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Comptes Rendus

La peste
Comptes Rendus. Biologies, Volume 325 (2002) no. 8, pp. 851-853.

Résumés

La peste a été une des maladies les plus mortifères de l’histoire de l’Humanité. Malgré des progrès importants en termes de diagnostic, de prévention et de traitement, la peste n’a jamais pu être éradiquée. Au contraire, elle sévit toujours en Asie, en Afrique et en Amérique, et fait partie des maladies actuellement ré-émergentes. Elle est avant tout une maladie des rongeurs, transmise par piqûre de puces. L’homme développe deux principales formes cliniques : bubonique (par piqûre de puces infectées, mortelle dans 50 à 70 % des cas en moins d’une semaine, en l’absence d’un traitement adapté), et pulmonaire (par inhalation d’aérosols infectés, mortelle en moins de trois jours dans 100 % des cas non traités à un stade très précoce). Le bacille de la peste, Y. pestis, est généralement sensible aux antibiotiques, mais une souche multirésistante a été identifiée récemment. Actuellement, aucun vaccin fiable contre la peste n’est disponible. Le bacille de la peste fait partie de l’arsenal biologique potentiellement utilisable pour le bioterrorisme.

The plague has been one of the most devastating diseases of human history. Despite major advances in diagnosis, prevention, and treatment, it has not been possible to eradicate this infection. Plague is still active in Africa, in Asia and in the Americas, and is classified as a currently re-emerging disease. The plague is mainly a disease of rodents, which is transmitted by fleabites. Humans develop two main clinical forms: bubonic plague (following bites of infected fleas, lethal in 50–70% of the cases in less than a week if an appropriate treatment is not started rapidly), and pneumonic plague (after inhalation of infected droplets, lethal in less than three days in 100% of cases without immediate treatment). Y. pestis, the causative agent of plague, is usually sensitive to most antibiotics, but the first multi-resistant strain was recently described. No efficient and safe vaccines are currently available. The plague bacillus is one of the few organisms that could be used for biological warfare.

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DOI : 10.1016/S1631-0691(02)01493-2
Mot clés : peste, bioterrorisme, Yersinia pestis
Keywords: plague, bioterrorism, Yersinia pestis

Élisabeth Carniel 1

1 Laboratoire des Yersinia, Institut Pasteur, 28, rue du Docteur-Roux, 75724 Paris cedex 15, France
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Version originale du texte intégral

1 La bactérie

Yersinia pestis, l’agent de la peste, est un petit bacille Gram-négatif qui fait partie de la famille des entérobactéries et du genre Yersinia. Ce nom lui a été donné en hommage au pasteurien Alexandre Yersin, qui identifia le premier le bacille lors de l’épidémie de Hongkong de 1894 〚1〛.

2 Historique

La peste a été une des maladies les plus mortifères de l’histoire de l’humanité. Trois grandes pandémies de peste se sont déroulées depuis le début de l’ère chrétienne 〚2〛. La première pandémie, appelée peste de Justinien, partit probablement d’Afrique centrale et atteignit le pourtour du bassin méditerranéen au VIe siècle. La seconde pandémie (peste médiévale), venue d’Asie centrale, toucha l’Europe au XIVe siècle et y persista jusqu’au XVIIIe siècle. La troisième pandémie de peste partit de Hongkong en 1894 et s’implanta de façon durable dans des pays jusque-là indemnes (Amérique du Nord et du Sud, Madagascar, Afrique du Sud, etc.).

3 Situation actuelle de la peste dans le monde

La peste n’a jamais pu être éradiquée. Plus de 34 000 cas humains de peste ont été déclarés à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au cours de ces 15 dernières années par 24 pays 〚3〛. L’Afrique est le continent le plus touché, suivi par l’Asie, puis l’Amérique. Depuis le début des années 1990, une recrudescence importante du nombre des cas humains mondiaux, la réapparition de cette maladie dans des foyers que l’on croyait éteints et l’extension des foyers déjà existants font que la peste a été classée parmi les maladies actuellement ré-émergentes 〚4〛.

4 Épidémiologie

Le réservoir de la peste est essentiellement animal ; il est représenté principalement par les rongeurs sauvages et péridomestiques. Le bacille est transmis de rongeur à rongeur par piqûre de puces. De nos jours, l’homme se contamine, soit en allant vers les populations de rongeurs sauvages infectées (chasseurs, campeurs, agriculteurs), soit par un contact étroit entre les rongeurs et la population humaine, villageoise ou urbaine. Ce contact peut être favorisé par une intense pullulation animale ou par une détérioration des facteurs socio-économiques et climatiques (inondations, sécheresses). Le deuxième mode classique, bien que moins fréquent, de transmission inter-humaine de la peste ne nécessite pas la présence d’ectoparasites et se produit par voie aérienne directe, à partir d’un malade atteint de peste pulmonaire. Lors de la toux, le bacille dispersé par aérosols (gouttelettes de Pflügge) est inhalé par les sujets contacts et colonise directement leurs poumons.

5 Signes cliniques

5.1 Peste bubonique

C’est la forme clinique la plus fréquente de la peste humaine. Elle survient après piqûre par une puce infectée et inoculation sous-cutanée du bacille. En quelques jours apparaît un « bubon » (tuméfaction dure, lisse, de petite taille et extrêmement douloureuse), s’accompagnant d’une fièvre élevée d’apparition brutale, d’un malaise général, de maux de tête et parfois de vomissements. Dans 30 % des cas, les défenses immunitaires de l’hôte permettent de contenir l’infection. Le bubon fait abcès et suppure, le malade guérit après un laps de temps souvent assez long. Dans les 70 % restants des cas, la bactérie dissémine par voie lymphatique et sanguine vers la rate, le foie, éventuellement les poumons, et provoque une septicémie mortelle.

5.2 Peste pulmonaire

Cette forme de la maladie est gravissime et résulte d’une contamination par voie aérienne directe, à partir d’aérosols émis par un malade atteint de peste pulmonaire. L’incubation est très courte (quelques heures à 1–2 j) et les signes cliniques sont d’emblée très violents : fièvre à 40–41 °C, altération profonde de l’état général, douleurs thoraciques, toux, détresse respiratoire, crachats sanglants, coma. L’évolution se fait systématiquement vers la mort en moins de trois jours, en l’absence d’une antibiothérapie adaptée et précoce.

6 Pathogénicité

Chez l’homme, l’évolution naturelle de la maladie se fait vers la mort (70 % des formes buboniques et 100 % des formes pulmonaires) en moins d’une semaine, voire parfois en quelques heures. Dans le modèle expérimental murin, il suffit d’une bactérie injectée par voie intraveineuse et de moins de dix bactéries par voie sous-cutanée pour tuer la majorité des animaux. De ce fait, le bacille de la peste peut être considéré comme l’une des bactéries les plus pathogènes existant actuellement sur Terre.

7 Diagnostic

Le diagnostic repose sur l’isolement et la caractérisation bactériologique de la souche. Cette technique est la plus fiable, mais elle est longue (une semaine).

Des tests de diagnostic rapides ont été récemment développés. Ils permettent de porter un diagnostic présomptif de peste en quelques minutes (à l’aide de bandelettes d’immunodétection 〚5〛), ou quelques heures (PCR), avec une bonne fiabilité.

Le sérodiagnostic par ELISA 〚6〛 permet également de porter un diagnostic rétrospectif de la maladie.

8 Traitement et prévention

8.1 Traitement prophylactique

Un traitement prophylactique, reposant sur les tétracyclines ou les sulfamides, est utilisable pour traiter tout sujet ayant été au contact d’un pestiféré.

8.2 Traitement curatif

Les chances de survie du malade sont directement liées à la précocité de la mise en place du traitement curatif. Trois antibiotiques sont classiquement recommandés, seuls ou en association, pour le traitement de la peste : la streptomycine, les tétracyclines et le chloramphénicol (dans les formes méningées).

Jusqu’à très récemment, le bacille de la peste était considéré comme sensible à tous les antibiotiques actifs contre les bacilles Gram-négatifs. Cependant, une souche de Y. pestis, présentant une résistance de haut niveau aux quatre antibiotiques classiquement utilisés pour le traitement préventif et curatif de la maladie, ainsi qu’à quatre autres antibiotiques qui auraient pu représenter des traitements alternatifs (ampicilline, kanamycine, spectinomycine et minocycline), a été identifiée récemment 〚7〛.

8.3 Vaccination

Plusieurs vaccins antipesteux (atténués ou tués) ont été utilisés par le passé. L’absence de protection dans les formes pulmonaires, la faible durée de l’immunité et l’importance des effets secondaires ont conduit à l’arrêt de ces vaccinations.

Actuellement, aucun vaccin fiable contre la peste n’est disponible.

9 Peste et bioterrorisme

Le bacille de la peste fait partie de l’arsenal biologique potentiellement utilisable pour le bioterrorisme.


Bibliographie

[〚1〛] A. Yersin La peste bubonique à Hongkong, Ann. Inst. Pasteur, Volume 2 (1894), pp. 428-430

[〚2〛] R. Pollitzer Plague, WHO Monogr. Ser., Volume 22 (1954)

[〚3〛] World Health Organization Human plague in 1998 and 1999, Wkly Epidemiol. Rec., Volume 75 (2000), pp. 337-343

[〚4〛] S.J. Schrag; P. Wiener Emerging infectious diseases: what are the relative roles of ecology and evolution?, Trends Evol. Ecol., Volume 10 (1995), pp. 319-324

[〚5〛] S. Chanteau; L. Rahalison; L. Ralafiarisoa; J. Foulon; M. Ratsitorahina; L. Ratsifasoamanana; É. Carniel; F. Nato A rapid and reliable diagnosis of pneumonic and bubonic plague, easily achievable by health workers in the natural endemic foci of Madagascar ( submitt )

[〚6〛] B. Rasoamanana; F. Leroy; P. Boisier; M. Rasolomaharo; P. Buchy; É. Carniel; S. Chanteau Field evaluation of an immunoglobulin G anti-F1 enzyme-linked immunosorbent assay for serodiagnosis of human plague in Madagascar, Clin. Diagn. Lab. Immunol., Volume 4 (1997), pp. 587-591

[〚7〛] M. Galimand; A. Guiyoule; G. Gerbaud; B. Rasoamanana; S. Chanteau; É. Carniel; P. Courvalin Multidrug resistance in Yersinia pestis mediated by a transferable plasmid, N. Engl. J. M, Volume 337 (1997), pp. 677-680


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