Abridged English version
The Estuary of the Seine River (Normandy, France) has been one of the most anthropized European estuaries for a long time. Two centuries of harbour development (Rouen and Le Havre are now the third European complex harbour in tonnage) and industrialisation have entirely modified the morphology of the estuary. The quality of the water bodies of the estuary and of the eastern Bay of Seine is much degraded. Generally, the environmental managers imagine that, due to these installations and contaminations, this area is biologically few diversified. However, the diversity of aquatic invertebrates in this area has never been accounted for. An inventory of all the aquatic invertebrates mentioned in the data published since two centuries has been carried out by us for this region. The database CISA, acronym of Catalogue of the Invertebrates in the Seine-Aval area (from the Poses dam in the upper part of the estuary to the mouth of the Seine in the lower part), which contains our results (valid names, frequencies, abundances, substrate, ‘étage’ and distribution of each taxa in regions following the cutting used to the Water Framework Directive for the transitional waters), has been published in the website of the Interest Public Group Seine-Aval, which supported financially this work. We analyse this database in the present paper. After the first historical inventory around 1885, recording of new species was due mainly to the publication of the Linnaean Society of Normandy around 1926–1932 in a first time and the scientific program Seine-Aval since 1993 and the environmental impact studies carried out recently in the frame of Port 2000 (enlargement of the harbour of Le Havre), in a second time. The region is highly diversified: 1485 taxa of aquatic invertebrates were encountered, out of which 77 genus, five families and one sub-class that would require identification at the level species. Each taxon is mentioned from only one to 144 bibliographic references; more than one third is recorded in a single reference and more than one quarter in two or three references, but, on the other hand, six species are mentioned in more than 100 references. Twenty-five percent of the taxa have never been recorded for the last 15 years, probably due to their disappearing, but also due to a lack of specialized taxonomists for some zoological groups. The frequency of the taxa decreased during the last century for 70% of them, as well as their abundance for 85% of them. The compiled data show that the distribution of the invertebrate species in the Seine River estuary follows a two-ecocline model, as proposed by Attrill and Rundle.
1 Introduction
L'estuaire de la Seine (Normandie) est l'un des estuaires européens les plus anthropisés depuis longtemps [1]. Les ports autonomes de Rouen (PAR) et du Havre (PAH) constituent aujourd'hui le troisième complexe portuaire européen en termes de tonnage. Deux siècles d'industrialisation et de développement des infrastructures portuaires (construction des quais, enrochement et endiguement des berges jusqu'à la mer, entretien par dragage du chenal de navigation du PAR) ont entièrement modifié la morphologie de l'estuaire, de Poses, en amont, jusqu'à la mer. La qualité des masses d'eau de l'estuaire et celle de la partie orientale de la baie de Seine est fortement dégradée, mais s'améliore au fil du temps. Depuis trente ans, plusieurs programmes scientifiques se sont focalisés sur cette zone : essentiellement le « S.A.U.M. estuaire de la Seine » puis « Seine-Aval » pour la partie aval et « PIREN Seine » pour la partie amont. Ces programmes ont tenté de comprendre le fonctionnement de cet écosystème (qualité du milieu sédimentaire et aquatique, structures des communautés végétales et animales, relations trophiques, chaîne de contamination métallique...) et ont étudié l'impact environnemental des aménagements sur quelques espèces clés. Les aménageurs, gestionnaires de l'environnement, considèrent généralement que cette zone est biologiquement peu diversifiée en raison des installations existantes et des niveaux de contamination mesurés, sans pour autant disposer d'une synthèse des connaissances acquises sur la diversité en invertébrés aquatiques de cette zone. Cependant, ces connaissances sont disparates, mais existent. En effet, de nombreuses informations sont disponibles, non seulement au travers des programmes précédemment cités, mais aussi via des travaux universitaires spécialisés sur quelques compartiments ou groupes zoologiques (tels que les Ostracodes, ou les larves d'Insectes, les espèces suprabenthiques, les espèces benthiques de zones particulières...) et grâce à une intense activité d'observation réalisée par les sociétés naturalistes de la région depuis deux siècles. Le groupement d'intérêt public Seine-Aval, qui supporte l'activité scientifique du programme scientifique « Seine-Aval », a jugé utile de réaliser l'inventaire de ces données d'inventaire faunistique et a publié sur son site Internet la base de données CISA [2], acronyme de Catalogue des Invertébrés en Seine-Aval, qui contient les résultats de ce recensement. Nous proposons ici une analyse de cette base de données, qui vient d'être réalisée par nos soins.
2 Matériel et méthodes
La zone étudiée est comprise entre Ouistreham, Antifer et Poses pour les limites occidentale, septentrionale et orientale respectivement (Fig. 1). Tous les régimes salins sont rencontrés de l'euryhalin à l'oligohalin. Cette zone a été divisée en régions, selon le découpage utilisé par la directive cadre sur l'eau pour les eaux de transition [3] :
- – T1 pour la masse d'eau de transition 1 de la Seine, située entre le barrage de Poses (pk 202) et La Bouille (pk 260). Quand cela a été possible, deux sous-régions ont été considérées à cause de la différence de qualité des eaux et de la gestion du fleuve pour la navigation entre les parties amont et aval de l'agglomération rouennaise [4] : T1a de Poses à Rouen (pk 202 à 243) et T1b de Rouen à La Bouille (pk 243 à 260) ;
- – T2 pour la masse d'eau de transition 2 de la Seine, située entre La Bouille et Vieux-Port (pk 260 à 325) ;
- – T3 pour la masse d'eau de transition 3 de la Seine, située entre Vieux-Port et l'embouchure du fleuve (un mille depuis la ligne de base, c'est-à-dire 0°03′ E pour la limite occidentale et le cap de la Hève, au nord, et la Touques arrivant entre Deauville et Trouville, au sud) ;
- – T4 pour le canal allant de Caen à la mer (au niveau d'Ouistreham) ;
- – BP pour les bassins portuaires du Havre ;
- – BS pour la partie orientale de la baie de Seine, comprise entre T3 à l'est et la latitude du cap d'Antifer au nord et le méridien d'Ouistreham à l'ouest.
La région est définie comme « nd » (non déterminée) quand les précisions manquent pour localiser précisément une observation réalisée dans la zone étudiée.
Toutes les sources actuelles d'information ont été consultées et toutes les publications des sociétés naturalistes de la région ont été prises en compte, particulièrement celles de la Société linnéenne de Normandie et celles de la Société géologique de Normandie et des Amis du Muséum du Havre. Près de 350 sources bibliographiques seulement se sont révélées utiles. Elles concernent des articles scientifiques, pour les deux tiers, et des rapports de programmes scientifiques pour un quart, le reste correspondant à des thèses et à des données non publiées. Les données collectées et analysées commencent en 1825 et se terminent en 2006 (voir la base de données CISA pour consulter l'ensemble de la liste des références bibliographiques analysées).
Pour chaque mention d'un invertébré dans une référence bibliographique, le nom sous lequel il est répertorié a été noté, mais aussi, si possible, le substrat (dur ou meuble), l'étage (intertidal ou subtidal), l'abondance et la fréquence relatives de cet invertébré dans cette référence pour chaque région, tel qu'on l'a codifié dans le Tableau 1. Ensuite, le nom actuellement valide a été attribué, pour chaque observation, via une table d'équivalences entre les noms utilisés par les auteurs et le nom valide aujourd'hui en utilisant les bases de données taxonomiques de référence faisant le plus autorité : l'ERMS (European Register of Marine Species) pour les espèces d'affinité marine [5] et la FE (Fauna Europaea) pour les espèces d'affinité dulcicole [6]. Cette table d'équivalences corrige également les erreurs d'identification qui ont été publiées ultérieurement au document étudié. Pour les taxa ne figurant pas encore dans ces bases, d'autres bases de données plus spécialisées ont été consultées, telle que la World Porifera Database [7]. Quand une identification était douteuse, seul le niveau taxonomique supérieur le plus sûr a été retenu.
Codification de l'abondance selon le compartiment (inspirée de Mouny [8] pour le plancton et le suprabenthos) et de la fréquence utilisée pour chaque référence bibliographique et interprétation de la valeur moyenne calculée à partir de ces codes
Abondance | Fréquence | Interprétation | ||||||
Plancton | Suprabenthos | Endo- et épibenthos | Code | Pourcentage de prélèvements | Code | Moyenne | Abondance | Fréquence |
0–20 ind/m3 | 0–5 ind/100 m3 | 0–10 ind/m2 | 1 | ]0 ; 1] | 1 | ]0 ; 1] | quelques individus | exceptionnelle |
20–100 ind/m3 | 5–20 ind/100 m3 | 10–100 ind/m2 | 2 | ]1 ; 12,5] | 2 | ]1 ; 2] | peu abondante | rare |
100–1000 ind/m3 | 20–100 ind/100 m3 | 100–1000 ind/m2 | 3 | ]12,5 ; 25] | 3 | ]2 ; 3] | abondante | occasionnelle |
>1000 ind/m3 | >100 ind/100 m3 | >1000 ind/m2 | 4 | ]25 ; 50] | 4 | ]3 ; 4] | très abondante | commune |
]50 ; 100] | 5 | ]4 ; 5] | – | constante |
Toutes les observations concernant les préférences écologiques (substrat et étage) ont été compilées pour chaque taxon. De même, celles concernant les abondances et les fréquences l'ont été pour chaque taxon, mais dans chaque région, selon les modalités précisées dans le Tableau 1. Évidemment, les observations réalisées dans la région T1a, par exemple, ont été considérées dans les statistiques de T1a, mais aussi dans celles de T1, et pour caractériser l'ensemble de la zone étudiée allant de Poses à la baie de Seine orientale. De la même façon, chaque caractéristique identifiée d'un taxon est considérée pour ce taxon, mais aussi pour tous les niveaux taxonomiques supérieurs.
Certains taxa n'ont jamais été identifiés au niveau spécifique, et il était cependant nécessaire de les prendre en compte dans la mesure de la biodiversité locale. Il a donc été décidé qu'un taxon pouvait constituer un niveau terminal d'identification uniquement si aucun autre taxon d'un niveau taxonomique inférieur n'avait été identifié dans le cadre de cet inventaire.
3 Résultats
Dans CISA, 1485 taxa représentent un niveau terminal d'identification (Tableau 2), soit 15 sous-espèces, 1387 espèces, 77 genres, cinq familles et une sous-classe. Ces différents taxa sont mentionnés chacun entre 1 et 144 fois dans des références bibliographiques différentes. Plus d'un tiers de ces taxa sont en fait mentionnés dans une seule référence bibliographique, et plus d'un quart dans uniquement deux ou trois références (Fig. 2). Toutefois, ces signalisations ne peuvent pas être remises en cause ; elles traduisent simplement la présence de taxa rares ou correspondent à des taxa peu étudiés, comme par exemple les Ostracodes (88 taxa), dont seulement 2% sont mentionnés dans plus de deux travaux.
Nombre de taxa représentant un niveau terminal d'identification pour chaque groupe zoologique dans l'ensemble de la zone étudiée
Groupe zoologique | Nombre de taxa représentant un niveau terminal d'identification |
Annelida Clitellata | 37 |
Annelida Polychaeta | 162 |
Arthropoda Chelicerata | 17 |
Arthropoda Crustacea | 501 |
Arthropoda Hexapoda | 258 |
Arthropoda Myriapoda | 1 |
Bryozoa | 34 |
Chaetognatha | 3 |
Chordata | 25 |
Cnidaria | 53 |
Ctenophora | 3 |
Echinodermata | 21 |
Echiura | 2 |
Entoprocta | 1 |
Gastrotricha | 1 |
Mollusca Bivalvia | 106 |
Mollusca Cephalopoda | 10 |
Mollusca Gastropoda | 90 |
Mollusca Polyplacophora | 5 |
Mollusca Scaphopoda | 3 |
Nematoda | 1 |
Nemertina | 9 |
Phoronida | 2 |
Platyhelminthes | 15 |
Porifera | 31 |
Rotifera | 89 |
Sipuncula | 4 |
Tardigrada | 1 |
Total | 1485 |
À l'inverse, seulement six espèces sont mentionnées dans plus de 100 références bibliographiques. Ce sont les polychètes Pectinaria (Lagis) koreni, Owenia fusiformis et Nephtys hombergii, les mollusques Dreissena polymorpha et Abra alba et le crustacé décapode Crangon crangon. Tous les taxa supra-spécifiques représentant un niveau terminal d'identification et mentionnés dans de nombreux travaux devraient faire l'objet d'identifications plus poussées dans la zone de Seine-Aval, puisqu'aucun de ces taxons n'y est connu jusqu'au niveau spécifique. Il s'agit des éponges du genre Spongilla, des cnidaires du genre Hydra, des vers plathelminthes des genres Prostoma et Caryophyllaeus, des nématodes de la famille des Mermithidae, des oligochètes de la famille des Enchytraeidae, des polychètes du genre Polycirrus, des arachnides de la sous-classe des Acarina, des insectes des genres Bradycellus, Dyschirius, Esolus, Limnophyes, Procladius et Rheotanytarsus, ainsi que des copépodes des genres Cyclopina, Cyclops, Dactylopodella, Halicyclops et Metis.
Les premières études faunistiques réalisées dans le secteur de la baie et de l'estuaire de Seine se sont focalisées sur certains groupes zoologiques. En 1825, seule la présence de 33 taxa (des crustacés uniquement) était signalée par de Brébisson sur l'ensemble de cette zone [9]. Il faut attendre 1859 pour que ce travail soit complété par une étude des mollusques fluviatiles publiée par de l'Hopital [10]. Mais ce n'est qu'en 1885, avec les travaux de Lennier [11] et de Gadeau de Kerville [12], que l'état de l'art sur l'ensemble de la faune locale, qui comprenait alors 211 taxa, est publié (ajout de 136 nouveaux taxa ; Tableau 3). En 2006, elle en compte 1485, soit sept fois plus. Entre ces deux dates, la progression de la connaissance de la biodiversité s'est faite essentiellement par paliers (Fig. 3).
Évolution temporelle des apports à l'inventaire faunistique de la partie orientale de la baie et de l'estuaire de Seine. Le découpage temporel correspond aux ruptures de pente observées sur la Fig. 3
Période | Nombre moyen d'additions à l'inventaire faunistique (en taxa par an) | Nombre moyen de publications faunistiques par an | Nombre moyen de taxa nouveaux par publication |
1825–1884 | 1,25 | 0,07 | 18,75 |
1885 | 136,00 | 6,00 | 22,67 |
1886–1925 | 0,98 | 0,58 | 1,70 |
1926–1932 | 32,57 | 3,29 | 9,91 |
1933–1965 | 0,85 | 0,88 | 0,97 |
1966–1993 | 9,11 | 2,96 | 3,07 |
1994–2006 | 55,69 | 11,54 | 4,83 |
Après les premiers inventaires publiés en 1885, les signalements de nouvelles espèces se font plus rares (un par an en moyenne ; Tableau 3) pendant près de 40 ans, faute d'études en nombre suffisant. Puis les nouvelles découvertes s'accélèrent durant la deuxième moitié des années 1920, où en l'espace de six ans le nombre de taxa connus a plus que doublé (478 taxa connus en 1932, soit près de 33 ajouts par an durant cette période) grâce aux travaux de différents zoologistes publiés par la Société linnéenne de Normandie, avec en moyenne seulement trois publications faunistiques par an. L'effort de publication s'essouffle de nouveau (moins d'une par an) jusqu'au milieu des années 1960, ce qui explique le peu de nouvelles signalisations (également moins d'une par an) à cette époque. Puis les découvertes reprennent, donnant lieu à un rythme de publication comparable à celui du milieu des années 1920 (trois publications par an jusqu'au début des années 1990), mais avec nettement moins de nouvelles signalisations (trois par publication au lieu de dix, ce qui permit tout de même d'enrichir l'inventaire de près de 50%). La mise en place à partir de 1993 du programme scientifique Seine-Aval et le suivi environnemental de l'impact des grands aménagements, notamment celui de Port 2000 (agrandissement du port porte-conteneurs du Havre), mobilise les biologistes, qui multiplient alors les découvertes et les publications, avec là encore un quasi-doublement de la liste faunistique et un taux annuel jamais égalé d'environ douze publications par an contenant des éléments faunistiques.
La prise en compte par les gestionnaires des seuls travaux les plus récents (1994–2006) dans leur approche de la biodiversité aquatique régionale aurait conduit, si elle avait eu lieu, à une sous-estimation de près de 25% de la diversité potentielle en invertébrés aquatiques. Ainsi, seuls 12 des 199 annélides signalés à ce jour dans la zone étudiée n'y ont pas fait l'objet de signalement au cours de la dernière décennie, alors que le nombre d'observations relatives au phylum des Annelida est comparable à celui relatif aux mollusques (26% et 20% des observations enregistrées dans la base CISA, respectivement) et que parmi ces derniers, 82 n'ont pas été observés depuis au moins dix ans parmi les 214 signalés à ce jour.
Mais la différence entre diversité potentielle et diversité observée n'est pas due uniquement à des disparitions d'espèces de la zone étudiée. En effet, certains groupes zoologiques n'ont fait ou ne font l'objet que de très peu d'études, d'où des niveaux de détermination moindres dans la plupart des travaux les mentionnant. Ainsi les phyla des Chaetognatha, Echiura, Entoprocta, Nematoda, Phoronida, Sipuncula et Tardigrada ne font l'objet de déterminations précises que depuis 1975 (pas de taxa qualifiés de terminaux avant cette date pour ces phyla, alors qu'ils étaient déjà présents dans cette zone selon la base de données CISA) ; néanmoins, ils ne représentent à eux tous réunis que moins de 1% des observations. Les Arthopoda sont les organismes les plus documentés, avec 40% des observations. Ils constituent également 40% des taxa recensés, contre 14% pour les mollusques et 13% pour les annélides, qui sont les trois principaux phyla rencontrées dans la zone d'étude. Notre niveau de connaissance de la diversité biologique de la zone étudiée n'est donc pas homogène selon les phyla considérés. Ainsi, on dénombre 89 taxa de rotifères, alors que leur identification n'est pas fréquemment faite, tandis qu'on ne compte que 21 échinodermes, pourtant plus fréquemment identifiés. On peut donc penser que notre connaissance des échinodermes est sans doute exhaustive à l'heure actuelle, alors que celle des rotifères mériterait que l'on s'y attarde d'avantage.
Fin 2006, le nombre de taxa était de 776 dans la partie orientale de la baie de Seine, 547 en T3, 297 en BP et 181 en T4. La différence entre la zone T3 et la zone T2 est importante, puisque le nombre de taxa y diminue de 79% avec seulement 115 taxa signalés en T2 (Fig. 4). La zone T1b, située en aval de Rouen, a une diversité du même ordre de grandeur avec 95 taxa alors qu'elle est beaucoup moins étendue longitudinalement (17 km) que la zone T2 (65 km), tandis que la zone plus en amont (T1a) est plus diversifiée, avec 174 taxa.
4 Discussion
Le nombre de taxa trouvé en chaque zone est fortement corrélé au nombre de sources documentaires traitant de chacune de ces zones (). Par conséquent, si la connaissance faunistique globale de l'environnement estuarien et marin côtier ne régresse pas, celle de la répartition de cette faune est en revanche mauvaise, puisque le nombre de travaux publiés concernant la zone de raréfaction faunistique est faible (Fig. 4) comparé au cas des secteurs situés plus en aval.
La répartition des espèces constatée lors de ce recensement dans le continuum estuarien peut donc tout aussi bien répondre au modèle de double écocline, avec deux gradients (l'un correspondant à une diminution de la richesse en espèces d'affinité marine en allant vers l'amont et l'autre à une diminution de la richesse en espèces d'affinités dulcicoles en allant vers l'aval), tel que cela a été décrit pour la Tamise [13], qu'à une simple écotone telle que décrite par Remane [13,14] avec des espèces dites uniquement estuariennes au niveau de la zone de moindre richesse spécifique en T2. Néanmoins, la fidélité des espèces calculée pour chaque zone montre que seuls 9% des taxa présents en T2 ne se rencontrent qu'en T2 (les données de la zone T4 et des bassins portuaires étant exclues), contre 52% pour T1, 24% pour T3 et 48% pour BS. La zone de raréfaction faunistique n'est donc pas peuplée d'espèces exclusives et que l'on pourrait donc qualifier d'estuariennes. Par conséquent, on peut affirmer que l'estuaire de Seine suit un modèle de double écocline tel que l'ont proposé Attrill et Rundle [13] et non d'écotone, puisque l'on n'y rencontre quasiment pas d'espèces dites estuariennes, qui ne seraient ni marines, ni dulcicoles.
Des travaux de synthèse comparables à celui mené pour l'élaboration de CISA sont nécessaires à une époque où la société se préoccupe désormais de la régression de la biodiversité. Un travail similaire vient d'être réalisé au niveau de l'estuaire de la Gironde de la partie euryhaline à la partie oligohaline par Guy Bachelet (communication personnelle). Son inventaire recense trois à quatre fois plus d'espèces que les travaux précédemment menés il y a quinze ans [15]. Malgré cela, la diversité en Décapodes (24 taxa) et en Bivalves (32 taxa), pour ne prendre à titre de comparaison que deux groupes facilement identifiables et faisant l'objet de nombreuses publications, y est deux fois moindre que dans la zone T3 (respectivement 47 et 60 taxa) de l'estuaire de Seine. Dans l'estuaire de la Loire, le GIP Loire estuaire dispose d'une base de données ne faisant état que de campagnes récentes [15], dans laquelle seuls 30 taxa sont mentionnés. Les données accumulées dans CISA montrent donc que l'estuaire de Seine présente, en l'état des connaissances actuelles, une diversité beaucoup plus forte que celle de l'estuaire de la Gironde ou de celui de la Loire, et même que celle de l'estuaire anglais de la Severn [16]. Cet état de fait ne doit pas conduire à penser que notre environnement, et l'estuaire de Seine en particulier, serait en meilleur santé qu'on ne le pense. En effet, parmi les taxa recensés pour lesquels des informations de fréquence ou d'abondance relatives ont pu être collectées au début du XXe et au début du XXIe siècles, 70% d'entre eux ont vu leur fréquence régresser et 85% leur abondance diminuer dans la partie orientale de la baie et dans l'estuaire de Seine. Les inventaires se doivent aujourd'hui de ne plus être que de simples listes. Ils doivent apporter des informations complémentaires permettant de juger de l'état des populations recensées et des informations sur la zone de récolte (type sédimentaire, bathymétrie, salinité...), afin d'aboutir à la construction d'inventaires géoréférencés.
Remerciements
Nous remercions Sylvain Cerisier du GIP Loire Estuaire, qui nous a transmis des informations complémentaires à leur base de données, Guy Bachelet, qui nous a communiqué les résultats de son inventaire des invertébrés de l'estuaire de la Gironde, ainsi que le groupement d'intérêt public Seine-Aval, qui a financé la réalisation de la base de données CISA.