1 Introduction
Les propriétés tensioactives des copolymères à blocs comportant une séquence hydrophobe et une séquence hydrophile ont été largement démontrées dans la littérature [1,2]. Ils ont, de ce fait, pu être utilisés en tant qu’émulsifiants dans la polymérisation en émulsion pour préparer des latex dits « chevelus », c’est-à-dire comportant en leur surface la séquence hydrophile du copolymère à blocs qui peut être du type anionique ou non-ionique. C’est ainsi qu’avec des copolymères à blocs polystyrène-b-poly(oxyde d’éthylène) (PS–POE) on accède à des latex stabilisés par voie stérique du fait de la présence en surface de la séquence POE, dont la masse molaire conditionne l’épaisseur de la « chevelure », tandis que la séquence hydrophobe PS est ancrée dans la particule [2–5]. Il a été montré que de tels latex peuvent présenter des propriétés intéressantes, comme la stabilité au gel/dégel et au cisaillement.
Il est par ailleurs bien connu, d’une part, que le POE peut former des complexes avec les tensioactifs anioniques du type alkylsulfate de sodium [6–12] et, d’autre part, que les POE de fortes masses molaires peuvent être utilisés en tant qu’agglomérants de latex [13]. Ces propriétés ont été mises à profit dans un procédé d’agglomération contrôlée de latex, qui consiste à mettre en contact un latex comportant une « chevelure » POE avec un autre latex, de même nature ou de nature différente, qui, quant à lui, est stabilisé par un tensioactif anionique. Par suite de la formation du complexe tensioactif anionique/POE, et du fait qu’un « latex chevelu » ayant à sa surface un grand nombre de séquences POE se comporte globalement comme un POE de forte masse molaire, on assiste à la déstabilisation du latex anionique, lequel aura tendance à s’agglomérer autour des particules de « latex chevelu ». Ce procédé a initialement été développé par Thyebault et al. pour l’agglomération contrôlée de latex de polybutadiène [14,15].
L’objectif de la présente étude est tout d’abord de confirmer que la séquence POE de copolymères à blocs PS–POE est apte à former des complexes avec des tensioactifs anioniques du type dodecylsulfate de sodium (SDS), puis de synthétiser des latex « chevelus » de polystyrène (PS) et de poly(chlorure de vinyle) (PVC) en utilisant des copolymères PS–POE de masses molaires relativement faibles. Ces latex seront mis en œuvre pour examiner en fonction de différents paramètres, l’agglomération de latex anioniques, soit de PS à titre de latex « modèle », soit de PVC, c’est-à-dire de latex ayant une Tg supérieure à la température ambiante. L’intérêt de cette étude, à finalité industrielle, est de mettre au point un procédé d’agglomération contrôlée pour préparer des dispersions de polymères thermoplastiques, notamment de PVC, dans une gamme de taille de 1 à 40 μm. Cette gamme de taille, intéressante pour des applications du type plastisols PVC, est difficilement accessible en direct par les procédés de polymérisation que ce soit en émulsion ou en suspension. L’avantage de l’agglomération contrôlée est par ailleurs de pouvoir ajuster la porosité des grains de PVC, qui est une des caractéristiques recherchées pour les applications du type dry blend.
2 Partie expérimentale
Pour la formation de complexes SDS/PS–POE, nous avons mis en œuvre le dodecylsulfate de sodium (SDS), produit Fluka, de pureté > 97%, et le copolymère à blocs PS–POE 10–30 de Goldschmidt, ayant une séquence PS de masse molaire 1000 et une séquence POE de masse molaire 3000. Les mélanges de tensioactifs sont préparés en introduisant une quantité donnée de copolymère, préalablement solubilisé dans l’eau, dans des solutions de SDS de concentrations croissantes. Les mélanges sont soumis à une agitation magnétique pendant 24 h à 20 °C, puis on détermine la tension superficielle γs et la conductivité équivalente Λ, selon des conditions opératoires décrites en détail par ailleurs [16].
Les « latex chevelus » de PS et de PVC, dits latex agglomérants, ainsi que les latex anioniques dits latex à agglomérer, ont été préparés par polymérisation radicalaire en émulsion suivant le procédé batch, en utilisant le persulfate de potassium K2S2O8 en tant qu’amorceur, et le tertiododécyle mercaptan TDM (qualité technique Fluka) comme transféreur. Le détail des techniques de synthèse et de caractérisation de tels latex a été donné par ailleurs [3,5,16]. À titre d’exemple, le latex agglomérant PVC 7 (cf. Tableau 1) a été préparé comme suit : dans un réacteur en inox à double enveloppe muni d’un agitateur du type ancre, on charge 800 g d’eau, 200 g de chlorure de vinyle monomère, 12 g de copolymère PS–POE 10–30, 1 g de persulfate de potassium et 2 g de tertio-dodecyle mercaptan comme agent de transfert. La réaction en mode batch est effectuée à 70 °C sous une agitation de 110 tr min–1 pendant 4 h. Après dégazage du milieu réactionnel pour éliminer l’excès de monomère, et filtration, on obtient ainsi un latex stable d’un extrait sec de 9,0% et dont la taille des particules Dw = 113 nm.
Caractéristiques des latex agglomérants et à agglomérer PS et PVC
Référence | Type | Taille | Extrait sec% | Taux de couverture SDS* | ||
Dw | DS | Taux de copolymère PS–POE** (%) | ||||
(nm) | ||||||
PC A6 | Agglomérant | PS | 187 | 47 | 11,7 | 6** |
PC A8 | " | PS | 114 | 30 | 12,2 | 10** |
PC A9 | " | PS | 103 | 23 | 12,3 | 12** |
PP 49 | " | PS | 136 | 17 | 11,2 | 8** |
PVC 7 | " | PVC | 113 | 30 | 9,0 | 6** |
PC AA4 | À agglomérer | PS | 76 | 9,0 | 28,7 | 33* |
PC AA5 | " | PS | 62 | 10 | 29,0 | 55* |
PC AA7 | " | PS | 102 | 21 | 26,9 | 20* |
PCAA 16 | " | PS | 71 | 47 | 29,8 | 81* |
PP 56 | " | PS | 80 | 20 | 30,3 | 55* |
PVC A | " | PVC | 115 | 30 | 37,9 | 58* |
** Pourcentage massique de copolymère exprimé par rapport au polymère PS ou PVC.
Les latex à agglomérer PS et PVC ont été obtenus par polymérisation en émulsion du type batch en utilisant le SDS comme tensioactif, c’est ainsi que le latex PVC A (cf. Tableau 1) a un extrait sec de 37,9%, un pH de 9,8 et une taille de particules de Dw = 115 nm déterminée par granulométrie laser (spectroscopie par corrélation de photons – appareil Coulter N4+). Cette valeur est en accord avec celle obtenue par sédimentométrie (appareil Joyce Loebl ou Shimadzu), soit 125 ± 10 nm.
Les caractéristiques des latex utilisés dans la suite de cette étude sont résumées dans le Tableau 1.
Les latex anioniques de PS et de PVC ont dans certains cas été purifiés par filtration tangentielle pour pouvoir ajuster leur taux de couverture en SDS. Pour le calcul du taux de couverture des latex, on admettra selon STUBBS et al [17] que la surface spécifique As occupée par une molécule de SDS à la surface du PS est de 44 Å2. Pour le PVC, une valeur de As = 30,5 Å2 a été retenue d’après des données fournies par Atofina. Les latex PS et PVC préparés en présence de copolymère à blocs PS–POE et utilisés par la suite comme latex agglomérants ont été utilisés tels quels, bien que seule une certaine fraction de copolymère soit effectivement ancrée en surface, le restant de copolymère étant, soit enterré dans la particule, soit sous forme libre dans le sérum [3,5]. Le taux de copolymère PS–POE indiqué dans le Tableau 1 est donc un taux maximum disponible pour la complexation avec le SDS.
Pour l’ensemble de ces latex de taille submicronique, on a par ailleurs déterminé par diffusion de lumière dynamique (Coulter N4), le diamètre moyen Dw et la déviation standard DS correspondante.
L’étape d’agglomération proprement dite consiste à ajouter, sous agitation magnétique à 20 °C, des proportions variables de latex agglomérant au latex à agglomérer. Le pH, qui doit être de préférence supérieur à 7, et le taux de solide sont ajustés avant agglomération par ajout d’une solution de KOH à 5% dans l’eau distillée. Sauf autre indication, l’agitation est arrêtée quelques minutes après la fin de l’addition du latex agglomérant. Le mélange est ensuite laissé au repos pendant 48 h avant de caractériser la taille des particules agglomérées, soit Dv le diamètre moyen en volume et DS la déviation standard, en utilisant la technique basée sur la diffusion et la diffraction de la lumière polarisée (granulomètre Coulter LS 130).
Les principaux facteurs à considérer pour ce type d’agglomération sont :
- • le rapport massique latex agglomérant/latex à agglomérer, défini par :
où m1 et m2 sont respectivement les masses de latex à agglomérer et de latex agglomérant, avec ES1 et ES2 les extraits secs correspondants ; - • le taux de solide du mélange, soit :
- • le rapport N1/N2, qui est représentatif du nombre de particules à agglomérer N1, de diamètre D1 pour une particule agglomérante N2 de diamètre D2, soit :
- • N1* le nombre de particules à agglomérer nécessaires pour former une monocouche autour de la particule agglomérante, soit :
- • le rapport molaire SDS/OE, qui est une estimation du nombre de molécules de SDS par unité monomère oxyde d’éthylène du copolymère, en admettant que tout le POE du copolymère utilisé dans la synthèse du latex soit disponible pour former un complexe avec le SDS.
3 Résultats
3.1 Interaction entre le POE et le SDS
La formation de complexe entre un tensioactif ionique et un polymère hydrosoluble a été étudiée de façon détaillée pour le système POE/SDS, en mettant en œuvre des techniques telles que la viscosimétrie, la tensiométrie ou la conductimétrie [7–11,18,19]. Ces auteurs, notamment Schwuger [19] et Cabane [8], ont montré que le POE homopolymère peut fixer de l’ordre de 0,5 à 1,3 molécules de SDS par unité d’oxyde d’éthylène, suivant la masse molaire du POE. Le même type de complexe peut se former entre le SDS et des copolymères à blocs à base de POE, comme démontré par Almgren et al. [6] et par Hecht et al. [10] dans le cas de Pluronics, c’est-à-dire de copolymères d’oxyde d’éthylène et d’oxyde de propylène.
Les copolymères PS–POE ont, en revanche, été moins étudiés dans la littérature, si ce n’est par Nakamura et al. [12], qui a montré par RMN l’interaction du SDS, non seulement avec la séquence POE, mais également avec la séquence hydrophobe PS. Cette étude a été complétée plus récemment par Bahadur et al. [7] par tensiométrie et conductimétrie, en montrant, pour des copolymères triblocs POE–PS–POE que le nombre de molécules de tensioactif anionique fixées par unité OE s’échelonne de 0,07 à 0,3 suivant les caractéristiques des copolymères.
En mettant en œuvre les techniques décrites par Bahadur, nous avons pu déterminer qu’un copolymère PS–POE 1000–3000, utilisé dans la suite de l’étude et ayant une CMC de 50 ± 10 mg l–1 [16,20], peut fixer 1,4 ± 0,2 molécules de SDS par unité OE, cette valeur étant de 2,3 ± 0,3 pour un copolymère PS–POE 1000–5000.
De façon similaire, pour un latex « chevelu » de polystyrène préparé en présence de copolymère à blocs PS–POE 1000–3000 (échantillon PCA 6, cf. Tableau 1), le complexe SDS/POE formé en surface des particules de latex correspond à une teneur de 0,7 ± 0,2 molécules de SDS par unité OE. Cette diminution du taux de SDS complexé par rapport à un système micellaire de copolymère peut être due à une moindre accessibilité du POE et/ou à un piégeage partiel du copolymère au sein de la particule de latex, comme mis en évidence par Mura et al [3].
3.2 Agglomération d’un latex anionique PS par un latex agglomérant PS
Dans une étude préliminaire, nous avons tout d’abord montré que ni un POE homopolymère de faible masse molaire (Mn < 10 000), ni un copolymère PS–POE 1000–3000, ajouté sous forme micellaire, ne provoquent l’agglomération d’un latex anionique de PS ou PVC, quel que soit leur taux de couverture par du SDS. Une agglomération partielle, soit de l’ordre de 20–30%, avec formation de particules de taille supérieure à 1 μm, peut être obtenue avec un POE homopolymère de Mn = 100 000 ajouté sous forme d’une solution au latex PC AA 4, préalablement purifié par filtration tangentielle, l’extrait sec total étant de 7,3% et le rapport masse POE/masse de latex sec de 0,12.
En utilisant un latex « chevelu », synthétisé en présence de copolymère PS–POE 1000–3000, on assiste, en revanche, à une agglomération très marquée en ajoutant ce latex à un latex anionique de PS ou de PVC stabilisés par du SDS. Un exemple typique d’une telle agglomération en fonction de R, c’est-à-dire avec des concentrations croissantes de latex « chevelu », est donné dans le Tableau 2.
Agglomération d’un latex anionique PS par un latex « chevelu » PS. Influence du rapport R
R | Analyse granulométrique | N1/N2 | SDS/OE | ||||
population < 1 μm | population > 1 μm | ||||||
Dv (μm) | (%) | Dv (μm) | DS | (%) | |||
0,1 | 0,5 | 40 | 8,1 | 3,5 | 60 | 46 | 1,5 |
0,2 | / | 0 | 11,9 | 5,8 | 100 | 23 | 0,75 |
0,3 | / | 0 | 14,8 | 7,5 | 100 | 15 | 0,4 |
0,4 | / | 0 | 26,2 | 9,2 | 100 | 12 | 0,25 |
0,5 | 0,5 | 15 | 9,0 | 4,7 | 85 | 9,2 | 0,2 |
0,6 | 0,4 | 13 | 7,9 | 3,8 | 87 | 7,5 | 0,15 |
On peut ainsi noter qu’en fonction de R, la taille de l’agglomérat passe par un maximum et que l’efficacité d’agglomération est maximale, avec formation d’une distribution monomodale, pour des valeurs de R comprises entre 0,2 et 0,4. C’est dans cet intervalle que le rapport SDS/OE, qui traduit la complexation du tensioactif anionique par le POE, atteint des valeurs qui sont comparables à celles déterminées par tensiométrie pour des latex « chevelus ».
Pour R ≤ 0,1 il subsiste en plus des particules agglomérées une population de taille inférieure au micromètre, correspondant à des particules faiblement agglomérées en présence d’un excès de latex à agglomérer initial. Cette population de Dv moyen 0,5 μm présente en effet une déviation standard importante, soit 0,33 μm.
Pour R ≥ 0,5, on peut assister, suivant les conditions opératoires, à l’apparition d’une nouvelle population de faible taille, attribuable à des particules faiblement agglomérées en présence d’un excès de latex agglomérant. Compte tenu des diamètres respectifs des latex mis en œuvre, on peut calculer le rapport N1/N2, qui permet d’estimer le nombre de particules à agglomérer pour une particule agglomérante.
Par ailleurs, à partir de R et des diamètres moyens des particules, on peut accéder par un modèle géométrique simple au nombre de particules à agglomérer, soit N1*, ce qui donne lieu à la formation d’un « agglomérat primaire », constitué d’une monocouche autour d’une particule de latex agglomérant. Pour le système considéré, on a N1* = 11, qui est donc du même ordre de grandeur que le rapport N1/N2, à partir duquel la distribution de latex aggloméré devient monomodale. Il est cependant évident que, vu la taille finale de l’agglomérat, d’une dizaine de micromètres, ce dernier est formé par un très grand nombre d’« agglomérats primaires ». Un exemple typique d’un tel agglomérat est donné sur la Fig. 1 .
Ce n’est qu’aux valeurs très élevées de R, soit de 2 à 3, qu’il devient possible d’isoler les « agglomérats primaires » comportant une particule centrale de « latex chevelu », entourée de quelques particules de latex à agglomérer. Cette situation est illustrée, à deux grossissements différents, par la Fig. 2 .
L’influence du taux de couverture en tensioactif anionique du latex à agglomérer sur les caractéristiques d’agglomération a été examinée à R constant, soit 0,3. L’ensemble des données expérimentales est rassemblé dans le Tableau 3, où on note effectivement que la taille des agglomérats et le pourcentage de population de taille supérieure au micromètre diminuent avec des taux de couverture croissants et donc des rapports SDS/OE croissants.
Agglomération d’un latex anionique PS par un latex « chevelu » PS. Influence du taux de couverture en SDS à R constant, soit 0,3
Latex à agglomérer | Analyse granulométrique du latex aggloméré | N1/N2 | N1* | SDS/OE | ||||||
Réf. | Dw (nm) | TC (%) | population < 1 μm | population > 1 μm | ||||||
Dv (μm) | (%) | Dv (μm) | DS | (%) | ||||||
PC AA7 | 102 | 20 | — | 0 | 18,4 | 15 | 100 | 4,7 | 5 | 0,1 |
PC AA4 | 76 | 33 | — | 0 | 12,7 | 6,1 | 100 | 11 | 9 | 0,2 |
PC AA5 | 62 | 55 | 0,3 | 14 | 8,6 | 4,3 | 86 | 20 | 14 | 0,5 |
PC AA16 | 71 | 81 | 0,3 | 69 | 8,0 | 6,3 | 31 | 14 | 10 | 0,6 |
3.3 Agglomération d’un latex anionique PVC par un latex agglomérant PVC
Ce procédé d’agglomération a été étendu au système PVC/PVC, qui consiste donc à agglomérer un latex de PVC anionique par un latex PVC « chevelu ». Le Tableau 4 récapitule les résultats ainsi obtenus à des valeurs croissantes de R, en faisant remarquer que l’augmentation de R s’accompagne d’une diminution du taux de solide final (TS), étant donné que le latex à agglomérer industriel d’extrait sec 37,9% est dilué au fur et à mesure par ajout du latex agglomérant. On note, comme précédemment pour le système PS/PS, qu’une population quasi monomodale, de taille supérieure au micromètre, est obtenue pour un rapport SDS/OE inférieur à 1 et pour un rapport N1/N2 inférieur à 10, sachant que la valeur critique N1*, correspondant à un « agglomérant primaire » formé d’une monocouche de particules à agglomérer autour d’une particule de latex agglomérant, est de 4 pour ce système.
Agglomération d’un latex anionique PVC par un latex chevelu « PVC ». Influence du rapport R
R | TS (%) | Analyse granulométrique | N1/N2 | SDS/OE | |||
Population < 1 μm (%) | Population > 1 μm | ||||||
Dv | DS | % | |||||
0,01 | 37 | 62 | 16,4 | 9,4 | 38 | 100 | 10 |
0,1 | 29 | 21 | 10,2 | 7,3 | 79 | 10 | 1 |
0,3 | 22 | 0 | 9,4 | 7,0 | 100 | 3,3 | 0,3 |
1,0 | 15 | 8 | 8,5 | 6,1 | 92 | 1 | 0,1 |
4 Discussion
Ces résultats mettent donc en évidence le fait qu’un latex comportant une « chevelure » POE est apte à agglomérer un latex stabilisé par un tensioactif anionique du type SDS, à la suite de la formation d’un complexe entre ce dernier et les séquences POE du copolymère à blocs PS–POE formant la « chevelure » du latex agglomérant. Étant donné que le copolymère PS–POE 1000–3000 utilisé dans la synthèse de tels latex n’a par lui-même aucune action agglomérante à l’état micellaire, il s’ensuit que l’effet agglomérant d’un latex « chevelu » est dû pour l’essentiel aux séquences POE « ancrées » en surface et non à celles simplement adsorbées, voire à celles éventuellement présentes en solution. Comme montré par Peter [16], ce comportement est spécifique aux copolymères à base de POE de faibles masses molaires (Mn < 10 000), sachant que ceux de masses molaires nettement plus élevées peuvent être par eux-mêmes des agglomérants.
Bien qu’au stade actuel de l’étude, il soit difficile de donner une analyse quantitative de l’ensemble des phénomènes intervenant dans ce type d’agglomération, il a néanmoins été possible de cerner l’influence des principaux paramètres qui régissent ce procédé, à savoir :
- • le rapport N1/N2, qui correspond au nombre de particules à agglomérer par particule agglomérante et qui est donc fonction des tailles respectives des deux latex en présence et du rapport R (R = masse de latex agglomérant/masse de latex à agglomérer avec les masses respectives à l’état sec) ;
- • la valeur de N1*, qui est le nombre de particules de latex à agglomérer pouvant former une monocouche autour de la particule agglomérante ;
- • le rapport SDS/OE, c’est-à-dire le rapport molaire SDS par unité monomère oxyde d’éthylène, qui est représentatif de l’effet complexant POE/SDS, sachant que ce rapport est lui-même fonction de R, du taux de couverture en SDS du latex anionique et du taux de POE du latex « chevelu » agglomérant.
Pour l’agglomération des systèmes PS/PS et PVC/PVC que nous avons étudiés, il s’ensuit qu’une distribution monomodale de taille moyenne, comprise entre 1 et 40 μm, peut être obtenue avec une efficacité de 100%, d’une part si N1/N2 est inférieur ou du même ordre de grandeur que N1*, et si d’autre part le rapport SDS/OE reste globalement inférieur à 1 et de préférence inférieur à 0,5. Cette dernière condition est cependant plus difficile à cerner du point de vue quantitatif, puisqu’elle nécessite de connaître de façon précise les proportions de tensioactifs, aussi bien de SDS que de copolymère PS–POE, effectivement impliquées dans la formation du complexe.
En ce qui concerne le mécanisme d’agglomération qui met en jeu la formation d’un complexe SDS/POE, on peut admettre que, dans une première étape, il se forme un « agglomérat primaire », constitué d’une quasi-monocouche de particules de latex à agglomérer autour d’une particule de latex agglomérante, comme le témoignent les structures observées aux faibles valeurs du rapport N1/N2 par rapport à N1*. Ainsi, les particules de latex anionique, couvertes de SDS, pourraient s’adsorber directement sur les latex « chevelus » avec formation de complexe SDS/POE. En effet, l’énergie libre d’adsorption des molécules de SDS sur la surface hydrophobe de PS ou de PVC étant élevée, en tout cas supérieure à 10 k T par molécule, il paraît a priori peu vraisemblable que ces molécules soient désorbées, sous forme de molécules isolées, pour ensuite conduire au complexe SDS/POE à la surface du latex « chevelu ». Il en est de même pour une désorption du SDS en tant que micelles, ce qui reviendrait à mettre directement en contact avec l’eau la surface hydrophobe du latex. Par ailleurs, comme l’énergie d’adsorption du SDS micellisé sur une chaîne de POE est faible, soit de l’ordre de 0,3 k T, ainsi que l’a montré Cabane [8], il semble enfin peu probable que le transfert de SDS soit assuré par du copolymère PS–POE en solution. Si le taux de couverture en tensioactif, pour l’essentiel en SDS, mais éventuellement aussi en copolymère PS–POE libre, est insuffisant, ces « agglomérats primaires » peuvent s’associer entre eux pour conduire à des agglomérats de taille plus importante. La taille finale de ces agglomérats est conditionnée par une garniture suffisante de la surface, soit par du SDS, soit par des particules de latex « chevelu » en excès, pour en assurer la stabilisation stérique et/ou électrostatique.
Étant donné que l’agglomération de latex suivant ce procédé est relativement rapide, un équilibre n’est pas forcément atteint à tous les stades, notamment aux taux de solide élevés en latex où il devient difficile d’éviter des surconcentrations locales, soit en latex agglomérant, soit en latex à agglomérer, ce qui a généralement comme conséquence de conduire à un net élargissement des distributions granulométriques.
Du point de vue pratique, cependant, et par rapport à des techniques classiques d’agglomération de latex par des acides ou des électrolytes [21,22], ce procédé d’agglomération par l’intermédiaire de copolymères à blocs présente l’avantage d’être rapide et simple à mettre en œuvre pour accéder à des dispersions stables au cisaillement et au stockage [23]. Bien que les latex agglomérés puissent sédimenter avec le temps, aucune variation significative de la granulométrie n’a pu être observée après un stockage de trois mois à température ambiante. Il en est de même en soumettant les latex aux ultrasons (puissance du générateur 40 W à 20 kHz) pendant 15 min. De plus, selon les proportions respectives de latex agglomérant et à agglomérer, qui peuvent être de même nature ou de natures différentes, il devient possible d’accéder, soit à des structures du type cœur–couronne, soit à des agglomérats de taille ajustable entre 1 et 40 μm, avec des distributions mono- ou bimodales.
Par ailleurs, suivant la Tg des latex mis en œuvre, on peut avoir, soit coalescence des particules élémentaires pour ceux de Tg faible, comme l’ont démontré Thyebault et al. [14,15] dans le cas de latex polybutadiène, soit formation d’agrégats poreux, comme c’est le cas des systèmes PS/PS et PVC/PVC de la présente étude. Cette porosité peut être mise à profit dans la préparation de dry-blends PVC ou pour la préparation de plastisols PVC. Dans ce dernier cas, la porosité des particules doit être comblée par une opération de « cimentage », qui consiste à adsorber du monomère, par exemple du chlorure de vinyle monomère, dans ladite porosité et à y déclencher in situ la polymérisation [16].
Remerciements
Ce travail a pu être réalisé grâce au soutien financier de la Société Atofina. Les auteurs tiennent à remercier MM. F. Érard, P. Noguez, C. Bonardi et P. Espiard pour l’intérêt qu’ils ont témoigné pour ce projet. Ils remercient également les referees pour leurs suggestions très constructives.