiration hétérotrophe δ des sols agricoles a été fixé égal à celui des prairies, tiré de CASA–SLAVE. Cette hypothèse donne donc une valeur raisonnable de δ−1 pour les terres en culture, de l'ordre de 10–20 ans, en accord avec la littérature [1,2,17].

La donnée des paramètres biophysiques détermine les stocks de carbone pré-industriels, correspondant à un équilibre (Éqs. (1)–(3)) du système plante–sol avec une concentration atmosphérique stabilisée à 280 ppmv. Le modèle agrégé et le modèle original CASA–SLAVE diffèrent par moins de 10 % au niveau régional, et par moins de 5 % pour les stocks globaux (Appendix B), et sont proches dans leur valeur de productivité nette globale à l'état pré-industriel (58 GtC/an pour notre modèle contre 61 GtC/an pour CASA–SLAVE).

2.1.2 Module d'usage des terres

Chaque année, dans chaque région et à l'intérieur de chaque zone climatique, la déforestation cause une augmentation des surfaces cultivées au détriment des forêts, et l'abandon de terres agricoles réduit les surfaces de prairies en faveur des surfaces en forêt. Le modèle est forcé par les données annuelles de conversions de surfaces, pour ces deux transitions. Pour la période historique, les données publiées par Houghton et Hackler [20] ont été agrégées à notre niveau de définition des biomes et régions, comme montré dans le Tableau 1.

Tableau 1

Correspondance entre (a) biomes dans notre modèle et dans CASA–SLAVE, (b) conversions entre biomes dans notre modèle et chez Houghton [18–21], et (c) zones géographiques dans notre modèle et chez Houghton [18–21]

Correspondence between (a) biomes in our model and in CASA–SLAVE, (b) conversion between biomes in our models and in [18–21], (c) geographic areas in our models and in [18–21]

(a) Biomes
Modèle CASA–SLAVE
forêts tempérées forêts décidues
forêts boréales forêts de conifères
forêts tropicales forêts tropicales saisonnières et sempervirentes
prairies tempérées prairies C3
toundra toundra
prairies tropicales prairies C4 et savanes
(b) Conversions entre biomes
Modèle Houghton (appellation dépendant de la région)
forêts tempérées vers cultures tempérées forêts tempérées sempervirentes/décidues/ à feuilles larges
forêts de conifères tropicales : déforestation vers l'agriculture
prairies tempérées vers forêts tempérées abandon vers forêts tempérées
forêts boréales vers cultures déforestation de forêts boréales vers l'agriculture
toundra vers forêts boréales abandon vers forêts boréales
forêts tropicales vers cultures tropicales déforestation de forêts tropicales humides/ouvertes/fermées/saisonnières/équatoriales
afforestation de prairies/savannes tropicales plantation de forêts tropicales saisonnières
(c) Régions
Modèle Houghton
OCDE 90 Canada, États-Unis, Europe, région développée du Pacifique
ASIE Chine, Mongolie, Asie du Sud et du Sud-Est
REF Ex-URSS
ALM Amérique du Sud et centrale, Amérique du Nord, Moyen Orient, Afrique tropicale

Le module calculant les flux liés au changement d'affectation des terres définit des cohortes de classes d'âge croissantes après chaque perturbation, de manière à garder la trace des écosystèmes convertis, année après année, et à calculer les flux immédiats et différés qui en résultent. Suite à une conversion de forêt vers l'agriculture, une fraction de la biomasse sur pied est oxydée dans l'année, une partie est dirigée vers le sol, et le reste, est récolté sous forme de produits du bois de différentes durées de vie. Les coefficients de répartition de la biomasse détruite entre ces réservoirs varient selon les régions et les biomes forestiers, suivant la spécification de Houghton et Hackler [20], selon laquelle, typiquement, près de 30 % de la biomasse sur pied va dans les réservoirs de produits du bois après déforestation. Une terre nouvellement convertie se voit assignée les paramètres biophysiques (η,μ,δ) correspondant au nouveau biome. La source liée au changement d'usage des terres est définie comme la somme (i) des pertes immédiates de carbone de la végétation touchée, (ii) des flux nets vers l'atmosphère sur les surfaces en transition et (iii) des flux vers l'atmosphère provenant de l'oxydation des produits du bois. Les détails du calcul sont donnés dans l'Appendix C.

Du fait des incertitudes sur le devenir du carbone sur les terres en pâturage, très lié à des questions de gestion agricole (récolte de fourrage, charge en bétail, abandon des pâturages), dont le traitement est particulièrement difficile à notre niveau agrégé, nous avons décidé de ne pas inclure, dans cette analyse, la conversion des forêts vers les pâturages. Des simulations incluant ce type de conversion, qui touche principalement l'Amérique latine, conduisent à des émissions liées au changement d'usage des terres jusqu'à 30 % plus élevées que celle de la Fig. 2a, pour la période historique, et à un effet d'amplification jusqu'à 30 % plus élevé en 2100 [15].

Fig. 2

Flux net de CO2 vers l'atmosphère, lié au changement d'utilisation des terres comparé à celui de Houghton et Hackler [20]. (a) Flux global; (b) régions OCDE et REF à dominante tempérée; (c) régions ASIE et ALM à dominante tropicale.

Net CO2 flux toward atmosphere connected to changing land use as compared to that of Houghton and Hackler [20]. (a) Global flux; (b) OCDE and REF regions; (c) ASIA and ALM regions.

La gestion forestière et les cultures itinérantes, présentes dans le modèle de Houghton, n'ont pas été prises en compte par simplicité : étant de façon permanente compensées par la repousse, nous avons supposé qu'elles n'induisent pas un grand flux net de ou vers l'atmosphère.

2.2 Validation du modèle

2.2.1 Source liée au changement d'usage des terres

Sur la période historique, le flux modélisé lié au changement d'usage des terres est comparé à celui trouvé par Houghton. Les deux modèles sont forcés par les mêmes changements d'aires (Fig. 2), mais calculent indépendamment des flux de CO2 (Fig. 2). Globalement, ces deux flux sont en bon accord au niveau global, avec un écart maximal inférieur à 0,2 GtC/an sur l'intervalle 1700–1990 (Fig. 2a). Une telle différence est nettement inférieure à la marge d'incertitude sur la reconstruction de la source liée au changement d'affectation des terres, évaluée à 30 % selon Houghton. Au niveau régional, notre modèle sous-estime systématiquement, d'environ 0,3 GtC/an, la source dans les régions à dominante tempérée (OCDE+REF) entre 1700 et 1960, mais surestime d'une quantité équivalente la source dans les zones à dominante tropicale (ASIE+ALM), comme le montre la Fig. 2b et c. Ces écarts sont directement liés aux différents contenus en carbone des biomes à l'équilibre dans les deux modèles.

2.2.2 Composants du bilan carbone sur la période historique

Le modèle, forcé par les émissions de CO2 d'origine fossile (en GtC/an) et par les changements d'aires spécifiés par Houghton (en ha/an), calcule (i) la source nette liée au changement d'usage des terres, (ii) la séquestration de carbone liée au délai temporel entre l'augmentation de la productivité primaire nette et celle de la respiration hétérotrophe sur les écosystèmes non perturbés (iii) le puits océanique et (iv) la concentration atmosphérique de CO2 résultante. La Fig. 3 montre l'évolution temporelle de ces composants du bilan carbone sur la période 1700–1990.

Fig. 3

(a) Changements du bilan carbone: période historique (par convention les sources sont positives et les puits sont négatifs) et (b) concentration atmosphérique en CO2 résultante pour la période 1800–1990.

(a) Changes in carbon balance: historical period (sources are conventionally positive and sinks are negative); (b) resulting CO2 atmospheric concentration over the 1800–1990 period.

L'augmentation modélisée du CO2 atmosphérique entre 1700 et 1990 est de 73,7 ppm, proche des observations (75,4 ppm). Ce résultat dépend de la calibration du facteur β=0,4 dans l'Éq. (2). L'accord en concentration entre la sortie du modèle et les observations est cependant moins bon entre 1800 et 1970, période durant laquelle le modèle sous-estime le contenu atmosphérique d'environ 10 ppm. Mais il a été démontré que l'utilisation d'une valeur unique de β rend difficile la reproduction de la courbure de la courbe traçant l'évolution historique de la concentration atmosphérique en CO2 [11,12]. La fertilisation par le CO2 n'est en effet pas le seul phénomène susceptible d'avoir une influence sur la productivité primaire nette d'un écosystème : les redépositions d'azote sur les continents industrialisés et la variabilité climatique peuvent aussi contribuer à moduler la séquestration de carbone dans la biosphère terrestre [5]. Des études de modélisation récentes [25] indiquent que les effets des trajectoires climatiques et de leur variabilité durant le siècle passé sont peu clairs : selon le modèle de biosphère utilisé, ces effets se traduisent, soit par un puits, soit par une source de carbone additionnelle vers l'atmosphère. De la même manière, une variation de la circulation océanique entre 1800 et 1970, non prise en compte dans le modèle, peut expliquer la différence de courbure. Il est aussi finalement possible que tant les calculs de Houghton que les nôtres pour l'estimation de la source liée au changement d'usage des terres conduisent à la sous-estimer sur la période 1800–1970, ce que de nouvelles estimations faites par Houghton [19] et House et al. [22] suggèrent.

Le Tableau 2 compare le bilan carbone pour la décennie 1980 telle que calculé par le modèle avec les estimations de l'IPCC–TAR [27]. La biosphère est presque neutre (source de 0,21 GtC/an), indiquant que les émissions dues au changement d'usage des terres sont approximativement compensées par une séquestration dans la biosphère à d'autres endroits. Ce résultat est en accord avec l'IPCC–TAR pour les années 1980, mais pas pour les années 1990, durant lesquelles la biosphère s'avère en réalité être un puits plus fort [27]. En fait, le renforcement observé des puits terrestres dans les années 1990 est la conséquence d'effets de variabilité climatique, liés notamment au refroidissement de l'hémisphère nord par l'éruption du mont Pinatubo en 1991 [9], un effet qui n'est pas présent dans notre modèle. Concernant les bilans cumulés, notre modèle donne des changements de stocks depuis l'ère préindustrielle, en très bon accord avec ceux du rapport spécial de l'IPCC sur les changements d'affectation des terres et la foresterie [3], restant dans leurs « barres d'erreur », un résultat qui est bien sûr dépendant de notre paramétrisation du facteur β.

Tableau 2

Bilan carbone moyen pour la décennie 1980 (gauche) et bilan cumulé sur la période 1850–1998 (droite) dans notre modèle et selon les estimations de l'IPCC–TAR et l'IPCC–SRLULUCF. Convention: les sources sont positives et les puits sont négatifs

Average carbon balance for the 1980-decade (left) and cumulated balance for the 1850–1998 period (right) in our model and according to the estimations of IPCC–TAR and IPCC–SRLULUCF. Conventionally, sources are positive and sinks are negative

Flux moyens 1980–1989 (GtC/an) Bilan cumulé 1850–1998 (GtC)
Modèle IPCC–TAR Modèle IPCC–SRLULUCF
Aumgmentation du CO2 atmosphérique 3,24 3,3 ± 0,1 157 160
Émissions fossiles 5,45 5,4 ± 0,3 269 270±30
Puits océanique −2,01 −1,9 ± 0,6 −116 −120±50
Source terrestre 0,21 −0,2 ± 0,7 29 26±60
répartie comme suit
Changement d'affectation des terres 2,22 1,7 (0,6 à 2,5) 139 136±55
Puits terrestre −2,00 −1,9 (−3,8 à 0,3) −110 −110±80

2.3 Scénarios futurs d'usage des terres

Pour la période 1990–2100, plusieurs modèles simplifiés climat–carbone–économie, appelés modèles d'évaluation intégrée, ont été comparés et rapportés dans le rapport spécial de l'IPCC sur les scénarios d'émission [26]. Nous avons forcé notre modèle avec les émissions fossiles (GtC/an) et les changements d'aires (ha/an) prédits selon le modèle IMAGE 2.2 [4], pour les scénarios IPCC A1F, A2, B1, B2, pour les quatre régions considérées, à notre niveau d'aggrégation des biomes.

Il faut noter que les scénarios produits par IMAGE 2.2 résultent déjà d'une approche intégrée et que les variations de surface peuvent comporter une part due au changement climatique. Cette part est certainement marginale par rapport à celle due à l'homme, étant donné l'évolution corrélée des surfaces forestières et agricoles dans les scénarios.

3 Résultats

Notre approche de modélisation permet de quantifier les effets du changement d'usage des terres sur le taux de CO2 atmosphérique. Tout comme pour la combustion d'énergie fossile, l'impact évident de tels changements d'affectation des terres est d'augmenter le niveau de CO2 atmosphérique, étant donné la perte de biomasse forestière et du carbone du sol, lorsque des cultures sont progressivement établies sur d'anciennes forêts. Nous montrons ici qu'un effet additionnel est présent, que nous appelons « amplificateur », qui conduit à une augmentation supplémentaire du CO2, parce que la conversion de forêts en cultures a aussi pour conséquence de diminuer la capacité de séquestration de la biosphère, en diminuant le temps de résidence moyen du carbone. Finalement, cette augmentation additionnelle est limitée, parce que toute augmentation supplémentaire du carbone atmosphérique résultant de cet effet « d'amplificateur » stimule pour sa part la séquestration de carbone par les océans et les écosystèmes non perturbés sujets à la fertilisation par le CO2.

Afin de quantifier l'effet d'amplification, nous avons effectué trois simulations pour la période 1700–2100 pour différents scénarios futurs d'émissions fossiles et de changement d'usage des terres. La première expérience, appelée E1, est une simulation standard du modèle, où les changements d'affectation des terres modifient la distribution de la végétation primaire, et où les flux sur les surfaces perturbées sont calculés interactivement avec les puits biosphériques sur les écosystèmes restants. Ainsi, l'expérience E1 contient tous les effets. La seconde expérience, E2, enlève l'effet lié à la réduction des temps de résidence présente dans E1. Dans E2, une source « changement d'usage des terres » identique à celle de E1 est injectée dans l'atmosphère, la distribution des biomes étant maintenue à son état d'origine préindustriel. En d'autres mots, dans E2, les émissions du changement d'usage des terres sont traitées comme des émissions fossiles, comme dans les calculs de l'IPCC–TAR. On peut anticiper le fait que, dans E2, les écosystèmes terrestres sont plus efficaces à absorber le CO2 que dans E1, de telle façon que, in fine, la concentration atmosphérique en CO2 sera moindre. La troisième expérience, appelée E3, enlève la partie additionnelle des puits liée à l'augmentation supplémentaire du CO2 atmosphérique dans E1, due au traitement interactif du changement d'usage des terres. Dans E3, le changement d'usage des terres prend place interactivement comme dans E1, mais l'océan et la biosphère terrestre fonctionnent comme si la trajectoire atmosphérique était celle de E2. On peut donc anticiper le fait que, dans E3, la concentration atmosphérique en CO2 sera la plus élevée de toutes.

La différence (E1)−(E2) rend compte de l'effet net d'amplification lié au changement d'usage des terres : elle montre comment la courbe de concentration atmosphérique en CO2 de E2 est modifiée, lorsqu'on inclut le traitement interactif du changement d'usage des terres. La différence (E3)−(E2) évalue la borne supérieure de la sous-estimation du CO2 atmosphérique futur calculé comme dans l'IPCC–TAR, lorsque l'on écarte l'action stabilisatrice des puits océaniques et terrestres à l'intérieur de l'amplificateur.

3.1 Effet d'amplification pour le scénario IPCC A2

Nous nous proposons ici d'analyser les effets pour un scénario futur (A2) de l'IPCC, avec des changements d'aires donnés par le modèle IMAGE 2.2 [4]. Le scénario A2 reflète un monde hétérogène avec de grandes disparités régionales de revenu et une forte croissance démographique dans certaines régions, conduisant à une plus forte exploitation des ressources naturelles que dans d'autres scénarios de l'IPCC [26]. Ce scénario prédit une perte de surface forestière de 1180 millions d'hectares (Mha) entre 1990 et 2100, à comparer aux 929 Mha déjà perdus entre 1700 et 1990 selon Houghton.

Pour le scénario A2, la concentration atmosphérique en CO2 atteint 882 ppm en 2100 dans l'expérience « standard » (E1), soit 46 ppm de plus que dans E2, où le changement d'usage des terres est traité comme une « source externe » de même nature que les énergies fossiles, et où la biosphère terrestre est maintenue à son état préindustriel. D'un autre côté, dans l'expérience E3, la concentration atmosphérique en CO2 en 2100 est plus élevée de 22 ppm par rapport à E1 (Fig. 4).

Fig. 4

(a) Effets d'amplification lié au changement d'affectation des terres sur les taux futurs de CO2 atmosphérique. (b) Puits terrestre sur les écosystèmes primaires dans les expériences E1–E2–E3 avec les changements d'aires et les émissions fossiles du scénario IPCC A2.

(a) Amplification effects connected to changing land-use upon future atmospheric CO2 contents; (b) terrestrial sink on primary ecosystems in the El–E2–E3 experimentations, given prescribed land-use area change and fossil emissions from IPCC A2 scenario.

3.1.1 Effet d'amplification net

L'effet d'amplification (E1)−(E2) constaté sur la Fig. 4 se traduit par la présence de 98 GtC supplémentaires dans l'atmosphère en 2100. Ce surplus s'explique par un puits biosphérique 24 % plus faible dans E1 (de 125 GtC sur la période 1700–2100), malgré un puits océanique plus fort dans E1 (de 27 GtC sur la même période). Le temps de résidence du carbone dans la biosphère (34,3 ans en 1700), est réduit à 30,0 ans en 2100 dans l'expérience E1, alors qu'il passe à 34,9 ans dans E2. La proportion de carbone dans la biomasse relative au total du carbone terrestre (36,0 % en 1700) diminue jusqu'à 32,0 % en 2100 dans E1, principalement, parce que les cultures agricoles ne permettent pas la constitution de stocks importants de biomasse. Dans E2, cette fraction au contraire est portée à 37,3 % en 2100. Au niveau global, dans E1 comparativement à E2, il y a donc moins de carbone dans la végétation, et ce carbone y réside moins longtemps. Le Tableau 3 résume le bilan carbone de l'atmosphère, de l'océan et des différents biomes pour les trois expériences.

Tableau 3

Flux cumulés (1700–2100) pour les trois expériences de modélisation décrites dans le texte, pour le scénario IPCC A2. Dans l'expérience E2, les émissions liées au changement d'affectation des terres sont traitées comme des émissions fossiles, et sont donc incluses dans les totaux fossiles. Convention: les sources sont positives, les puits sont négatifs

(1700–2100) cumulated fluxes for the three tentative models as described in the text for the IPCC A2 scenario. In E2, emissions connected to changing land use are handled as fossil emissions and thus are included in fossil totals. Conventionally, sources are positive and sinks are negative

E1 E2 E3 E1−E2 E1−E3
Augmentation du CO2 atmosphérique 1282 1184 1328 98 −46
Emissions fossiles 1936 2478 1936 −542 0
Puits océanique −658 −632 −632 −27 −27
Flux terre–air 22 −645 44 668 −23
réparti comme suit :
Changement d'affectation des terres 543 0 542 543 1
Puits terrestre −520 −645 −498 125 −22
réparti comme suit :
Forêts tempérées −146 −168 −140 +21,7 −6,5
Forêts boréales −85 −82 −81 −3,2 −3,0
Forêts tropicales −82 −193 −79 +110,5 −0,5
Prairies tempérées −28 −31 −26 +3,2 −3,9
Toundra −10,2 −9,8 −9,8 −0,4 −1,2
Prairies tropicales −169 −162 −161 −7,1 −7,7

Comme attendu, les forêts tropicales bénéficient le plus d'être préservées : celles-ci rendent compte pour 110 GtC du puits terrestre cumulé supplémentaire dans E2 (22 GtC seulement pour les forêts tempérées). De manière intéressante, les forêts boréales, non perturbées par le changement d'usage des terres, sont moins efficaces à absorber le carbone dans E2 que dans E1, du fait d'un taux réduit de concentration atmosphérique en CO2.

Globalement, sur la période 1700–2100, le flux net terre–air (cumulé +22 GtC dans E1, −102 GtC dans E2), somme de la source liée au changement d'usage des terres et des puits à d'autres endroits, est nettement inférieur au puits océanique net (658 GtC dans E1, 632 GtC dans E2).

3.1.2 Effet d'amplification maximal

Dans E1, comparativement à E2, la biosphère terrestre « primaire » est progressivement pillée, mais la partie restante et les océans sont, de leur côté, stimulés par le CO2 amosphérique. La différence (E3)−(E1) quantifie ce rôle compensateur des puits à l'intérieur de l'effet d'amplification net. Dans E3, tout se passe comme dans E1, à l'exception du fait que l'océan et la biosphère terrestre réagissent à une concentration « virtuelle » de CO2, qui est celle de E2. Donc, dans E3, la biosphère ne profite pas du surplus de CO2 atmosphérique trouvé en E1, lié au traitement interactif de l'usage des terres. En termes de flux cumulés, ceci se traduit par un surplus de 23 GtC séquestré dans les écosytèmes terrestres dans E1 par rapport à E3. Le puits océanique dans E3 est lui égal à celui de E2, étant calculé sur la même trajectoire de concentration atmosphérique en CO2. E3−E2 rapporte la valeur maximale de l'effet d'amplification, égale à 68 ppm en 2100. Traiter les émissions du changement d'affectation des terres de manière identique aux émissions fossiles peut conduire à sous-estimer de ce montant les concentrations atmosphériques, lorsque le cycle du carbone évolue à climat constant.

3.2 Effet pour les quatre scénarios IPCC

Nous comparons maintenant l'effet d'amplification du changement d'usage des terres sur le CO2 atmosphérique, pour quatre scénarios contrastés de l'IPCC : A1F, A2, B1, B2 (Tableau 4). Les scénarios d'émissions sont reportés sur la Fig. 5 avec nos calculs de la source liée au changement d'usage des terres. A1F possède la plus grande source fossile cumulée sur la période 1700–2100 (2298 GtC), à l'opposé de B1 (1212 GtC). Du côté du changement d'affectation des terres, A2 est le scénario le plus fort (source cumulée de 543 GtC) et B1 le plus faible (62 GtC). Pour tous les scénarios, le niveau maximum du CO2 atmosphérique est atteint en 2100, allant de 500 ppm pour B1 à 882 ppm pour A2. Ces chiffres reflètent avant tout les hypothèses de consommation d'énergie fossile des différents scénarios. L'effet d'amplification net (E1)−(E2) est le plus fort pour A2 (46 ppm), le plus faible pour B1 (13 ppm). La diminution relative du puits terrestre cumulé (E1−E2)/E1 varie de −12 à −24 % selon les scénarios.

Tableau 4

(a) Budget carbone cumulé incluant les effets d'amplification (E1) pour les quatre scénarios IPCC considérés. (b) Amplitude de l'effet d'amplification

(a) Cumulated carbon budget including the amplification effects for the four IPCC scenarios considered. (b) Range of amplification effect

A1F A2 B1 B2
Évolution des surfaces forestières (106 ha) 25 −1909 413 −527
(a) Flux cumulés (GtC) 1700–2100 pour l'expérience E1
Augmentation du CO2 atmosphérique 1197 1282 472 703
Émissions fossiles 2298 1936 1212 1382
Puits océanique −649 −658 −446 −527
Flux terre–air −440 22 −294 −148
réparti comme suit :
Changement d'affectation des terres 117 543 62 271
Puits terrestre −557 −520 −356 −420
(b) Effet d'amplification (ppm) en 2100
CO2 atmosphérique en 2100 (ppm) 842 882 500 609
Différence E3−E2 (ppm) 51 68 28 40
Différence E3−E1 (ppm) 19 22 15 18
Amplification nette E1−E2 (ppm) 32 46 13 22
Fig. 5

(a) Trajectoires futures de CO2 atmosphérique dans les expériences E1–E2–E3, pour les quatre scénarios IPCC. (b) Flux correspondants vers l'atmosphère. (c) Productivité primaire nette et respiration hétérotrophe dans E1 et E2. (d) Évolution des surfaces des biomes.

(a) Future paths of atmospheric CO2 in the El–E2–E3 experimentations of the four IPPC scenarios. (b) Corresponding fluxes toward atmosphere. (c) Net primary productivity and heterotroph breathing in El and E2. (d) Evolution of biomes' areas.

Tous les scénarios, sauf A2, présentent la particularité d'arrêter la déforestation vers 2030 (Fig. 5d), les changements d'usage des terres induisant un puits net après cette date (Fig. 5b), lié aux reboisements. Dans chaque scénario, le puits terrestre sur les écosystèmes primaires sature vers la fin du XXIe siècle, et diminue même pour A2, parce que l'augmentation du CO2 atmosphérique décroı̂t CO2 (Éqs. (1)–(3)). Bien que comportant l'établissement de plantations massives, le scénario A1F présente un effet d'amplification de 32 ppm : ceci est dû au fait que les programmes de reboisement de ce scénario ne sont pas encore significatifs lorsque le taux de croissance du CO2 atmosphérique est à son maximum, instant où la présence de forêts est la plus profitable pour l'atmosphère. En d'autres termes, pour que l'effet d'amplification soit amoindri par des reboisemements, ces derniers doivent s'effectuer relativement tôt, avant que le signal atmosphérique ne soit important.

Dans tous les cas, l'effet d'amplification apparaı̂t de manière tardive (Fig. 5). En effet, son amplitude dépend avant tout du signal atmosphérique : c'est seulement quand le taux de CO2 atmosphérique commence à augmenter de manière significative qu'il s'avère préférable, pour limiter l'effet de serre, d'avoir conservé des forêts primaires (E2) plutôt que de les avoir déforestées (E1). Cet avantage, lié à la préservation de forêts primaires, sera conservé dans le futur, tant que le CO2 continue d'augmenter ou tant que des programmes de boisemement précoce ne sont pas implémentés. En résumé, les effets indirects du changement d'affectation des terres sont premièrement sensibles au taux d'augmentation du CO2 atmosphérique, puis à l'état initial de la biosphère quand ce signal atmosphérique apparaı̂t, enfin aux changements d'affectation futurs qui peuvent restreindre ou élargir le puits terrestre.

3.3 Non-équivalence atmosphérique des émissions fossiles et des émissions liées au changement d'affectation des terres

Le fait que le changement d'usage des terres amplifie la concentration atmosphérique en CO2 signifie qu'une GtC émise via des changements d'affectation des terres contribue plus à l'augmentation du CO2 atmosphérique qu'une GtC de CO2 émise via les énergies fossiles. Cette contribution supplémentaire peut atteindre 70 % pour A1F (Tableau 5). Vu sous un autre angle, les changements d'usage des terres conduisent à augmenter la fraction des émissions fossiles destinées à rester à terme dans l'atmosphère. Cette fraction est de 6 à 8 % plus grande quand les effets indirects du changement d'affectation des terres sont pris en compte (E1) que lorqu'ils ne le sont pas (E2). Un tel effet ne peut pas apparaı̂tre dans les modèles qui considèrent la biosphère non perturbée dans sa capacité de séquestration, et qui, de ce fait, traitent les émissions nettes issues de la végétation et du sol comme des émissions fossiles. Ceci montre l'importance d'une approche integrée pour traiter des conséquences atmosphériques du changement d'affectation des terres : si, en effet, l'amplificateur (46 ppm pour A2) peut paraı̂tre faible vis-à-vis de l'augmentation totale du CO2 atmosphérique (602 ppm), il ne l'est pas en regard de la contribution globale du changement d'affectation des terres à cette augmentation (181 ppm, amplificateur compris).

Tableau 5

Contribution du changement d'affectation des terres à l'augmentation du CO2 atmosphérique. Cette contribution (ligne 3) est définie comme la différence de contenu atmosphérique en 2100 entre la simulation « standard » E1 (ligne 1) et une simulation où les changements d'affectation des terres n'ont pas lieu (ligne 2). La contribution « équivalent-fossile » (ligne 4) est égale à l'augmentation atmosphérique du CO2 dans E1, que multiplie la part des émissions cumulées liées au changement d'affectation des terres dans le total des émissions cumulées anthropiques

Contribution of changing assignment of lands to the increase of atmospheric CO2. This contribution (line 3) is defined as the content difference in 2100 between the ‘standard’ El simulation and a simulation in which the changing land assignments do not occur (line 2). The ‘fossil-equivalent’ contribution (line 4) is equal to atmospheric CO2 increase in E1, multiplied by the part of the cumulated emissions connected to changing land assignment in the total of anthropic cumulated emissions

A1F A2 B1 B2
Augmentation du CO2 atmosphérique 2100–1700 (E1) 564 604 222 331
Augmentation du CO2 atmosphérique 2100–1700
sans changement d'affectation des terres 518 423 212 261
Contribution du changement d'affectation des terres 46 181 11 70
Contribution « équivalent fossile » du changement d'affectation des terres (E1) 27 132 10 54

3.4 Analyse de sensibilité (scénario A2)

D'une manière générale, un écosystème se comporte comme un puits de carbone, si les flux sortants par respiration hétérotrophe sont inférieurs aux flux entrants par photosynthèse. Or, en première approximation, la respiration hétérotrophe à un instant t donné est égale à la NPP produite à l'instant tτ, si τ est le temps de résidence du carbone dans l'écosystème. Lorsque la NPP augmente, par exemple en réponse à l'augmentation du CO2 atmosphérique, la respiration hétérotrophe augmente, mais avec un temps de retard : un tel déséquilibre des flux de photosynthèse de respiration conduit à une augmentation effective des stocks de carbone dans les écosystèmes considérés. On comprend donc, comme décrit dans la référence [32], que la réponse d'un écosystème à une augmentation du taux de CO2 atmosphérique dépende principalement de trois paramètres : le facteur β contrôlant l'augmentation de la productivité primaire nette (NPP), le temps de résidence du carbone dans la végétation et dans les sols, et la NPP initiale des biomes. En particulier, toutes choses égales par ailleurs, une réduction du temps d'immobilisation d'un excès de carbone dans la biosphère terrestre réduit le déséquilibre entre photosynthèse et respiration, et donc limite le volume de carbone séquestré dans les réservoirs concernés.

Les effets (directs et indirects) des changements d'affectation des terres sont donc potentiellement dépendant du choix de ces trois paramètres biophysiques, fixés pour chaque écosystème. La sensibilité de l'effet d'amplification à ces paramètres est montrée sur la Fig. 6, en prenant le scénario A2 comme illustration. L'effet augmente effectivement avec la NPP initiale moyenne de la biosphère, avec le facteur β et avec le temps de résidence moyen du carbone dans la biosphère pré-industrielle, puisque la fonction « puits de carbone » des écosystèmes non perturbés est alors plus importante [24]. Les temps de résidence ont été modifiés en faisant varier les taux de respiration des sols δ et les taux de mortalité μ dans la biomasse, pour chacun des biomes, en proportion de leurs valeurs pré-industrielles. Ceci permet de garder constant le ratio des temps de résidence dans les sols et dans la végétation, tout en modifiant le temps cumulé.

Fig. 6

Effet d'amplification défini par la différence de CO2 atmosphérique entre E1 et E2: (a) Sensibilité au facteur β en fonction de la NPP pré-industrielle. (b) Sensibilité au facteur β et au temps de résidence moyen du carbone dans la biosphère terrestre.

Amplification effect as defined by the difference in atmospheric CO2 between El and E2: (a) sensitivity to factor β vs. pre-industrial NPP; (b) sensitivity to factor β and to average carbon residence time in terrestrial biosphere.

3.5 Effets de la gestion des produits du bois et des pratiques agricoles

Nous avons vu que la destruction des forêts au profit de cultures présente des effets directs et indirects sur le contenu de carbone de l'atmosphère [31]. Une partie de la biomasse retirée de ces forêts est utilisée en tant que bois, ce qui permet d'en différer l'oxydation. En gérant le temps de vie de ces produits, une partie de la source liée à la déforestation peut être différée. Nous avons étudié les conséquences atmosphériques d'une modification de la durée de vie des produits du bois en répétant l'expérience E1 dans deux cas précis : un cas « long terme », où tous les produits du bois ont une durée de vie de 100 ans, et un cas « court terme », où les produits du bois sont immédiatement oxydés. Dans le cas « long terme », la concentration atmosphérique en 2100 est plus faible de 38 ppm par rapport au cas « court terme », donnant une indication de l'impact potentiel de stratégies de gestion des produits du bois en terme de CO2 atmosphérique (Tableau 6). Cependant, de telles stratégies extrêmes n'ont pas d'influence sur l'effet d'amplification, puisqu'elles concernent uniquement la perte directe du stock de carbone lié à la conversion.

Tableau 6

CO2 atmosphérique en 2100 en fonction du devenir des produits forestiers suite à la conversion vers l'agriculture. Dans le cas « long terme », les produits du bois ont un temps de vie moyen de 100 ans (1 an pour le cas « court terme »). Les chiffres concernent le scénario A2

Atmospheric CO2 in 2100, as related to the conversion of forests to agricultural parcels. In the ‘long-term’ case, the wood products have an average lifetime of 100 years (1 year in the short-term case). The values correspond to the A2 scenario

Contrôle (E1) Long terme Court terme
CO2 atmosphérique
en 2100 (ppm) 882 846 884

Une seconde option de gestion concerne l'établissement de cultures : le rendement des cultures est presque entièremement contrôlé par les pratiques agricoles (engrais, sélection d'espèces, irrigation, labour, récolte d'une large fraction de la NPP qui n'est pas délivrée aux sols). Au final, l'impact du seul taux de CO2 atmosphérique sur la productivité des cultures est probablement mineur en ce qui concerne la gestion des stocks de carbone agricoles. De futurs changements de pratiques agricoles peuvent cependant contribuer à allonger le temps de résidence du carbone dans les sols agricoles. Nous avons testé une valeur haute et basse pour ce temps de résidence : dans le cas « court », ce temps est réduit de 20,8 ans (valeur moyenne du modèle pour les sols agricoles) à 15,8 ans, tandis que dans le cas long, ce temps est porté à 35,8 ans. Une conséquence directe de l'augmentation de ces temps de résidence est une baisse substantielle de la source liée à la déforestation, puisque, la quantité de biomasse annuellement délivrée au sol étant constante par ailleurs, les stocks d'équilibre des sols agricoles sont plus importants. En revanche, l'effet indirect d'amplification n'est que peu influencé par une modification du temps de résidence dans les sols agricoles, comme le montre le Tableau 7. Ceci s'explique par le fait que, selon nos hypothèses, 70 % du carbone entrant par photosynthèse sur des terres agricoles est exporté du biome pour être oxydé dans l'année, sans être concerné par une modification du temps de résidence dans les sols agricoles.

Tableau 7

CO2 atmosphérique en 2100 en fonction du temps de résidence moyen du carbone dans les sols agricoles, scénario IPCC A2. La troisième ligne reporte le flux cumulé lié au changement d'usage des terres sur la période 1700–1990

Atmospheric CO2 2100 as related to average residence time in agricultural soils, in the IPCC A2 scenario. The third line records the cumulated flux as connected to changing land use over the 1700–1990 period

Cas court Cas long
(15,8 ans) (35,8 ans)
CO2 atmosphérique en 2100 (E1, ppm) 899 873
Effet d'amplification E1−E2 (ppm) 47,0 45,6
Changement d'usage des terres
(E1 et E2, GtC) 604 507

4 Conclusions

Nous avons construit un modèle aggrégé du cycle du carbone de façon à étudier les interactions entre les changements d'affectation des terres et le contenu de CO2 atmosphérique. Basé sur un nombre limité de biomes répartis dans de grandes régions géographiques, ce modèle est certes plus simple que les modèles biosphériques « à point de grille », mais il est plus sophistiqué pour ce qui est de la modélisation des interactions plante–sol–atmosphère–océan en réponse à un changement d'affectation des terres. Les transferts de carbone dans les écosystèmes ayant subi une perturbation (conversion de forêts à l'agriculture par exemple) sont explicitepment modélisés, ainsi que ceux ayant lieu dans les écosystèmes « primaires » restants, et entre entre l'atmosphère et l'océan. Le changement d'affectation des terres conduit à une perte du stock de carbone situé dans les écosystèmes pré-existants, conduisant directement à l'augmentation du CO2 atmosphérique. Nous avons montré que cet effet direct était secondé d'un effet indirect : le temps de résidence du carbone dans la biosphère terrestre diminuant à la suite des perturbations anthropiques, la biosphère devient progressivement moins efficace à absorber l'excès de CO2 anthropique. Un tel effet indirect conduit à amplifier l'augmentation du CO2 atmosphérique en réponse au changement d'usage des terres. Cet effet d'amplification n'a pas été pris en compte précédemment dans les évaluations de l'IPCC, et dépend du scénario prescrit (sources fossiles et conversion de biomes), ainsi que des paramètres internes au modèle, contrôlant les puits biosphériques et océaniques. L'effet d'amplification se traduit par 20 à 70 ppm de CO2 supplémentaires dans l'atmosphère en 2100. Ces résultats suggèrent qu'il y aurait un double bénéfice à conserver de grands stocks de carbone sous forme de forêts à l'état primaire, tant que ces écosystèmes sont capables de séquestrer du carbone atmosphérique [29] : cela limiterait la source liée à la déforestation [30] et préserverait la capacité de séquestration de ces écosystèmes. À première vue, les forêts primaires et l'océan ont un rôle stabilisateur, intégré à l'effet et limitant son amplitude. Si l'absoption de carbone dans des forêts primaires ou dans les océans venait à saturer dans le futur, ou si elle était compromise par le changement climatique, alors l'effet additionnel d'amplification lié au changement d'usage des terres pourrait se traduire par 100 ppm de plus dans l'atmosphère en 2100 (valeur obtenue lorsque le rôle compensateur des puits dans l'effet s'effondre). La croissance du taux de CO2 atmosphérique lié à la conversion des forêts peut toutefois (i) être différée en augmentant la durée de vie des produits du bois récoltés suite à la déforestation, ou (ii) être limitée en augmentant le temps de résidence du carbone dans les sols agricoles après conversion, par exemple en changeant de pratiques agricoles (labour réduit, enfouissement des pailles).

Appendix A Description du modèle d'échange de CO2 océan–atmosphère

Nous avons utilisé l'approche par fonction de réponse impulsionnelle [23], pour le modèle HILDA, à température moyenne de surface constante T=18,2 °C. Le flux océan–atmosphère est calculé en résolvant simultanément les Éqs. (A.1)–(A.4). La notation Δ signifie que la variable est exprimée en différence par rapport à sa valeur dans l'état pré-industriel, où la concentration atmosphérique de CO2 est fixée à C=280 ppm. La variation en carbone inorganique dissous, ΔΣ (en μC/kg), relativement à l'état d'équilibre pré-industriel dans l'océan est donnée par :

ΔΣ=cht'=t0tf as (t')rs(t-t')dt'(A.1)
h=75 m est la profondeur de la couche de surface de l'océan en mètres et c=1,722×1017 μmol·kg−1 est un facteur de conversion. Le flux net air–mer par unité de surface est donné par fas(t) (en ppm an−1 m−2) :
f as (t)=kg(ΔC-ΔCs)(A.2)
kg=1/9,06 an−1m−2 est un coefficient d'échange, ΔC est la concentration atmosphérique en CO2 et ΔCs est la concentration de CO2 dissous dans l'océan de surface en ppm, les deux dernières quantités étant exprimées en différence de l'état pré-industriel. La fonction de réponse rs(t) du modèle HILDA gouverne le transport du carbone inorganique dissous dans la couche de surface vers l'océan profond : (A.3)
Dans les eaux de surface, l'équilibre chimique entre le carbone inorganique dissous ΔΣ et l'excès de concentration de CO2 est donné par :
ΔCs=(1,5568-1,3993×10-2T)ΔΣ+(7,4706-0,20207T)×10-3(ΔΣ)2-(1,2748-0,12015T)×10-5(ΔΣ)3+(2,4491-0,12639T)×10-7(ΔΣ)4-(1,5468-0,15326T)×10-10(ΔΣ)5(A.4)

Appendix B Calibration du modèle de biosphère terrestre

Le Tableau 8 résume les paramètres utilisés pour chaque région et biome, déterminés à partir du modèle CASA–SLAVE, et l'équilibre résultant des stocks pré-industriels de biomasse et de carbone des sols.

Tableau 8

Paramètres tirés de CASA–SLAVE moyennés sur chaque région et importés dans notre modèle. ηt=0 est la productivité primaire nette, μt=0 est la mortalité de la biomasse et δt=0 est le taux de respiration du sol pour les conditions pré-industrielles

Parameters from CASA–SLAVE as averaged for each area and set in our model. ηt=0 is the net primary productivity, μt=0 is the biomass mortality and δt=0 is the soil breathing rate in pre-industrial conditions

Paramètres Résultats (GtC)
Surface η t=0 μ t=0 δ t=0 Biomasse Sols
biomes région 106 ha g/m2/an %/an %/an CS modèle CS modèle
forêts OCDE 600 593 7,47 5,16 48 44 69 69
tempérées REF 212 451 11,25 5,79 8 8 17 16
ASIE 408 671 5,92 4,15 46 44 66 63
ALM 625 1000 5,75 3,88 109 102 161 155
monde 1845 732 6,40 4,32 211 197 312 302
forêts OCDE 778 460 9,38 5,18 38 35 69 65
boréales REF 1249 275 14,69 6,83 23 20 50 47
ASIE 114 829 5,90 3,26 16 15 29 28
ALM 61 564 3,51 2,08 10 9 17 17
monde 2201 377 9,50 5,04 87 79 165 157
forêts OCDE 52 884 12,84 9,42 4 4 5 2
tropicales ASIE 455 884 6,05 5,25 67 62 77 73
ALM 1127 1000 6,09 4,38 185 174 257 243
monde 1634 964 6,18 4,65 255 239 339 318
prairies OCDE 511 266 33,99 4,44 4 3 31 29
tempérées REF 722 98 10,66 2,31 7 6 31 30
ASIE 513 221 38,69 4,96 3 2 23 22
monde 1746 183 23,57 3,81 14 10 84 81
toundra OCDE 513 58 6,92 1,57 4 4 19 18
REF 514 83 30,17 6,27 1 1 7 6
ASIE 43 305 21,81 3,60 1 1 4 4
monde 1070 80 13,50 2,90 6,3 6 30 28
prairies OCDE 625 253 37,20 15,39 4 10 10 9
tropicales ASIE 309 519 8,89 4,40 18 9 37 35
ALM 2308 570 9,13 4,84 144 121 272 259
monde 3242 504 9,82 5,13 166 165 319 302
tous biomes monde 11738 494 7,83 4,64 740 697 1248 1188

Appendix C Description analytique du modèle de changement d'affectation des terres

Chaque région de l'IPCC (indicées par k=1…4) est divisée en trois zones climatiques l=1…3, à l'intérieur desquelles ont lieu des transitions entre trois types de biomes : forêts, cultures et prairies. La structure du modèle calculant les flux de carbone terre–atmosphère est identique pour chacune des 12 sous-régions (k,l), et les équations ci-dessous sont donc valables à l'intérieur d'une sous-région quelconque.

Nous définissions des cohortes (de pas de temps annuel) de terres en transition entre les trois types de biomes, jusqu'à ce que les terres en transition puissent être considérées comme « en équilibre » avec leur biome de destination. Trois « temps de retour à l'équilibre » sont donc définis : τf pour les nouvelles forêts, τa pour les terres nouvellement converties à l'agriculture, et τp pour les nouvelles prairies. Un biome en transition ayant atteint l'ultime classe d'âge τx, x∈{f,a,p}, rejoint l'année suivante la classe d'âge considérée « à l'équilibre », non perturbée, et notée u. En l'absence de mécanisme créant une augmentation de la NPP, le bilan carbone de ces surfaces indicées u est nul.

C.0.1 Évolution des surfaces

Soit sx,τ l'aire du biome x∈{f,a,p} dans la classe d'âge τ∈{1,2,…,τx,u}. Nous notons dsx2y(t) la surface convertie durant l'année t du biome x∈{f,a,p} vers le biome y∈{f,a,p}, yx. Notez que dans la version du modèle présentée dans cette étude, seules deux transitions f2a et p2f ont été considérées. Dans les équations qui suivent, y et z sont des éléments génériques de {f,a,p}, différents de x∈{f,a,p}, de telle sorte que y{f,a,p},yx sera écrit ∑y par souci de simplicité. Entre t et t+1, l'évolution des surfaces des différentes classes d'âge des biomes x∈{f,a,p} est donnée par : (C.1)

Les changements d'affectation des terres sont donc « gardés en mémoire » sur une période allant jusqu'à τx années après la transition, d'où le terme utilisé pour caractériser ce type de modèle (book-keeping ou « inventaire »).

C.0.2 Évolution des stocks de biomasse

Soit Bx,τ(t) la biomasse résidente sur chaque surface sx,τ de classe d'âge τ∈{1,2,…,τx,u}, et ηx,τ la productivité primaire nette, fonction de la concentration de CO2 atmosphérique C(t) :

ηx,τ(t)=ηx,τt=01+β log C(t)C(0)(C.2)
β est une valeur globale, comme C(t). La mortalité est supposée être une fraction μx constante du stock de biomasse. L'évolution de Bx,τ(t) est donnée par : (C.3)
Pendant la transition x2y, une fraction αx2y de la biomasse détruite est laissée sur place, dirigée vers le réservoir du carbone du sol. Le reste est oxydé dans l'année et retourne à l'atmosphère. Pour la destruction de forêts, une fraction ωf2y de la biomasse détruite n'est pas immédiatement oxydée, mais est dirigée vers des réservoirs de produits du bois.

C.0.3 Évolution des stocks de carbone du sol

Le stock de carbone du sol Sx,τ(t) « suit » le changement de surface. Il est affecté par le changement d'affectation des terres, tant (i) immédiatement, car une partie de la biomasse détruite est laissée sur place, que (ii) de manière différée, parce que le taux de respiration δx,τ du carbone du sol est modifié dans le nouveau biome, tout comme l'export annuel de biomasse vers le sol. L'évolution des cohortes de réservoirs de carbone du sol est donnée par : (C.4)

C.0.4 Évolution des réservoirs de produits du bois

Lors de la déforestation, une fraction ω10f2y (resp. ω100f2y), y∈{a,p} de la biomasse forestière détruite et non laissée sur place est récoltée et dirigée vers un réservoir de bois W10 (resp. W100) de 10 ans (resp. 100 ans) de temps de décroissance exponentielle, dont l'évolution du contenu carbone est donnée par : (C.5)

C.0.5 Flux terrestres de carbone

Chaque année, sur chaque sous région, nous définissons ainsi une source « instantanée » φi(t) liée au changement d'affectation des terres, due à l'oxydation (brûlis) d'une partie de la biomasse lors de la perturbation :

ϕi(t)=yf1-ωf2y10-ωf2y100(1-αf2y)dsf2y(t)sf,u(t)Bf,u(t)+(x,y),xy,xf(1-αx2y)dsx2y(t)sx,u(t)Bx,u(t)(C.6)
Une source « différée » φd(t) est définie comme la somme (i) du flux net résultant du déséquilibre entre la NPP et la respiration hétérotrophe sur les terres en transition, ainsi que sur les cultures, et (ii) du flux provenant de l'oxydation des produits du bois :
ϕd(t)=x=f,a,pτ=1,,τxSx,τ(t)δx,τ-ηx,τsx,τ(t)+Sa,u(t)δa,u-ηa,usa,u(t)+110W10(t)+1100W100(t)(C.7)
Enfin, le « puits terrestre résiduel » φau(t) (terres non perturbées) est égal au bilan carbone des forêts et des prairies non perturbées :
ϕau(t)=sf,u(t)ηf,u-δf,uSf,u(t)+sg,u(t)ηg,u-δg,uSg,u(t)(C.8)

C.0.6 Évolution du compartiment atmosphérique

Au total, l'évolution du CO2 atmosphérique entre t et t+1 (un an) est donnée par :

C(t+1)-C(t)=E(t)-s oc ϕ as (t)+k=14l=13ϕik,l(t)+ϕdk,l(t)-ϕauk,l(t)(C.9)
E(t) est le flux global égal aux émissions fossiles de l'année t, soc=3,62×1014 m2 est l'aire totale des océans, et φas est le flux net air–mer par unité de surface dans l'année t.


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