Abridged English version
The problem of soil salinity as an environmental stress to plant growth is widespread in cultivated land throughout the world, and its scale is continually increasing, particularly in irrigated areas (e.g., Tunisia). Grapevine was classified as moderately sensitive to salinity. Depending on concentration, salt in the medium may lead to a reduction of the growth rate and a decrease of the shoot and root development; high concentration may even cause death of grapevines. In spite of numerous reports for which the salinity tolerance of grapevines has been studied, under both field and greenhouse conditions, there are only few studies dealing with in vitro salt tolerance. Some researches demonstrated that in vitro salt tolerance of grapevines is variety-dependent and considered in vitro culture a suitable method to select salt-tolerant grapevines. The present work was undertaken in order to study the salt (NaCl) tolerance of different in vitro-cultured grapevine genotypes and, at the same time, to develop a rapid and cheap test for salt tolerance. Semi-hard wood nodal segments of some grapevine varieties and rootstocks were established on MS medium. The pH of the medium was adjusted to 5.7 prior to autoclave treatment for 15 min. Explants were surface sterilized using sodium hypochloride (8° chloride) for 10 min, followed by several rinsing operations with sterile distilled water. The proliferated shoots were sub-cultured every four weeks, period allowing one to get a large number of explants for the salt-tolerance study. Then double-node rooted micro-cuttings were aseptically excised and inoculated on MS medium, supplemented with different concentrations of NaCl (0, 20, 50, 100, 150, and 200 mM). All the cultures were incubated at 26 °C, with a photoperiod of 16/8 h and under a light intensity of 20 W m−2 for 45 days. The different growth parameters analysed were: survival capacity, length of shoot, bud formation, and rooting capacity. Proliferation, growth, rooting and viability of explants decreased due to the increase in NaCl concentration. Moreover, it was determined that salt treatment caused necroses in vitroplants, and that the severity of this injury varied depending on the genotype and the NaCl concentration. The results showed that with the gradual increase of NaCl levels in the medium, the shoot length, rooting capacity, number of buds and survival capacity were significantly reduced. 80 mM NaCl was found to be a lethal and critical concentration for almost all vitroplants. The genotypes displayed variable behaviours regarding their ability to tolerate NaCl treatments. We also found a positive correlation between the vigour of genotypes and their faculty to tolerate salt. In conclusion, we observed a clear relationship between plant survival, shoot growth, number of new buds, rooting capacity and salt tolerance, showing that these parameters are good indicators for estimating in vitro salinity tolerance. Finally, the grapevine genotypes of our experiment were grouped according to their salt tolerance under in vitro conditions in homogeneous groups using PCA. The most tolerant genotypes to salt treatment were Sejnene and Asli, followed by the moderately sensitive Saouadi and Sakasly varieties and last, all the rootstocks (1103P, 41B, and SO4) and the Razegui variety, which displayed high sensitivity. By displaying good behaviour under in vitro salt treatment and high vigour, the Tunisian local variety (i.e. Asli) could be cultivated on its own roots without grafting, and the wild variety Sejnene could be used as a rootstock. Our study clearly revealed that in vitro culture can be used ideally in screening salt-tolerant genotypes for replanting salt-affected areas and declining vineyards.
1 Introduction
En Tunisie, l'aridité du climat, la défaillance et la mauvaise gestion des systèmes d'irrigation, avec particulièrement une mauvaise qualité des eaux d'irrigation ainsi que des pratiques culturales inappropriées, ont conduit à une salinisation frénétique des sols [1]. C'est ainsi que, dans plus de la moitié des terres irriguées en Tunisie, la salinité a atteint des niveaux critiques limitant le rendement de la plupart des cultures, et de la vigne en particulier. L'approche biologique, qui repose principalement sur l'exploration de la variabilité de la réponse au sel des espèces, permettrait d'identifier des plantes tolérantes au stress salin et contribuerait, par conséquent, à l'amélioration de la productivité, ainsi qu'à une meilleure valorisation des zones salinisées. Dans le cadre de cette approche et afin d'explorer la variabilité de la réponse au sel au sein de plusieurs variétés autochtones et porte-greffes de vigne, nous avons envisagé l'utilisation de la technique de culture in vitro. En effet, celle-ci constitue un moyen rapide et sensible permettant d'évaluer et de caractériser le comportement de la plante face à un stress salin au cours duquel les autres facteurs (nutritifs, éclairage, température...) sont maintenus constants et contrôlés de manière optimale. Ainsi, nous avons mené une étude comparative de l'effet de différentes concentrations en NaCl sur des variétés locales et porte-greffes de vigne. Le choix des génotypes a été dicté par les ressources phytogénétiques existant en Tunisie ainsi que par les pratiques agronomiques et culturales prédominant dans les vignobles tunisiens. La Tunisie possède un patrimoine non négligeable de variétés de vigne, dont certaines sont utilisées avec une méconnaissance et ignorance de leur physiologie et, malgré cela, elles prospèrent dans des zones côtières, insulaires et forestières. Les porte-greffes les plus utilisés sont le 41B, le SO4 et le 1103P, pour leur adaptation aux conditions pédoclimatiques et phytosanitaires locales. Par ailleurs, certaines études, bien que rares, ont montré que la vigne est sensible au sel [2–5]. De même, une variabilité de tolérance au sel a été mise en évidence chez cette espèce [6]. Ainsi, la culture in vitro va constituer un test précoce et rapide pour évaluer la tolérance au NaCl chez ces génotypes. En outre, cette technique peut servir d'outil précieux pour améliorer la tolérance des plantes à la salinité. En effet, cette méthode a été utilisée avec succès pour la sélection de génotypes tolérant la salinité chez le tabac [7], le blé tendre [8], la tomate [9] et récemment chez la vigne [10]. La présente étude a pour objectif d'analyser la variabilité de la réponse au sel et de classer les génotypes testés en groupes selon leur aptitude à tolérer la contrainte saline. Plusieurs expériences ont été menées pour étudier l'effet de la salinité sur la croissance de la vigne en plein champ ou sous serre [2–5] mais les études réalisées dans des conditions de culture in vitro sont rares. Barlass et Skene [6] ont montré que la tolérance au sel de la vigne est variable selon les variétés. Afin de préciser les limites de cette tolérance au sel, nous avons étudié l'effet de différentes concentrations en NaCl sur le développement de quatre variétés (Asli, Razegui, Sakasly, Saouadi), une accession spontanée Séjnène et trois porte-greffes (1103 Paulsen, 41B et SO4). Le comportement des variétés et des porte-greffes face à la salinité est analysé en se basant sur plusieurs paramètres de croissance, notamment le pourcentage de survie des plants, le nombre de bourgeons formés, la longueur des vitroplants et le pourcentage d'enracinement.
2 Matériel et méthodes
2.1 Matériel végétal
Notre étude a porté sur quatre variétés de vigne locale (Vitis vinifera) provenant de différentes régions de culture (zones côtières, insulaires et oasiennes) et un écotype sauvage, prélevé dans la région de Séjnène (Vitis sylvestris, [11]) et choisi en raison de ses qualités adaptatives aux conditions rustiques du milieu. Aussi, trois porte-greffes ont été choisis du fait qu'ils sont les plus utilisés par les viticulteurs tunisiens en raison de leur résistance au Phylloxera et leur bonne vigueur. A priori, le porte-greffe 41B (V. vinifera × V. berlandieri) est très déconseillé dans les zones où le sol présente une forte salinité. En revanche, le porte-greffe 1103 Paulsen (V. berlandieri × V. rupestris) est utilisé dans les sols salés ; il est connu par sa grande vigueur et son bon comportement dans les sols argilo-calcaires à sous-sols frais et humide. En effet, le 1103P possède une bonne résistance au calcaire actif (35% de calcaire actif), mais est également résistant aux nématodes endoparasites. Enfin, le porte-greffe SO4 (V. berlandieri × V. riparia) est conseillé pour les sols présentant une salinité moyenne (0,4 pour 1000 de sel dans le sol) et une faible résistance au calcaire (17 à 18% de calcaire actif), mais les racines de SO4 résistent bien aux nématodes endoparasites Méloidogyne arenaria et M. incognita.
2.2 Technique de culture
Étant donné que la culture in vitro offre la possibilité de caractériser, à un niveau précoce, des marqueurs physiologiques associés à la résistance au sel, cette technique présente l'avantage d'un meilleur contrôle des conditions de nutrition, et permet la sélection avec succès des génotypes tolérant la salinité. Ainsi, la culture in vitro constitue un outil de choix à préconiser pour un programme de sélection rapide et fiable pour la résistance au sel. De ce fait, nous avons choisi d'utiliser la technique de micro-bouturage in vitro pour évaluer la tolérance à la salinité de plusieurs génotypes de vignes. Les sarments sont découpés en baguettes pour former des boutures de 1 à 2 cm de longueur ; celles-ci sont désinfectées avec de l'hypochlorite de sodium (8° chlore), puis mises à enraciner dans des tubes () contenant 25 ml de milieu de culture MS [12] modifié (CaCl2 a été remplacé par [Ca(NO3)2⋅4 H2O] afin d'éliminer le chlore du milieu nutritif). Les tubes à essai ont été placés dans une chambre de culture où l'intensité lumineuse est de 20 W m−2, la photopériode de 16 heures et la température de 25 °C le jour et 20 °C la nuit. Les vitro-pousses vigoureuses âgées de six semaines ont été, par la suite, utilisées pour la régénération de plantules homogènes. Ces dernières ont été cultivées pendant 45 j, dans les mêmes conditions que celles décrites précédemment en présence de NaCl additionné au milieu de base, de manière à obtenir différentes concentrations (0, 20, 50, 80, 100, 150 et 200 mM). Le nombre de répétitions est de 10 par variété et par traitement.
2.3 Paramètres étudiés
Afin d'explorer la réponse des différents génotypes à la salinité en conditions de culture in vitro, des mesures relatives à la croissance des plantes ont été réalisées au terme de six semaines de culture. La réponse au sel est évaluée en se basant sur les paramètres suivants : capacité de survie, nombre de bourgeons formés, longueur de la tige et production de racines. Chez les glycophytes, le sel affecte le développement des plantes et réduit leur croissance. Cette diminution varie en fonction de l'espèce, de la variété et de l'écotype. Pour mettre en valeur les différences intervariétales chez la vigne, cultivée en présence de différentes doses de NaCl, nous avons mesuré la hauteur des plantes, depuis le collet jusqu'au bourgeon terminal et ce, pour les différents traitements salins. La méthodologie adoptée est la suivante : après 60 j de mise en culture du matériel végétal primaire (bouture à un œil), la tige feuillue ainsi formée est fragmentée en micro-boutures portant chacune un bourgeon. Elles sont mises de nouveau en culture pour donner, au bout de 20 j, des plantules portant deux feuilles et quelques racines. Ces plantules sont repiquées sur différentes concentrations en NaCl, et après 45 de traitement salin, l'effet du sel sur la croissance a été estimé par les variations de l'allongement des vitro-pousses en fonction de la salinité du milieu de culture. En effet, la longueur des pousses est mesurée pour toutes les vignes testées. Afin de classer les génotypes selon leur aptitude à tolérer le sel, nous avons utilisé l'indice de sensibilité (IS). Pour un paramètre donné (P), l'indice de sensibilité correspond à l'écart entre les plantules traitées et les témoins. Il est calculé selon la formule suivante [13] :
Il apparaît aussi que, plus l'IS est négatif, plus la variété est sensible.
Les moyennes des valeurs des différents paramètres mesurés sont représentées plus ou moins leur déviation standard et ont été comparées en utilisant le test de Duncan. L'analyse des composantes principales a été effectuée à l'aide du logiciel SAS afin d'obtenir un classement des différents génotypes de vigne selon leur tolérance à la salinité.
3 Résultats
3.1 Apparition et développement des symptômes de toxicité
Les premiers symptômes de toxicité apparaissent au bout de 10 j, avec 80 mM NaCl. Ils sont principalement constitués par des plages nécrotiques sur les feuilles les plus âgées. Ces nécroses se forment d'abord à l'extrémité des feuilles, puis s'étendent progressivement à l'ensemble du limbe, avec formation d'un liseré de transition (Fig. 1). Ce dernier, qui sépare les plages nécrotiques des parties saines, semble constituer une réaction de défense de la plante contre le stress. Le stress salin se manifeste au niveau des feuilles par le développement de chlorose, puis celles-ci arborent un aspect boursouflé. Elles finissent par brunir et se dessécher entièrement, sans se détacher de la tige (Fig. 1). Les feuilles jeunes, situées sur les parties médianes et apicales de la tige, gardent cependant leur couleur verte et ne sont pas concernées par la nécrose, du moins au cours des stades précoces du stress. Généralement, quel que soit le génotype étudié, les nécroses apparaissent sur les feuilles des pousses cultivées sur un milieu dont la concentration en NaCl est supérieure ou égale à 80 mM. Mais ces nécroses sont plus accentuées chez les génotypes les plus sensibles, tels que le porte-greffe SO4.
3.2 Effets du traitement salin sur la croissance et le développement des différents génotypes de vigne cultivés in vitro
Les résultats obtenus mettent en évidence une variabilité de réponse au sel au sein des vignes étudiées (Fig. 2). De même, on constate que, chez toutes les variétés, la croissance est fortement affectée à 80 mM NaCl. À cette dose, la longueur des pousses soumises au stress ne dépasse guère 20% de celle de leurs homologues cultivées en l'absence de NaCl (Fig. 3). En conditions de contrôle, les variétés de vigne se répartissent en deux groupes : le premier, constitué de Sakasly, Saouadi et Razegui, exprime une croissance in vitro nettement plus lente que celle du second groupe, représenté par Séjnène et Asli. L'apport de NaCl dans le milieu de culture réduit l'allongement des pousses chez toutes les variétés. Néanmoins, l'ampleur de cet effet est fonction de la concentration en NaCl et de la variété. A 80 mM NaCl, la croissance est fortement réduite chez toutes les variétés, alors qu'à 100 mM, elle est complètement inhibée chez les vignes à croissance lente. L'élongation des tiges, quoique fortement limitée, est maintenue dans la gamme 100–150 mM NaCl chez les variétés, mais pas chez les porte-greffes. La variabilité de la réponse au sel s'exprime clairement à 50 mM. Cette dose entraîne une réduction de la croissance supérieure ou égale à 50% chez les trois variétés Sakasly et Razegui, alors que les autres vitroplants Séjnène et Asli continuent à exprimer plus de 55% de leurs potentialités de croissance (Fig. 3a). Chez les porte-greffes testés, on constate une différence de réponse au traitement salin (Fig. 3b). En effet, l'addition de 20 mM NaCl dans le milieu entraîne une réduction de croissance des vitro-pousses plus importante chez SO4 que chez les deux autres porte-greffes. La dose 80 mM NaCl inhibe la croissance chez les trois porte-greffes testés, les vitro-pousses du porte-greffe 41B continuant néanmoins à survivre, avec un développement très faible. L'examen des valeurs de l'indice de sensibilité (IS) montre que la sensibilité au sel dépend étroitement de la concentration saline et des génotypes (Tableau 1). Le paramètre IS discrimine mieux les génotypes de vigne pour les faibles concentrations salines, 20 et 50 mM. Au-delà de ces doses, la croissance est fortement, voire complètement inhibée et la comparaison des variétés sur la base de l'IS n'est plus significative. À 50 mM NaCl, les deux variétés Asli et Séjnène subissent une diminution de croissance végétative par rapport au témoin qui ne dépasse pas 45%. Donc, ces dernières variétés peuvent être considérées comme les plus tolérantes, alors que la variété Razegui et les trois porte-greffes testés semblent être les plus sensibles, puisqu'ils perdent la majeure partie de leur capacité de croissance à partir de 50 mM, et que le porte-greffe SO4 semble être le plus sensible. La classification de Maas–Hoffman [14], fondée sur les réactions de la croissance des vignes face à la salinité plutôt que sur les rendements obtenus, ainsi que l'analyse statistique des données selon le test de Duncan au seuil de 5% nous ont permis de distinguer trois groupes homogènes de vigne, selon leur aptitude à croître en présence de 50 mM NaCl (Fig. 4). En effet, on distingue un premier groupe, constitué par les génotypes Séjnène et Asli, qui sont les plus vigoureux et les plus tolérants, d'un deuxième groupe formé par les variétés Saouadi et Sakasly, qui sont moyennement sensibles, et d'un troisième groupe, constitué par la variété Razegui et les trois porte-greffes 1103P, 41B et SO4, qui sont par conséquent les moins vigoureux et les plus sensibles. L'analyse statistique des données nous a aussi permis de mettre en évidence une relation étroite entre la croissance et la dose de chlorure de sodium dans le milieu de culture. Cette relation suit une forme polynomiale (Fig. 5) selon l'équation suivante :
Variation de l'indice de sensibilité au sel [13], estimé sur la base de l'allongement des pousses,
Génotypes | Valeur de IS à | |||||
20 mM | 50 mM | 80 mM | 100 mM | 150 mM | 200 mM | |
Asli | −2,81 | −37,18 | −83,75 | −100 | −100 | −100 |
Razegui | −26,66 | −73,33 | −93,84 | −100 | −100 | −100 |
Sakasly | −39,8 | −54,28 | −77,58 | −79,12 | −94,66 | −100 |
Saouadi | −14,58 | −36,46 | −76,04 | −95,31 | −100 | −100 |
Séjnène | −55,71 | −48,57 | −77,14 | −90 | −100 | −100 |
1103P | −34,48 | −70,11 | −95,4 | −100 | −100 | −100 |
41B | −24,53 | −69,81 | −90,56 | −100 | −100 | −100 |
SO4 | −57,93 | −87,3 | −100 | −100 | −100 | −100 |
3.3 Effets du traitement salin sur la néoformation de bourgeons
Pour mieux dégager les différences variétales vis-à-vis du stress salin, nous avons suivi le nombre de bourgeons formés au cours du traitement salin pour chaque génotype (Fig. 6). Il semble que, lorsque la dose de NaCl dépasse 80 mM dans le milieu de culture, la formation des bourgeons est fortement affectée et ceci, quelle que soit la variété testée (Fig. 6a). À 100 mM NaCl, il n'y a plus de formation de bourgeons chez les deux variétés Asli et Razegui, alors que, chez Séjnène et Saouadi, le nombre de bourgeons formés devient très faible (inférieur à 2). Toutefois, seule la variété Sakasly continue ensuite à développer des bourgeons. Chez les porte-greffes (Fig. 6b), la dose 100 mM NaCl inhibe complètement la formation des bourgeons pour le 1103P et le 41B, alors que, pour le SO4, c'est la dose 80 mM qui inhibe totalement la néoformation de bourgeons.
3.4 Effets du traitement salin sur l'enracinement
Afin de préciser l'effet du sel sur la rhizogenèse, nous avons déterminé le nombre de racines formées après six semaines de culture (Fig. 7). Chez les vignes testées, le pourcentage d'enracinement ne devient nul qu'à 150 mM NaCl ; au-delà de cette concentration, aucune racine n'a été émise. L'observation régulière des racines a montré que le chlorure de sodium semble exercer un effet très marqué sur leur morphologie. En effet, la formation et le développement des racines sont gravement affectés par le sel. Une variabilité d'enracinement est observée chez les différentes variétés de vigne testées (Fig. 7a). En effet, la variété Razegui n'a plus de capacité d'enracinement à une dose supérieure à 80 mM NaCl, alors que les variétés Sakasly et Saouadi sont capables de s'enraciner même à une concentration en 100 mM NaCl. La variété spontanée Séjnène continue, en revanche, à émettre des racines, même à des concentrations supérieures à 100 mM, mais avec un pourcentage d'enracinement très faible, qui ne dépasse pas 30%. Chez les trois porte-greffes testés, une dose de 80 mM NaCl entraîne une réduction d'enracinement supérieure à 50% (Fig. 7b). À des doses inférieures ou égales à 50 mM, on note que le 1103P présente un pourcentage d'enracinement supérieur à celui des deux autres porte-greffes testés. Mais, lorsque les concentrations en NaCl dépassent 50 mM, le porte-greffe 41B devient capable de s'enraciner plus facilement que le 1103P et le SO4. Il s'est avéré ainsi que, pour des salinités moyennes (inférieures à 50 mM NaCl), le porte-greffe 1103P affiche le meilleur comportement au niveau de la production de racines ; cependant, pour des doses de NaCl plus élevées (supérieures à 50 mM) c'est le 41B qui semble le plus performant (Fig. 7b).
3.5 Influence du traitement salin sur la capacité de survie des vitroplants
Après 45 jours de culture in vitro des explants, le pourcentage de survie est déterminé chez les variétés et les porte-greffes testés (Fig. 8). La capacité de survie des vitroplants est affectée par le sel. Cependant, cet effet dépressif du sel dépend de la concentration en NaCl dans le milieu de culture et de la variété (Fig. 8a). En effet, les vitro-pousses Razegui et Asli sont incapables de survivre sur un milieu dont la concentration en NaCl est supérieure ou égale à 100 mM. Séjnène et Saouadi sont relativement plus tolérants : la mortalité de la totalité des vitro-pousses n'est obtenue qu'à partir de 150 mM NaCl. Seules les vitro-pousses de la variété Sakasly apparaissent capables de survivre à des salinités comprises entre 150 et 200 mM NaCl. En se basant sur la capacité de survie, Sakasly semble la plus performante. Sa capacité de survie n'est pas affectée dans une gamme comprise entre 0 et 100 mM NaCl. Elle n'est réduite que de 50% environ à 150 mM et s'annule complètement à 200 mM. Les porte-greffes semblent particulièrement sensibles au sel (Fig. 8b) : SO4 présente une chute de la capacité de survie plus importante (30%) que les deux autres (1103P et 41B), et l'addition de 100 mM NaCl dans le milieu de culture entraîne la mort des vitro-pousses. Globalement, les porte-greffes sont particulièrement sensibles au sel : aucun de ceux que nous avons testés n'est capable de survivre à 100 mM NaCl. Globalement, l'analyse des variations de la capacité de survie en fonction de la salinité du milieu de culture permet de réaliser un classement en trois groupes :
- – le premier correspond aux génotypes les plus sensibles subissant une diminution de leur capacité de survie à des salinités comprises à partir de 50 mM NaCl. Ce groupe est représenté par la variété Razegui et les trois porte-greffes ;
- – le deuxième est représenté par Asli, Saouadi, et Séjnène. Ces vignes voient leur capacité de survie affectée par le sel à partir de 80 mM. Ce sont des vignes moyennement tolérantes ;
- – le troisième groupe est formé d'une variété tolérante, qui est représentée par Sakasly, dont la capacité de survie peut se manifester à 150 mM NaCl.
3.6 Classement des génotypes selon leur tolérance à la salinité par l'analyse en composantes principales
La matrice de données de départ est formée des mesures, pour chaque génotype, des quatre paramètres de croissance et de survie (longueur des pousses, nombre de bourgeons formés, pourcentage d'enracinement et capacité de survie) pour le traitement avec 50 mM NaCl (précédent la dose létale de 80 mM). L'ACP se limite à l'étude du plan formé par les facteurs discriminants 1 et 2 de l'analyse, dont le pourcentage d'inertie cumulée permet d'expliquer 80% de la variance totale. L'ACP (Fig. 9) nous a permis de classer les génotypes en trois groupes selon leur tolérance à la salinité in vitro :
- – le groupe des génotypes tolérants : Séjnène et Asli ;
- – le groupe des génotypes moyennement sensibles : Saouadi et Sakasly ;
- – le groupe des génotypes sensibles : tous les porte-greffes et la variété Razegui.
L'ACP confirme ainsi nos conclusions précédentes.
4 Discussion
4.1 Croissance et développement
L'effet du sel sur la croissance de la vigne a été étudié en conditions de cultures hydroponiques, sous serre, et en plein champ [2,4,5]. Ainsi, il nous a paru utile d'étudier l'effet de différentes concentrations en NaCl sur la croissance et le développement de certaines vignes cultivées in vitro, afin d'obtenir une réponse rapide et fiable. Outre ses effets sur la longueur des vitro-pousses, le sel affecte l'expansion des feuilles. Ces constatations s'accordent bien avec celles de Troncoso [10], qui a montré que le sel du milieu de culture inhibe tous les paramètres de croissance des plants de vigne. La réduction de croissance des plantes semble être liée à l'épuisement progressif des réserves carbonées et azotées du système racinaire [15], sans qu'il n'y ait suffisamment de réapprovisionnement de celles-ci. D'autre part, Troncoso [10] explique ceci par le fait que l'augmentation de la teneur en NaCl entraîne une diminution de l'hydratation des tissus et une réduction de la surface foliaire des plants avec, par conséquent, une réduction de la capacité photosynthétique de la plante. On remarque aussi qu'à des doses élevées de sel (excédant 80 mM), la croissance des racines est plus affectée que celle de la partie aérienne, ceci s'accordant bien avec les résultats des travaux de Charbaji [3] et Troncoso [10], qui ont travaillé dans les mêmes conditions. Ces derniers expliquent ce phénomène par le fait que l'augmentation de la salinité entraîne une réduction des quantités d'eau dans les racines, qui s'accentue avec la sensibilité des variétés de vigne. Walker [16] et Al-Saidi et al. [17] ont montré que le degré d'enroulement foliaire est inversement proportionnel à l'ajustement osmotique. Ainsi, les plantes qui ont manifesté l'enroulement foliaire le plus sévère, comme le porte-greffe SO4, sont les plus sensibles au stress salin. L'enroulement des feuilles peut être expliqué par le fait que la présence de sel dans le milieu de culture impose aux plantes une limitation hydrique, qui se traduit par une perte de turgescence des cellules et une réduction de la plasticité des tissus, d'où l'enroulement des feuilles. Le dessèchement des vitro-pousses de vigne dans des conditions de salinité modérée traduit la sensibilité de cette plante au sel. Il suggère également que le sel soumet principalement la vigne à un effet toxique, mais également osmotique. L'inaptitude de la plante à compartimenter les ions Na+ et Cl− dans la vacuole conduirait à leur accumulation dans le compartiment cytoplasmique, inhibant par conséquent les réactions enzymatiques du métabolisme cellulaire, et, par la suite, à un dessèchement des feuilles consécutivement à une perte d'eau cellulaire et à une réduction générale de la croissance [18]. La tolérance relative de certaines variétés de vigne au sel serait liée à leur plus grande aptitude à assurer une alimentation potassique convenable de leurs feuilles. En effet, le cation potassium est responsable de l'ajustement du potentiel osmotique et du maintien de la turgescence des feuilles et de leur expansion, et joue le rôle de catalyseur dans les principales réactions enzymatiques cellulaires [19]. La meilleure efficacité d'absorption de K+ à partir d'un milieu riche en sel et l'allocation préférentielle de ce cation aux feuilles en pleine activité de croissance constituent les principales composantes de la tolérance au sel chez la lentille [20] et le pois chiche [21]. Nous avons montré qu'il existait une corrélation positive entre la vigueur des génotypes et leur aptitude à tolérer le stress salin. De même, Walker [16] a rapporté que le cultivar Ramsey, qui s'est montré le plus tolérant à la salinité, était le plus vigoureux. Selon ce même auteur, la tolérance au sel de ces vignes peut s'expliquer par le fait que la vigueur permet une meilleure exclusion des ions Na+ et Cl−, ainsi qu'une meilleure capacité à restreindre l'absorption de ces ions et une limitation plus efficace de leur transport de la racine au sarment. En effet, une croissance rapide confère aux plantes une bonne aptitude à diluer les ions toxiques Na+ et Cl− et à protéger les tissus contre une accumulation de ces ions à des niveaux toxiques. La corrélation positive entre la vigueur des plantes et la tolérance au sel a été mise en évidence chez des variétés de lentille [22] et de haricot [23].
4.2 Capacité de survie
Nos résultats ont montré que la capacité de survie des vitroplants dépendait de la concentration du milieu en NaCl et du génotype étudié. La mortalité des explants est d'autant plus précoce que la concentration du milieu en NaCl est élevée. La comparaison des génotypes sur la base de leur capacité de survie en milieu salin fait ressortir une sensibilité particulière de Razegui et des portes greffes. L'accumulation apoplasmique des ions Na+ et Cl− serait le paramètre le plus impliqué dans le flétrissement et la mortalité de certaines espèces de Medicago soumises au stress salin [24]. Selon Flowers et Yeo [25], l'augmentation de la mortalité des plantes en milieu salin s'explique par une perturbation de l'alimentation hydrique et d'une inhibition du métaoblisme. Les espèces tolérantes, mais incapables de compartimenter Na+ et Cl− dans leurs vacuoles, protègent leurs organes aériens contre l'envahissement des ions toxiques par une rétention de ceux-ci dans les racines (stratégie d'exclusion) [21,23,26].
5 Conclusion
Le présent travail a porté sur l'évaluation de la réponse au sel chez les variétés autochtones et porte-greffes de vigne par la technique de culture in vitro. Cette dernière permet l'obtention rapide de plants homogènes, et réduit par conséquent la variabilité de réponses au sein du même génotype. Notre travail montre que le matériel végétal utilisé se caractérise par une variabilité de réponse assez importante selon qu'il s'agisse de variétés locales cultivée ou sauvage, ou de porte-greffes introduits. Cette variabilité dépend également de la concentration en NaCl additionnée au milieu de culture. Par ailleurs, les paramètres choisis et analysés au cours de notre étude constituent de bons indicateurs de la capacité des vitroplants à tolérer le stress salin.
À la lumière des résultats obtenus et en tenant compte de l'ensemble des analyses effectuées, nous pouvons classer les vignes testées en trois groupes homogènes selon leur vigueur et leur tolérance au sel (NaCl) in vitro, à savoir :
- • un premier groupe composé de Asli et Séjnène, qui sont des variétés vigoureuses et tolérant la salinité in vitro ;
- • un deuxième groupe formé des variétés Saouadi et Sakasly, légèrement moins vigoureuses, et donc moyennement sensibles à la salinité in vitro ;
- • un troisième groupe, comportant la variété Razegui et tous les porte-greffes, peu vigoureux et sensibles à la salinité in vitro.
Ainsi les vignes locales retenues dans cette étude (excepté Razegui) résisteraient mieux à la salinité que les porte-greffes testés et pourraient de ce fait être plantées sur franc de pied, à condition que les problèmes liés au phylloxéra ne se posent pas. Par ailleurs, l'écotype sauvage Séjnène pourrait constituer un porte-greffe intéressant à exploiter, en raison de sa bonne vigueur et de sa capacité de tolérance à la salinité, bien que peu de données soient disponibles actuellement quant à ses caractéristiques vis-à-vis de sa résistance au phylloxéra et de son adéquation aux sols calcaires. Ces génotypes, présentant manifestement des caractères de tolérance à la salinité, seraient intéressants à exploiter dans une perspective d'amélioration et de sélection clonale de vignes tolérant la salinité.