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Comptes Rendus

Géophysique externe, climat et environnement
Les enjeux de recherche liés à la directive-cadre européenne sur l'eau
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 337 (2005) no. 1-2, pp. 243-267.

Résumés

Nous présentons les enjeux de recherche suscités par la directive-cadre européenne sur l'eau : ils concernent la compréhension de la dynamique des écosystèmes, un approfondissement des connaissances relatives aux eaux souterraines, un important développement de l'écotoxicologie et une nouvelle approche de l'économie de l'eau.

We present the research needs required to implement the European Framework Directive for Water, involving a better understanding of the ecosystem dynamics, a better knowledge of groundwater bodies, strong efforts in ecotoxycology and a new approach in water economics.

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DOI : 10.1016/j.crte.2004.10.012
Mot clés : Eau, Recherche, Directive-cadre européenne sur l'eau
Keywords: Water, Research, Water Framework Directive
Pierre-Alain Roche 1 ; Gilles Billen 2 ; Jean-Paul Bravard 3 ; Henri Décamps 4 ; Didier Pennequin 5 ; Eric Vindimian 6 ; Jean-Gabriel Wasson 7

1 Agence de l'eau Seine–Normandie, 51, rue Salvador-Allende, 92027 Nanterre, France
2 UMR Sisyphe, CNRS, université Pierre-et-Marie-Curie, Paris-6, 4, place Jussieu, 75252 Paris cedex 05, France
3 Faculté de géographie, université Louis-Lumière, Lyon-2, 5, av. Pierre-Mendés-France, 69500 Bron, France
4 UMR Ladybio (Laboratoire dynamique de la biodiversité), CNRS, université Paul-Sabatier, Toulouse-3, BP 24349, 29, rue Jeanne-Marvig, 31055 Toulouse cedex 4, France
5 Département « Eau », BRGM, 3, av. Claude-Guillemin, BP 6009, 45060 Orléans, France
6 Ministère de l'écologie et du développement durable, direction des études économiques et de l'évaluation environnementale, service de la recherche et de la prospective, 20, av. de Ségur, 75302 Paris 07 SP, France
7 Cemagref, unité de recherche BEA, laboratoire d'hydro-écologie quantitative, BP 220, 69336 Lyon cedex, France
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Pierre-Alain Roche; Gilles Billen; Jean-Paul Bravard; Henri Décamps; Didier Pennequin; Eric Vindimian; Jean-Gabriel Wasson. Les enjeux de recherche liés à la directive-cadre européenne sur l'eau. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 337 (2005) no. 1-2, pp. 243-267. doi : 10.1016/j.crte.2004.10.012. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/j.crte.2004.10.012/

Version originale du texte intégral

1 Introduction

En se fixant, avec la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE) [18], un objectif général commun d'atteinte du bon état écologique des eaux superficielles et du bon état chimique des eaux souterraines en 2015, les pays de l'Union européenne ont ouvert un chantier important et complexe, tant par ses implications techniques et financières que sur le plan méthodologique. Engagés à atteindre les mêmes objectifs, ils devront procéder selon un même calendrier, un même cadre d'action (plans de gestion et programmes de mesures à l'échelle des grands bassins : les districts hydrographiques), rapporter périodiquement à la Commission européenne de l'état d'avancement des programmes mis en œuvre, tout en informant le public et en associant étroitement l'ensemble des acteurs concernés au processus de décision (notamment en application de la convention d'Aarhus). Les références fondatrices de la DCE, trop souvent et à tort identifiées comme une simple adoption au niveau européen du système français, sont complexes [45] et celle-ci impliquera, y compris en France, une véritable révolution dans les pratiques de gestion.

La DCE suppose de recourir à une approche intégrée, pluridisciplinaire, raisonnée, transparente et solidaire et une à vision d'ensemble au niveau du bassin versant, incluant à la fois les eaux de surface, les eaux littorales et les eaux souterraines. Elle introduit des concepts relativement nouveaux de masses d'eau et de bon état, qui méritent expertises et évaluations, tant pour les écosystèmes de surface que pour les eaux souterraines [44].

En faisant du « bon état » des masses d'eau l'objectif même des politiques de gestion des ressources hydriques, la DCE a rendu nécessaire un double débat, à la fois technique (comment caractériser cet « état » ?) et politique (comment définir ce qui est « bon », c'est-à-dire sans doute à la fois désirable et réalisable ?). Cette définition du bon état est particulièrement délicate pour les eaux superficielles, car elle étend la conception classique physicochimique de la « qualité de l'eau » à une notion plus globale d' « état écologique ». Les eaux souterraines posent de façon aiguë la question de la maîtrise des pollutions diffuses de toutes natures et de l'analyse des mesures susceptibles d'être prises pour inverser les tendances d'un système à long temps de réponse.

L'accent est également mis dans la directive-cadre sur les substances dangereuses. Un important travail de recherche en écotoxicologie est indispensable pour y répondre.

Le développement d'outils de modélisation à l'échelle globale des districts offre depuis peu aux acteurs de la gestion de l'eau les moyens de procéder à des évaluations prospectives des effets de la mise en œuvre de diverses politiques publiques possibles : la crédibilité des évaluations sur des échelles larges d'espace et l'aptitude des modèles existants à représenter la complexité des processus ont fait d'indéniables progrès, sans épuiser, loin de là, le sujet. La quantification des pressions anthropiques sur le milieu, dans toutes leurs composantes, préalable indispensable, a permis de proposer les premières esquisses d'études socio-économiques des divers scénarii que la DCE demande d'établir.

Cette contribution tente d'évaluer les enjeux de recherche liés à ces nouveaux défis et, aux confins de la recherche et de l'expertise, notre capacité à répondre à cette ambition dans un délai raisonnable et compatible avec le calendrier fixé.

2 Caractériser l'état des masses d'eau et définir « le bon état » ou le « bon potentiel »

La directive-cadre européenne sur l'eau (DCE) fixe comme objectif à tous les États membres d'atteindre à l'horizon 2015, pour tous les milieux aquatiques naturels, le « bon état ». Ce bon état est défini comme un écart « léger » à une situation de référence, correspondant à des milieux non ou très faiblement impactés par l'homme. Lorsque les caractéristiques morphologiques ont été irréversiblement bouleversées par les aménagements (les masses d'eau dites « profondément modifiées »), on recherche alors un « bon potentiel ». Pour les eaux souterraines, c'est un bon état chimique qui est recherché. Cet objectif ambitieux a posé à la communauté scientifique bien des questions conceptuelles (qu'est-ce qu'un bon état, notamment un bon état écologique pour les eaux superficielles ?) ou méthodologiques (comment mesurer les caractéristiques nécessaires pour assurer la surveillance, non pas de quelques zones-tests, mais, de façon exhaustive, de l'ensemble des masses d'eau ?).

2.1 Dispose-t-on des outils nécessaires de caractérisation et de typologie de l'état écologique des eaux superficielles ?

Selon la définition de la DCE, l'état écologique se réfère « à la structure et au fonctionnement des écosystèmes aquatiques » ; l'évaluation en repose donc principalement sur la bio-indication : les peuplements aquatiques, végétaux, invertébrés et poissons, en sont les juges de paix. Le « bon état » se comprend dès lors comme « bon fonctionnement ». Les seuils concernant les divers paramètres physicochimiques généraux qui contribueront à caractériser chaque masse d'eau doivent donc pouvoir être reliés à l'altération des peuplements. Pour les polluants toxiques, des normes sont définies sur la base de tests écotoxicologiques. L'évaluation des altérations physiques (ou hydromorphologiques) est requise pour identifier les situations de référence, mais n'intervient pas pour définir le bon état. Qu'est-ce finalement qu'un bon fonctionnement ? Est-ce que les bio-indicateurs dont nous disposons peuvent en rendre compte ?

2.1.1 Bon état et bon fonctionnement

Les cours d'eau sont des systèmes dynamiques contrôlés d'abord par les facteurs physiques, même si les éléments biologiques contribuent à leur structuration. Trois mots-clés pourraient caractériser un « bon état » : processus, dynamique, et réversibilité. Les cours d'eau sont caractérisés par leur dynamique – l'état stable est une exception ou une altération – et par leur résilience face aux variations imposées par l'hydrologie. Ces caractéristiques sont liées à trois grandes catégories de processus : physiques – qui déterminent la morphodynamique fluviale –, biogéochimiques – qui régissent les flux de matière organique et d'énergie métabolique, et écologiques – qui conditionnent les possibilités de dispersion et de recolonisation des espèces. Dans un écosystème qui « fonctionne bien », les processus fonctionnels maintiennent une dynamique physique et biologique, assurant la réversibilité du système face aux perturbations d'origine naturelle ou anthropique.

Dispose-t-on des bonnes métriques pour évaluer ces processus ? La réponse est mitigée. Les bio-indicateurs mesurent par définition un état biologique, intégré sur une période qui dépend de la durée de vie des organismes. L'indice IBGN basé sur les invertébrés, le plus ancien et le plus utilisé, contient une information relativement pauvre (nombre de taxons et présence de taxons sensibles à la pollution). Il pourra facilement être complété par des métriques plus fonctionnelles, utilisant les traits biologiques des organismes, et des indices de structure des peuplements, comme l'équitabilité [48]. Les méthodes basées sur les diatomées traduisent qualitativement les perturbations des flux de matière organique et de nutriments ; il y manque un aspect quantitatif qui requiert des approches beaucoup plus lourdes pour évaluer la production primaire et le degré d'autotrophie/hétérotrophie du milieu [26,28]. En revanche, l'indice « poisson » récemment développé [40] intègre déjà des métriques fonctionnelles. Les méthodes basées sur les macrophytes actuelles (IBMR par exemple) restent mal adaptées aux exigences de la directive, puisqu'elles donnent essentiellement une image du niveau trophique des rivières et non l'état de son peuplement par les végétaux. La recherche des phytocénoses de référence permettra de progresser dans cette direction.

Ces méthodes, avec des améliorations indispensables pour les invertébrés, permettront de répondre aux exigences de la DCE pour l'évaluation de l'état écologique, mais elles restent insuffisantes pour porter un véritable diagnostic des causes d'altération. Il faut donc développer des approches permettant d'évaluer, aux échelles pertinentes d'espace et de temps, les perturbations des processus fonctionnels, en s'appuyant sur l'hypothèse heureusement vraisemblable que la variabilité spatiale et temporelle de ces processus est plus limitée que celle des états qu'ils engendrent.

2.1.2 Bon état et état de référence

La notion d'état (ou de conditions) de référence est essentielle dans la logique de la DCE et mérite une clarification. La référence n'est pas l'objectif fixé par la directive : c'est une situation repère, variable selon le contexte naturel, qui constitue le point de calage des métriques de bio-indication. Cette donnée fondamentale doit reposer sur des bases scientifiques solides. En revanche, la fixation d'une limite du bon état, harmonisée au niveau européen, relève, elle, d'un choix politique : quel est l'objectif écologiquement souhaitable, socialement acceptable, et économiquement réaliste ?

La référence n'est pas définie dans la DCE par une diversité biologique maximale, rarement observée dans la nature, mais à partir des pressions anthropiques : elle correspond à un niveau de pression suffisamment faible pour que l'impact au niveau du fonctionnement de l'écosystème et des communautés biologiques soit négligeable (c'est-à-dire difficilement discernable de la variabilité naturelle, ou très localisé). Mettre l'accent sur les processus fondamentaux permet alors de chercher des références dans des bassins où l'occupation humaine n'a pas modifié significativement ces processus : hydrologie et dynamique fluviale non entravées par des ouvrages, flux de matière organique et de nutriments faiblement modifiés, connectivité latérale et longitudinale maintenue, etc. Les conditions de référence sont alors définies par l'enveloppe de variabilité des paramètres biologiques observés dans ces situations. Il s'agit donc bien d'une définition statistique intégrant la variabilité naturelle, à la fois locale et temporelle à court terme. Dans cette optique, on s'appuiera sur des grandeurs robustes, comme la médiane, pour définir les valeurs de référence des métriques de bio-indication. Le recours à la modélisation (à l'exemple du bassin de la Seine, abordé ci-après), voire à des données historiques [12] ou paléo-écologiques (pour les lacs), aidera aussi à reconstituer les conditions de référence de certains types de milieux, pour lesquels aucun site non impacté n'est disponible.

Enfin, ces conditions de référence ne sont pas figées dans le temps. Les évolutions morphologiques à long terme, sous l'influence des variations climatiques ou de la végétation des bassins, conduisent à ce que le milieu physique ne soit donc pas stationnaire. Mais si les processus d'ajustement morphodynamiques ne sont pas entravés par des ouvrages structurants (digues, barrages...), et si les dynamiques écologiques sont actives – ce qui suppose le maintien du stock d'espèces et des connectivités du système – l'hypothèse de base est que la biocénose s'adaptera à l'évolution naturelle des conditions physiques. Autrement dit, les conditions de référence ne correspondent pas nécessairement à un passé plus ou moins lointain, mais à une biocénose en adaptation permanente à un milieu physique en « déséquilibre dynamique ».

Les changements climatiques en cours laissent augurer à la fois une évolution rapide des conditions thermiques et une forte variabilité hydrologique inter-annuelle. De ce point de vue, il sera essentiel de mettre en place un suivi à long terme des sites de référence, de manière à pouvoir prendre en compte l'influence de ces événements sur les conditions de référence biologiques.

2.1.3 Les hydro-écorégions

La mise en œuvre de ces concepts pose une question pratique : comment aborder la complexité des systèmes socio-écologiques ? L'une des principales innovations de la DCE est de faire référence au contexte géographique naturel, les conditions de référence devant être établies par type de milieu. D'où l'importance d'une bonne typologie, basée sur les processus qui génèrent les différents types. L'approche développée en France est une régionalisation appuyée sur les théories de contrôle hiérarchique des hydrosystèmes, et l'emboîtement des échelles physiques du bassin jusqu'au micro-habitat.

À l'échelle locale, la biodiversité et la productivité des communautés vivantes répondent aux « facteurs-clés » que sont le climat aquatique (physicochimie de l'eau), les ressources trophiques (endogènes et exogènes) et l'habitat physique (hydraulique, substrat), qui conditionne largement les deux autres. À l'échelle du tronçon, ces facteurs-clés dépendent de l'hydrologie, de la morphologie et de la végétation rivulaire : ces « facteurs de contrôle » déterminent la morphodynamique fluviale et la connectivité du système. Finalement, à une échelle régionale, ces facteurs dépendent des « déterminants primaires » que sont la géologie (nature des roches), le relief et le climat.

L'approche écorégionale des cours d'eau, initiée aux États-Unis [41], connaît un succès grandissant avec la généralisation de la gestion par bassins. Les premières démarches en ce sens en France, appuyées sur des données physiographiques et phyto-écologiques [25], ont été complétées en introduisant les caractéristiques hydrologiques comme des intégrateurs essentiels des informations de la typologie [46], et ont servi pour l'élaboration de certains SDAGE [1].

Les « hydro-écorégions » (HER) s'appuient sur les caractéristiques géophysiques et climatiques ; la recherche des discontinuités spatiales de ces déterminants primaires permet de délimiter des régions, en faisant l'hypothèse qu'à l'intérieur d'une même HER, les cours d'eau présenteront des caractéristiques physiques et biologiques similaires. Développée initialement sur le bassin de la Loire [51], puis sur le Bassin amazonien bolivien [52], cette approche a été appliquée au territoire métropolitain [53] (Fig. 1).

Fig. 1

Carte des hydro-écorégions de France métropolitaine [53]. Trait gras : HER niveau 1 ; trait fin : HER niveau 2.

Map of French hydro-ecoregions [53]. Bold line: HER level 1; thin line: HER level 2.

Ces hydro-écorégions, définies à deux niveaux emboîtés (HER-1 et HER-2), correspondent à des ensembles (relativement) homogènes en termes de processus physiques et bio-géochimiques dominants. Chaque polygone est caractérisé par une distribution de paramètres géographiques (lithologie, altitude, pentes, hydrographie, température, précipitations). Le niveau 2, plus précis, permet un couplage avec certains modèles à base physique, ce qui ouvre la voie à un changement d'échelle spatiale.

2.1.4 Caractériser les masses d'eau

Pour aboutir à une typologie des tronçons de cours d'eau – les « masses d'eau » selon la DCE –, il faut intégrer la dimension longitudinale du réseau, c'est-à-dire la taille du cours d'eau, dont dépendent nombre de caractéristiques physiques et biologiques. La méthode retenue, simple et éprouvée, est l'ordination par rangs de Strahler, qui présente deux avantages majeurs :

  • – les changements de rang se produisent aux confluences principales (cours d'eau de même taille), qui induisent des discontinuités dans la structure physique et biologique ;
  • – les rangs reflètent assez bien les volumes écoulés en hautes eaux, et il s'ensuit que des tronçons de même rang auront des lits de dimensions comparables, même dans différents contextes géologiques et climatiques.

La typologie de base, adoptée en France pour la DCE, correspond donc au croisement « HER × rang », affiné pour tenir compte des particularités locales.

Dans les différents contextes où cette méthode a été appliquée, des validations ont été réalisées à partir de données acquises indépendamment au niveau des cours d'eau. Dans l'ensemble, les HER expliquent une part prépondérante de la variabilité observée sur les paramètres physiques, chimiques et biologiques. À l'échelle de la France, on a pu montrer que la discrimination des peuplements d'invertébrés par les HER est sensiblement équivalente à celle de classifications automatiques effectuées directement sur la faune [53]. Cette typologie permet donc de caractériser statistiquement, de manière assez robuste, l'enveloppe de variabilité des conditions locales. Elle constitue une base pratique pour la spatialisation des conditions de référence biologiques : les valeurs de référence de l'indice IBGN (noté sur 20) varient de 14 à 19 selon les HER. Ce travail a permis de proposer une première hypothèse de limite du « bon état », harmonisée entre les différentes régions.

2.2 La directive-cadre semble se référer à un état stable, alors qu'en pratique les systèmes fluviaux sont très souvent nonstationnaires

Le texte de la directive-cadre européenne précise que la caractérisation des masses d'eau s'appuie sur :

  • (A) la typologie des écorégions,
ou
  • (B) des « facteurs » facultatifs, dont l'énergie et les flux (cf. annexe II de la DCE [18]).

Dans ce qui précède, le « bon état » écologique fait implicitement référence à une situation d'équilibre dynamique du système fluvial, qui prendrait en compte le bassin versant et le réseau hydrographique, la dynamique et la balance des flux hydriques et sédimentaires, un ajustement spatialement différencié des variables qui décrivent la géométrie des chenaux (un style fluvial de référence du cours d'eau avec pente, largeur, profondeur, sinuosité, calibre des matériaux, volume de la charge, etc.), un hydrosystème élargi à ses trois dimensions (longitudinale, transversale et verticale), enfin des conditions écologiques en partie déduites de ces variables, l'habitat jouant un rôle essentiel pour les biocénoses. La DCE semble en effet avoir été rédigée en fonction de l'hypothèse implicite de la stabilité contemporaine, voire historique, des conditions hydromorphologiques naturelles. L'écart enregistré par rapport au « bon état » est implicitement sous contrôle anthropique, c'est-à-dire que les effets d'impact sont considérés comme responsables de la dégradation de la qualité des biocénoses par rapport à un état initial dit de « référence ». Il faut considérer par là les impacts des aménagements hydrauliques (barrages et retenues, endiguements, extractions, etc.). On conçoit dès lors que l'état de référence soit un état « pré-aménagement », si tant est que les masses d'eau ne soient pas modifiées à un point tel ( « fortement modifiées ») que le retour à l'état d'origine ne soit plus possible.

Cette conception, quelque peu simplificatrice, semble pêcher par son insuffisante prise en considération du temps et de la dynamique des systèmes fluviaux, notamment de la variabilité naturelle des écosystèmes à différents pas de temps. Pour avoir une idée plus juste de ce qu'est l'état de référence, il conviendrait en effet de faire la distinction entre, d'une part, l'équilibre apparent de l'écosystème, celui qui se réfère à un état à court terme, et, d'autre part, sa trajectoire et sa variabilité à des échelles de temps plus longues, sous contrôle climatique. Il convient d'intégrer la variabilité « naturelle » des systèmes sur le long terme et la variabilité liée aux actions humaines aux différentes échelles de temps. En quoi consiste la variabilité naturelle ? Les fluctuations climatiques de l'Holocène, aussi mineures soient-elles, induisent des variations des flux hydriques et solides dans le système fluvial, à des échelles de temps multidécennales et centennales ; les seuils de déclenchement de ces processus sont fréquemment eux-mêmes sous le contrôle des sociétés humaines, qui influencent le couvert végétal des bassins versants et la « réponse » des versants aux stimuli climatiques. Ces fluctuations imposent un réajustement des variables de forme des chenaux fluviaux et, indirectement, du fonctionnement écologique. Le processus peut conduire à des changements d'une intensité telle, que la notion de « métamorphose fluviale » a été adoptée pour les caractériser.

2.2.1 La dynamique des cours d'eau alpins (Figs. 2–5)

Durant la crise du petit âge glaciaire (1350–1860 environ) dans les Alpes, dans un contexte de très fort défrichement des versants et de recul sévère du couvert forestier, des épisodes météorologiques (dont on cerne encore mal les caractéristiques en termes de saisonnalité, de fréquence et d'intensité) ont produit des écoulements et des transports solides, qui se sont traduits par un accroissement des débits de crue et par une très forte augmentation des débits solides grossiers. La réponse des lits fluviaux et torrentiels a été l'engorgement des lits fluviaux, qui s'est manifesté de manière généralisée par un exhaussement des profils en long et par l'extension du style fluvial en tresses. Dans le haut Diois, la crise torrentielle a été discontinue au long du XIXe siècle, avec des périodes de crise marquées par la réponse précédente (1800–1820, 1840–1843, 1856–1875 environ), séparées par des périodes de répit caractérisées par le déstockage sédimentaire (1820–1840 ; 1843–1850 notamment). La « sortie » du petit âge glaciaire ou plutôt du « petit âge torrentiel » dans cette partie des Alpes [9] s'est faite très progressivement, car elle a succédé à une crise qui fut sans doute d'une extrême importance dans le haut Diois, en réponse à l'épisode catastrophique d'août 1856. On peut considérer que la transformation des lits fluviaux s'est faite progressivement de 1875 (plus ancienne date connue [47]) à nos jours suivant un rythme mal cerné, mais qui reflète les effets de la recolonisation végétale des versants, effets dont l'importance relative paraît supérieure aux effets du changement climatique [36,37]. De manière générale, les cours d'eau de rang inférieur sont plus réactifs que les cours d'eau de rang supérieur dans les périodes de crise et de rupture après un épisode catastrophique. Dans une phase longue de sortie de crise (ici le XXe siècle), les cours d'eau de rang supérieur tendent à évoluer avec un temps de décalage au terme duquel l'ensemble de l'hydrosystème est stabilisé et résilient dans un environnement peu réactif, du fait des caractères conférés au système hydrologique et sédimentaire par le dense couvert boisé (Fig. 2).

Fig. 2

Modèle de comportement des torrents du Diois.

Dynamic model of the Die region torrents.

Fig. 3

La gorge des Gâts vers 1900. Le lit torrentiel est rempli de sédiments grossiers.

The gorge of the Gâts around 1900. The torrent bed is filled with coarse sediments.

Fig. 4

La gorge des Gâts vers 1930–1940. Sur le même site que la celui de la Fig. 3, le lit est en phase de déstockage sédimentaire ; noter la saulaie pionnière.

The gorge of Gâts in the 1930s. On the same site as that of Fig. 3, the sediments of the bed are destocking. Note the willow pioneering plantation.

Fig. 5

La gorge des Gâts en 2003. Le talweg, incisé de près de 2 m, coule sur des matériaux tombés des versants qui pavent le lit ; la ripisylve est formée pour partie de bois durs.

The gorge of Gâts in 2003. The talweg is incised to a depth of 2 m. The torrent flows on a pavement of materials fallen from the slopes. The banks are colonized by developed trees.

2.2.2 Caractérisation des états de référence

Cet exemple de la dynamique des cours d'eau alpins, dont la démonstration vaut pour l'ensemble des Alpes et au-delà, montre qu'il serait souhaitable d'intégrer les situations de déséquilibre dynamique dans la caractérisation des états de référence. Le début et la fin d'une phase de métamorphose imposent au système fluvial des cours d'eau à forte énergie une situation de déséquilibre dynamique, qui se prolonge sur plusieurs décennies et qui, souvent, est d'une longueur telle qu'elle peut se superposer au rythme de la variabilité naturelle des conditions climatiques. Les cours d'eau européens, notamment ceux de montagne, sensibles aux ajustements naturels, sont actuellement dans la phase de sortie du petit âge glaciaire ; ils sont quasiment tous en situation de déséquilibre dynamique, sans faire référence aux impacts de grands aménagements hydrauliques, et on ne sait quand l'équilibre sera atteint après l'épuisement des stocks sédimentaires de fond de vallée. Il convient donc de prendre en compte ces héritages du passé, comme, par exemple, la présence, dans le lit mineur des rivières, de matériaux correspondant à une autre dynamique (plus active) et à d'autres processus parfois non fluviaux (périglaciaires par exemple) ; dans le lit majeur, de paléoformes (d'anciens méandres), qui sont d'un intérêt écologique particulier, puisqu'elles ne sont plus renouvelables. Dans l'exemple du Diois ci-dessus, il s'agit d'aspects non immédiatement visibles, en l'occurrence des stocks sédimentaires hérités de phases d'ajustement à l'excès relatif de charge de fond en provenance des versants ; l'ajustement à de nouvelles conditions de débit et de transport solide a déjà pris plus d'un siècle et n'est pas terminé, c'est-à-dire que le déstockage sédimentaire va se poursuivre, notamment sur les branches principales qui ne sont pas encore réellement touchées par l'érosion progressive : le déstockage commence par l'amont, dans un système torrentiel soumis à ce type d'évolution [36,48].

La question, qui vaut d'être posée avant toute opération de restauration éventuellement coûteuse, est donc de savoir quel peut être l'état de référence dans un système fluvial non stabilisé :

  • – quelles sont les rivières insensibles aux ajustements sous effets de métamorphoses sous contrôle naturel et d'impacts ? Dans ce cas, la question ne se pose pas ;
  • – quelles sont au contraire les rivières en état de déséquilibre dynamique ou en phase de réajustement ?
  • – sur ces dernières rivières, quelle sera la durée de la période permettant à la relaxation d'atteindre son terme après perturbation ?
  • – quel y serait l'état du système au terme de la phase de réajustement, si les conditions actuelles étaient pérennisées ? Cet état serait l'état de référence à prendre en compte pour la DCE.

On peut concevoir, en effet, que l'état du système après retour à l'équilibre, sans intervention de restauration, soit plus évolué (dégradé ?) que l'actuel ; dans ce cas, des actions de restauration prématurées ne pourraient remplir leur objectif.

2.3 Aspects spécifiques aux eaux souterraines

2.3.1 Des échelles de temps et des processus très différents

Si les eaux superficielles et les eaux souterraines sont très souvent connectées sur le plan hydraulique [42,54], elles ont un mode de fonctionnement qui diffère au moins sur deux aspects : par les échelles de temps impliquées dans leur dynamique, et par les processus qui impriment leur qualité.

Les eaux souterraines, pour la plupart en état transitoire perpétuel, sont caractérisées par une inertie souvent forte, liée, d'une part, à la grande dimension et aux géométries complexes et imbriquées des réservoirs qui les contiennent et, d'autre part, aux propriétés hydrauliques qui régissent les mouvements et transferts dans le sous-sol. Exception faite des karsts, les eaux souterraines sont des systèmes qui sont dotés d'une capacité de résilience souvent plus importante que les eaux de surface, mais avec un pouvoir de réversibilité inférieur (en tous cas au moins en apparence et à l'échelle humaine).

Par ailleurs, la qualité naturelle intrinsèque des eaux superficielles est contrôlée par des facteurs à la fois physiques, biologiques et chimiques, alors que celle des eaux souterraines est déterminée pour l'essentiel par des processus d'ordre physicochimique, et notamment par les interactions avec la matrice rocheuse durant leurs transferts dans le sous-sol et par les échanges de flux internes entre les différents réservoirs qui constituent le système aquifère. Il existe souvent une relation entre la qualité des eaux et le niveau des nappes, particulièrement dans les réservoirs stratifiés hétérogènes, dans lesquels la constitution chimique des eaux peut évoluer en fonction du degré de saturation des horizons aquifères.

Aux constituants présents naturellement dans les eaux s'ajoutent, par le biais de ruissellements directs ou indirects vers les eaux superficielles, ou par des infiltrations depuis la surface vers les nappes, des polluants issus de l'activité anthropique, qui viennent se surimposer aux faciès naturels, et ainsi perturber et altérer les équilibres en place. Là encore, dans le cas des eaux souterraines, une relation entre la qualité et la quantité peut exister ; le rôle des battements de nappe dans la mise en solution périodique de polluants est par exemple aujourd'hui bien reconnu.

La DCE reconnaît et intègre en bonne partie la complexité du fonctionnement des eaux naturelles continentales, et ouvre de ce fait plus grande la voie d'une gestion intégrée et d'un développement durable des eaux souterraines. Il faut cependant regretter (c'est un des ses points faibles) que le texte ne se focalise que sur l'impact que peuvent avoir les eaux souterraines sur la quantité et la qualité des eaux de surface, et non sur le phénomène inverse également, qui reste une préoccupation majeure dans le cadre de certaines activités, dont la production d'eau potable [43].

2.3.2 Caractériser les masses d'eau souterraines et établir les réseaux de surveillance

En France, après un départ un peu difficile, un travail considérable a déjà été effectué en vue de pouvoir mettre en application la première phase de la DCE, celle consistant à capitaliser les connaissances. Les efforts se focalisent aujourd'hui sur la structuration de la connaissance des systèmes aquifères, notamment avec l'organisation en réseaux des données disponibles, l'extension du dispositif de surveillance des ressources et la caractérisation initiale des différentes masses d'eau (dont le projet de délimitation est en cours de concertation dans les districts). Ainsi, ADES, la banque nationale de l'évolution de l'état quantitatif et qualitatif des eaux souterraines, est accessible sur Internet depuis avril 2003 [13]. Le réseau national de surveillance (pour les aspects quantitatifs) des eaux souterraines se renforce, se modernise et se rationalise dans le cadre d'un projet échelonné sur quatre ans, qui doit prendre fin en 2006. Une démarche semblable est entreprise sur le plan du suivi qualitatif des ressources. Le projet du « fond géochimique » vise à développer une méthodologie fondée sur les interactions eau–roche, qui permettra d'établir la qualité naturelle (hors perturbations liées à l'activité humaine) des nappes d'eau souterraines [6,7,33]. Plusieurs guides méthodologiques ont également été réalisés, dont l'un concerne la caractérisation des masses d'eau souterraines [39], qui a permis de lancer le processus de leur caractérisation initiale, en cours aujourd'hui au niveau des districts hydrographiques.

D'autre part, le SEQ–Eaux souterraines est un exemple d'approche dans la recherche d'indicateurs intégrateurs de l'état qualitatif d'une masse d'eau, qui prend en compte la notion d'usage de l'eau et sa référence originale (qualité patrimoniale) [3].

2.3.3 Définir le bon état chimique

La DCE ne définit pas précisément elle-même ce qu'est le « bon état chimique » des masses d'eau souterraines, autrement qu'indirectement, en stipulant de ne pas les dégrader (entre autres pour ne pas mettre en péril le bon état écologique des eaux de surface), d'inverser les tendances en cas de hausse persistante des teneurs en polluants, et en renvoyant aux autres directives européennes, dont celles qui traitent des points de rejet et des points d'exhaure. La directive-fille qu'elle prévoit doit préciser la définition du « bon état chimique » et les seuils de déclenchement à partir desquels il deviendra nécessaire de mettre en œuvre les mesures adéquates pour inverser les éventuelles tendances à la hausse des teneurs en polluants. Cela suppose d'obtenir une convergence des points de vue et d'acquérir des connaissances complémentaires, à la fois dans les domaines de la santé, de l'environnement, de l'hydraulique souterraine, de l'hydrogéochimie et de la socio-économie. Le programme BRIDGE a été soumis dans le cadre du 6e PCRD (programme de recherche de l'Union européenne), avec notamment pour objectif d'éclairer la démarche d'établissement de ces seuils.

Il faut en effet veiller à ne pas fixer des objectifs illusoires, non compatibles avec la réalité contextuelle et mécanique des systèmes aquifères (eaux souterraines et eau de surface connectées) et de leur environnement. En effet, les eaux souterraines naturelle peuvent, par exemple, déjà contenir des éléments indésirables en concentration, qui excèdent ce que préconisent certaines normes (ou futures normes) européennes, en particulier pour l'eau destinée à la consommation humaine (par exemple, cas de l'arsenic et de l'eau potable notamment en Auvergne [4,14]). Ensuite, l'inertie des systèmes aquifères peut être très longue, la zone non saturée peut renfermer d'importants stocks de matières polluantes, lentes à mobiliser, mais qui impacteront la nappe pendant longtemps, et les interactions entre systèmes hydriques peuvent être déterminantes. Cibler un état chimique idéal qui ne tienne pas compte des réalités n'a donc aucune chance d'aboutir. Une définition sensée du « bon état chimique » des masses d'eau souterraine pourrait donc intégrer un ensemble d'aspects, dont leurs caractéristiques intrinsèques, celles du tissu socio-économique qui s'y est greffé et les notions d'usage, et les usages potentiels qu'il est fait et pourrait être fait dans le futur des ressources. La définition du « bon état chimique » ne serait ainsi pas une notion uniforme, mais une notion flexible, adaptée au cas par cas, qui pourrait de surcroît évoluer progressivement.

2.3.4 Les zones de transfert

La DCE élargit pour la première fois le champ d'application de la législation aux zones de transfert (les secteurs situés entre les points de rejet et les zones de captage) ; il en résulte des conséquences très importantes pour les eaux souterraines, car l'attention doit maintenant, non seulement se porter sur les points de rejet et sur les points d'exhaure, comme c'était déjà le cas précédemment, mais également sur l'ensemble des secteurs qui s'étendent entre ces points. Ceci implique notamment de prendre en compte, au niveau de la surveillance, de l'analyse, de la protection et de la gestion des ressources souterraines, l'ensemble du corps des réservoirs qui les constituent et, donc, entre autres, de reconnaître le rôle joué par la zone non saturée sur la qualité des eaux souterraines, et de maîtriser la problématique des pollutions diffuses.

Pour pouvoir répondre à cette exigence de la DCE, les efforts de recherche doivent porter notamment sur les mécanismes d'interaction eau–roche, sur le comportement des stocks de polluants piégés dans la zone non saturée (cas des zones agricoles et des sites industriels anciens et actuels), sur les transferts réactifs dans les zones saturées et non saturées (notamment, quels sont les facteurs qui conditionnent les réactions chimiques et bio-chimiques ? et comment les modéliser efficacement ?), et sur le rôle joué par les sédiments fins qui tapissent les berges et le lit des rivières, et qui contrôlent et peuvent modifier en partie la qualité des eaux qui les traversent. Il est clair, par ailleurs, que des études spécifiques poussées de ce type ne peuvent être menées sur chacune des masses d'eau, compte tenu de leur coût élevé. Aussi, à partir des résultats obtenus dans des secteurs pilotes, des méthodologies ouvertes et flexibles doivent être recherchées et développées pour pouvoir, autant que possible, transposer ces résultats dans différentes situations, une tâche certes difficile compte tenu du caractère spécifique de chaque ressource, mais obligatoire pour pouvoir fournir un ensemble minimum d'éléments et d'outils nécessaires, pertinents et cohérents, aux pouvoirs décisionnels.

C'est l'objet d'un projet intégré du 6e PCRD, AQUATERRA, qui doit démarrer prochainement, et qui devrait aborder notamment le comportement des pesticides dans le sous-sol et en particulier dans la zone non-saturée, et le rôle des sédiments et des microorganismes présents en fond de rivière sur la qualité des eaux souterraines et superficielles au sein du continuum sols–sédiments–eaux.

2.4 Vive la panarchie !

Qualifier l'état des masses d'eau – rivières, lacs, eaux souterraines – de « très bon », de « bon » ou de « moyen » selon certains paramètres biologiques, hydromorphologiques, chimiques, physicochimiques... ne saurait être abordé, on l'a vu, à travers les divers points abordés ci-dessus, sans faire référence à la dynamique des systèmes naturels et humains. Cette dynamique peut être décrite en termes de cycles adaptatifs à diverses échelles emboîtées d'espace et de temps. Ces deux idées de cycle adaptatif et d'échelles emboîtées fixent un cadre théorique à l'interprétation de l'état écologique des masses d'eau dans les bassins versants. Elles s'associent pour donner naissance à une troisième idée, celle de panarchie.

2.4.1 Le cycle adaptatif

Les systèmes naturels et humains interagissent au cours de transformations cycliques, avec des phases successives de croissance, de conservation, de destruction et de renouvellement [31]. Ces cycles sont adaptatifs, c'est-à-dire que les systèmes considérés sont capables d'innovations, cette capacité dépendant de trois propriétés des systèmes naturels et humains :

  • – leurs potentialités (ou capital), c'est-à-dire leur aptitude à accumuler des ressources,
  • – leur connexité (ou connectance), c'est-à-dire le lien entre leurs processus de contrôle interne,
  • – leur résilience, c'est-à-dire leur aptitude à s'adapter à des perturbations, y compris soudaines et imprévues [50].

Ainsi, la trajectoire d'un cycle adaptatif comprend-elle deux périodes, l'une correspondant à une lente accumulation des ressources et l'autre à une destruction créatrice, relativement courte et rapide [10]. Dans un lac, par exemple, on assiste à une accumulation du capital de biomasse végétale, en même temps que, la connexité augmentant, le contrôle interne exercé par l'écosystème devient plus complexe. Le système perd alors de sa souplesse ; il devient plus rigide, vulnérable face aux crises. Ainsi, tout cycle adaptatif se construit-il par une alternance entre deux périodes qui s'opposent et se succèdent : l'une de croissance et de conservation, l'autre de destruction créatrice et de renouvellement [24].

Quant à la résilience, la capacité d'adaptation à des surprises, elle accompagne ces deux périodes par une sorte de respiration [32] : elle se contracte lors de la lente progression de la phase d'exploitation vers celle de conservation ; elle s'épanouit lors de l'accélération qui conduit de la phase de désorganisation vers celle de réorganisation. Autrement dit, minimale à maturité, quand le système est le plus rigide, la résilience devient maximale au renouvellement du système, quand il est le plus inventif.

2.4.2 L'emboîtement des échelles

L'emboîtement des échelles correspond à une organisation en poupées russes, dans laquelle un système d'ordre élevé comprend des sous-systèmes qui comprennent eux-mêmes d'autres sous-systèmes, et ainsi de suite. Ainsi, le bassin versant d'une rivière comprend-il différents sous-systèmes équivalant à la rivière qui le draine, à un secteur de cette rivière, à un habitat de ce secteur, jusqu'au microhabitat, présent par exemple dans les interstices d'un banc de galets.

De par cette organisation de type hiérarchique, aucune échelle ne permet, à elle seule, de comprendre les causes et les conséquences de l'état d'une masse d'eau, ou d'en prévoir les évolutions. Il faut prendre en compte l'ensemble de ces échelles. Mais il faut prendre en compte aussi le fait que chaque niveau de cette hiérarchie abrite son propre cycle adaptatif et donc, évolue à son propre rythme. En fait, il faut associer la notion d'emboîtement des échelles à celle de cycle adaptatif.

2.4.3 La panarchie

Cette association correspond à la notion de panarchie [31]. Elle reprend l'idée qu'un niveau d'échelle supérieur, plus grand et plus lent, impose une contrainte à un niveau d'échelle inférieur, plus petit et plus rapide (ainsi, un massif forestier modère les variations de température des ruisseaux qui le drainent).

Mais cette association apporte deux nouveautés intéressantes. D'abord, elle prend en compte la dynamique interne de chacun de ces niveaux, avec ses phases de croissance, de conservation, de destruction et de renouvellement. Ensuite, elle prend en compte les connexions possibles entre ces niveaux d'échelle. Par exemple, la dynamique d'un niveau supérieur se rappelle à la mémoire d'un niveau inférieur quand la banque de graines accumulée dans le sol d'une plaine inondable oriente la réorganisation d'une saulaie après une crue. De même, la dynamique d'un niveau inférieur réagit sur celle d'un niveau supérieur quand le déversement d'un produit toxique dans une roselière contamine l'ensemble d'un écosystème lacustre.

Ainsi, l'état écologique des eaux continentales change sans cesse, tantôt progressivement, tantôt soudainement. Il change au sein de configurations ressenties les unes comme désirables, les autres comme indésirables [11]. Et l'aptitude d'un système écologique à se maintenir dans une de ces configurations dépend de sa résilience.

Or, cette résilience change également [11,51], au fil des phases que parcourt chaque niveau d'échelle d'un système écologique, au fil des connexions possibles d'un niveau d'échelle à l'autre (de haut en bas, comme de bas en haut). Et donc, tout état d'une masse d'eau s'inscrit dans une dynamique de systèmes écologiques emboîtés, une dynamique dont il faut tenir compte pour orienter un système donné vers une configuration désirable ou, à l'inverse, pour l'écarter d'une configuration indésirable.

3 Substances dangereuses

3.1 Les principes de la DCE

La DCE exige à la fois la surveillance de la qualité écologique des eaux et celle de certaines substances chimiques, listées par une directive-fille, qui en comporte actuellement 33 (décision n° 2455/2001, [19]). Cette double exigence pose un problème important de cohérence entre des approches de la qualité de l'eau, dont les inter-relations sont encore mal élucidées. Un très grand nombre de perturbations sont en effet susceptibles de modifier la dynamique complexe des espèces peuplant les écosystèmes aquatiques. Parmi ces perturbations, les substances toxiques elles-mêmes sont innombrables, leur diversité chimique est très importante et les effets biologiques possibles à différents niveaux, depuis la sélection de gènes résistants jusqu'à des impacts au niveau des communautés.

La liste des 33 substances de la directive est elle-même conçue comme devant évoluer en fonction des résultats des évaluations des risques liés aux substances chimiques. Une nouvelle directive en préparation, en s'appuyant sur le livre blanc Stratégie pour la future politique dans le domaine des substances chimiques [20], prévoit un renforcement considérable de la connaissance des impacts des substances chimiques. Cette connaissance se traduira ipso facto par un besoin de surveillance des substances susceptibles d'être présentes dans les eaux à des niveaux potentiellement toxiques.

Le législateur européen, dans la vision holistique de la qualité des eaux qui l'animait lors de la rédaction du texte, a prévu de mettre l'accent sur l'état écologique des hydrosystèmes. Il s'agissait de s'assurer le bénéfice d'indicateurs d'état exhaustifs de toutes nuisances. Néanmoins, l'exigence de surveillance des substances toxiques susceptibles de polluer les masses d'eau n'a pas été abandonnée. Il ne s'agit pas d'une inutile précaution. Les activités anthropiques génèrent un grand nombre de substances chimiques et créent donc le risque que certaines d'entre elles se retrouvent à des doses toxiques dans les eaux. De nombreux toxiques sont en effet capables de rejoindre les milieux aquatiques par diverses voies.

Les activités émettrices de molécules dangereuses sont réglementées à partir d'une évaluation des risques a priori. Il convient également de surveiller l'application de la réglementation et un retour d'expérience est nécessaire pour tenir compte des enseignements tirés des erreurs et des faiblesses du système. De fait, la difficulté de définir a priori les voies de transfert des substances dans l'environnement et la faiblesse des efforts consentis par nos sociétés en termes d'évaluation des risques écotoxicologiques imposent que les protecteurs de l'environnement redoublent de vigilance vis-à-vis des risques toxiques.

3.2 Évaluation des risques écotoxicologiques

L'évaluation des risques écotoxicologiques est une activité scientifique réglementée par l'Union européenne (directive 93/67, [15]). Cette méthode présente l'avantage d'être décrite en détail dans un document guide de l'Union européenne, le TGD (Technical Guidance Document, [16]). Elle fournit une estimation des concentrations de substances toxiques présentes dans l'environnement, généralement intitulées PEC (Predicted Environmental Concentration). La PEC d'une substance ou de ses métabolites est le résultat d'une modélisation thermodynamique et cinétique des différentes voies de transfert de cette substance dans les différents compartiments du milieu, selon les équations de Mackay [38]. Ces équations sont basées sur les propriétés thermodynamiques des molécules qui gouvernent les vitesses de transfert entre les compartiments, en fonction de la capacité fugace de chacun et des surfaces d'échange. Les sources sont estimées à partir des activités économiques susceptibles de rejeter le produit. Les substances terminent leur vie sous forme minéralisée, en fonction des processus de dégradation et biodégradation, à l'œuvre dans chacun des compartiments.

Le volet toxicologique de l'évaluation des risques consiste à déterminer expérimentalement les effets des substances sur les communautés exposées. Cet aspect est extrêmement simplifié et se résume à quelques essais sur un très petit nombre d'animaux ou végétaux de laboratoire : poissons, daphnies, algues unicellulaires. Les concentrations perturbant la survie ou la reproduction de ces organismes sont divisées par un facteur de sécurité, afin d'estimer une PNEC (Predicted Non-Effect Concentration), supposée protectrice de la communauté. L'évaluation des risques se borne à examiner le rapport de la PEC à la PNEC : si ce rapport est supérieur à 1, il constitue un indice d'un risque significatif ; le décideur en tient alors compte pour élaborer une politique de gestion de la substance concernée qui prévient le risque toxique.

Les paramètres PEC et PNEC peuvent être utilisés pour la surveillance du milieu. Ainsi, les PEC permettent de classifier les substances dans des listes de priorité pour la surveillance, les PNEC relativisant ce classement par la toxicité. Le coût des analyses et l'ampleur du champ du possible imposent en effet des choix stratégiques de surveillance extrêmement difficiles. Il s'agit bien de ne surveiller que les substances dont la présence en concentration toxique est inférée comme la plus probable. C'est d'ailleurs cette notion de probabilité qui explicite le fait qu'il s'agit bien de baser les stratégies de surveillance du milieu sur de l'évaluation des risques et non seulement sur le danger (la capacité intrinsèque d'une substance à causer des effets toxiques). Ce point est fondamental, car il permet de comprendre le paradoxe apparent qui réside dans le fait que ce ne sont pas les substances les plus toxiques qui sont forcément l'objet de la surveillance.

Si le système était parfait, on pourrait assimiler la PNEC à un seuil de toxicité en dessous duquel aucune dégradation du milieu n'est susceptible de se produire. C'est d'ailleurs ainsi que la réglementation européenne, cohérente avec elle-même, suggère d'établir des normes de qualité appelées EQS (Environmental Quality Standards) en se basant sur la PNEC, calculée selon la procédure européenne d'évaluation des risques écotoxicologiques des substances chimiques, méthode Combined Monitoring-Based and Modelling-Based Priority Setting Scheme [17]. Pour reprendre les notions précédemment évoquées, les critères de qualité sont basés sur le danger lié aux substances chimiques, puisqu'il s'agit de comparer une concentration détectée à celle qui provoque des effets. Ainsi, on peut dire que la surveillance des substances chimiques consiste à évaluer le danger lié à des substances surveillées en fonction du niveau de risque qu'elles comportent.

De fait, l'impact des substances toxiques sur l'environnement est plus complexe et ne se résume pas à la connaissance du seuil PNEC. Les substances bio-accumulables, par exemple, peuvent exercer leur action à grande distance géographique et temporelle et visent certaines espèces, dont l'homme, pour lesquelles les outils d'évaluation des risques écotoxicologiques ne sont pas adaptés. Il faut prendre en considération la bio-accumulation (phénomène passif de concentration dans les tissus, notamment adipeux, en fonction de l'hydrophobie de la substance). Ce phénomène peut être complété, notamment dans ses aspects cinétiques, par la biomagnification, qui dépend du devenir des substances dans les chaînes trophiques. On retrouve ainsi des substances comme les polychlorobiphényles ou leurs analogues bromés dans la graisse des cétacés, partout dans le monde. D'autres substances agissent sur des systèmes biologiques à très faibles doses et leurs effets ne sont décelables qu'à très long terme ; c'est le cas des cancérigènes, des mutagènes et des perturbateurs de la reproduction. Il est donc important de traiter ces substances de façon différenciée et d'adopter pour elles une approche classique de surveillance chimique.

En outre, l'imprécision du système d'évaluation des risques est considérable ; des facteurs de sécurité sont utilisés tout au long de la chaîne de modélisation et des simplifications, visant en général à prendre des hypothèses majorantes du risque, pavent la voie qui conduit de la molécule à la norme de qualité. À l'inverse, l'essentiel des substances susceptibles de rejoindre le milieu est inconnu, ce qui laisse planer le risque de n'avoir pas anticipé un grave danger. Il est donc capital d'aborder le problème de l'impact toxique par les deux entrées complémentaires que sont la définition des seuils de qualité des substances et la surveillance des écosystèmes (éco-épidémiologie) [49].

3.3 La place de la recherche

Le programme de recherches Liteau 2 devrait bénéficier de recherches visant à mieux définir les conditions de la biosurveillance des zones littorales. Les programmes Agriculture et biodiversité ainsi que Gessol 2 devraient amener les éléments essentiels pour comprendre et modéliser les pollutions diffuses au niveau des bassins versants, en intégrant le fonctionnement des sols et les pratiques agricoles. Les programmes Pesticides et PNETOX (Programme national d'écotoxicologie) s'intéressent aux transferts et aux effets des substances chimiques dans les écosystèmes et aux outils d'évaluation des risques et de bioévaluation associés. Enfin, le programme GICC (Gestion et impact des changements climatiques) apporte des éléments scientifiques à la compréhension de l'impact du changement climatique sur le fonctionnement des écosystèmes.

Le lien avec la recherche peut également être posé sous une forme différente. La directive-cadre sur l'eau peut être perçue comme une expérience, en vraie grandeur, d'intégration de différentes variables physicochimiques et biologiques de la surveillance des écosystèmes et de validation des outils de l'évaluation des risques. Par l'exhaustivité et la cohérence des données environnementales qu'elle procure, elle fournira, après sa mise en place, une mine de renseignements, dont les chercheurs devront tirer les moyens d'action pour l'avenir. Il faut donc voir la DCE autant comme un aboutissement et une consécration de l'éco-épidémiologie que comme le début d'un nouveau cycle, qui vise à intégrer les outils de prévention et de précaution dans un ensemble cohérent et scientifiquement fondé.

4 Modélisation globale aux échelles de territoires pertinentes des liaisons pressions–impacts

4.1 Travailler de l'échelle de la masse d'eau à celle du district

La composition de l'eau des cours d'eau, systèmes éminemment ouverts, comme la nature et le fonctionnement des biocénoses qu'ils abritent, est étroitement liée aux apports de matière de leur bassin versant. Ces apports sont eux-mêmes déterminés par le fonctionnement biogéochimique des systèmes terrestres de ce bassin, actuellement totalement aménagés par l'homme. Les scientifiques sont en première ligne sur un point essentiel : le diagnostic doit orienter l'action. Il ne s'agit pas simplement de constater les dégâts, il faut identifier et hiérarchiser les causes d'altération pour orienter les investissements de restauration. Des études au cas par cas n'étant pas envisageables, la définition d'une politique d'action passe par une analyse des relations entre pressions anthropiques et réponses biologiques, et une extrapolation à des échelles pertinentes pour la gestion. Cette approche suppose l'analyse de données tirées des réseaux de suivi, pour développer des modèles explicatifs reliant les impacts à leurs causes probables.

Les problèmes à résoudre sont multiples. Il faut d'abord identifier les relations structures/pressions/impacts qui génèrent les états biologiques observés dans les rivières et physicochimiques pour les eaux souterraines. Les structures correspondent aux compartiments du « socio-système » qui interagissent avec l'eau : milieu urbain ou agricole, industries, usages (énergie, transports, loisirs...). Ces structures génèrent des pressions : occupation du sol des bassins et des vallées, rejets polluants directs ou diffus, prélèvements et ouvrages (barrages, chenalisation...). Les pressions induisent des impacts sur les composantes abiotiques du milieu, physicochimiques (pollution organique, nutriments, toxiques...) et hydromorphologiques (structure, hétérogénéité, connectivité, variabilité de l'habitat physique). Ces impacts déterminent in fine l'état des biocénoses ou des nappes.

Les progrès réalisés au cours des 15 dernières années dans la connaissance du fonctionnement des écosystèmes permettent aujourd'hui d'expliciter quantitativement, sous forme de modèles mathématiques, le lien entre les contraintes qu'exercent sur les bassins versant et les hydrosystèmes, le climat, la topographie, la géologie et les activités humaines, agricoles et urbaines. Il est ainsi possible de rendre compte de l'évolution des teneurs en nitrates ou en pesticides dans les eaux souterraines, en fonction de l'historique des pratiques agricoles, sur une durée suffisamment longue pour couvrir le temps de réponse des aquifères [29,30]. Il est possible de calculer le niveau d'oxygénation des cours d'eau d'un grand réseau hydrographique, leur teneur en éléments nutritifs, l'importance des blooms algaux qui s'y manifestent, connaissant les apports diffus et ponctuels qui leur parviennent [5,27,28]. Il est possible de prévoir la richesse de la faune piscicole, compte tenu de la qualité de l'eau et des caractéristiques morphologiques de l'habitat [8]. Il est possible, enfin, de prévoir les risques d'apparition en mer côtière de floraisons algales indésirables, connaissant les apports d'azote, de phosphore et de silice charriés par les fleuves [22,23].

Toute cette batterie de modèles, en dialogue les uns avec les autres, peut être déployée sur l'espace d'un district hydrographique, au sens de la DCE, c'est-à-dire sur un grand bassin versant. Un tel ensemble de modèles concentre les connaissances acquises sur le fonctionnement écologique d'un grand espace régional exploité par la société humaine.

4.2 Simuler les effets des plans de gestion sur le milieu

On dispose alors d'un ensemble d'outils de simulation permettant d'évaluer, en terme de résultat sur la qualité du milieu, des plans de gestion portant par exemple sur le traitement des eaux usées, ou sur diverses politiques agricoles, ou inversement de définir ou d'optimiser les mesures à prendre pour atteindre un objectif donné de qualité du milieu.

Le scénario prospectif tendanciel voulu par la DCE consiste à faire l'inventaire, pour chaque district hydrographique, des travaux en cours en matière d'assainissement ou de ceux programmés en application des législations actuelles et à prolonger les tendances d'évolution de l'activité humaine, à l'horizon d'une quinzaine d'années. Il peut ainsi être traduit de façon rigoureuse en termes de qualité de l'eau et des habitats. Ceci peut permettre d'identifier les secteurs où le bon état risque de ne pas être atteint, et où un plan de gestion plus volontariste doit donc être mis en place.

Cet exercice a pu être initié dès à présent dans les districts les mieux équipés en outils de modélisation, comme celui de Seine–Normandie (voir ci-dessous), alors même que l'on ne dispose pas encore des définitions finales du bon état. Mais il était nécessaire d'anticiper, car les acteurs de terrain souhaitent pouvoir dès à présent entrer dans ce débat, dont les conséquences pour eux peuvent se révéler essentielles [2].

4.2.1 Première appréciation du risque de non-atteinte du bon état écologique pour le bassin Seine–Normandie

Le débat sur le risque de non-atteinte du bon état écologique repose à ce stade préliminaire sur la seule vision tendancielle qui extrapole les politiques actuelles (programmes de travaux de dépollution en cours ou prévus, évolutions des activités et du peuplement).

Le risque d'écart pour les eaux souterraines a été considéré à partir de l'état de contamination actuel des captages par les nitrates, pesticides, métaux et autres micropolluants organiques. La carte de la Fig. 6 montre l'importance de la contamination par les pesticides et les nitrates. Au total, ce sont 24 à 40 masses d'eau sur les 52 identifiées sur le bassin qui risquent de présenter un écart à l'objectif de bon état chimique. En revanche, concernant l'aspect quantitatif et compte tenu des règles de gestion mises en œuvre sur les nappes sensibles, aucune masse d'eau dans le bassin ne présente de tendance durable à la baisse, ni d'invasion saline.

Fig. 6

Risque de non-atteinte du bon état chimique des eaux souterraines en 2015 dans le district Seine et côtiers normands, évaluations préliminaires [2].

Preliminary appraisal of the risk of not reaching the good chemical status of ground water bodies in 2015 in the Seine–Normandy district [2].

Les risques d'écarts pour les eaux superficielles sont évalués à ce stade préliminaire, sur la base de l'état physicochimique actuel des masses d'eau (azote, phosphore et matière organique) et de la qualité des peuplements (poissons, invertébrés, diatomées), auxquels sont appliquées les hypothèses d'évolution des activités et des pressions du scénario tendanciel. Sur cette base, 28 % des masses d'eaux identifiées dans cet état des lieux ont de bonnes chances d'atteindre le bon état écologique, 34 % montrent des risques, plus ou moins élevés, de ne pas l'atteindre. Il subsiste encore 39 % des masses d'eau pour lesquelles un diagnostic ne peut être avancé par manque de données (carte de la Fig. 7). De plus, si on considère qu'une masse d'eau contenant aujourd'hui plus de 40 mg l−1 de nitrates a peu de chances de respecter les objectifs en 2015, c'est 2,5 % de nouvelles masses d'eau qu'il conviendrait d'ajouter à cette liste. Selon la même logique, 11 masses d'eau parmi les 19 identifiées peuvent être considérées comme risquant de présenter un écart à l'objectif de bon état en 2015.

Fig. 7

Risque de non-atteinte du bon état écologique des eaux superficielles en 2015 dans le district Seine et côtiers normands, évaluations préliminaires [2].

Preliminary appraisal of the risk of not reaching the good ecological status of surface water bodies in 2015 in the Seine–Normandy district [2].

Pour les eaux superficielles, il convient également d'engager rapidement le débat sur les eaux qui seront qualifiées d'artificielles ou de « profondément modifiées » et pour lesquelles il faudra définir l'objectif de « bon potentiel ». Cette disposition de la directive permet de tenir compte des effets socialement ou économiquement positifs des infrastructures lourdes qui altèrent pourtant le milieu physique. En effet, le bassin Seine–Normandie est historiquement très aménagé, son réseau navigable (canaux et rivières navigables) a contribué à son développement économique et, en particulier, à celui de l'Île-de-France, de même que les barrages réservoirs amont. Une masse d'eau est artificielle lorsqu'elle a été créée par l'activité humaine et qu'il n'existait auparavant aucune autre masse d'eau (un canal par exemple). Une masse d'eau est délimitée comme profondément modifiée si ses altérations hydromorphologiques rendent impossible, en l'état d'aménagement, un retour aux peuplements caractéristiques du bon état et si les usages qui bénéficient des aménagements, à l'origine de la modification du milieu physique, sont d'un intérêt tel qu'ils rendent socio-économiquement inacceptable la suppression de ces aménagements. Un travail préliminaire a été fait dans le même esprit (carte de la Fig. 8). Les masses d'eau artificielles et profondément modifiées doivent atteindre comme objectif, non pas le bon état écologique, mais le bon potentiel écologique. Le référentiel n'est pas assoupli, il est différent et est adapté à la capacité d'accueil des êtres vivants que permettent ses caractéristiques d'habitat. Les objectifs de bon état physicochimique et chimique restent inchangés. Pour l'état des lieux, la directive-cadre ne demande de réaliser qu'une première désignation des masses d'eau fortement modifiées. La désignation formelle de ces masses d'eau et des objectifs de bon potentiel associés devra apparaître dans le plan de gestion. L'analyse des caractéristiques hydromorphologiques des masses d'eau et des usages associés aboutit à proposer que 62 d'entre elles, dont 16 plans d'eau, soient classées en masses d'eau fortement modifiées. Les masses d'eau artificielles se répartissent en 22 masses d'eaux canaux et 27 plans d'eau, parmi lesquels on distingue 4 retenues, 9 étangs et 14 gravières.

Fig. 8

Délimitation prévisionnelle des masses d'eau artificielles ou profondément modifiées dans le district Seine et côtiers normands [2].

Provisional definition of artificial or deeply modified water bodies in the Seine–Normandy district [2].

4.2.2 Approches correctives

Les approches correctives devront véritablement s'attacher à viser la ressource dans sa globalité, en intégrant à la fois les aspects quantitatifs et qualitatifs qui sont très souvent liés : mettre en place des mesures correctives sur une eau de surface seule pourrait très bien s'avérer inefficace, si des mesures appropriées, complémentaires et compatibles, ne sont pas mises en œuvre en parallèle au niveau des eaux souterraines sous-jacentes. L'organisation de cette démarche intégrative, qui devra inclure une synchronisation et une synergie efficaces des actions portées à la fois sur les eaux souterraines et sur les eaux superficielles, nécessitera forcément du temps. Ceci est d'autant plus vrai que les programmes de recherche lancés pour pouvoir mieux répondre à certaines des exigences de la DCE nécessiteront plusieurs années avant de fournir les résultats attendus. Raison de plus pour engager dès à présent ces travaux.

La DCE heureusement reconnaît en grande partie ces difficultés et le risque de non-atteinte du bon état des masses d'eau en 2015. À cet effet, elle autorise une démarche évolutive, voire progressive, et un certain nombre de dérogations temporaires, voire permanentes parfois, sont prévues, sous réserve que les États membres puissent avancer une argumentation appropriée (origine naturelle, coût disproportionné...), et surtout montrer que tout est mis en œuvre pour essayer, selon les cas de figure, de résoudre ou de minimiser les problèmes.

4.3 Les données disponibles et la généralisation des démarches

La question des données disponibles se pose de façon très différente selon les investissements réalisés antérieurement par les autorités en charge de la gestion de l'eau. Au niveau des pressions, les rejets directs sont bien répertoriés par l'ensemble des agences de l'eau, mais peu d'entre elles ont aujourd'hui des bases de données opératoires pour les données concernant les pollutions diffuses. Il n'existe aucune donnée bancarisée, homogène à l'échelle du territoire métropolitain, sur les pressions physiques : on ne trouve même pas en France un fichier géoréférencé des barrages ! Si la physicochimie de l'eau fait l'objet d'un suivi régulier et assez dense, les données hydromorphologiques sont seulement en cours de constitution. Un effort de valorisation des données européennes de la télédétection (CORINE Land Cover) fait également partie des axes lourds du 6e PCRD.

Une approche par hydro-écorégions permet de stratifier ces données en ensembles homogènes du point de vue de la sensibilité des milieux et des pressions qu'ils subissent. En effet, les usages de l'eau, l'occupation du sol, et, dans une certaine mesure, la répartition des populations humaines répondent aux mêmes facteurs géographiques que ceux qui ont servi à délimiter les HER. On observe donc une bonne concordance générale entre les HER et la spatialisation des pressions anthropiques. En limitant le jeu des facteurs actifs et la variabilité des réponses biologiques, l'approche régionalisée aboutit à des modèles pressions/impacts nettement plus performants, et explicatifs des « pathologies » régionales des écosystèmes. De tels modèles sont en cours de développement, mais une amélioration significative de la qualité des données sur les pressions, et des relations topologiques entre pressions et stations biologiques, sera nécessaire pour aboutir à des outils opérationnels.

Fournir un appui scientifique à la mise en œuvre de la directive-cadre suppose ainsi d'aborder la complexité du monde réel à des échelles pertinentes pour le gestionnaire. Cela implique de coupler une approche fonctionnelle basée sur les processus, pour comprendre et prévoir l'évolution de systèmes anthropisés, à une approche régionale pour simplifier la vision d'un espace fortement hétérogène.

4.4 Évaluation socio-économique

4.4.1 Que demande la directive-cadre ?

Nous l'avons déjà largement abordé à travers la connaissance du milieu, la dimension socio-économique de l'exercice de la DCE est essentielle, et constitue certainement le domaine sur lequel les efforts supplémentaires les plus importants sont à faire.

La DCE introduit l'analyse économique systématique comme élément de décision pour le choix des programmes de mesure à mettre en place. Prendre en compte efficacement l'ensemble des aspects économiques – et encore plus des aspects socio-économiques – suppose de rendre plus efficaces et pertinentes les méthodes existantes d'évaluation économique (coût–bénéfice, coût–efficacité, calcul du coût disproportionné...), notamment pour pouvoir considérer à leur juste valeur tous les principaux aspects et paramètres environnementaux et ceux liés à la santé humaine. Il faut bien distinguer deux niveaux différents d'intervention de l'analyse économique dans la DCE :

  • – le niveau explicite et prévu comme tel par le dispositif : analyse économique des usages, analyse du degré de recouvrement des coûts ; analyse coûts–efficacité du programme de mesures, analyse et justification de la tarification des services de l'eau et de leur capacité à assurer le recouvrement des coûts (article 5 et 9, annexe III, [18]) ;
  • – le niveau implicite où l'économie devra participer au travail de définition et d'ajustement : (1) dérogations aux objectifs initiaux, (2) définitions des masses d'eau profondément modifiées, (3) qualifications des sanctions (proportionnées et incitatives, notamment pour les sanctions financières) et (4) caractère incitatif de la tarification pratiquée.

L'article 5 de la directive place l'analyse économique de l'utilisation de l'eau dans le prolongement de l'analyse des caractéristiques du district et de l'étude des incidences des activités humaines sur l'état des masses d'eau. L'analyse économique s'inscrit ainsi dans le schéma activités–pressions–état des eaux–impact (schéma DPSIR), afin de contribuer à l'identification des réponses (les mesures).

Les travaux socio-économiques doivent se dérouler essentiellement en trois étapes (Fig. 9) :

  • – caractérisation des districts hydrographiques d'un point de vue socio-économique ;
  • – identification des enjeux et des principaux problèmes ;
  • – identification des mesures et de leurs impacts économiques.

Fig. 9

Les trois étapes principales de l'analyse économique dans la mise en œuvre de la DCE [34].

Three main steps in economic assessment for FDW implementation [34].

Le groupe de travail européen WATECO a élaboré un guide méthodologique général destiné à assister les acteurs de l'eau dans le processus de mise en œuvre du volet économique de la DCE [21]. L'évaluation des retombées des programmes de mesures va exiger, quant à elle, la recherche d'indicateurs intégrateurs adaptés et efficaces. Ceux-ci devront inclure à la fois les aspects liés à la ressource (quantité et qualité), mais également à la santé (toxicité), à l'environnement (éco-toxicité) et au tissu socio-économique.

4.4.2 La « récupération des coûts », un premier exercice

La première base demandée consiste en l'analyse de l'état de la récupération des coûts par chaque catégorie d'usager. Les données à rassembler ont pour objectif de préciser l'importance économique de l'eau pour les divers secteurs d'activité, donnant ainsi des premiers repères pour l'évaluation ultérieure des impacts sociaux et économiques des diverses mesures envisageables pour atteindre l'objectif de bon état. Cet exercice en cours (les estimations sont soumises début 2004 à l'examen critique des acteurs de l'eau dans chaque bassin) illustre bien les difficultés méthodologiques (cf. ci-dessous).

4.4.2.1 La récupération des coûts, mode d'emploi

La directive distingue les « activités », les « utilisations de l'eau » et les « services liés à l'utilisation de l'eau ». Le domaine le plus large est celui des activités liées à l'eau (sont concernées la baignade, l'irrigation, la distribution d'eau, la pêche...). La caractérisation des activités liées à l'eau doit permettre d'identifier l'importance économique de ces activités, afin de pouvoir rassembler les données nécessaires pour évaluer ultérieurement les impacts sociaux et économiques des programmes de mesures. Les activités susceptibles d'influer de manière sensible sur l'état des masses d'eau sont définies comme des « utilisations de l'eau » (article 2-39). L'identification des utilisations de l'eau au niveau du district est donc liée à l'évaluation des pressions et des impacts. Le volet économique de la directive se raccroche ainsi au schéma DPSIR. Les services liés à l'utilisation de l'eau sont des utilisations de l'eau (et donc ayant un impact sur l'état des eaux) caractérisées par l'existence d'ouvrages de prélèvement, de stockage, de traitement ou de rejet (et donc d'un capital fixe).

Le coût complet d'un service inclut :

  • – le coût du capital investi, qui comprend :
    • – la consommation de capital fixe (renouvellement des ouvrages),
    • – le coût d'opportunité du capital, correspondant aux bénéfices qui auraient pu être retirés d'un emploi alternatif du capital investi ;
  • – les coûts de maintenance et d'exploitation ;
  • – les coûts environnementaux, correspondant aux dommages marchands et non marchands liés à la dégradation des milieux liées aux utilisations de l'eau (activités et services ayant un impact sur l'état des eaux) ;
  • – les coûts pour les ressources qui visent à quantifier les coûts supportés par les autres services liés à la sur-utilisation de la ressource par le service considéré.

La question à traiter est alors celle du paiement de ces coûts par les usagers qui en sont responsables, via les régimes de tarification pratiqués.

Dans les coûts de maintenance et d'exploitation, ainsi que dans les coûts de renouvellement des ouvrages sont inclus des coûts « compensatoires », correspondant aux charges supportées par le service, du fait de la dégradation du milieu par les autres usagers. Pour le service « eau potable », ils correspondent par exemple à la mise en place, par ce service, de techniques de traitement complémentaires du fait de la pollution occasionnée par les autres services et activités. Si on attribue aux dépenses du service « eau potable » les dépenses directement consenties par ses usagers, alors une partie des dépenses d'achat d'eau en bouteille (en cas de mauvaise qualité d'eau du robinet liée à la dégradation de la ressource) est également considérée comme des dépenses compensatoires générées par d'autres services.

Les coûts pour la ressource correspondent, pour un service donné, au coût induit pour la collectivité par l'utilisation de la ressource par ce service au-delà de ce qui serait collectivement souhaitable. En d'autres termes, cela correspond au surplus dégagé par l'utilisateur, qui aurait pu faire le meilleur usage alternatif de la ressource. Par exemple, le coût d'opportunité d'un service « irrigation » par rapport à un service « eau industrielle » peut être approché de manière imparfaite par les pertes de production de l'industrie, si l'eau est allouée en priorité à l'usage agricole. Le coût d'opportunité du service irrigation par rapport au service « eau domestique » peut être approché de manière imparfaite par les coûts supportés par la collectivité pour s'approvisionner en eau à plus grande distance. Le coût d'opportunité de l'industrie et des collectivités sur l'agriculture peut être évalué par les pertes de marges agricoles. Les difficultés méthodologiques d'agrégation de ces coûts au niveau d'un grand bassin hydrographique ne sont pas encore entièrement surmontées.

L'analyse de ces flux entre secteurs économiques peut être résumée par le schéma de la Fig. 10.

Fig. 10

Coûts globaux et flux financiers du « recouvrement des coûts » [35].

Global costs and financial flux in the cost recovery valuation [35].

Les éléments demandés au titre de la récupération des coûts sont ainsi de natures différentes. Certaines données sont de nature comptable, et sont disponibles plus ou moins facilement, moyennant des enquêtes : les subventions, par exemple. D'autres sont de nature monétaire ( « financière »), mais ne sont pas nécessairement comptabilisées au format qui intéresse l'analyse de la récupération des coûts : par exemple, les transferts entre budget général et budget annexe « eau » des collectivités, qui concernent plusieurs milliers de collectivités sur le bassin Seine–Normandie. C'est aussi le cas de la prise en compte de nombreuses valorisations d'activités économiques (loisirs, navigation, énergie, où la part liée à l'eau est à identifier au sein d'une évaluation déjà très délicate). Ces données nécessitent, par conséquent, des estimations et des approximations à défaut d'une connaissance statistique ; la consolidation de ces estimations se fait par croisement d'informations de diverses sources. D'autres encore ne sont pas mesurables sur la base d'un étalon indiscutable : les coûts et dommages « pour l'environnement », dans la mesure où ils ne donnent pas lieu à un transfert monétaire, ne peuvent que donner lieu à des valeurs attribuées par convention, à l'aide d'approches variées, non exclusives les unes des autres, souvent non réfutables. Elles n'en sont pas moins indispensables pour donner une image complète et juste des enjeux (Fig. 11).

Fig. 11

Estimations de la récupération des coûts sur le bassin Seine–Normandie [2].

Assessment of the recovery cost in the Seine–Normandy district [2].

4.4.3 Prospective et test des plans de gestion

Les modèles permettent aujourd'hui une première appréciation de la relation « pression–impact ». Les premières étapes du travail économique permettent une description quantifiée des grands flux économiques. Ce sont des avancées considérables. Il s'agit cependant d'aller bien au-delà, car, pour bâtir autre chose que des scénarios tendanciels, pour tester l'effet de diverses politiques publiques, évaluer si des coûts sont « disproportionnés » et justifient une dérogation, il nous faut disposer d'une capacité prospective de moyenne échéance (10–15 ans) particulière, à mi-chemin entre une prospective qualitative tournée vers des échéances lointaines et la programmation technico-financière. Ce domaine est aujourd'hui mal couvert méthodologiquement : malgré tout l'attrait qu'a suscité la prospective depuis de nombreuses années, l'offre de recherche et les compétences disponibles dans ce domaine ne sont clairement pas assez développées pour répondre à la demande.

5 Recherche, pédagogie et concertation

Les outils techniques nécessaires à une démarche gestionnaire existent donc, même s'ils sont encore largement perfectibles et si des efforts importants doivent être entrepris pour adapter la collecte d'informations à l'objectif de leur fonctionnement généralisé : les besoins suscités par la nouvelle directive européenne constituent à cet égard un incitant très efficace.

Mais la question de l'objectif à atteindre, de la définition du bon état n'est pas seulement de nature technique. Dans l'esprit de la directive européenne, ceci doit reposer sur un large débat public. Ici encore, les modèles permettant d'expliciter et de quantifier le lien entre pressions humaines et état du milieu peuvent être très utiles, grâce à leurs vertus pédagogiques. Il s'agit, par exemple, de montrer comment l'histoire des aménagements humains du bassin versant a modelé, de façon souvent irréversible, le fonctionnement des milieux aquatiques, au moins autant que les contraintes hydrogéologiques ou climatiques. Il est ainsi possible, et il peut être utile pour éclairer le débat sur la recherche des conditions de référence, de reconstituer par simulation le fonctionnement biogéochimique passé des systèmes hydrologiques. On peut simuler par exemple pour les grands types d'hydro-écorégions, outre le fonctionnement biogéochimique moyen actuel, celui d'un état pristine et d'un état correspondant au paysage rural traditionnel qui devait caractériser les grands bassins français après la révolution agricole du Moyen Âge (XII–XIIIes siècles) et avant l'essor de l'industrialisation (XIXe siècle). En révélant les dimensions socio-économiques, voire culturelles, des usages multiples de l'eau, loin de brouiller la perception des acteurs, on se rapproche de la façon dont ceux-ci abordent en réalité la relation aux milieux naturels.

Il ne s'agit pas, par ces applications à volonté pédagogique, de suggérer la recherche d'une hypothétique restauration des conditions d'un passé naïvement idéalisé, mais, au contraire, de montrer que la qualité du milieu aquatique résulte d'une construction sociale et doit résulter d'un débat global sur la manière dont nous voulons vivre au présent et au futur sur un territoire donné.

6 Conclusion

La communauté scientifique et les gestionnaires trouvent dans la DCE une opportunité extraordinaire de moderniser leurs approches et de collaborer sur les connaissances du milieu et des effets anthropiques sur celui-ci, mais aussi, et plus fondamentalement, sur la construction de visions à moyen et long terme intelligentes et opératoires, susceptibles d'être partagées, discutées, contestées. Expertise, recherche, communication, pédagogie, concertation : saura-t-on construire cette dynamique de projet en respectant un juste équilibre et, en toutes circonstances, les limites du rôle et de la responsabilité propre à chacun ? La mobilisation actuelle est pionnière et ne s'embarrasse guère de ces questions : l'urgence d'être au rendez-vous de cette ambition commune l'emporte. Tant mieux.


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