1 Introduction
Contrairement aux archives glaciaires et marines qui nous informent, non seulement sur les variations des milieux concernés, mais également sur les variations des forçages du climat, les archives continentales ont souvent une portée moins globale. En revanche, elles permettent de bien connaı̂tre l'impact des changements climatiques sur notre environnement immédiat : végétation, bilans hydrologiques, sols… Lorsque les changements constatés localement se corrèlent bien avec les enregistrements océaniques et glaciaires, alors nous pouvons accéder à un signal climatique régional ou global [23,61]. Les archives terrestres permettent aussi de démontrer les rétroactions qu'exercent sur le climat global la structure des écosystèmes ainsi que les flux d'énergie et de matière en leur sein [54]. On peut évidemment citer le carbone dont une part importante provient des sols et de la végétation [58] et la production de poussières qui était maximale lors de périodes du passé où la végétation était pauvre [26].
La palette d'archives terrestres nous informant sur les changements climatiques continentaux est large. Les assemblages polliniques, les restes végétaux et les restes d'insectes ou de mollusques sont les bioindicateurs les plus répandus. Nous allons nous focaliser sur les reconstructions climatiques issues des données polliniques qui permettent une résolution et une étendue temporelle équivalentes aux archives glaciaires ou océaniques [56].
Les sédiments déposés dans les lacs et les tourbières ont accumulé les grains de pollen émis par les plantes au cours du temps. Ce sont des archives de la végétation passée et donc des paléoclimats. À l'heure actuelle, les séquences polliniques permettant de reconstruire les variations climatiques sur au moins un cycle (100 000 ans) sont surtout nombreuses en Europe, mais les autres continents ne sont pas dépourvus d'informations. La Fig. 1 présente quelques exemples de telles séquences. Selon les cas, on dispose d'indices indiquant le degré d'afforestation du milieu ou de reconstitution quantitative du climat. Ces courbes montrent bien l'alternance de périodes tempérées humides où la forêt dominait et de périodes froides et/ou sèches où la forêt était réduite. Tzedakis et al. [56] ont montré la bonne corrélation existant entre enregistrements terrestres et marins sur les 500 derniers millénaires simplement, en comparant les pourcentages d'arbres dans les spectres polliniques avec la courbe de l'oxygène 18 qui fait référence en domaine marin (Fig. 1, courbe 8).
2 Le précédent interglaciaire
Le précédent interglaciaire appelé Éémien en Europe et, depuis Mangerud et al. [39], corrélé avec le stade isotopique marin (SIM) 5e, a débuté il y a approximativement 130 000 ans. À cette échelle de temps, on est souvent obligé de se référer à la chronologie marine, car nous n'avons que peu de datations absolues pour les archives continentales. D'après Klotz et al. [34] et Cheddadi et al. [11], le réchauffement hivernal des latitudes tempérées, au début de l'Éémien, fut drastique (entre 15 et 20 °C). En été, il fut plus modéré, de 5 à 6 °C. La première partie de l'Éémien, entre 130 et 125 ka BP, que l'on peut considérer comme l'optimum, était plus chaude en janvier de 4 °C que maintenant, avec une végétation tempérée décidue, indiquant un climat assez océanique [23]. Après cet optimum, la température est tombée de quelques degrés en hiver, indiquant un climat plus continental et donc une saisonnalité plus forte qui correspondrait au maximum d'insolation estivale. Tzedakis et Bennett [55] montrent qu'en Grèce, ce maximum survient vers 127 ka BP, avec l'arrivée d'espèces forestières telles que le charme et du sapin. Cheddadi et al. [11] ont montré que cela s'accompagnait d'une diminution des précipitations. La séquence du lac Poukawa en Nouvelle-Zélande [45] semble montrer l'existence d'une forêt plus thermophile qu'actuellement.
La détérioration de l'Éémien s'est marquée en Europe par la dominance d'une forêt de conifères indiquant un refroidissement net de 4 à 6 °C en hiver et une augmentation des précipitations. En Grèce [55], la forêt reste à base d'espèces décidues (deuxième pic de chêne) grâce à un climat qui restait suffisamment tempéré et humide. La durée de l'Éémien sur le continent européen donne lieu à un débat à cause du manque de datations absolues. Au total, cette période chaude aura duré soit entre 10 et 12 000 ans [55], soit environ 16 000 ans [17,35], soit encore jusqu'à 20 000 ans [36]. Quelle que soit sa durée, l'Éémien était certainement plus stable que ne semble l'indiquer une reconstitution climatique basée sur des données continentales [16], dans laquelle une corrélation est faite avec la courbe de l'oxygène 18 de la carotte de glace GRIP (Fig. 1, courbe 7), cette dernière étant reconnue comme perturbée par des remaniements [9]. Dans tous les enregistrements disponibles, l'Éémien se termine par le retour de la végétation steppique ou subalpine, indiquant une entrée en période glaciaire avec des températures hivernales de l'ordre de 15 °C inférieures à l'Actuel.
L'utilisation d'un modèle climatique couplé océan–atmosphère–biosphère permet d'expliquer comment une glaciation s'installe [14,33]. La diminution de l'insolation estivale n'est pas capable à elle seule d'expliquer la persistance de la neige tout l'été aux hautes latitudes [14,18]. Il est nécessaire de prendre en compte les rétroactions par la végétation (extension de la toundra au nord, au détriment de la forêt boréale) et des modifications dans la circulation thermohaline de l'Atlantique nord (transport d'humidité de l'équateur vers les pôles). Ces mécanismes amplifient le signal de l'insolation. Ceci montre bien que la végétation peut être à la fois un enregistreur global et une composante, par rétroaction, du système climatique.
Deux autres périodes tempérées (MIS 5c/5a), séparées par une période froide, sont survenues entre 105 et 70 ka BP, mais elles étaient certainement moins chaudes et plus courtes que l'Éémien, sans doute à cause de pics d'insolation estivale moins accentués (Fig. 1, courbe 9), mais également à cause d'une progression lente des calottes de glace sur les pôles (Fig. 1, courbe 8) [42]. Sur le continent européen, les conifères n'ont pas été remplacés, comme dans les interglaciaires, par des forêts tempérées décidues. La série de l'Ouest américain (Carp Lake, Fig. 1, courbe 2) montre bien la synchronisation entre végétation et forçages externes (insolation et volume des glaces). Ainsi, une végétation xérothermique (aride et chaude) dominait quand le volume des glaces était faible et l'insolation estivale maximale (Fig. 1, courbe 9), tandis que les conifères subalpins prenaient le dessus durant les périodes à volume des glaces modéré (Fig. 1, courbe 8) et d'insolation estivale faible [61]. En Nouvelle-Zélande [45], la température annuelle était de 3,5 à 7 °C plus basse que maintenant et en Europe de 1 à 3 °C.
3 Le dernier glaciaire
À partir de 70 ka BP, une longue période glaciaire s'installe. Elle va durer plus de 50 000 ans. En Europe, une végétation intermédiaire entre steppe et toundra domine un peu partout, sauf dans quelques zones de refuge pour les arbres tempérés du Sud de l'Espagne, de l'Italie et de la Grèce [8,46]. On peut déceler la présence de refuges glaciaires dans des sites tels que celui de Ioanina (Fig. 1, courbe 5), où les pourcentages de pollen d'arbres (AP) ne tombent jamais en dessous de 20 %, dévoilant ainsi la présence de plusieurs espèces tempérées. En Nouvelle-Zélande, alpine. Dans l'Ouest des USA (Carp Lake), on constate une oscillation entre forêt et steppes assez bien corrélée avec celle de Ioanina, avec un pic de forêt vers 65–60 ka BP et un vers 40–30 ka BP.
Ce climat glaciaire était dû à une extension maximale des calottes de glaces, qui se sont elles-mêmes installées grâce à des variations d'insolation estivale plus faibles (Fig. 1, courbes 8 et 9). L'impact des changements d'insolation sur la biosphère est connu depuis que la théorie de Milankovitch a été démontrée de façon éclatante [5,27]. Les fluctuations à hautes fréquences dans les courbes paléoclimatiques ont longtemps été considérées comme du bruit. Dans le cas du pollen, il s'agissait du transport à longue distance à partir de sources éloignées. Depuis que Heinrich [28] a observé, dans les sédiments marins, des débris minéraux liés à la fonte d'icebergs dans l'Atlantique nord, on a pu expliquer que, dans un climat aussi froid que celui d'une époque glaciaire, on pouvait connaı̂tre des fluctuations courtes dues à l'injection d'eaux froides et non salées par la fonte de ces icebergs. Bond et al. [6] ont montré que les événements décrits par Heinrich étaient liés aux oscillations de l'oxygène 18 de la glace du Groenland (Fig. 1, courbe 7) que l'on appelle oscillations de Dansgaard–Oesgher. En bloquant la circulation thermohaline, ces événements ont eu une répercussion forte sur le climat européen, comme l'ont démontré Goni et al. [21] ainsi que Genty et al. [20] dans les stalagmites. On peut le constater sur les variations à hautes fréquences des diverses courbes de la Fig. 1. Les répercussions semblent avoir été encore plus fortes en Floride [22], et même dans les coupes prélevées dans les lœss chinois [25,47].
Les séries longues sont rares en Afrique. On dispose seulement d'une reconstitution du climat en Afrique de l'Est (Kashiru) sur 40 000 ans (Fig. 1, courbe 6) [7]. Cette reconstitution indique que la température y était beaucoup plus clémente qu'aux latitudes plus élevées, avec des oscillations entre −4 et 0 °C par rapport à l'Actuel. Il n'est pas exclu que les changements aient pu y être encore plus faibles, même si la végétation était significativement différente de ce qu'on trouve actuellement. En effet, Jolly et Haxeltine [32] ont montré que les faibles taux de CO2 de cette période pouvaient expliquer à eux seuls ces changements, mais des analyses complémentaires sont nécessaires à partir d'inversion de modèle de végétation [24]. L'aridité de l'Afrique est confirmée du moins pour sa partie sud par l'enregistrement de l'activité éolienne aux marges du désert, montrant ainsi une extension maximale des dunes pour les périodes 41–46, 20–26 et 9–16 ka BP [51]. En Amérique du Sud, Marchant et al. [41] ont montré que la végétation était généralement aride avec une réduction importante de la forêt équatoriale humide. Cette situation a pu durer, du moins partiellement, jusqu'au début de l'Holocène.
4 Tardiglaciaire et Holocène
La courbe de GRIP (Fig. 1) confirme que le réchauffement de la fin du dernier glaciaire s'est opéré en deux phases : un premier réchauffement brutal vers 14,7 ka BP et un second vers 11,5 ka BP, qui correspondraient respectivement aux terminaisons I et II des carottes océaniques [15]. Le premier réchauffement, appelé en Europe Bölling, était marqué par une végétation de conifères, tandis que le second marque le début de la propagation des feuillus en Europe tels que le chêne et le noisetier. Atkinson et al. [3] ont reconstruit les températures d'été et d'hiver à partir des comptages de restes de coléoptères. Cette méthode paraı̂t plus apte que le pollen à reconstruire des événements rapides, car il faut plusieurs décennies pour établir une forêt. Ils ont montré qu'un réchauffement de 15–25 °C en hiver et de 5–8 °C en été est survenu en moins de 500 ans. Ces résultats sont confirmés par une compilation de données paléoécologiques et géologiques [49]. Renssen et al. [50] montrent, à partir de simulations d'un modèle climatique, que les périodes chaudes du Tardiglaciaire étaient directement sous l'influence de l'insolation de l'été.
Par la suite, le climat s'est progressivement dégradé, pour retrouver des valeurs glaciaires entre 12,5 et 11,5 ka BP (Dryas récent). Magny et al. [38] montrent que cet épisode était caractérisé par de hauts niveaux lacustres et lié à des précipitations assez élevées. Ce renversement de la tendance au réchauffement est sans doute analogue aux événements de Heinrich [2], liés à un changement de la circulation thermohaline dans l'Atlantique nord. Isarin et Bohncke [30] ont estimé que le refroidissement maximum du Dryas récent a eu lieu vers 11,7 ka BP, avec des températures de juillet de 4 à 6 °C plus basse qu'actuellement et des températures de janvier de 11 à 17 °C inférieures à l'Actuel.
Le réchauffement du Préboréal (11,5 ka BP) était équivalent à celui du Bölling [49]. Vers 8,2 ka BP, cependant, un refroidissement important, mais de courte durée, se remarque aussi bien dans les carottes de glace (Fig. 1, courbe 7), que dans les carottes marines [4] ou terrestres [60]. De nature similaire au Dryas récent mais d'amplitude et de durée moins importantes, il pourrait être dû à un blocage de la circulation thermohaline dans l'Atlantique Nord, en l'occurrence à cause d'une arrivée massive d'eau peu salée du détroit d'Hudson [4].
En ce qui concerne l'Holocène européen, Davis et al [13] ont confirmé les résultats de Cheddadi et al. [12]. Le traditionnel optimum climatique de l'Holocène est surtout observé sur l'Europe du Nord en été, en opposition avec un refroidissement accompagné d'une augmentation des précipitations sur l'Europe du Sud. En fait, le Sud aurait connu un optimum bien avant, entre 12 et 10 ka BP.
Cette succession du Tardiglaciaire n'était pas forcément similaire partout. En effet, Nakagawa et al. [44] ont montré que le réchauffement au Japon a commencé 500 ans avant l'Atlantique nord (vers 15 000 ans BP) et que le Dryas récent est survenu quelques siècles après celui de l'Atlantique nord. Le réchauffement est directement lié à l'augmentation de l'insolation estivale et, ainsi, le Pacifique aurait répondu plus rapidement que l'Atlantique, tandis que le refroidissement est fortement influencé par la circulation de l'Atlantique nord. Ainsi, un certain délai est nécessaire pour que l'effet se fasse sentir dans le Pacifique. Moreno et al. [43] montrent néanmoins que le Sud du Chili aurait connu des variations climatiques en phase avec celles de l'Atlantique nord.
Certaines études ont fait remarquer que les variations des niveaux lacustres, en particulier dans le Jura et les Alpes [37], étaient corrélées avec l'activité solaire. Van Geel et al. [59] vont jusqu'à expliquer tous les changements observés depuis la déglaciation par cette activité solaire, qui influencerait directement la circulation océanique via une diminution de la production d'ozone stratosphérique induisant une absorption du rayonnement solaire. Une autre hypothèse mise en avant est la stimulation de la formation des nuages par le rayonnement cosmique [53]. Cependant, ces diverses hypothèses sont loin d'être démontrées [29] et d'autres forçages doivent certainement être invoqués pour expliquer les variations climatiques de l'Holocène.
En Afrique, peu de sites ont enregistré le Tardiglaciaire. Le début de l'Holocène était marqué par une intensification de la mousson dans la moitié nord du continent, directement induite par le maximum d'insolation estivale [19,52]. Les précipitations de l'Holocène n'étaient pas forcément plus importantes que maintenant mais une répartition saisonnière différente de celle qu'on connaı̂t actuellement a pu favoriser une végétation tempérée décidue. Renssen et al. [48] ont montré, par l'utilisation d'un modèle climatique couplé océan–atmosphère–biosphère, que le Sahara vert avait une probabilité égale à celle du désert de s'établir entre 7,5 et 5,5 ka BP au Sahara, alors que, dans les conditions actuelles, seul le désert est un état stable. Les cartes de végétation reconstruite par Marchant et al. [40] montrent que l'Amérique du Sud s'est réchauffée tardivement car, à 9000 ans BP, les conditions étaient encore légèrement plus froides que maintenant et, vers 6000 ans BP, c'est l'aridité qui dominait.
5 Conclusion : comment le passé aide à comprendre le futur
Le CO2 atmosphérique semble avoir commencé à induire un réchauffement de la planète, qui s'accentuera, selon les prévisions des modèles climatiques, tout au long de ce siècle [29]. L'impact d'un tel réchauffement sur la composition et la distribution des écosystèmes sera certainement significatif, comme l'étude du passé nous l'a enseigné. L'optimum climatique du milieu de l'Holocène a induit des bouleversements importants, alors que les changements étaient certainement d'amplitude inférieure à ce qui nous attend. Néanmoins, on ne peut pas se contenter d'analogies directes, car certains facteurs importants étaient différents. La répartition de l'insolation au cours de l'année et bien évidemment le taux de CO2 n'avaient rien à voir avec ce que l'on connaı̂t actuellement. Le passé est riche d'enseignements, mais à condition d'utiliser des modèles basés sur les processus en jeu pour effectuer la comparaison. Cheddadi et al. [10] l'ont bien montré pour la région méditerranéenne. À partir d'un modèle de végétation qui s'est révélé fiable pour reproduire les grands biomes du milieu de l'Holocène, il a montré qu'une augmentation de la température contingente à une augmentation forte du CO2, induirait plutôt un effet de fertilisation liée à une plus grande efficacité pour les plantes d'utilisation de l'eau. Cependant, une diminution importante des précipitations pourrait provoquer un déplacement des zones actuelles de végétation vers le nord. Plusieurs modèles climatiques prédisant une baisse importante de l'ordre de 30 % des précipitations dans la région méditerranéenne, il ne fait guère de doute que, malgré une compensation sur la photosynthèse induite par l'augmentation du CO2, le stress hydrique aura un impact dominant sur la végétation. Néanmoins, ces modèles ne sont pas encore capables de simuler tous les mécanismes en jeu. Il convient donc de nuancer fortement ce genre de conclusions basé sur des modèles encore trop simplistes.
En conclusion, le climat a fortement fluctué durant les temps géologiques avec une amplitude de 5 à 25 °C selon la saison et la latitude, sous l'effet principal de l'insolation, mais selon un patron défini par la circulation océanique et avec des rétroactions diverses et dont la moindre n'est certainement pas la végétation elle-même. Des outils adéquats montrent (modèles climatiques et modèles de végétation) que l'impact des changements futurs ne sera certainement pas négligeable par rapport à ceux du passé, étant donné l'impact humain croissant. Il faut donc continuer à étudier nos archives continentales avec des outils modernes et un recours intensif à la modélisation pour mieux comprendre les impacts des bouleversements futurs qui nous attendent ?
Remerciements
Cet article est une contribution aux projets ECHO et VAGALAM financés par le Programme national d'étude de la dynamique du climat (PNEDC) de l'INSU–CNRS (France).