1. Première partie : des années d’études jusqu’au ministère de l’Intérieur du Consulat
Dans la préface qu’il donne à la biographie de Chaptal par Jean Pigeire, Gabriel Hanotaux parle de « loyale réparation historique » envers « un grand savant, un grand politique, un grand administrateur, un grand serviteur de la France et de l’humanité, mais qui n’occupa pas, dans nos annales, la place qui devrait être la sienne » [1]. Cet effacement, Hanotaux l’impute à l’indépendance de Chaptal qui n’aurait pas fait école. En réalité Chaptal a laissé de multiples et nombreuses traces.
Parmi d’autres causes de la rareté des études sur Chaptal, j’invoquerais, malgré une activité déployée à l’échelle nationale, qu’il fut un provincial attaché à Montpellier puis à la Touraine, « fils de paysan, paysan lui-même — ainsi qu’il le proclame […] — médecin, agriculteur, industriel, professeur, inventeur […] homme complet ». Sa complétude même empêche de le définir par une image simple vite mémorisée. Enfin, le conseiller d’État et ministre Chaptal se révèle surtout en tant qu’organisateur de la société civile et c’est dans une période, le Consulat et l’Empire [2], dont l’histoire générale est dominée par une autre activité, militaire et politique.
Les chimistes célèbrent l’anniversaire de la publication de sa dernière grande synthèse, il y a deux cents ans, Chimie appliquée à l’agriculture en deux tomes1 . Une deuxième édition augmentée est parue en 1829.
La chimie agricole doit à Chaptal des principes pour améliorer les vins et les premiers essais pratiques en France d’extraction du sucre de betterave [3, p. 106–110], [4]. On peut ajouter son intérêt pour les fibres textiles, chanvre, coton et laine, qui sont des produits de l’agriculture, ainsi que pour les teintures végétales qui leur sont appliquées. Les terres, enfin, sont la première matière de l’activité agricole.
De ses travaux sur le vin, on retient la « chaptalisation », qui bien que légale et réglementée, est assimilée souvent par les non-spécialistes à un délit. La chaptalisation consiste à augmenter le degré d’alcool du vin et à améliorer sa conservation en ajoutant du sucre exogène au moût de raisin.
Enfin beaucoup de travaux de Chaptal antérieurs à la Révolution sont consignés dans les Mémoires de la Société Royale des Sciences de Montpellier, d’accès difficile.
Jean-Antoine Chaptal appartient à la même génération qu’un autre savant chimiste provincial, Joseph Louis Proust (1754–1826), lui aussi injustement oublié [5].
Nous faisons commencer cette génération, dite des Idéologues, à Lavoisier (1743–1794) et la faisons se terminer avant Gay-Lussac (1778–1850) ; au premier, sont associés Berthollet (1748–1822), Thouin (1747–1824), Scheele (1742–1786), Laplace (1749–1827), Guyton de Morveau (1737–1816), Klaproth (1743–1817), Monge (1746–1818), etc. ; avec Chaptal, Volney (1757–1820), Carnot (1753–1823), Jean-Baptiste Meusnier de La Place (1754–1793), Fourcroy (1755–1809), Vauquelin (1763–1829), Nicolas-Jacques Conté (1755–1805), Cabanis (1758–1808), Bosc (1759–1828) ; après eux et avec Gay-Lussac, viendront Humphry Davy (1778–1829), Thenard (1777–1857), Berzelius (1779–1848).
La génération de Chaptal pratiquait la chimie avant de se rallier aux idées de Lavoisier. Comme l’a souligné Hélène Metzger [6], cette science n’est pas née avec le grand chimiste de Paris.
Jusqu’à la parution des Annales de chimie ou Recueil de Mémoires concernant la chimie et les arts qui en dépendent2 par Guyton de Morveau, Lavoisier, Monge, Berthollet, Fourcroy, de Dietrich, Hassenfratz et Adet, périodique approuvé et autorisé par l’Académie le 3 avril 1789 [7, 8], les chimistes ont échangé des informations (publications, débats, annonces de cours publics et privés, concours, mémoires des académies de province et étrangères) par la voix du Journal de Médecine, Chirurgie, Pharmacie, &c. [9], fondé en 1754, et par les Observations et Mémoires sur la Physique, sur l’Histoire naturelle et sur les Arts et Métiers de l’abbé Rozier à compter de 1773, dont le titre est devenu, en 1785, Journal de Physique de la Métherie et dont ce directeur n’a jamais abandonné la théorie de Stahl. La circulation des nouvelles transmises par un réseau de correspondants dispersés sur tout le royaume était rapide, témoignant que la chimie n’était pas que parisienne.
En réalité, Chaptal a traversé plusieurs courants de pensées qui se retrouvent dans son activité : encyclopédiste quand il s’attache à analyser toutes sortes de terres, cultiver toutes les espèces de vignes ou de betteraves connues, vitaliste avec Barthez, idéologue avec Cabanis, saint-simonien avec Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760–1825), mais toujours physiocrate attaché à l’agriculture et à ses productions.
Au début de ses Élémens de chymie, parus en 1790, et dans chacun de ses grands ouvrages, Chaptal exprime la conviction que « l’Agriculture fait sans doute la base du bonheur public, puisqu’elle seule fournit à tous les besoins que la nature a liés à notre existence ; mais les arts et le commerce font la gloire, l’ornement et la richesse de tout peuple policé ». Ce sont, pour lui, trois activités inséparables pour la prospérité du pays.
L’agriculture est la racine de l’arbre dont vient tout et dont les fruits portent l’industrie et la richesse de nos villes ; si on l’abandonne les fruits se dessèchent, si on la soigne convenablement, toutes les tiges se remplissent de suc et tous les fruits prospèrent.
[…] L’agriculture est la plus noble occupation de l’homme et la source la plus pure et la plus féconde de richesses et de bonheur [10].
Dans cet article, je suivrai plus particulièrement Chaptal dans son intérêt pour le végétal et la chimie agricole, en respectant autant que possible un déroulement chronologique.
1.1. Les origines
L’attachement de Chaptal à l’agriculture était une tradition de famille.
Jean-Antoine Chaptal est né à Nojaret (commune de Badaroux), en Gévaudan, dans la montagne forestière de Lozère, le 5 juin 1756, quatrième enfant d’un agriculteur exploitant aisé. Son oncle, Claude Chaptal (1699–1787), est médecin praticien à Montpellier, excellent botaniste et météorologiste de talent, l’un des trois botanistes admis, en 1735, à la Société royale des Sciences de Montpellier qu’il quitte, en 1754, pour se consacrer exclusivement à la pratique médicale.
Chaptal, le neveu, fréquente l’école tenue par le prêtre âgé de son village et trouve de nombreux livres de médecine et d’histoire naturelle dans la bibliothèque familiale. En 1766 il est placé à Mende dans la famille d’un abbé qui lui enseigne la grammaire, l’histoire et le latin et le fait admettre en cinquième aux cours du collège des Pères de la Doctrine chrétienne jusqu’en classe de rhétorique. Grâce à son oncle, ami et praticien de l’évêque, M. de Cicé, Jean-Antoine poursuit sa formation pendant deux ans en philosophie au collège de Rodez. Il y soutient ses Thèses générales. Avec quelques notions d’algèbre, de grammaire et de géographie, et une parfaite maîtrise du latin, il dit n’en avoir retenu qu’une « déplorable passion pour l’ergoterie », en réalité un entraînement méthodique à convaincre un auditoire nombreux au cours de « disputes » mensuelles ouvertes au public. Attaché à sa famille, à ses amis d’enfance, aux habitants, il retourne toujours en vacances à Nojaret.
En 1774 vient l’heure des études médicales à Montpellier [11]. Accueilli sans chaleur mais bien introduit par son oncle, Jean-Antoine Chaptal découvre les cours savants de Barthez (1734–1806) qui professe le vitalisme [12] et publie son œuvre principale, Nouveaux éléments de la science de l’homme, en 1778. Chaptal se verrait bien adjoint de Laborie, démonstrateur de Barthez pour l’anatomie [13]. Il est l’élève de Venel (1723–1775), qui disparaît l’année suivante ; bien que chimiste, Venel, collaborateur de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, enseigne l’hygiène [14, 15]. Chaptal fréquente Gouan et Le Roy, au Ludovicée, nouveau nom de l’Université en l’honneur de Louis XV. Comme la botanique, la chimie, qui n’est pas une matière de concours pour une chaire, est confiée à un démonstrateur. Elle est « réduite à quelques pages de Macquer » lues par Gaspard-Jean René (1734–1807). Admis dans les hôpitaux grâce à son oncle, Chaptal acquiert une expérience clinique. Au laboratoire de Charles Le Roy (1726–1779) il s’essaye à l’analyse des eaux minérales, sujet d’actualité [9]. Antoine Gouan [16], auteur d’une flore des plantes régionales classées selon Linné, avait succédé à Claude Chaptal en 1766 comme démonstrateur de botanique [17] ; il ouvre au neveu de son prédécesseur le Jardin des Plantes de Montpellier. Chaptal s’intéresse aux travaux de Gouan, aux applications du système linnéen à l’agriculture et aux questions d’économie, il lit Buffon.
Il soutient une volumineuse thèse de bachelier en médecine, le 5 novembre 1776, intitulée Différences que l’on observe parmi les hommes considérés dans le physique et le moral. Après son stage pratique, il est reçu docteur en médecine le 1er mai 1777 et admis à la Société royale des Sciences de Montpellier le 24 avril 1777 en qualité d’adjoint anatomiste. Dans son discours d’ouverture de la séance publique de la Société, le 30 décembre 1777, le directeur fait l’éloge des sciences « qui ont droit à l’estime et à la reconnoissance des hommes » mais aussi, « on ne peut le dissimuler, Messieurs ; les sciences considérées sous ce point de vue, peuvent être comparées au premier des Arts utiles, à l’Agriculture » [18]. À la Société royale des sciences, Chaptal entend Antoine Mourgue, agronome et statisticien [19], l’apothicaire Montet [20], et J.-S. Pouget [21, 22], avec lequel il parcourt le pays à la recherche de nouveaux minéraux et de plantes propres à donner de la soude.
« En fondant cette Société sous sa protection », en février 1706, le Roi « voulut qu’elle fût unie avec l’Académie Royale des Sciences de Paris […]. Il voulut même […] que dans chaque Volume des Mémoires que l’Académie Royale des Sciences de Paris feroit imprimer, il y fût compris au moins un Mémoire fourni par la Société Royale des Sciences de Montpellier » [23].
En 1787 Chaptal devient adjoint dans la classe de chimie, puis membre associé dans celle des mathématiques. En 1780 la Société publie dans ses Mémoires un rapport de Chaptal « sur un essai de plantation de coton fait à Montpellier par M. Joannis Althen, arménien ».
Ces années d’études à Montpellier sont marquées par la fréquentation de Philippe Pinel (1745–1826) [24], docteur en médecine de Toulouse, qui l’encourage à cultiver les mathématiques, à recentrer ses lectures sur trois auteurs, Hippocrate, Plutarque et Montaigne, philosophe sceptique, qui a corrigé son goût trop vif pour le débat théorique et l’hypothèse, et l’a réorienté en priorité sur l’observation.
1.2. Des études complémentaires et des relations à Paris
Contre le désir de son oncle, Chaptal envisage alors de poursuivre des études à Paris. C’est Jean-Jacques-Régis Cambacérès (1753–1824), Conseiller à la Cour des comptes de Montpellier, qui obtient pour lui le consentement du vieux médecin et l’accompagne à Paris en septembre 1777. Chaptal (Figure 1) y retrouve l’archevêque président-né des États de Languedoc, ainsi que Philippe Laurent de Joubert (1729–1792) [25, 26], ami de sa famille, influent président de la Cour des comptes et trésorier des États, qui l’introduit et le soutiendra toujours dans sa carrière ; il participe à des « séances académiques » avec le poète montpelliérain Jean-Antoine Roucher qui l’intéresse au théâtre, Georges Cabanis (1757–1808) [27, 28, 29], familier du salon de Mme Helvétius, futur médecin auteur des Rapports du physique et du moral de l’homme et philosophe idéologue, Louis de Fontanes (1757–1821), futur grand-maître de l’Université impériale : « nous lisions nos productions à tour de rôle »; il fréquente Bucquet (1746–1780), qui enseigne à la Faculté de médecine et fait des recherches avec Lavoisier à l’Arsenal, Fourcroy [30] et Berthollet [31], médecins comme lui.
Membre de la loge maçonnique « Les Amis fidèles », avant son départ de Montpellier, il adhère à Paris à la loge des « Neuf Sœurs ». Il est présent aux réceptions triomphales de Voltaire (1694–1778) à l’Académie et à la Comédie Française, et lorsque celui-ci est introduit à la Loge le 7 avril 1778. L’apothéose maçonnique organisée pour Voltaire, après sa mort le 28 novembre, avec un poème de Roucher en clôture, a valu des ennuis pendant deux ans à Roucher et à la Loge. Chaptal rencontre probablement aussi Louis Joseph Proust, arrivé à Paris en 1774, parti en Espagne à Vergara en novembre 1778, revenu à Paris en juin 1780, et familier comme lui de Thouin, Bosc et Rouelle le Jeune [32, 33, 34, 35]. Des amitiés durables s’établissent. Chaptal suit les cours d’accouchement de Baudelocque, ceux de chimie de Bucquet3 [36], ceux de Sage [37] et ceux de Mitouard, et aux côtés de Haüy, ceux de minéralogie de Romé de l’Isle. Le Paris que sillonne Chaptal est décrit par Bruno Belhoste [38]. Dans L’Art de faire le vin (1807), Chaptal cite, de cette époque, des essais de Macquer (1718–1784) qui ne s’est jamais rallié à la nouvelle chimie de Lavoisier.
1.3. Professeur de chimie à Montpellier
Dillon (1721–1806) [39], archevêque de Narbonne, devenu président des États de Languedoc, le rappelle à Montpellier en 1780 en vue de lui confier un enseignement de chimie pour lequel il obtient des États et de la Société royale des sciences de Montpellier, dans son hôtel, un laboratoire et une salle de cours. Chaptal se prépare à donner ce cours, avec l’aide de Berthollet, et rentre à Montpellier en août.
Le 4 janvier 1781 il fait un Rapport à la Société royale des sciences sur « l’atelier de distillation d’eau-de-vie de MM. Argand frères, citoyens de Genève ». La séance inaugurale de son cours est un succès [40]. Le 5 janvier 1781 les États créent pour lui une chaire de docimasie. Il publie ses leçons appuyées sur des expériences, celles qu’il répète et celles qu’il invente, sous la forme de Mémoires de chimie dès novembre 1781, et en 1783 dans un Tableau analytique du Cours de chymie [41]. Dans ce cours il présente les tables d’affinité et la théorie des quatre éléments (eau, terre, air, feu).
Il communique à la Société royale des sciences de Montpellier des « expériences sur la décomposition de l’acide nitreux distillé sur le soufre », mais croyant avoir été devancé par Marggraf il renonce à rendre publiques ses observations sur « la décomposition de ce même acide par le phosphore ». Chaptal revient sur ce sujet dans les Observations sur la physique en 1785 :
Si l’on verse de l’acide nitreux rutilant sur du phosphore, il se produit une effervescence considérable, & quelquefois une inflammation subite […]. Le résidu de cette combustion de phosphore est une liqueur rougeâtre très-acide, un mélange d’acide phosphorique et d’un peu d’acide nitreux.
Ces expériences lui paraissent « offrir des phénomènes absolument neufs » tels que
la séparation de l’acide nitreux en trois principes bien distincts ; savoir, l’air déphlogistiqué, qui se combine avec le phosphore & constitue l’acide phosphorique, l’air nitreux qui se volatilise & passe à travers l’eau dans le récipient, & l’eau qui reste dans le flacon intermédiaire.
Les expériences sont encore une confirmation directe de la sublime théorie de M. Lavoisier sur les principes de l’acide nitreux & la composition des acides […] l’air déphlogistiqué paroît être la base de tout acide [42].
Si les expériences sont bien interprétées, la conclusion générale, avancée par Chaptal et par Lavoisier [43, 44] est inexacte.
Le 4 septembre 1783, en son nom et celui de Cusson père, Auguste Broussonet fait un rapport du Tableau analytique du Cours de chymie de Chaptal à la Société des sciences de Montpellier :
L’ordre y est exact, les matières sont traitées en assés grand détail et les sentiments des auteurs raportés avec beaucoup de soins. Un des principaux avantages que le travail de Mr Chaptal a sur celui de la pluspart des chimistes, c’est qu’il a combiné la partie de l’histoire naturelle avec la partie chimique. […] L’auteur d’après ses propres expériences et l’autorité des premiers chimistes de notre siècle regarde l’acide méphitique (notre dioxyde de carbone) comme un composé d’air déphlogistiqué [actuel dioxygène] et de phlogistique qui n’est autre que l’air inflammable [actuel dihydrogène] [45].
Bien que dans ses Souvenirs sur Napoléon [46, p. 28], écrits bien des années plus tard, Chaptal dise avoir banni le phlogistique de son cours dès la deuxième année, le commentaire de Broussonet n’est pas convaincant. Le cours de Chaptal fait d’expérimentation n’a pas besoin d’interprétation théorique.
Cambacérès, mandaté par l’oncle médecin, Claude Chaptal, négocie le mariage de Jean-Antoine Chaptal avec le père d’Anne-Marie-Rose Lajard (6 février 1761–9 juin 1845). Célébré le 11 septembre 1781, ce mariage richement doté introduit Chaptal dans le monde du grand commerce, de la finance et du textile languedociens. Le couple a eu 5 enfants, un seul garçon survivra, Jean-Baptiste Chaptal de Chanteloup (né le 15 septembre 1782 à Montpellier, décédé le 26 avril 1833 à Mexico) ainsi que deux filles, Victoire, épouse (1803) Just de la Tourette, fils du préfet du Tarn, et Virginie, épouse (1818) Joseph de Laage, inspecteur des douanes à Cherbourg. Un second fils, Auguste, est mort en 1795 et une fille, Églé, à Paris le 24 janvier 1803.
1.4. La Société royale des sciences de Montpellier
Outre des travaux de recherche médicale exposés à la Société royale des sciences de Montpellier, Chaptal présente des mémoires et rapports sur ses recherches manufacturières, qu’il adresse aussi à l’Académie des sciences de Paris, à la Société d’agriculture de Paris et au Journal de Physique.
Lors de l’Assemblée publique de la Société royale des sciences de Montpellier du 27 décembre 1782, la Société entend l’Éloge de Charles Le Roy [47], suivi de celui de Jacques Montet (1722–1782) [48]. Apothicaire, élève de Venel, Montet avait institué un don annuel de 300 livres pour l’auteur d’un mémoire publié par la Société.
À la même séance, Chaptal présente (p. 47–51) des Observations Sur l’usage de la Lave dans la fabrication des bouteilles [49].
Le 10 décembre 1783, tandis qu’Antoine Gouan fils est tenté par l’aventure aérostatique, Chaptal présente des Observations générales Sur l’histoire naturelle des diocèses d’Alais & d’Uzès [50]. Les petites montagnes qui entourent la ville d’Alais (Alès) renferment une « prodigieuse quantité de Mines », charbon et grès, pyrites, calcaire bitumineux, sources d’eaux minérales.
Le 14 juin 1784 Chaptal est nommé inspecteur honoraire des États de Languedoc, une mission qui l’amène à découvrir les richesses minières et agricoles de sa province.
Il fait l’inventaire des ressources du Languedoc, avec Pouget de Cette il entreprend d’acclimater la barille d’Espagne, source de la soude d’Alicante chèrement importée en France, avant que le procédé LeBlanc n’ait rendu cette source inutile.
Le 23 décembre 1784, Chaptal annonce à la Société des sciences la découverte d’une Mine d’alun : « Nous devons au zèle actif & éclairé des Administrateurs de cette Province, une superbe Manufacture de couperose »; et voilà qu’on lui présente « des échantillons de la plus belle, de la plus étendue, de la plus riche Mine d’alun [qu’il] connoisse » [51].
Le 15 février 1786, Chaptal lit un Mémoire sur les terres ochreuses en général & sur le parti qu’on peut en tirer dans les Arts4 . La Société offre un Prix dont le sujet intéressera Chaptal dix ans plus tard : « Quel est le meilleur moyen d’extraire la partie colorante des drapeaux ou chiffons préparés à Galargues en Languedoc, pour en tirer le parti le plus utile pour les Arts & pour la Teinture ? » [53, p. 79]. L’appel à propositions pour ce Prix est modifié en 1787 (p. 133) et rappelé le 12 janvier 1788.
Le 9 janvier 1787 l’exploitation des terres ocreuses locales a vivement intéressé les États de Languedoc [54]. Chaptal présente sur le sujet des Observations développées, suivies du Procès-verbal des expériences faites au port de Sette par MM. les commissaires des États de Languedoc, pour les essais comparatifs [55].
En 1787 la Société royale des sciences de Montpellier envoie un mémoire de Chaptal à l’Académie royale des sciences Sur quelques propriétés de l’acide muriatique oxigéné, pour être imprimé en 1787 dans ses Mémoires. Le rapport de Lavoisier et Berthollet sur ce travail est publié dans les Annales de chimie [56, p. 484–486], [57]. Chaptal s’est servi de chlore (« acide muriatique oxigéné ») pour blanchir le papier de chiffon et réparer des estampes et livres dégradés grâce à une simple immersion et un séjour plus ou moins long, feuille à feuille, dans une solution aqueuse de chlore.
La même année (1787), Loménie de Brienne obtient des États de Languedoc, pour Chaptal, la création d’une seconde chaire de docimasie à Toulouse et la décoration de l’ordre de Saint-Michel fondé en 1469 par Louis XI.
Le 12 mai 1788, à leur demande, Louis XVI octroie à Chaptal et à ses descendants des titres de noblesse pour 200 ans.
Le 12 janvier 1788, Chaptal expose de nouvelles Observations sur la distillation des vins dans la province du Languedoc et des Observations sur la manière de former l’alun [58]. Les dernières sont envoyées à l’Académie des sciences qui demande un Rapport à Berthollet et de Dietrich : « L’Académie nous a chargés de lui rendre compte d’un mémoire qui lui a été envoyé par l’académie de Montpellier, & qui a pour titre, Observations sur la manière de former de l’alun par la combinaison directe de ses principes constituans, par M. Chaptal » [59].
Des Observations [de Chaptal] sur lescaves et le fromage de Roquefort, présentées à la Société des sciences de Montpellier en 1789, paraissent dans les Annales de chimie en 17905 :
On doit à Marcorelle un mémoire assez étendu sur le fromage de Roquefort ; mais comme j’ai été dans le cas de visiter ces caves, de suivre les diverses préparations du fromage, de vérifier quelques erreurs dans lesquelles ce naturaliste est tombé, d’observer des phénomènes nouveaux & très-intéressans, j’ai cru ce sujet neuf & digne d’être offert au public [62].
Dans le même volume des Annales de chimie (t. IV, 1790), se trouve une lettre de Chaptal à Berthollet dans laquelle il dit comment il a préparé de l’oxygène pour le faire respirer par des malades atteints de phtisie [63].
L’Académie royale des sciences publie en 1788, dans ses Mémoires, datées de l’année 1786, des Observations Sur l’Acide carbonique fourni par la fermentation des raisins & sur l’Acide acéteux qui résulte de sa combinaison avec l’eau, présentée par Chaptal à la Société Royale des sciences de Montpellier [64]. L’auteur décrit des expériences faites en 1782–1783. Chaptal a envoyé le projet de ce mémoire à Lavoisier le 31 janvier 1787 [65, p. 3 et 35]. Le nom d’acide du charbon attribué au dioxyde de carbone (appelé aussi air fixe ou acide crayeux) est dû à Lavoisier. Chaptal lui demande son approbation pour faire imprimer ces Observations dans le prochain volume de l’Académie des sciences en tant que contribution de la Société des sciences de Montpellier.
Lavoisier ne répondra que le 28 avril. Il conteste la conversion de l’air fixe en acide du vinaigre et invite Chaptal à rechercher « quel est le principe qui avec l’air fixe forme le vinaigre », il suggère que l’air des caves en fermentation « tenoit probablement de l’esprit de vin en dissolution ».
1.5. Une manufacture de produits chimiques à La Paille
Le 24 novembre 1782, Chaptal a acquis à La Paille un grand terrain sur lequel il implante une fabrique de produits chimiques et pharmaceutiques. Pendant l’hiver 1784 il dit éprouver « cette terrible épreuve du travail en grand » [66]. Le préparateur de son cours, Etienne Bérard, prend la tête des ateliers comme associé. La mine d’alun récemment découverte est aussitôt mise en exploitation. La fabrique est bientôt en mesure de remplacer l’ocre importé de Leyde et les pouzzolanes d’Italie par des produits locaux.
À l’époque de Chaptal on entend par industrie toute activité productrice de richesses, agricole ou manufacturière, dans son ouvrage De l’industrie française (1819) la seconde partie s’intitule De l’industrie agricole, la troisième De l’industrie manufacturière. L’exploitant d’une industrie manufacturière est un fabricant, un artiste ou un manufacturier (on ne dit pas encore industriel). On désigne le local d’exploitation comme laboratoire, usine, atelier, manufacture ou fabrique. Les arts sont le pendant de l’agriculture.
En 1786,
Les États du Languedoc, dans l’article 9 du cahier qu’ils ont présenté au Roi, font connaître toute l’importance dont est, pour les manufactures du royaume, la fabrique de l’huile de vitriol et des acides minéraux ; ils rendent compte des efforts faits par M. Chaptal, professeur de chimie des États, pour établir une fabrique de ce genre aux environs de Montpellier, et ils représentent que les effets de son zèle sont arrêtés par le haut prix auquel le droit exclusif que le Roi fait exercer pour son compte maintient le salpêtre en France, et par l’impossibilité dans laquelle ce haut prix le met de soutenir la concurrence de l’étranger, notamment les distillateurs d’eau-forte du Comtat d’Avignon [67].
Un tarif des principaux articles produits par la fabrique figure dans la référence [65, p. 33].
Nous avons pu consulter une autre source privée, manuscrite et inédite. L’auteur, pharmacien de la marine, décrit les remèdes emportés dans les coffres du bateau et, à la suite, sur le même registre, une note, datée de 1786, sur les fabriques « D’acides Et Sels minéraux Établies à Montpellier »:
Monsieur Chaptal, professeur de chimie des états généraux du Languedoc, inspecteur honoraire des mines, membre de plusieurs académies, &c… vient de former une manufacture dans laquelle il a réuni tous les objets dépendants de la chimie. Cet établissemens encouragé par les états, dirigé par des personnes instruites, doit former une des bases de notre Commerce. L’intelligence et la probité président à la fabrication de tous les objets. Et cette manufacture présente deux avantages bien précieux ; Celuy de réunir dans la même fabrique, presque tous les objets de première nécessité pour les arts et la médecine, Et Celuy de garantir la bonté Et la fidélité de tous les produits qui en sortent.
on fabrique dans la meme manufacture, tous les produits chimiques, Employés dans les arts Et la médecine : on y tient des Recipiens, des Cornües en verre, ou en grés, lutées ou non lutées, &c…
Et l’on satisfaira à toutes les demandes, a des justes prix, Et proportionés à la modicité de Ceux Enonçés ci-dessus.
Mr Chaptal a encore ajouté à Ces etablissemens un attelier de poterie, où l’on ne fabrique que des vases propres pour les opérations de chimie, la fonte des métaux &c… tels que les fourneaux de toute espèce Et des Creusets assortis ; il a trouvé dans la province des materiaux qui rendent ces poteries bien Supérieures à Celles de hollande Et d’allemagne.
On S’adressera pour tous ces objets à M. chaptal qui présidera à la fidelité Et à L’exactitude des operations [68].
Suivent une liste de 63 produits avec leurs prix à la livre (« huille de vitriol, … Esprit de nitre dulcifié, … Sel admirable de Glaubert, … Beure d’antimoine, … pierre infernale, … huille de Corne de Cerf, … Beaume de soufre anisé… » etc.) et 52 pages de recettes de préparations pour diverses affections « regardé comme especifiques, tirés en grande partie dans la pharmacologie chirurgicale de Mr Plenck, proffesseur Royal d’anatomie et de l’art des accouchements » (teigne, « eau-de-chau », herbe aux perles ou « gremil », eau vulnéraire fuligineuse pour les cancers, « pate » pour les dents…). Plusieurs des noms communs du catalogue de La Paille ont subsisté dans le commerce jusqu’au XXe siècle.
Le 29 juin 1784 Chaptal envoie ses publications [69, p. 21 et 25] à Lavoisier : « Si vous jugés mon mémoire digne d’être connu, je vous prie de le faire passer à Mr l’abbé Mongéz. » Mongéz est d’un des directeurs du Journal de Physique, de chimie, d’histoire naturelle et des arts ou Observations sur la Physique. L’article proposé par Chaptal paraît sous le titre Observations sur la décomposition de l’acide nitreux par le phosphore [70]. Lavoisier lui répond le 18 juillet sur le seul sujet de l’acide phosphorique qu’il a publié, lui, en 1780 [71, 72]. Le grand chimiste parisien croyait à tort que le caractère acide d’un corps chimique tenait à la présence d’oxygène dans sa composition. Chaptal approuve :
« En effet, l’air déphlogistiqué paraît être la base de tout acide ».
En 1786, intéressé aux affaires de son beau-père Chaptal prend en main les opérations de teinture de ses fabriques de coton.
1.6. La Paille a besoin de salpêtre
Chaptal s’adresse à Lavoisier, Régisseur des poudres, le 4 octobre 1786, afin d’obtenir un passeport d’importation de salpêtre dont il a besoin (au moins 1000 quintaux) à La Paille pour soutenir la concurrence de fabricants d’huile de vitriol et d’eau forte d’Avignon (Comtat Venaissin). Lavoisier répond le 14 octobre négativement [73, p. 253 et 257].
Dans la séance des États de Languedoc du 2 janvier 1787, il est longuement question de ses difficultés d’approvisionnement pour sa fabrique de La Paille [74, p. 290–291]. Le 4 avril 1787, Chaptal renouvelle à Lavoisier sa demande de salpêtre, assortie d’avantages financiers, dans une longue lettre argumentée par l’exposé des suspensions de son activité dues au manque de salpêtre et par la qualité « détestable » de celui qu’il réussit à se procurer. Le 28 avril, Lavoisier est plus conciliant : « Nous ferons nos dispositions pour fournir vos besoins lorsque nous les connoitrons mais nous ne pouvons pas vous faire espérer de diminution sur le prix » [65, p. 31, 32 et 35].
Les États de Languedoc ont fait des propositions [67] dont l’analyse par la Régie des poudres, avec ses commentaires et conseils, figure dans la référence [65, p. 95–98].
Dans sa lettre à Lavoisier du 11 mars 1790, malgré l’assurance de son « plus respectueux attachement », Chaptal revient vertement sur ces conseils :
Vous empechés encore que les fabriques d’huile de vitriol ne prospèrent par la cherté et la mauvaise qualité des salpetres de vos bureaux. Vos messieurs m’observèrent dans le temps qu’il me convenoit d’employer du salpetre de la 2de cuite. Mais ils ignoroient que l’eau forte qui en provient n’est plus propre aux usages de la teinture. Enfin j’ai mieux aimé suspendre mes opérations que d’accélérer ma ruine et j’ai suspendu tous les travaux d’un établissement nécessaire à la province […]. Ce qui, comme vous voyés, n’est point agréable surtout lorsqu’on voit que l’obstacle à lever est si simple et si d’accord avec les principes sacrés du commerce et de la liberté. On écrase des François pour faire prospérer les Anglois, les Hollandois et les Avignonois. Voyla à quoi se réduit un moment de régime prohibitif. […] il est de votre sagesse de faire cesser un ordre de choses qui a entrainé la ruine de cinq à six maisons de commerce de notre ville, nuit aux intérêts du roi, et met des entraves au commerce de notre province [73, p. 117–118].
Lavoisier, avec son « inviolable attachement », trouve ses plaintes « très fondées ». « Malheureusement, le privilège exclusif de la vente du salpetre est un obstacle embarassant et l’on ne pourroit renoncer à ce privilege sans devoir renoncer en meme tems a de grands avantages qui y sont attaches » [73, p. 119].
1.7. Premiers travaux sur les vins
Le vin est l’un des plus importants produits de l’agriculture de Languedoc auquel Chaptal ne va pas cesser de s’intéresser (Figure 2). En 1788, il présente à la Société royale des sciences de Montpellier une Observation sur la décomposition de l’acide charbonneux fourni par la fermentation des raisins et sa conversion en acide acéteux publiée la même année par l’Académie des sciences [64] : « il y a trois causes nécessaires pour que la fermentation ait lieu dans les liqueurs spiritueuses : l’existence d’une matière muqueuse (ferment) et celle de l’alcool, une température de 18 à 20 degrés, la présence du gaz oxygène ». Jean Pigeire souligne [1, p. 110] l’observation que cette « muqueuse vivait aux dépens de la substance qu’elle transformait », selon lui « la biologie eût pu y découvrir, soixante-douze ans à l’avance, l’idée féconde » de Pasteur sur la nature des ferments. Pour ce travail, la Société de Montpellier décerne à Chaptal, en 1787, le don annuel institué par Montet. L’année suivante, la Société attribue à Chaptal le même don pour la mise au point d’un nouvel alambic.
Plusieurs sociétés savantes ouvrent leurs portes au professeur de chimie de Montpellier (Milan, Turin, Nîmes, Dijon…). Parmi elles se trouve la Société royale d’agriculture de la généralité de Paris [75]. Associé adjoint de la Société depuis le 2 juillet 1884, Chaptal était lié à Auguste Broussonet (1761–1807), médecin et fils de médecin montpelliérain, dont la mère était sa tante par alliance. Broussonet était secrétaire perpétuel de la Société d’agriculture depuis 1785 [76, p. 135], [77, 78].
Signalé par Louis Passy, dans le premier tome 1761–1793 de son Histoire de la Société nationale d’agriculture de France [76, p. 219], Chaptal, professeur de chimie à Montpellier, est nommé correspondant régnicole de la Société royale d’agriculture de la généralité de Paris le 6 décembre 1787. L’année suivante la Société fusionne avec le Comité d’administration d’agriculture rival (dans lequel étaient très actifs Lavoisier et Du Pont de Nemours), et, réorganisée par le règlement royal du 30 mai 1788, la nouvelle société prend le nom de Société royale d’agriculture.
Le 28 décembre 1787, Broussonet fonde la Société linnéenne de Paris avec des amis de Chaptal, Bosc d’Antic, président, et Millin, secrétaire, qui vit alors de traductions, rejoints par André Thouin, Jean-Claude Delaméthrie… Mal acceptée par l’Académie des sciences, la Société linnéenne doit s’effacer en 1789.
Par la Société royale d’agriculture de Paris, Chaptal pénétrait dans le monde des grands propriétaires terriens, économistes et politiques influents, grands administrateurs de l’État.
À La Paille, en 1788 un nouvel associé, Martin, apporte ses compétences commerciales à l’entreprise et on installe quatre chambres de plomb pour produire en continu l’acide sulfurique. Chaptal décrira ses procédés dans sa Chimie appliquée aux arts (1807).
Pour les produits de ses ateliers de La Paille, il a besoin de contenants, poteries et verreries, qui sont produits ingénieusement sur place [79].
En 1786 Condorcet publie, à Berne, la Vie de M. Turgot, l’ancien ministre physiocrate dont Chaptal est un disciple.
1.8. Les débuts d’un nouveau monde
En octobre 1789, surpris par la Révolution, Chaptal partage l’aspiration à une société plus égalitaire mais s’inquiète de la confusion et des débordements.
Il s’engage avec un « Catéchisme à l’usage des bons patriotes », stimule ses fabrications pour lutter contre les pénuries et le chômage. En janvier 1790 le Club des Amis de la Constitution et de l’Égalité est fondé à Montpellier, Chaptal participe à ses débats avec Cambacérès, Cambon, Barthez, parmi près de 500 membres. Il est élu président le 11 juin 1790. Cambon y a un rôle prépondérant [80]. Néanmoins la Constitution civile du clergé affecte sa famille et ses amis de Lozère.
La Société des sciences de Montpellier a créé un Prix, en 1786 [53, p. 79], et renouvelé son appel à contribution en 1788 [81, p. 1] pour faire « L’Éloge historique d’Olivier de Serres ». Chaptal est le rapporteur [82]6 .
1.9. Les Élémens de chymie
En fin d’année 1789 paraît le premier grand ouvrage de Chaptal, Élémens de Chymie, en trois volumes, imprimé chez Picot à Montpellier [10, 83, 84].
Les amis de Chaptal, Broussonet, Joyeuse, Dorthes et Brun, le présentent à la Société des sciences de Montpellier, le 23 décembre 1789. Leur texte figure sur 18 pages en tête de la seconde édition de l’ouvrage de Chaptal, parue chez Déterville à Paris, an III, (1794–1795).
Dans leur présentation la nouvelle nomenclature utilisée par Chaptal, qui a été publiée en 1787, n’est pas commentée.
L’ouvrage de Chaptal est divisé en cinq parties. Dans la première, il fait connoître et établit les principes de la chymie, et dans les quatre dernières, il fait successivement l’application de ces principes aux substances minérales, végétales et animales […] il indique les différences qui existent entre les substances des trois règnes, il démontre les vices des méthodes appliquées jusqu’ici à l’analyse végétale, et présente une marche et un plan plus naturels et plus méthodiques.
Il s’occupe d’abord de la structure du végétal, et il donne la description de l’écorce, du tissu ligneux, des vaisseaux et des glandes.
Il passe ensuite à l’examen des principes nutritifs du végétal […], l’eau, la terre, les gaz, la lumière, […] puis il donne […] les résultats de la nutrition dans le végétal […]. Cette partie est traitée d’une manière neuve […]. Chaptal parle ensuite des principes qui s’échappent par la transpiration du végétal […]. Après s’être occupé de tous les phénomènes et de tous les produits que nous offre le végétal vivant, l’auteur le considère dans un état de mort [tourbes, charbon de terre, combustion, rouissage, préparation des plantes employées à faire des toiles et du papier, fermentation] [85].
Sur la 5e partie de l’ouvrage de Chaptal, les rapporteurs passent très vite, ils retiennent l’utilité de la chimie pour comprendre le fonctionnement du corps et pour l’art de guérir, ils rappellent les succès manufacturiers de Chaptal (distillation des vins, pozzolanes artificielles, verrerie, fabrication de l’alun). Le public « trouvera dans cet ouvrage la clarté, la précision, la méthode et l’élégance du style que l’auteur sait porter dans ses leçons ».
Les premiers tomes des 1ère, 3e (1796) et 4e éditions (1803) commencent directement par le discours préliminaire de Chaptal.
Dans la première édition des Élémens de chymie (1790), l’auteur se félicite de faire confiance à la doctrine différente qu’il présente aujourd’hui, à laquelle il s’est vu ramené, dit-il, par la force des faits, certains « transportés » depuis les ouvrages de Lavoisier, Morveau, Berthollet, Fourcroy, mais aussi Sage, Kirwan, etc.
Il conseille au lecteur qui voudrait plus d’exemples pour tester l’efficacité de la nouvelle doctrine de se reporter aux articles de Guyton de Morveau dans l’Encyclopédie méthodique de Panckoucke, (lequel écrit, vol. 1 de 1786, p. xi : « je ne me dissimule pas qu’il y a une foule de gens qui ne cessent de crier, des faits ! des faits ! le moment n’est pas venu de s’occuper des théories »). Chaptal néanmoins renvoie le lecteur à Lavoisier, expose la nouvelle nomenclature : « On trouvera, dans le traité élémentaire de chimie de M. Lavoisier, le développement des principes sur lesquels la nouvelle nomenclature est établie », il la discute et conclut « J’adopte cette nomenclature dans mes leçons et dans mes écrits ».
Dans son Discours préliminaire, après une histoire de la chimie avant le dix-huitième siècle, il rend hommage à Rouelle pour l’intérêt que son enthousiasme a suscité pour la chimie, et à Buffon pour ses écrits qui ont répandu le goût de l’histoire naturelle.
Disciple de Barthez, dans l’introduction du tome 3 consacré aux substances végétales et animales, il justifie son choix de présenter la chimie par règne : « Le minéral, dont nous nous sommes occupés jusqu’ici, n’a aucune vie proprement dite », ce qui le distingue du végétal et de l’animal. Son plan est celui de Macquer, par exemple, qui écrit dans ses Élémens de chymie-pratique (t. 1er, p. ij) : « tous les corps qui peuvent être le sujet des opérations chymiques, étant naturellement divisés en trois classes ou règnes, le minéral, le végétal, & l’animal, il résulte aussi de-là trois divisions naturelles dans l’analyse ». Ce n’est pas le choix de Lavoisier dans son Traité élémentaire de chimie, apparenté, sur ce point, aux Élémens de chymie-théorique de Macquer en commençant par l’étude des corps simples, éléments ou principes, suivie de celle des corps composés.
Le tome 3e des Élémens de Chymie de Chaptal s’ouvre sur une 4e partie intitulée Des substances végétales [10, p. 3–264], [86, p. 1–265].
Nous commencerons par donner une idée succincte de la structure du végétal, afin de mieux connoître les rapports de son organisation avec les principes que nous en extrairons.
Nous nous occuperons, en second lieu, du développement et de l’accroissement du végétal : pour cet effet, nous ferons connoître les divers principes qui lui servent de nourriture, et nous suivrons leurs altérations dans l’économie végétale, autant qu’il nous est donné de le faire : nous examinerons en conséquence l’influence de l’air, de la terre, de la lumière, &c.
En troisième lieu, nous examinerons, les résultats du travail de l’organisation sur les substances alimentaires ; […] nous apprendrons à connoître les divers principes constituans du végétal […] nous commencerons par l’analyse des produits que nous pouvons extraire sans désorganiser la plante [mucilage, gommes, huiles, résines]. Après cela nous nous occuperons de l’analyse de quelques principes qu’on ne peut recueillir qu’en désorganisant la plante [fécule, partie glucineuse, sucres, acides, alkalis, sels neutres, colorants, soufre, &c] [10, p. 7].
Ensuite, Chaptal propose de s’occuper de substances « poussées au dehors » (« le pollen et le miel sont de ce genre »), puis des « humeurs qui s’évaporent et s’échappent par la transpiration » (oxygène, eau, arome). En dernier lieu, il propose de faire « connoître les altérations qu’éprouve le végétal mort » (action de la chaleur, de l’air, de l’eau, ensemble ou séparément). « Cette marche nous fera connoître tous les phénomènes que nous présentent les végétaux dans leurs décompositions. »
Dans la 5e partie [86, p. 266–389] Chaptal, en médecin, commence par l’homme. Le chapitre II, néanmoins, porte sur le lait de vache, chèvre et ânesse, les préparations qu’on en fait (lait fermenté de Russie), les propriétés de l’acide lactique, le sucre de lait (mémoire présenté à la Société des sciences de Montpellier en juillet 1787), les fromages, le beurre, la crème et la crème fouettée, le lait caillé, avec les travaux de Rouelle et ceux de Schéele.
J’ai vu sur la montagne du Larzac, que pour hâter la séparation des principes du lait, la laitière y plonge ses bras jusqu’au coude et les change de place de temps en temps ; la chaleur, peut-être même les principes qui se dégagent du corps, favorisent la séparation des principes. […] À Roquefort, où j’ai suivi les manipulations de l’excellent fromage qu’on y fabrique, on a la précaution de bien presser le caillé [86].
Chaptal renvoie à son article sur cette fabrication présenté à la Société d’Agriculture et imprimé dans les Annales de chimie.
Il passe au sang riche en fer, avantageux « pour aider et faciliter la teinture en rouge », à la graisse et aux travaux de Crell sur l’acide sébacique avec ceux de Morveau et Bergmann. C’est ensuite la bile étudiée par Fourcroy : « La bile est donc un savon ». Poulletier a découvert un sel dans les calculs biliaires (cholestérol).
Chaptal étudie les parties « membraneuses, tendineuses, aponévrotiques, cartilagineuses, ligamenteuses, même la peau et les cornes », qui donnent des gelées « très-communes dans nos cuisines » dont on fait des tablettes et des bouillons nutritifs et différentes sortes de colle.
Il cite ses prédécesseurs. Thouvenel a fait « des recherches intéressantes » sur les muscles des animaux. Il rapporte les travaux de Berthollet et Rouelle le jeune sur l’urine dont on « a retiré pendant long-temps le phosphore », très étudiée par de nombreux savants, Klaproth, Proust, Kunckel, Margraaf. Sur le calcul de la vessie, nous n’avons de « notions précises que depuis que Schéele et Bergmann se sont sérieusement occupés de cette matière ». « Le phosphore est une des substances les plus étonnantes qu’ait produit la chymie ».
Le chapitre X traite De quelques substances qu’on retire des animaux pour l’usage de la Médecine et des Arts, « castoreum », musc, corne de cerf, huile de Dippel, blanc de baleine, os et encre de seiche, œufs, cantharides, cochenille, kermès, « gomme lacque ». Le chapitre XI complète l’exposé par « quelques autres acides extraits du règne animal », essentiellement l’acide des fourmis ou acide formique. Chaptal termine par la décomposition du corps mort, appelée « fermentation dans les végétaux, et putréfaction pour les substances animales ».
1.10. La réception des Élémens de chymie
C’est Berthollet, médecin comme Chaptal, qui rend compte dans les Annales de chimie de la parution des Élémens de chimie.
Berthollet souligne l’originalité de l’ouvrage due à l’expérience industrielle de l’auteur :
Lorsqu’on se borne à observer la nature dans un laboratoire, il est facile de se faire illusion en éloignant de sa vue les objets qui peuvent contrarier ses idées ; mais M. Chaptal a pu voir lui-même les nombreuses applications des principes, qui sont la base de ses Élémens, aux phénomènes de la nature et des arts. L’immense établissement de produits chimiques qu’il a formé à Montpellier lui a permis de suivre le développement de cette doctrine & d’en reconnaître l’accord avec tous les faits que les diverses opérations présentent ; c’est elle seule qui l’a conduit à simplifier la plupart des procédés, à en perfectionner quelques-uns & à rectifier toutes les idées.
[…] La quatrième partie traite du règne végétal. L’auteur considère d’abord le végétal vivant, ses organes, la nutrition, la transpiration, & l’émission de gaz oxigène que la lumière en dégage, ensuite il le soumet à l’analyse dans l’état de mort ; il examine l’action qu’exercent sur lui la chaleur, l’eau, l’air, & il décrit sous ces points de vue les phénomènes que présentent la distillation, la combustion, la fermentation, la production de plusieurs acides & leurs différentes combinaisons, la formation des charbons de terre & des tourbes, la cause & les effets des volcans. […] La description soignée des procédés des arts dont plusieurs étoient ou ignorés, ou peu connus, ajoute beaucoup au mérite & à l’utilité de cet ouvrage.
[…] L’auteur examine dans un discours pourquoi les applications de la chimie à la médecine ont été infructueuses jusqu’à ce jour, & il marque la voie qu’on doit suivre pour appliquer heureusement les principes de cette science à l’art de guérir.
[…] Je ne fais qu’indiquer la marche de l’auteur ; & il est d’autant moins possible de donner une idée des détails qui forment ce vaste tableau de nos connoissances en chimie, qu’il s’est par-tout astreint à une grande précision […] beaucoup de méthode et de clarté dans les idées & dans les expressions. La physique & l’histoire naturelle y sont constamment allées avec la chimie ; ils présentent non-seulement un précis de nos connoissances, mais des observations intéressantes & des vues ingénieuses qui appartiennent à l’auteur, & dont le nombre est trop grand pour pouvoir les indiquer dans un extrait. La description soignée des procédés des arts dont plusieurs étoient ou ignorés, ou peu connus, ajoute beaucoup au mérite & à l’utilité de cet ouvrage [63].
L’ouvrage est annoncé et présenté dans le Journal de Médecine, Chirurgie, Pharmacie, &c.
[Édité à Montpellier], on le trouve aussi à Paris chez Croulebois, libraire, rue des Mathurins. La chimie n’avoit été enseignée avant ces dix à douze dernières années, avec un certain éclat, que dans la capitale, si on en excepte Dijon et Strasbourg […]. M. Chaptal a eu la gloire d’en répandre le goût dans nos provinces méridionales ; et en remplissant avec distinction une chaire publique qui fut érigée en sa faveur à Montpellier, il a eu encore l’avantage d’en faire les applications les plus utiles aux arts.
[…] M. Chaptal fait, dans son avertissement, l’aveu public qu’il a enseigné pendant quelque temps une doctrine différente (M. Chaptal parle de la doctrine de M. Sage, dont il avoit suivi les leçons à Paris).
[…] En rédigeant ces éléments de chimie, il s’est servi avec avantage de tous les faits qu’il a trouvés dans les ouvrages des célèbres chimistes qui illustrent ce siècle […].
Il a donc adopté la nouvelle nomenclature de chimie, en renvoyant d’ailleurs au traité élémentaire de chimie de M. Lavoisier […]. Un discours préliminaire écrit avec soin et avec sagesse, présente d’ailleurs un vaste tableau de l’origine et des progrès de cette science, jusqu’aux découvertes de nos chimistes modernes.
L’auteur […] a cru ne devoir pas cependant adopter la dénomination d’azote, qu’on donne à la mofette atmosphérique. […] Il a donc cru devoir lui substituer la dénomination de gaz nitrogène.
[…] Un des grands avantages de la chimie, telle que M. Chaptal nous la présente dans son ouvrage, est de rendre très-sensible ses rapports, avec tous les arts qui peuvent en dépendre, et d’ouvrir par là le champ le plus vaste à des recherches nouvelles et utiles.
[…] Le troisième volume, outre l’avantage d’offrir le résultat de presque toutes les connoissances acquises sur l’analyse des substances végétales et animales, rappelle les principes généraux sur la végétation et l’économie animale, qui sont intimement liés avec l’étude de la chimie. C’est par ces matières que se termine cet ouvrage, attendu depuis long-temps avec impatience de tous ceux qui avoient suivi les leçons de M. Chaptal [87].
Le chroniqueur termine par la conclusion du rapport des amis de Chaptal à la Société royale des sciences de Montpellier.
Une critique aigre paraît dans les Observations sur la Physique &c., intitulée « Notes sur la chrysoprase ». Son auteur est Balthazar Sage, dont Chaptal avait été l’élève pendant son séjour parisien de 1777–1780. Sage n’a jamais adhéré aux idées de Lavoisier.
M. Chaptal, Chevalier de l’Ordre du Roi, vient de publier trois volumes in-8° d’Élémens de chimie : on y lit, page 131 du tome II, que la chrysoprase est colorée par le cuivre. Silice, chaux, magnésie, fer, cuivre & acide fluorique. Cette combinaison, dit-il, forme la chrysoprase, elle est de verd pomme & demi-transparente (Prasos signifie en grec poireau, pourquoi ne pas exprimer dans la définition de la chrysoprase qu’elle est verd de poireau ?).
J’ai fait avec la plus grande exactitude l’analyse de la prase & de la chrysoprase, que j’ai publiée page 421 du second volume du Journal de Physique de 1788. J’ai reconnu & j’affirme que la couleur de la prase est dûe à la chaux de nickel, & que cette pierre ne contient point de cuivre (M. Klaproth a aussi reconnu la présence de la chaux de nickel dans la prase).
[…] M. Chaptal doit se ressouvenir qu’il a vu dans le cabinet de l’École Royale des Mines, de la prase à la surface & dans l’intérieur de laquelle il y a de la chaux lilas de cobalt, ce qui n’est pas étonnant, puisque le nickel est rarement exempte de cobalt [88].
Les critiques de Sage sont nombreuses, elles portent sur le tome II, lithologie et docimasie, qui sont les spécialités de Sage, le professeur est blessé et très mécontent de son ancien élève.
« M. Chaptal annonce qu’il a abandonné ma doctrine, parce qu’il l’a trouvé mauvaise, & voilà, entr’autres, les vérités qu’il y substitue. Je pense que quoique M. Chaptal soit apôtre de la nouvelle nomenclature, les physiciens ne pourront adopter ces théories ».
Cette critique est précédée d’un article du même auteur p. 28–32 (Examen du Tartre manganèse fulminant, Muriate de Potasse oxigéné, des Chimistes Néologues) dans lequel Sage conteste l’emploi du mot oxigéné, signifiant engendré par un acide, substitué au nom de muriate déphlogistiqué employé par Schéele, pour désigner notre chlorure de potassium.
Dans l’édition des Élémens de chymie augmentée, parue en 1796 [83, p. 432, t. 3], Chaptal donne une information que Parmentier saura utiliser dans la publication de ses recettes de fabrication du sirop de raisin pendant le Blocus continental : « Le blanc d’œuf, écrit Chaptal, est employé avec succès pour clarifier les sucs de végétaux […] par la propriété qu’il a de devenir concret par la chaleur ; il monte alors à la surface de ces liqueurs et entraîne toutes les impuretés qui peuvent y être contenues ».
Le 11 mars 1790, Chaptal offre ses Élémens de chymie à Lavoisier :
« Je n’ai cherché dans cet ouvrage qu’à présenter vos principes avec ordre et clarté. J’ai fait de nombreuses applications aux phénomènes des arts et de la nature. Les travaux en grand et les opérations de la nature présentent à chaque instant la confirmation de ces principes » [73, p. 117–118]. Il revient longuement, avec colère, dans cette lettre, sur les difficultés à se fournir de salpêtre, cause de la disparition de 4 fabriques d’eau forte de Montpellier.
Lavoisier remercie : « Toute la jeunesse adopte la nouvelle théorie et j’en conclus que la révolution est faite en chimie » [73, p. 119].
L’ouvrage de Chaptal paraît un an après le Traité élémentaire de chimie de Lavoisier en deux volumes [89, 90]. Les auteurs sont les premiers à utiliser dans un manuel la nouvelle nomenclature et à dénier à l’air et à l’eau la qualité d’élément. Idéologues, ils croient à l’existence de lois naturelles permanentes et universelles. Pour ces raisons, on les a souvent comparés l’un à l’autre [91]. Comme le souligne M. Péronnet [92, p. 332], bien que fidèles tous les deux aux idées de leur temps (principes, affinité), ils sont engagés dans des voies résolument divergentes : ils adoptent des plans différents (mais, selon Grimaux [90, p. 12], Lavoisier aussi « projetait de s’adonner entièrement aux recherches de la chimie végétale et de la chimie animale »). L’ouvrage de Chaptal commence par la description des instruments du chimiste, contient une nomenclature des métiers. Chaptal observe, décrit, explique mais se garde de théoriser, il est tourné vers l’utilité des arts, ses Élémens de chymie sont destinés à parfaire la formation de chimistes, agronomes, médecins et « artistes »; Lavoisier, lui, cherche une théorie unificatrice pour englober les faits récemment découverts. Son ouvrage est destiné à l’enseignement des débutants.
C’est dans le contenu du 3e tome, historiquement très documenté, que Chaptal s’éloigne tout-à-fait de Lavoisier, en faisant voir les connaissances nombreuses anciennes acquises quand Lavoisier insiste sur une science neuve qui serait née avec ses travaux sur l’air et sur l’eau.
Chaptal sépare clairement le mélange (l’air) de la combinaison (l’eau), mais il faudra attendre Proust et son long débat courtois et ferme avec Berthollet pour disposer vers 1810 d’un critère de distinction (loi de Proust) : les combinaisons sont « assujetties » à une composition élémentaire constante et invariable. Dans la décennie suivante, Chevreul utilisera et donnera un second critère de distinction : les combinaisons sont dotées de constantes physiques mesurables et reproductibles [93].
Chaptal traite Du Gaz oxigène ou air vital dans le chapitre II/III de la section V de sa première partie [10, p. 101–106] : « Cette substance gazeuse a été découverte par le célèbre Priestley le premier août 1774 : depuis ce jour mémorable on a appris à la retirer de diverses matières ». Il examine les travaux de Priestley, Ingenhousz et Sennebier qui « découvrirent, presque en même temps, que les végétaux exposés au soleil exhaloient de l’air vital ». Il dit comment, lui, l’obtient en traitant du dioxyde de manganèse, « [qu’il a] découvert à Saint-Jean-de-Gardonenque », par l’acide sulfurique. Il cite Scheele (p. 106) : « Le gaz oxigène est le seul propre à la combustion : cette vérité reconnue lui a fait donner le nom d’air du feu par le célèbre Schéele. » Il énonce quatre principes, dont le premier est qu’ « il n’y a jamais de combustion sans air vital ».
Lavoisier n’apparaît, avec Erhmann, qu’à la page 109, pour avoir « soumis presque tous les corps connus à l’action d’un feu alimenté par le seul gaz oxigène », puis page 110 avec la description du gazomètre dans le Traité élémentaire de chymie. Dès la page 102, puis dans la section IX (p. 164), Chaptal adhère à la malheureuse théorie de Lavoisier sur la composition des acides : « Les acides ont tous pour base l’air vital » et « Il paroit hors de doute que les corps que nous sommes convenus d’appeler acides, sont la combinaison de l’air vital avec une substance élémentaire ».
Pour P. Flourens, dans son Éloge historique :
Par l’ordre, par la clarté, par le caractère de facilité qui y règnent, l’ouvrage de Chaptal était fait pour frapper tous les bons esprits ; aussi fut-il promptement traduit dans plusieurs langues ; les éditions s’en multiplièrent ; et l’auteur put bientôt se flatter que c’était dans ce livre que la moitié de l’Europe avait appris la chimie nouvelle [94].
1.11. Le bouleversement des idées et des choses 1790
Dans une lettre [95] à Puymaurin, syndic général des États de Languedoc à Toulouse, avec lequel il entretient des relations amicales, Chaptal exprime sa peine d’assister à la dispersion de ses amis due au « bouleversement des idées et des choses », il annonce l’envoi de ses Élémens de chymie : « J’ai voulu laisser ce monument de mon zèle et de mon amour de la chose publique ».
En 1791, l’ami Philippe Pinel est l’auteur de la partie Chimie [96] dans l’Abrégé des Transactions philosophiques de la Société Royale de Londres, qui commence par ce regret : « Il est facile de pressentir que la nouvelle nomenclature de la Chimie n’a pu être introduite dans cet Abrégé ». Proche des vues de Chaptal, Pinel écrit : « Un des grands avantages que la société doit retirer des connoissances de la Chimie est de compléter celles que donne l’histoire naturelle, & de pouvoir être heureusement appliquées aux progrès des arts utiles. » Il a cru, dit-il, « devoir rappeller les principes qui peuvent servir à perfectionner l’art du tanneur, du teinturier, du fabricant de potasse, &c. […] les produits volcaniques ».
Dans ses Souvenirs [46], Chaptal dit avoir reçu en 1792 des propositions de l’Infant d’Espagne, de la reine de Naples et même de Washington pour s’expatrier et fonder dans leurs pays d’autres « La Paille ».
Le 29 juin 1793 il est élu député de Montpellier au Comité central de salut public de l’Hérault. Il a laissé un discours de 23 pages, imprimé par ordre du Comité central dans une brochure girondine, datée de cette période et conservée à la bibliothèque universitaire de Toulouse :
Citoyens,
C’est du sein même de l’anarchie : c’est, au moment où la guerre civile menace d’envahir toute la République que je me crois obligé d’élever encore ma voix, pour éclairer mes concitoyens sur les grands événements qui se préparent, et les dangers de quelques mesures qu’on propose.
Une faction coupable a attenté à la souveraineté du peuple ; elle a violé la représentation nationale. Un cri d’indignation s’est fait entendre dans toutes les parties de la République. Toute la France est ébranlée.
[…] Nous convenons tous que la Convention actuelle a perdu notre confiance [97].
Chaptal est l’auteur d’un Rapport à la Société Populaire des Amis de la Constitution, sur la fête de primedi Pluviôse an II (20 janvier 1794), qui a suivi la reprise de Toulon aux alliés par Dugommier avec le capitaine Buonaparte à l’artillerie (17 décembre 1793). Le style de ce rapport est aussi « révolutionnaire »: « Elles sont encore présentes à notre esprit ces scènes touchantes d’union, de fraternité, d’enthousiasme : nos cœurs sont encore enivrés de ces jouissances » [98].
La France profonde s’insurge contre les excès parisiens. Chaptal, enrôlé dans ce « fédéralisme », est chargé de « coordonner et diriger l’action des trente-deux départements méridionaux » [1, p. 135].
Après son beau-frère Lajard, à Lyon, il est arrêté à Montpellier avec Broussonet le 15 octobre 1793 et, grâce à ses relations académiques et maçonniques, il est vite remis en liberté [99].
Comme il l’indique dans ses Souvenirs [46] : « Tous les actes du Comité insurrectionnel avaient été signés par moi, ainsi que la correspondance. Aussi je fus arrêté le premier par décision du Comité de Sûreté générale ». Craignant ses déclarations qui pouvaient compromettre les nouveaux maîtres, ses geôliers le libèrent rapidement ; il met sa famille à l’abri, et ceux de ses biens qui ne sont pas réquisitionnés sous la garde de personnes sûres, puis il part se cacher dans les Cévennes, sans perdre contact avec ses amis bien placés au Comité de Salut Public.
1.12. Du salpêtre pour la poudre noire
Chaptal avait une expérience dans la chimie du salpêtre. Convoqué par le Comité de Salut Public à Paris, le 18 Nivôse an II (7 janvier 1794) il est nommé inspecteur « pour les poudres et salpêtres » [100] pour onze départements du sud de la France, il exerce spécialement dans le Vaucluse. C’est une mission d’autorité qui lui « donne un pouvoir qui n’a de bornes que celles de l’activité publique », comme le lui écrit Berthollet, avec lequel il correspond sur ses déplacements, sur les « cours révolutionnaires » qu’il professe auprès « d’élèves désignés dans chaque district », sur les réquisitions, et sur ses observations, mais aussi sur la soude et le blanchiment [101]. Le 21 Pluviôse an II, Berthollet le félicite : « Tu vas au grand pas, mon cher ami, j’ai tous les jours le plaisir de lire de tes lettres et d’y trouver l’empreinte de ton zèle et de ton activité » (Figures 3 et 4).
Mais dès le 3 Germinal (24 mars 1794), prévenu par Berthollet le 7 Ventôse, Chaptal est rappelé avec Descroizilles, à Paris, par le Comité de salut public, à l’administration centrale du raffinage du salpêtre et de la fabrication de la poudre. Le 28 Messidor (16 juillet 1794), il est nommé directeur de l’ancienne régie des poudres réorganisée en Agence des poudres. Une raffinerie est installée dans l’église Saint-Germain-des-Prés, et Chaptal fonde une poudrerie à Grenelle. Pressé par le Comité, il doit augmenter la production de façon déraisonnable, un incendie détruit la raffinerie de Saint-Germain-des-Prés le 3 Fructidor (19 août 1794) tandis que la construction de nouveaux bâtiments de stockage à Grenelle accroît le désordre et l’insécurité, entraînant une formidable explosion le 14 Fructidor (31 août 1794) qui fait plus de 1000 morts. « Heureusement pour moi [écrit Chaptal], le 9 Thermidor avait changé les hommes du gouvernement ».
Il utilise son expérience dans la publication d’une Instruction Sur un nouveau procédé pour le raffinage du salpêtre (Brumaire an III, 1794).
1.13. Le Journal des arts et manufactures
À la fin de l’Ancien Régime, pour échapper à la censure et au contrôle de l’Académie des sciences, quelques sociétés scientifiques libres se sont constituées (Société linnéenne, Société des inventions et découvertes, etc.) et ont tenté de se doter d’un bulletin, elles n’ont eu souvent qu’une vie éphémère. En 1795 plusieurs savants proches du Comité de salut public se lancent dans une aventure éditoriale scientifique officielle sous la direction de la Commission exécutive d’agriculture et des arts (Comité de salut public de la Convention nationale). Chaptal est l’un des fondateurs.
Les objectifs des producteurs du Journal des arts et manufactures sont décrits dans un prospectus : « L’agriculture a son Journal, le commerce a le sien ; il en manquoit un aux arts et aux manufactures. Les arts sont placés entre l’agriculture et le commerce : ils façonnent les productions de la terre, ils créent de nouvelles richesses et le commerce les réalise » [102]. Ce journal périodique est destiné à tous les départements, il devra initier « les laboureurs et les artisans » « à toutes les découvertes produites par l’application des sciences aux arts utiles », « ceux qui inventent » doivent être « secondés par ceux qui exécutent ». Le Journal devra « recueillir toutes les inventions du génie, tous les procédés nouveaux dans les arts » et « en communiquer la connaissance », « développer les moyens de les mettre en œuvre », « aplanir tous les obstacles qui naissent des préjugés et du défaut d’instruction ».
Enseigner la pratique des arts, sera notre but principal […]. Ainsi, par exemple, lorsque nous indiquerons un procédé pour la teinture, nous donnerons l’analyse chimique qui dévoile les ressorts que la nature fait jouer dans ses opérations ; et quand nous décrirons une machine, nous assignerons les lois mécaniques qui détermineront ses effets. […] nous suivrons la marche même de l’esprit humain. […] Il n’est aucun genre de manufacture qui ne devienne le sujet de nos recherches […] nous pénétrerons dans les habitations des campagnes, pour diriger les femmes, et leur apprendre à ménager l’emploi du tems et des matières dans leurs travaux domestiques. […] Les vues d’amélioration et de perfectionnement sur toutes les branches des arts, occupent une place importante dans ce Journal [102].
Il sera « le complément de la Feuille du Cultivateur » qui paraît depuis 5 ans.
Le contenu de ce prospectus est tellement proche de l’Essai sur le perfectionnement des arts chimiques, que Chaptal publiera en 1800 sous le Consulat, que nous ne doutons pas qu’il en soit l’auteur.
La rédaction prévoit que chaque journal, mensuel, sera composé de 8 à 10 feuilles, le premier est programmé pour le premier Germinal an III (21 mars 1795). Les publications mensuelles seront réunies en numéros trimestriels et, par quatre numéros, en tomes d’environ 500 pages.
On connaît trois tomes du Journal des arts et manufactures, datés des années III, IV et V. La publication du Journal est devenue irrégulière après le numéro 7 (Vendémiaire an IV) et a cessé en 1797. Le premier tome compte 503 pages numérotées. Le second tome est paru sous la direction du Conseil des arts et manufactures, le troisième est publié sous la direction du Bureau consultatif des arts et manufactures.
Daté du 15 Brumaire an III (5 novembre 1794), le Journal publie un long Rapport de Vandermonde, professeur d’économie politique à l’École normale, Sur les fabriques & le commerce de Lyon (48 pages).
Il est suivi d’instructions de la Commission d’agriculture et des arts, « dans la vue d’établir l’uniformité dans la manière de correspondre » pour recueillir des renseignements auprès des « correspondans ». Ces renseignements sont destinés à établir une « géographie industrielle » de la République française, cette première enquête conduira à l’ouvrage De l’Industrie française, publié par Chaptal en 1819.
Chaptal intervient dans ce tome avec une Observation sur le tournesol : on fabrique entre Nîmes et Montpellier des drapeaux de tournesol qui
ne sont que des chiffons de grosse toile imprégnés du suc d’une plante appelée Morelle. Exposés à la vapeur d’urine en fermentation ces chiffons développent une couleur bleue. Les marchands de fromage font macérer ces drapeaux dans l’eau et se servent de cette eau pour laver les fromages. Les Hollandais nous vendent cher des pains de tournesol qu’on croyait constitués de craie chargée du colorant qu’ils savaient extraire des drapeaux [103].
Chaptal a réussi à confectionner des pains de tournesol en faisant fermenter un lichen d’Auvergne, « celui qui fait la base de l’orseille », avec l’urine, la craie et la potasse.
On trouve (t. I, n° 2, p. 192–255), de Berthollet, une Description de l’art du blanchiment par l’acide muriatique oxigéné, suivie (t. I, n° 3, p. 256–276), de Descroizilles, d’une Description et usages du berthollimètre qu’il a créé pour doser l’acide muriatique oxigéné liquide (eau de Javel).
Dans le même tome Chaptal publie des Instructions Sur la manière d’extraire le Goudron et autres principes résineux du pin :
L’arbre connu sous le nom de pin est un de ceux dont la culture présente le plus d’avantages.
Il croît dans les terres arides et sablonneuses, au milieu des rochers. Il couronne très-agréablement la cime des montagnes ; il s’approprie des terres qu’aucun autre végétal ne réclame : il pousse vite, ne demande presque aucune culture, et ses services, ses produits sont aussi variés qu’utiles.
Les arbres jeunes, la dépouille des branches dans tous les âges, forment une grande ressource pour les échalas.
Le bois de pin est très-propre au chauffage ; la flamme en est vive, et il n’a d’autre inconvénient que de fournir beaucoup de fumée.
On s’éclaire, dans tous les pays où le pin abonde, avec les morceaux de bois de cet arbre les plus riches en résine [104, p. 277].
Il décrit la manière d’entailler l’arbre, plusieurs sortes de pins, les divers produits recueillis, résine, térébenthine, noir de fumée, la durée d’activité d’un arbre…
1.14. L’École centrale des travaux publics
Sans être déchargé de l’Agence des poudres, le 7 Vendémiaire an III (28 septembre 1794), Chaptal est nommé professeur au poste d’adjoint de Berthollet à l’École centrale des travaux publics (re-nommée École polytechnique le 29 septembre 1795). Il avait été associé à l’organisation de l’École, avec Monge, Lamblardie, Berthollet, Fourcroy, Guyton, Prieur de la Côte d’Or et Hassenfratz dans la Commission dite des Travaux publics, créée le 11 mars 1794 par le Comité d’instruction publique. Berthollet et Chaptal seront remplacés dès 1796 par Chaussier. Chaptal est chargé d’enseigner la chimie végétale aux élèves de deuxième année ; son cours en 16 leçons a lieu les deux premières décades de Pluviôse an III. Le compte rendu de ce cours est paru dans le Journal polytechnique en Germinal an III, rédigé par Chaussier : « On ne peut s’empêcher de reconnaître que les êtres vivans ont un caractère particulier, et des propriétés si différentes, qu’ils forment une classe entièrement séparée de tous les autres corps » [105, p. 133–135]. Selon Langins [106, p. 30 et 55–57] et Fourcy [107, p. 40], 349 élèves sont admis aux cours préliminaires révolutionnaires. Ils ne sont guère assidus et la vie politique est souvent perturbée. « Le 4 février 1795 (16 Pluviôse an III), 50 élèves sont absents au cours de Chaptal à 10 heures ». Il donne un cours pratique, avec « de nombreuses références précises aux opérations des « arts » ». En vitaliste, il insiste sur « cette force organique qui constitue la vie ». Pour chacune des substances (mucilages, huiles, résines, fécule, sucre…), « il donne beaucoup d’illustrations tirées de l’industrie et de l’artisanat »: savonnerie, goudrons, vernis, art de l’amidonnier et du boulanger. Il « fait une digression sur les moyens de fabriquer l’acide sulfurique » qu’il produit à La Paille. « Il parlait aussi des moyens d’extraire la soude et la potasse et il consacrait une partie de son cours à la teinturerie ». Mais la construction et l’équipement ambitieux des laboratoires tardaient à se mettre en place.
De plus le Comité d’instruction publique a chargé Chaptal de réorganiser l’enseignement de médecine en France. Le décret du 14 Frimaire an III (4 décembre 1794) crée trois Écoles de santé, à Paris, Strasbourg et Montpellier. Chaptal « se nomme professeur de chimie médicale, animale et appliquée aux arts et à la pharmacie » à l’École de Montpellier (décret du 25 Frimaire, [1, p. 150], [46, p. 51]). Sa démission de l’Agence des poudres, présentée le 29 Nivôse an III, est acceptée par le Comité de salut public le 8 Pluviôse (28 janvier 1795) et le 18 Ventôse an III (9 mars 1795), Chaptal est de retour à Montpellier.
Ses collègues parisiens regrettent son départ et l’honorent en l’accueillant dans plusieurs sociétés savantes. Le 21 Ventôse an III (11 mars 1795) Chaptal est coopté à l’École et à la Société libre de pharmacie de Paris ; le 24 Thermidor (11 août 1795) il est admis à la Société de médecine de Paris et le 28 Fructidor (15 août 1795) à la Société de santé, le 2 Nivôse an IV (23 décembre 1795) il devient membre de la Société de médecine, chirurgie et pharmacie de Bruxelles.
1.15. De Thermidor à Campo-Formio
Après Thermidor, la Convention doit faire face, successivement, à l’agitation antijacobine, à la réaction populaire de Germinal et Prairial an III (avril-mai 1795), à la Terreur blanche dans les départements du Midi et à la reprise de la lutte en Vendée. Pour barrer l’accès au pouvoir des royalistes, le 30 août 1795, elle vote le décret des deux-tiers qui impose la ré-élection de deux tiers des députés. Le 13 Vendémiaire an IV (5 octobre 1795), Barras, préposé à la défense de la Convention, avec le général Bonaparte, met fin à l’insurrection parisienne des opposants. Les traités de Bâle (5 avril et 22 juillet 1795), de la Haye (16 mai 1795), et le partage de la Pologne, ne laissent plus en guerre contre la France que l’Autriche et l’Angleterre. En mars 1796 Bonaparte obtient le commandement de l’armée d’Italie contre l’Autriche.
Le 5 Fructidor an III (22 août 1795) la Convention a adopté une nouvelle Constitution qui revient au suffrage censitaire, divise le corps législatif en deux conseils, les Cinq-Cents qui préparent les lois, et les Anciens qui les votent. Le pouvoir exécutif est confié à un Directoire de 5 membres élus par les Anciens sur une liste établie par les Cinq-Cents et sans moyen d’action sur les Conseils en cas de conflit : « l’époque du Directoire devait être celle des coups d’État ». La Constitution de l’an III n’est entrée en application que le 27 octobre 1795 (an IV). Le coup d’État militaire du 18 Fructidor an V (4 septembre 1797) ranime les procédés révolutionnaires contre les anciens émigrés et les prêtres. Celui du 22 Floréal an VI (4 mai 1798) frappe les nouveaux Jacobins.
Cependant, de 1796 à 1799 de bonnes récoltes (pommes de terre, tabac, fourrages et surtout vignes) sont le signe d’un réveil économique du pays. Nicolas François de Neufchâteau, ministre de l’Intérieur, ordonne le premier recensement de la population, la première statistique agricole, et organise à Paris la première exposition industrielle en 1798.
Enfin Bonaparte met un terme à la guerre contre l’Autriche en négociant le traité de Campo-Formio conclu le 17 octobre 1797. Il convainc le Directoire de ruiner la domination anglaise en Inde en lui coupant la route par l’occupation de l’Égypte en Méditerranée.
1.16. Fondation de l’Institut national
Les académies ont été supprimées par la Convention le 8 août 1793. L’Institut national est fondé deux ans plus tard le 25 octobre 1795 (3 Brumaire an IV) pour perfectionner les sciences et les arts, par la loi Daunou, qui organise l’instruction publique [108]. L’Institut est composé de 144 membres résidant à Paris répartis en trois Classes, 144 associés de différents lieux et 26 savants étrangers. Son organisation favorise Paris relativement à la province. La première classe compte dix sections avec une forte proportion de scientifiques. Les Idéologues sont dans la seconde classe, celle des sciences morales et politiques. Cabanis est membre résidant dans la section de l’analyse des sensations et des idées, considéré comme leur chef de file [27]. De Gérando est membre associé dans la même section, moraliste reconnu et créateur de l’Histoire comparée des systèmes de philosophie. Dans la séance publique du 15 Germinal an IV (4 avril 1796), Cabanis indique le plan et l’objectif de ses Rapports du physique et du moral de l’homme.
Sous le Consulat, un visiteur anglais [109, 110] relèvera avec humour : « Le Premier Consul, qui est metteur en scène jusqu’au fond de l’âme, et ne permet pas à une assemblée de graves philosophes d’agir et de penser sans un uniforme, en fit dessiner un pour les membres de l’Institut. […] Cet important arrêté fut signé et contre-signé par le Premier Consul Bonaparte », par son secrétaire, « et contre-signé par le ministre de l’Intérieur Chaptal ».
Les travaux de l’Institut des années IV, V, VI et VII sont résumés dans un volume annuel de Compte rendu et présenté au Corps législatif par l’Institut national des Sciences et des Arts (le premier volume présente les travaux faits pendant l’an IV, 1795–96) [111, 112, 113, 114].
La seconde Classe (sciences morales et politiques) disparaît en 1803, supprimée par le décret de réorganisation du 28 janvier 1803. D’après Jules Simon, on ne trouve dans ce décret
de l’an XI et dans le rapport de Chaptal qui précède le décret, ni le nom de la classe, ni une allusion, même éloignée, même indirecte. Il n’est question que de mieux organiser l’Institut, de faire une meilleure répartition du travail. L’Académie est tuée doucement par prétérition. Ses membres trouvèrent place dans les autres classes [tandis que] le Premier Consul en finit du même coup avec le gouvernement des avocats et l’Académie des Idéologues, avec la liberté de parler et la liberté de penser, avec toutes les libertés [108, p. 452–457, chap. XIV « Suppression de la seconde classe »].
Le 2 Germinal an IV (22 mars 1796) Chaptal est nommé associé non résident de la première classe de l’Institut.
1.17. Retour aux recherches en chimie
À Montpellier, Chaptal donne son cours, fait paraître les trois tomes d’une seconde édition de ses Élémens de Chymie (an III) vite épuisée, puis une troisième (an V, 1796–1797), « avec des changemens et des augmentations » :
Vivant dans les fabriques, habitué à surveiller et à conduire des établissemens de tout genre, l’Auteur a tout vu par lui-même.
Obligé pendant quinze années consécutives de donner des leçons publiques de chymie à quatre ou cinq cents auditeurs, […] placé entre son laboratoire et ses ateliers, il a pu éclairer sans cesse la théorie par la pratique [83].
Dans l’index qui sert de table des matières les noms anciens sont doublés par ceux de la nouvelle nomenclature [85]. Dans le tome 3e, 265 pages (4e partie) traitent Des substances végétales.
Chaptal ne remet pas en question la division de la chimie entre les trois règnes, minéral, végétal, animal.
Malgré la contradiction que démontrent les travaux de Berthollet sur les acides sulfhydrique et prussique [115]7 , Chaptal reste fidèle [86, p. lxxi et 106], [84, p. lvi et 104] à la théorie des acides de Lavoisier : « ainsi on a pu appeler l’air pur, air vital, air du feu, gaz oxigène, parce qu’il est la base des acides » et « Les acides ont tous pour base l’air vital », avec une nuance en 1803 : « Les acides paroissent avoir tous pour base l’air vital ».
Avec Bérard et Martin, ses associés, Chaptal relève ses usines de Montpellier, et met à profit la paix récemment signée avec l’Espagne pour développer son commerce avec Barcelone et Valence au détriment des fournisseurs anglais.
Président de l’École de santé de Montpellier, c’est lui qui ouvre l’année scolaire le 1er Brumaire an V (22 octobre 1796). Sur 156 élèves inscrits salariés par la Nation, 151 ont subi les examens, répartis en trois classes respectivement de 7, 19 et 125 élèves de la première à la troisième. Le discours de Chaptal [116], adressé aux élèves qui commencent la troisième année, est énergique : « Que celui d’entre vous qui seroit assez mal organisé pour ne pas sentir tressaillir son cœur et ranimer son courage à l’ouverture de cette enceinte, se retire : il cessera de tromper la Nation […]. Il pourra rester un homme nul, mais il cessera d’être vil ». Il affirme sa philosophie vitaliste de l’homme global qui peut « être regardé comme n’existant que par ses relations. […] Parmi ces connoissances, celles que fournit la chimie occupent le premier rang ». Mais ni l’anatomie, ni la chimie « ne sont en droit de nous instruire sur la vitalité. […] Vous vous garderez bien de faire de la botanique un dictionnaire de mots, ou un catalogue de remèdes ». Il dresse un programme d’étude du végétal : accroissement, nutrition, propagation, fructification, influence du sol, des saisons, du climat, usage économique des plantes. Il invite à voir « dans la botanique un moyen d’enrichir les arts, de faire prospérer l’Agriculture, et de charger notre sol de toutes les richesses de tous les climats ». Il condamne les superstitions et « le terrorisme des prêtres ». Les moyens d’être utile à la société sont tous « dans l’art de conserver ou de rétablir la santé, dans l’art de faire prospérer l’agriculture, ou d’éclairer les arts. […] La chimie éclaire la pratique de presque tous les arts. […] Elle est l’œil de tous les atteliers. »
En fin d’année 1796 Chaptal publie à Montpellier un Traité des salpêtres et goudrons. Le 30 Nivôse an V (19 janvier 1797) on lit à l’Institut ses Recherches sur les sables magnétiques qui roulent des pépites d’or [1, p. 388], et le 15 Prairial an V (3 juin 1797), dans le premier numéro du Journal de la Société des pharmaciens de Paris paraît une analyse des causes de l’explosion de Grenelle.
En 1797 Chaptal rejoint les éditeurs (Guyton, Fourcroy, Berthollet, Monge, Seguin, Adet, Prieur, Vauquelin, Chaptal) des Annales de chimie, « ressuscitées » après trois années d’absence8 .
1.18. Les Annales de chimie
Dans le tome 19 (an V, 1797) les Annales publient un Extrait d’un rapport sur les divers moyens d’extraire, avec avantage, la soude du sel marin par les citoyens Lelièvre, Pelletier, Darcet et Giroud, dans lequel figure (t. 19, p. 97–102) le Procédé des citoyens Chaptal et Bérard, pour décomposer le sel marin ou muriate de soude, et en extraire la soude par la litharge. Ils décrivent un procédé en grand (un quintal de sel, 400 quintaux d’eau). Dans la perspective d’un complexe intégré, ils évoquent le prix élevé de la litharge et la difficulté de s’en procurer, en ne recommandant l’usage de leur procédé que dans le voisinage de mines de plomb et pour fabriquer le blanc ou le jaune de plomb, « et sur-tout auprès des grandes verreries, où la quantité plus ou moins grande de plomb, que la soude pourroit absorber, deviendra un fondant très-favorable à la vitrification, et ajoutera même à la beauté du cristal ». Darcet, Lelièvre et Pelletier (p. 253–354), par ordre du Comité de salut public, publient un Rapport sur la fabrication des savons, dans lequel ils signalent que « le citoyen Chaptal s’est assuré que l’on peut élever la barille sur les bords de la Méditerranée ».
Dans le tome 20 (an V, 1797), Chaptal publie des Vues générales sur la formation du salpêtre, et sur l’établissement des nitrières artificielles (t. 20, p. 308–355), véritable traité en 8 points sur le sujet (principes chimiques sur la formation du salpêtre ; choix des plantes pour les nitrières ; choix des matières animales ; choix des matières terreuses ; manière de gouverner une nitrière ; procédés connus pour former des nitrières, en Prusse, dans l’Isle de Malte, en Suède, en Suisse ; idées générales sur l’établissement des nitrières en France ; art du salpêtrier). Ces Vues de Chaptal sont suivies (t. 19, p. 356–369) de l’Instruction sur le raffinage du salpêtre, nouvellement adoptée dans les fabriques nationales, rédigée par l’administration chargée de ce service.
Dans le tome 21 (Pluviôse an V ou janvier 1797) on trouve (t. 21, p. 27–38) des Observations sur le Savon de laine, et sur ses usages dans les Arts par J. A. Chaptal, Instituteur de l’École Polytechnique, également publiées dans les Mémoires de l’Institut (I, p. 93–101) où elles ont été lues et déposées le 1er Prairial an IV (20 mai 1796).
Dans le même tome 21 des Annales de chimie, Chaptal publie (t. 21, p. 284–293) des Extraits des observations sur les sucs de quelques végétaux, et sur les moyens dont le carbone y circule et s’y dépose pour servir à la nutrition, lues pour son auteur à la 1ère Classe de l’Institut le 6 Nivôse an V (26 décembre 1796) par Fourcroy. Le mémoire complet (Observations sur les sucs de quelques végétaux, et sur les moyens dont le carbone circule dans le végétal et s’y dépose pour servir à la nutrition) est publié dans les Mémoires de l’Institut national (I, p. 288–300). Ce sont, selon Pigeire, les premiers écrits de Chaptal sur le carbone et la nutrition des plantes [1, p. 163]. Chaptal décrit ses expériences sur les sucs émulsifs de végétaux qu’il rapproche du lait animal et de la fibrine du sang. « L’hydrogène, le carbone et l’oxigène, sont les trois élémens primitifs des végétaux », l’hydrogène et l’oxygène ont, dit-il, leur source dans l’eau. « Le carbone a une origine plus obscure », sans doute pénètre-t-il dans la plante sous un état de « combinaison soluble ».
Dans le tome 22 des Annales de chimie, daté du 11 Floréal an Ve (30 avril 1797), Chaptal publie une Analyse comparée des quatre principales sortes d’Alun connues dans le commerce ; et Observations sur leur nature et leur usage (t. 22, p. 280–296).
Dans le tome 23, daté du 13 Thermidor an Ve (31 juillet 1797), Guyton publie une Notice du Journal de Philosophie naturelle, chimie et arts, publié à Londres par M. Nicholson (t. 23, p. 173–181). Il relève dans ce journal l’article en anglais de Chaptal sur le savon de laine et ses usages dans les arts : « c’est la traduction de l’article inséré dans nos Annales, tom. 21, p. 27. »
Ce tome (t. 22, p. 222) contient une Note historique sur les mémoires relatifs à la nature de l’alun insérés dans le 6e numéro, l’un de Vauquelin et l’autre de Chaptal ; l’auteur fait valoir l’antériorité de Chaptal qui s’est exprimé sur le sujet il y a déjà 10 ans dans les Mémoires de l’Académie et dans ses Élémens de chymie, une antériorité que soulignera Flourens dans son Éloge historique [94].
1.19. L’ambition académique
Début 1798, Chaptal est à Paris avec plusieurs de ses collaborateurs de Montpellier (dont Coustou) pour s’y installer et fonder une nouvelle fabrique aux Thernes (ou Ternes), à Neuilly [117], et, moins connue, à la Folie à Nanterre [118]. Bien qu’utilement renseigné et conseillé par ses amis, Cambacérès, Cambon, Pinel et Cabanis, il faut lui reconnaître une certaine audace pour cette conversion géographique manufacturière, tandis que la conscription « décime sa main d’œuvre », que l’emprunt « des 10 et 19 Messidor tarit sa trésorerie », impose une « immédiate stagnation » aux affaires, et que la loi des otages « ressuscite » la menace politique [1, p. 170]. Il a établi avant de partir un projet de réorganisation de l’École de santé de Montpellier. Il a envoyé à l’Institut, lues le 26 Floréal an IV (15 mai 1796), des Observations sur les deux procédés employés pour la fabrication du verdet et vert-de-gris ou acétite de cuivre [119, 120] qui sont publiées aussi dans les Annales de chimie. Il présente de nouvelles Observations Sur la fabrication de l’acétite de cuivre, (verd-de-gris, verdet, etc.), lues le 16 Ventôse an VI (6 mars 1798) à l’Institut [121, 122].
Dès son arrivée à Paris, le 21 Germinal an VI, il lit à l’Institut des Observations Sur la nécessité et le moyen de cultiver la barille en France publiées dans les Annales de chimie (t. 26 daté du 30 Germinal an VI (19 avril 1798), p. 178–187) : « encourager la culture de la barille en France, c’est à-la-fois assurer les approvisionnemens de nos fabriques les plus précieuses, et enrichir l’agriculture et le commerce d’un produit annuel de quatre millions ».
Le tome 26 des Annales de chimie contient aussi des Observations chimiques Sur l’Epiderme (p. 221–222), et (p. 251–258) des Considérations chimiques sur l’effet des mordans dans la teinture en rouge du coton, lues à l’Institut national le 26 Floréal an VI (15 mai 1798) et publiées dans les Mémoires de l’Institut (tome II, p. 288–294) : l’objectif est de simplifier le procédé routinier de la teinture par la garance :
Un mois de travail suffit à peine pour terminer toutes les opérations qu’on a jugé indispensables pour obtenir un beau rouge, dit d’Andrinople. […] Le vrai moyen de simplifier ce procédé n’est point de travailler au hasard et d’essayer, sans guide et sans principes, des méthodes différentes de celles qu’on pratique [123].
Il étudie l’action des trois principaux mordants, l’huile, la noix de galle et l’alun, avec l’huile il remplace la soude, rare et chère, par la potasse qui est commune.
Chaptal multiplie les publications avec des Considérations chimiques sur l’usage des oxydes de fer dans la teinture du coton lues à l’Institut le 26 Germinal an VI (15 avril 1798) [124, 125] et des Observations chimiques sur la couleur jaune qu’on extrait des végétaux, lues à l’Institut le 19 Messidor an VI (7 juillet 1798) [126].
Depuis le 12 avril, à l’École polytechnique, il remplace Berthollet, qui quitte Toulon le 19 mai pour se joindre à l’expédition d’Égypte.
Associé non résident de la section de chimie de la première Classe de l’Institut depuis le 9 Ventôse an IV (28 février 1796) Chaptal est élu membre résident le 5 Prairial an VI (24 mai 1798). Bien qu’en concurrence avec Sage et Baumé, membres de l’ancienne académie, il succède brillamment à Bayen (1725–1798) [127].
Le 3 Thermidor de la même année il rejoint Berthollet, Monge, Haüy, Laplace…, au rang de membre émérite de la Société philomathique de Paris [128]9 .
1.20. Compte rendu et présenté au Corps législatif par l’Institut national des sciences et des arts, l’art de la teinture
Les travaux de l’an VI à l’Institut national sont consignés dans le Compte rendu et présenté au Corps législatif par l’Institut national des sciences et des arts, volume 3, 3e année (1797–98), publié en 1798. Dans la partie qui rapporte les travaux de la classe des sciences physiques et mathématiques et dans les Rapports de mathématiques, on relève (p. 32) le rapport des citoyens Monge, Bonaparte et Prony sur une invention de cachet typographique du citoyen Hanin. Bonaparte a été élu avec le soutien de Monge et Laplace au fauteuil déserté par Carnot après Fructidor.
Dans les Travaux de la partie Physique, du 15 Messidor an V au 15 Vendémiaire an VI :
Le citoyen Chaptal a donné une analyse comparée des quatre principales sortes d’aluns les plus connus et les plus employés. Il résulte de cette analyse que l’alun de Rome, celui du Levant et celui de fabrique, doivent être préférés pour les couleurs brillantes de la teinture ; que celui d’Angleterre ne peut les remplacer pour ces usages délicats, tandis qu’il est employé avec avantage dans les ateliers où l’on traite les peaux par l’alun [113, p. 39].
Du 13 Nivôse au 15 Germinal :
Le citoyen Chaptal a lu un mémoire sur un nouveau moyen de fabriquer le verd-de-gris. Ce nouveau procédé, pratiqué à Montpellier depuis quelques années, consiste à faire fermenter le jus de raisin, et à le stratifier avec des lames de cuivre, pour y développer l’oxide métallique appelé verd-de-gris. Cette méthode a sur l’ancienne l’avantage d’être d’une exécution plus facile, et de présenter une grande économie, puisqu’on n’emploie plus de vin.
Quelques expériences du même auteur prouvent aussi qu’on peut fabriquer le blanc de plomb par la même méthode : ce qui fait espérer qu’on ne tardera pas à s’approprier en France un genre très-précieux de fabrication.
Le même chimiste a lu un autre mémoire sur l’acétite de cuivre, ou crystaux de Vénus. Il a fait part de plusieurs expériences pour oxider le cuivre avec plus d’avantage, et le rendre, par ce moyen, soluble dans l’acide acéteux [113, p. 53].
Du 15 Germinal au 16 Messidor an VI :
C’est par l’application raisonnée des connaissances chymiques à l’art de la teinture que le citoyen Chaptal a trouvé des procédés simples et d’une exécution facile, pour donner au coton une couleur d’un jaune chamois plus ou moins intense. C’est sur-tout en unissant l’alumine à l’oxide de fer que ce chymiste est parvenu à procurer à ces couleurs un coup-d’œil moëlleux et velouté que ne donne jamais cet oxide employé seul. Il a examiné les divers procédés par lesquels on combine le même oxide avec le rouge de la garance pour former la couleur violette, et a ramené à des principes simples des opérations qui étoient très-compliquées. Il a déduit les raisons d’après lesquelles la noix de galle ne peut pas être remplacée dans la teinture du coton par d’autres végétaux astringens, à quelque dose qu’on les emploie.
Pour donner à la même étoffe la belle couleur rouge qui est connue sous le nom de rouge d’Andrinople, on emploie dans cette opération la soude, l’huile, la noix de galle, le sumach, la garance, le sulfate d’alumine, et plusieurs autres substances. Le citoyen Chaptal a recherché quelle est l’action des trois principaux mordans, l’huile, la noix de galle et l’alun employés dans la teinture en rouge du coton. Décrivant ensuite les opérations les plus compliquées de l’art de la teinture, il a fourni une nouvelle preuve de ce que peut la chymie pour le perfectionnement des arts, quand la pratique en est dirigée par une théorie simple et lumineuse.
[…] Ce n’est pas seulement dans les teintures en coton que la soude est employée. Les savonneries, les verreries en verre blanc, les blanchisseries, s’alimentent et s’entretiennent aussi avec les soudes d’Espagne. La France en tire annuellement pour une somme de quatre millions, par les seuls ports de la Méditerranée. Il étoit donc nécessaire d’encourager parmi nous la culture de la plante qui fournit la soude d’Alicante, afin d’assurer tout à la fois les approvisionnemens de nos fabriques les plus précieuses, d’enrichir l’agriculture et le commerce d’un produit annuel de quatre millions. C’est ce qu’ont fait le citoyen Chaptal et le citoyen Tessier : le premier, en prouvant, par une expérience de plusieurs années, que la plante qui fournit la soude d’Alicante peut être cultivée avec succès sur les côtes méridionales de la France, et que la soude qui en provient est absolument de même qualité que celle d’Espagne ; le second, en donnant sur la culture et la combustion de cette plante pour la fabrication de la soude, toutes les instructions nécessaires, et qui nous manquoient [126, p. 57–58].
Dans la rubrique Titres (p. 64), on trouve un Mémoire et observations sur la couleur jaune qu’on extrait des végétaux, par le citoyen Chaptal et des Observations sur les différences qui existent entre l’acide acéteux et l’acide acétique. Dans la rubrique Rapports, Chaptal est cité pour deux rapports : avec Darcet et Desmarets, « Sur neuf coupons de toile imprimée, envoyés par le gouvernement, à l’effet d’en constater la qualité » (rapport demandé par le gouvernement), et avec Deyeux, « Sur l’acide acétique, par le citoyen Adet ».
Les travaux de l’Institut sont aussi rapportés dans les Notices de travaux de l’Institut, publiées dans La Décade philosophique, littéraire et politique (1794–1807) [129].
1.21. Auteur et maintenant rapporteur des Annales de chimie
Chaptal ne paraît pas dans le tome 27 des Annales de chimie daté du 30 Messidor an VI (18 juillet 1798). Revenu brièvement à Montpellier, il règle l’avenir de ses affaires par des contrats de partage et d’association qui seront signés le 11 Nivôse an VII (1er janvier 1799). Son cabinet de chimiste et sa bibliothèque iront à l’École de médecine où ses amis Vigarous et Prunelle (1777–1853) ont déjà rassemblé de riches collections [130, 131]. Puis, emmenant sa famille il quitte définitivement Montpellier pour Paris. Pour lui, les États du Languedoc disparus, les amis dispersés, « Montpellier n’est plus Montpellier ».
Dans le tome 28 des Annales de chimie du 30 Brumaire an VII (20 novembre 1798), Chaptal revient à des Observations Sur les différences qui existent entre l’acide acéteux et l’acide acétique (p. 113–122). Il ne partage pas les conclusions d’Adet, dont il a refait et complété les expériences, selon lequel « il n’existe point d’acide acéteux ». Pour Chaptal, l’acide acéteux serait plus riche en carbone que l’acide acétique. Le débat sera tranché par Darracq [132] : en expérimentant avec des solutions de même concentration il n’existe qu’un seul acide du vinaigre.
Ce n’est que dans le tome 31 que les Annales de chimie publient de nouvelles Observations de Chaptal [133]. Chaptal décrit la construction de murets dans les ravins de montagne, qui retiennent la terre entraînée par les eaux de ruissellement, et la plantation de vigne, muriers, maïs, pommes de terre et légumes sur ces petits plateaux. « Ces vignes, ces arbres, ces légumes, raffermissent la terre, et brisent l’effort désormais impuissant des eaux ». Il a vu un habitant, agriculteur et médecin, qui sous l’orage, une pioche à la main, dirigeait l’eau au pied de ses arbres et ramassait l’excédent dans des bassins creusés dans le roc, « il prévenoit constamment les inondations et se procuroit de l’eau pour l’arrosage lorsque les chaleurs brûlantes le rendoient nécessaire ». Ce mémoire a été présenté à la Société d’Agriculture le 30 Prairial an VII (18 juin 1799).
Devenu co-éditeur des Annales de chimie, Chaptal est sollicité pour examiner divers mémoires proposés pour paraître dans ce journal. Il est ainsi l’un des auteurs du Rapport « sur la teinture et le commerce du coton filé rouge de la Grèce » dont les Annales publient un extrait [134]. Les Grecs nomment ali-zari la racine que nous appelons garance dont Pierre-Jean Robiquet (1780–1840) extraira un pigment qu’il a appelée alizarine. Considérant que nos teinturiers ont « dépassé les Grecs », les auteurs du rapport proposent néanmoins d’insérer le mémoire dans le recueil de ceux des savants étrangers au motif que « l’histoire de la teinture et celle de la marche de l’esprit humain, veulent que nous conservions précieusement toutes les époques qui servent à marquer les progrès de cet art précieux ».
1.22. Un traité des arts et métiers
Chaptal publiera L’Art de la teinture du coton en rouge, en 1807. C’est un traité des arts et métiers. L’ouvrage est dédié à Berthollet, « Son ami et Collègue », en hommage « aux vertus, à l’amitié, au talent ». Il compte 172 pages, 4 planches et un index alphabétique. Il commence par le choix d’un local, sa disposition, le choix des matières (garance, huiles, soude, alun, noix de galle, sang), l’organisation du travail à l’intérieur de la fabrique10 , l’ordre des opérations, les relations du fabricant avec les ouvriers pour concilier leurs intérêts, les manipulations du coton (apprêts et mordants, étendage, passage au lavoir, garançage et avivage). L’auteur revient au chapitre V sur les procédés d’Andrinople et ceux « perfectionnés qu’on exécute aujourd’hui dans les ateliers français », qu’il expose avec la précision d’un opérateur : « Je commencerai par décrire le procédé que j’ai constamment pratiqué dans mes ateliers ; je n’en ai pas connu jusqu’ici qui ait donné ni de plus belles, ni de plus vives, ni de plus solides couleurs ». Il rapporte les modifications qu’il a essayées, les nuances de rouge qu’il a obtenues : « Chaque atelier a son secret pour faire cette couleur : je donnerai le mien, sans croire pourtant qu’il soit le meilleur de tous ceux qu’on peut employer ailleurs ». La suite est écrite à la première personne : « Je me suis convaincu que pour avoir un beau rouge bien solide, on ne peut guère s’écarter des méthodes que nous avons décrites ». Dans le but de connaître le principe colorant, Chaptal a « cru devoir présenter ici, non une analyse complète de la garance, mais la manière dont elle se comporte avec quelques réactifs ». Compte tenu de l’état d’avancement des connaissances chimiques il n’ira pas au-delà dans l’isolement et l’identification chimique du pigment.
1.23. La Société d’agriculture, ce qu’on y fait
Louis Passy (1830–1913) a écrit l’histoire de la Société d’Agriculture, de ses engagements philanthropiques et politiques et de ceux de ses membres pendant les années de la Révolution [76]. Elle s’était donné un nouveau règlement en septembre 1790.
Le 29 décembre 1790, le discours de 48 pages de son secrétaire perpétuel, Auguste Broussonet, à la séance publique, se veut « consolant »: « Les ennemis du bien public ne présagent que des malheurs dans le nouvel ordre de choses ; l’homme de bien voit les mêmes choses sous le point de vue le plus consolant : ainsi le Boucher & le Berger considèrent le même animal sous des aspects bien différens ». Pour lui l’agriculture va bien parce que beaucoup de propriétaires sont rentrés dans leurs campagnes et les font prospérer. La Société a distribué des outils et des semences. Et bien que « la vente des biens nationaux s’effectue chaque jour avec une rapidité effrayante pour une classe de citoyens », il s’en réjouit parce qu’elle « régénère les Propriétaires ». « Les Amis de la Constitution le sont aussi de l’Agriculture ».
Son discours du 28 décembre 1791 (37 pages) dénonce néanmoins la fuite de « notre or chez les nations étrangères » et « le dépérissement des bois […] particulièrement dans les forêts nationales ». Il se félicite que « Plusieurs agriculteurs se sont occupés, avec beaucoup de succès, de la multiplication des moutons à laine superfine ». Il examine l’amélioration du pain, le dessèchement des marais, les progrès de l’art vétérinaire et l’avancée de la description agricole et topographique de la France, les fêtes agricoles, etc.
Après 1791, les publications trimestrielles de la Société sont suspendues, quelques faits paraissent dans la Feuille du Cultivateur, journal (1788–1802) paru sous la direction de l’Agence des mines, depuis janvier 1790, rédigé par J.-B. Dubois, Broussonet et J.-L. Lefebvre, agent-général de la Société. D’août 1792 à mars 1793 la Société d’agriculture ne s’est pas réunie [135].
Un décret du 20 août 1793, à l’initiative de l’abbé Grégoire, oblige la Société à transmettre un état de ses travaux au Comité d’instruction publique. Lefebvre, qui a pris la place de Broussonet, se charge du rapport et des comptes [136]. Chaptal, professeur de chimie à Montpellier, n’est mentionné que quatre fois dans ce document, pour son élection à l’automne 1787, dans la liste des membres (été 1788, p. 29), dans une note (été 1791, p. 115) sur le nom de l’air déphlogistiqué dans la nouvelle nomenclature : M. Chaptal le nomme aussi gaz nitrogène, et (p. 117) dans un mémoire Sur les Maladies qui attaquent les bêtes-à-cornes, vers la fin de l’été de chaque année. Parmi les causes possibles de ces maladies, l’auteur du mémoire, M. Dralet, qui connaît la chimie de Chaptal, soupçonne les composants de l’air dans les étables.
Le 30 septembre 1793 la Société se constitue en Société libre d’Agriculture, elle ne s’estime pas comprise dans la suppression des académies et sociétés savantes décrétée le 8 août, cependant, ses membres étant dispersés ou disparus, elle interrompt ses travaux pendant six ans.
Autorisée par un arrêté du Préfet de la Seine, le 8 Fructidor an VIII, la Société libre d’agriculture du département de la Seine imprime, en 1799, des Mémoires d’agriculture, d’économie rurale et domestique, avec un premier volume qui paraît en l’an IX. Chaptal est l’un de ses 60 membres « résidens dans le département de la Seine », 6 rue des Jeûneurs à Paris. Les membres et associés-correspondants « républicoles » sont tenus de donner chaque année un mémoire, ou deux observations, sur l’économie rurale ou les arts qui s’y rapportent, et les membres résidents sont astreints à assister au moins à une séance tous les six mois (règlement arrêté le 16 Pluviôse an VII).
À la Société d’agriculture, Chaptal rencontre Cadet de Vaux, Parmentier, François de Neufchâteau, Molard et beaucoup d’autres membres qui adhèreront à la Société d’encouragement pour l’industrie nationale. La Société d’agriculture élabore un programme de Prix publiés et proposés : Sur les engrais en général, Sur l’art d’alterner les récoltes, Sur les constructions rurales, Pour la rédaction d’un Manuel-pratique sur l’éducation des Abeilles… Elle attribue des Médailles de reconnaissance pour le dessèchement d’un marais, pour la rédaction d’un traité des arbres fruitiers, à des voyageurs qui rapportent de nouvelles espèces végétales, à des jardiniers qui les acclimatent. C’est ainsi que le citoyen Riedlé, premier garçon jardinier de l’École botanique du Muséum national d’histoire naturelle, a recueilli [137] au cours d’un voyage (de Ténérife à Porto-Rico) et cultivé pendant la traversée de retour 913 espèces de semences, fruits ou capsules, « pour les partager entre cinquante jardins d’Écoles centrales de la République », rapporté 231 échantillons de bois différents et « environ 1200 exemplaires d’espèces différentes de plantes sèches préparées ».
Le secrétaire, Silvestre, rend compte des travaux de la Société en l’an VII à la séance publique du 30 Prairial an VII (18 juin 1799) :
Les CC. Dussieux, Chaptal et Creuzé-Latouche, membres, ont donné divers Mémoires sur la Vigne et sur la fabrication du Vin ; les deux premiers Mémoires ont fait depuis partie du dixième volume du Dictionnaire d’Agriculture, entrepris par Rozier et fournissent des preuves nouvelles de l’importance d’appliquer les données des sciences physiques et naturelles, au perfectionnement des arts économiques [138].
Le mémoire de Chaptal Sur la manière dont on fertilise les montagnes dans les Cévennes est publié (t. I, p. 407–413).
Dans le t. II des Mémoires d’agriculture, d’économie rurale et domestique, imprimé en l’an IX, Silvestre rend compte des travaux de l’an VIII à la séance publique du 20 Messidor an VIII (9 juillet 1800), la Société se fixe trois missions : perfectionner l’agriculture, éclairer les agriculteurs sur leurs véritables intérêts, avertir le gouvernement « qui tient dans ses mains les leviers les plus puissants pour faire faire des progrès rapides à l’économie rurale ». Le citoyen Cels donne une information sur la préparation de la nouvelle édition du Théâtre d’Agriculture d’Olivier de Serres11 ; le citoyen Béthune-Charost a communiqué des Observations sur l’Essai que le citoyen Chaptal a publié relativement au perfectionnement des arts chimiques.
Dans ce tome II des Mémoires d’agriculture (t. II, p. 97–109) se trouve le Rapport d’une commission de 5 membres (dont font partie Chaptal et Grégoire) Sur la nécessité de conserver l’Établissement rural de l’ancienne Ménagerie de Versailles, entendu par la Société le 26 Floréal an VIII (16 mai 1800) :
Les progrès de l’agriculture sont toujours en proportion du nombre des bestiaux que le sol peut nourrir ; […] les succès d’un grand nombre d’arts mécaniques, d’ateliers, de manufactures tiennent au perfectionnement des races de bestiaux, sur-tout à celles des moutons, à la quantité et à la qualité des laines employées dans les manufactures.
[…] Le Gouvernement anglois n’a pas vu, sans regret, se propager en France la race des moutons d’Espagne à laine superfine, et nos laines indigènes s’améliorer par l’effet du croisement des races [139].
Le Rapport, mal interprété dans la presse, suscite la publication d’Observations, en supplément au rapport, signées par 34 sociétaires parmi lesquels Chaptal et Fourcroy (t. II, p. 110–125). Dans sa séance générale du 5 Messidor an VIII, l’Institut soutient la Société d’agriculture dont plusieurs rapporteurs sont aussi ses membres. Le rapport de l’Institut sur le rapport de la Commission de la Société d’agriculture est envoyé à cette Société et publié dans le même tome de ses Mémoires (t. II, p. 126–144).
Le 20 Messidor an VIII (9 juillet 1800), le citoyen Tessier expose sa conviction que le gouvernement doit protéger activement les agriculteurs et ne pas abandonner l’agriculture aux soins des particuliers. « Il y a des genres d’amélioration qui ne peuvent être que l’ouvrage du Gouvernement » (t. II, p. 145–162). Cette demande d’intervention de l’État en matière d’agriculture tranche avec l’indépendance réclamée pour les fabricants par Chaptal dans d’autres ouvrages. La suite du volume est constituée d’un plan détaillé pour faire des descriptions topographiques complètes ; ce plan a reçu un Prix de la Société, il est aussitôt appliqué au département du Gers pour répondre à l’enquête statistique entreprise par le ministère de l’Intérieur auprès des préfets, enquête qui sera amplifiée par le ministre Chaptal.
2. Seconde partie : du Consulat à la Monarchie de Juillet
2.1. Les affaires de l’État
Après les élections du printemps 1799, le Directoire a dû faire face à une double opposition : celle des néo-Jacobins, qui forcent trois des Directeurs à la démission (30 Prairial an VII ou 18 juin 1799), et celle des Révisionnistes, avec Sieyès et les amis de Chaptal, qui préparent un changement de Régime.
Rappelé en France, Bonaparte est de retour à Fréjus le 9 octobre 1799. Le 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799), allié à Sieyes, il est nommé commandant des troupes de Paris et le lendemain, grâce à son frère Lucien, président des Cinq-Cents [140, 141], le Conseil des Anciens et quelques députés des Cinq-Cents ralliés votent la suppression du Directoire et son remplacement par trois Consuls, Sieyès, Roger Ducos et Bonaparte. Deux commissions sont chargées de préparer sous leur direction un remaniement de la Constitution. Le 15 décembre une nouvelle constitution, dite de l’an VIII, est promulguée. Le pouvoir législatif appartient à deux chambres, le Tribunat et le Corps Législatif, renouvelables par cinquième tous les ans. Le Tribunat discute les projets de lois exposés par le gouvernement. Le Corps Législatif les vote sans débattre. Une troisième chambre, le Sénat conservateur, nomme les membres des premières, sur des listes de notabilités nationales, et annule ou confirme la constitutionnalité des actes qui lui sont transmis par le Gouvernement ou le Tribunat. Trois consuls sont nommés pour dix ans, le Premier Consul concentre la réalité du pouvoir. En outre le décret du 26 décembre organise un Conseil d’État de 30 membres nommés et révocables par le Premier Consul. Les Consuls sont, dans l’ordre, Bonaparte, Cambacérès et Lebrun. Les membres des trois assemblées sont désignés dès le 25 décembre.
Chaptal est nommé conseiller d’État, chargé à la section de l’Intérieur de l’Instruction publique. Mais « Le ministre de l’Intérieur, frère du premier Consul, voulut se retenir l’instruction publique, et il y parvint. Ces attributions furent donc rapportées, et [Chaptal resta] simple conseiller d’État » [46, p. 55].
La loi des otages du 23 Messidor an VII (12 juillet 1799) est abrogée, les proscrits du 18 Fructidor sont rappelés, les chouans pris ou amnistiés, la liberté du culte rétablie. La victoire du Premier Consul à Marengo, le 25 Prairial an VIII (14 juin 1800), et celle de Moreau à Hohenlinden, le 12 Frimaire an XI (3 décembre 1800), contraignent l’Autriche à signer le traité de Lunéville (9 février 1801) qui confirme les cessions de territoires de Campo-Formio. L’Égypte retourne aux Turcs et l’Angleterre signe le traité d’Amiens le 25 mars 1802. Le Concordat négocié avec Pie VII est conclu le 15 juillet 1801 (26 Messidor an IX). La France connaît un apaisement oublié depuis plus de dix ans.
Après un bref ministère de Laplace, puis celui de Lucien Bonaparte, Chaptal devient ministre de l’Intérieur par intérim le 15 Brumaire an VIII (6 novembre 1800). Il est nommé définitivement dans ce poste le 1er Pluviôse an IX (21 janvier 1801). Le gouvernement auquel il appartient, qui se veut un gouvernement de réconciliation, doit néanmoins faire face à des oppositions violentes (attentat de la rue Saint-Nicaise dès le 24 décembre 1800). La police relève du ministère de Fouché (1759–1820).
2.2. La laine fine d’Espagne
Dans le tome III des Mémoires d’agriculture, d’économie rurale et domestique, imprimé en l’an X, qui rassemble les travaux de la Société d’agriculture de Messidor an VIII à Messidor an IX,
Un des plus importans résultats qu’on doive à la sollicitude du Gouvernement, est l’introduction en France d’un nouveau troupeau de mille bêtes à laine fine achetées en Espagne […]. On peut citer comme des mesures utiles et bienfaisantes, celles que le Ministre de l’Intérieur (le C. Chaptal) a prises de faire venir des taureaux et vaches suisses pour régénérer les bêtes à cornes dans la Vendée […] des Conseils d’agriculture, arts et commerce sont établis auprès de tous les Préfets […]. Nous pouvons encore considérer comme un motif d’encouragement pour l’Agriculture le prix de 60,000 francs que le Ministre de l’Intérieur (le C. Chaptal) vient de proposer pour la filature des laines [142, p. 6, 9 et 10].
On annonce [142, p. 13] la naissance d’une « nouvelle Société pour l’encouragement de l’industrie ». La Société a reçu le « Traité théorique et pratique sur la culture de la vigne […]. Par les CC. Chaptal, Rozier, Parmentier et Dussieux […] avec XXI planches, représentant les différentes espèces de vignes ; les machines et instrumens servant à la fabrication des vins et eaux-de-vie. Paris, an IX. 1801, 2 vol. in-8° », ainsi que les Statistiques de plusieurs départements dont Chaptal confie l’impression à l’Imprimerie des Sourds-Muets.
2.3. Le perfectionnement des arts chimiques
Dans ses Souvenirs [46] de Conseiller d’État Chaptal sélectionne « deux affaires bien importantes »: la loi sur l’administration générale qui institue les préfets et autres administrateurs du territoire, et l’organisation de l’instruction publique.
Physiocrate, comme ses prédécesseurs, Turgot et François de Neufchâteau, Chaptal croit qu’un ordre et des lois naturelles s’imposent pour leur bonheur aux sociétés [143].
En 1800, il publie un Essai sur le perfectionnement des arts chimiques de 88 pages édité par Déterville à Paris. Une version réduite du document [144] paraît dans les Annales de chimie.
Cuvier en fait l’analyse, dans la séance publique du 15 Germinal an VIII à l’Institut :
Le C. Chaptal a traité dans un ouvrage particulier, des moyens d’encourager et de perfectionner les arts chymiques en France, former des fabricans éclairés, rendre la fabrication plus économique, placer les manufactures dans les lieux les plus convenables, telles sont les trois sources d’amélioration qu’il propose ; des écoles d’instruction pratique, où l’on formerait des élèves et où l’on perfectionnerait les procédés ; liberté entière à l’entrée des matières premières ; faveur pour l’exportation des objets manufacturés, division des travaux dans les atteliers, emploi des capitaux dans les manufactures, tels sont ses moyens. Espérons que bientôt le gouvernement sera en état de donner à ces objets importants toute l’attention qu’ils méritent [145].
L’objectif de Chaptal est que la France se place au premier rang des nations manufacturières. Il envisage trois moyens : former des fabricants éclairés, diminuer le coût de fabrication et définir les lieux les plus convenables pour implanter ces fabrications. Pour celles qui concernent les produits de l’agriculture il prévoit un établissement d’instruction (école pratique d’halotechnie et de distillation), installé à Montpellier, où on apprendrait la distillation des vins, des plantes aromatiques et la composition des parfums à côté de la formation des sels et de l’extraction des acides et des alkalis. Une École des teintures, installée à Lyon, aurait une partie consacrée aux préparations animales : cuirs, colles, travail de l’ivoire, de la corne et des os, fabrication des feutres, extraction des huiles et graisses, fabrication du beurre et de fromage, préparation des viandes.
En physiocrate, Chaptal est un ardent partisan de la liberté du travail, il recommande la liberté du fabricant pour choisir sa source de matières premières, l’entrée libre et la libre circulation des ces matières, la liberté d’exportation des produits manufacturés, l’imposition du fabricant et non celle des marchandises, l’imposition de la fabrication étrangère, l’instruction des artistes (artisans-fabricants), l’éducation du goût des consommateurs, la mécanisation qui réduit la main d’œuvre et accroit la production, réduit les prix et augmente la consommation, la division du travail, la garantie du gouvernement dans l’exécution des contrats d’emploi et de commerce.
Bien d’autres considérations, qui tiennent au sol, doivent encore influer sur l’établissement des fabriques : par exemple, une terre qui présente de grandes ressources pour l’agriculture, et fournit à tous ses habitans des moyens faciles de subsistance, repousse tout autre genre d’industrie que celui qui a besoin et dépend des productions de la terre elle-même ; ainsi des travaux sur le lin, le chanvre, le vin, la garance, bien loin de nuire à l’agriculture, en multiplieront les ressources, tandis que des arts étrangers à la culture y dessécheroient jusques dans leur source les canaux de la prospérité territoriale [144].
Il recommande de ne pas étendre les travaux des villes dans les campagnes, pour « l’appât d’un gain momentané et l’attrait d’un travail plus facile » qui changerait « un peuple agriculteur en un peuple manufacturier », et laisserait les ouvriers sans emploi en cas de stagnation du commerce.
L’Essai est commenté dans La Décade Philosophique [146, 147].
2.4. Du sucre de betterave annoncé à l’Institut
Dans les découvertes marquantes récentes, à la séance publique du 15 Messidor an VIII (4 juillet 1800), Cuvier, secrétaire perpétuel de la classe des sciences mathématiques et physiques à l’Institut, retenait le sucre de betterave (Figure 5) :
L’art d’extraire le sucre de plantes Européennes est une découverte étrangère ; M. Achard, de l’Académie de Berlin, paraît l’avoir portée très près de sa perfection […]. Le C. Deyeux vous rendra compte dans cette séance des résultats obtenus par nos chimistes ; que l’on juge par ce seul exemple de l’influence que peut avoir une simple expérience de physique sur le sort de l’espèce humaine ; le sucre devenu pour l’Europe un objet de première nécessité était tiré jusqu’ici d’une plante qui ne murit que dans les climats où les nègres seuls peuvent se livrer à sa culture ; l’Esclavage de plusieurs millions de ces malheureux, des guerres perpétuelles entre les peuplades de l’Afrique, pour fournir à cet affreux commerce ; des guerres plus grandes et plus cruelles encore entre les nations policées pour la possession des îles à sucre, tel est le résultat de cet état de choses.
En vain la voix de l’humanité avait cherché à se faire entendre. Ce sentiment n’est plus capable de faire renoncer nos sociétés actuelles aux jouissances du luxe. La nature se réservait un moyen plus sûr de nous ramener. Une herbe méprisée recèle ce suc précieux, et cette herbe peut changer la face politique des deux mondes [145, séance publique du 15 Messidor an VIII].
2.5. Le blanchiment du coton à l’Institut
Dans l’analyse par Cuvier, secrétaire perpétuel, des travaux du 4e trimestre de l’an VIII, à la séance publique du 15 Vendémiaire an IX (7 octobre 1800) :
Le Cen Chaptal fit connaître dans cette enceinte l’année dernière à pareil jour, un nouveau procédé pour blanchir le coton par la vapeur de l’alcali fixe, il fesait espérer que ce procédé s’appliquerait avec avantage au blanchiment du lin.
Les Anglais n’ont pas manqué de faire usage de cette découverte ; ils l’ont même appliquée aux toiles en les dévidant dans l’appareil et l’ont rendu si économique que l’aune ne coûte pas un liard à blanchir. Le Cen Bawens, vient d’établir le même procédé à la fabrique des Bons-hommes ; il y blanchit deux à trois mille aunes de toile en un jour, avec trente livres de fonds et un seul homme. On va l’établir également à Rouen et dans la Belgique [145].
Dans une rubrique Technologie, le 30 Prairial an IX (19 juin 1801), Cuvier revient longuement, preuve de son importance et de son développement rapide, pour les collectivités et l’hygiène, et au-delà des frontières nationales, sur un Nouveau moyen de blanchir le linge des ménages :
Nous avons indiqué il y a dix-huit mois le procédé proposé par le Cen Chaptal, pour blanchir le coton, qui consiste à l’imprégner d’une lessive alcaline, et à l’exposer ainsi à la vapeur de l’eau bouillante ; nous avons rendu compte depuis d’après le même savant des succès que son procédé avait obtenus, et des améliorations qu’il avait reçues en Irlande où les feuilles publiques en avaient porté la nouvelle, et à Paris dans la manufacture du Cen Bawens et dans plusieurs manufactures semblables que ce fabricant a formé en société avec un autre artiste distingué, le C. Bourlier, sur divers points de la France. Des machines simples ont été imaginées pour tourner les étoffes dans l’appareil, et en présenter toutes les parties à la vapeur ; on a reconnu que le lin n’exige qu’une lessive faible mais qu’il est nécessaire pour le blanchir complettement de faire alterner l’action de la lessive avec celle de l’air atmosphérique ; enfin on est parvenu à donner en deux ou trois jours aux toiles les plus grossières une blancheur parfaite, et pour un prix de moitié moindre que celui du blanchissage ordinaire.
Le C. Chaptal voulant porter aussi loin qu’il serait possible, l’utilité de son procédé en a essayé l’emploi pour le blanchissage du linge, on a fait des expériences sur quelques centaines de paires de draps, pris à l’hôtel Dieu et choisis parmi les plus sales, on a reconnu qu’ils avaient été parfaitement lavés en deux jours, avec sept dixièmes seulement de la dépense ordinaire ; il y a d’ailleurs cet avantage, que n’étant point soumis au battage ni aux autres opérations des blanchisseuses ordinaires ils sont beaucoup moins usés, et que la chaleur extrême à laquelle on les expose, ne peut y laisser aucun principe contagieux [145, séance publique du 30 Prairial an IX].
2.6. Des sucres indigènes
Dans son analyse des travaux de l’Institut du 1er Messidor an 12 au 1er Messidor an 13 (juillet 1804 à juillet 1805), Cuvier apporte des nouvelles des recherches de Proust sur le sucre de raisin et d’Achard sur celui de betterave, le premier « donne tout le détail de ses essais dans un mémoire qu’il nous adresse de Madrid », le second « aurait beaucoup simplifié ses procédés », pendant que Cossigny s’efforce de cultiver la canne à sucre à Nice, il a extrait « de très-bon sucre » de cannes cultivées au Muséum [145, travaux du 1er Messidor an XII au 1er Messidor an XIII].
2.7. L’instruction publique
L’Essai sur le perfectionnement des arts chimiques est suivi, à la demande du Premier Consul, d’un Rapport et projet de loi sur l’instruction publique [148], qui compte 134 pages et paraît dans le Moniteur du 19 au 27 Brumaire an IX.
Ces deux essais, sur le perfectionnement des arts chimiques, et sur l’instruction publique, expriment avec détermination et autorité le plan de Chaptal pour la recomposition du pays.
Remanié, mutilé, plusieurs fois, et finalement imprimé dans le Moniteur, le Rapport n’a pas été soumis au Corps législatif. Ce document, précis dans ses propositions, intéresse encore aujourd’hui. Dans les bonnes décisions de la Convention Chaptal place la conservation du dépôt précieux des arts et métiers, deux écoles d’économie rurale, et la réunion, sous le nom d’Institut, des sciences, des arts et de la littérature.
Il critique vivement les Écoles centrales jugées sans organisation, sans ordre, aux cours mal distribués dans le temps, cause d’une spécialisation prématurée, et à la discipline pas assez sévère. Ce sont, dit-il, des « écoles de perfectionnement [plutôt que] des écoles d’instruction première pour les sciences ». Des voix s’exprimeront plus tard pour rappeler que ce sont les Écoles centrales qui ont formé les grands savants de la génération des Chevreul (1786–1889) à Angers, Dulong (1785–1838) à Rouen, Arago (1786–1853) à Perpignan, Cauchy (1789–1857) à Paris-Panthéon, Braconnot (1780–1855) à Nancy, Dupin (1784–1873) à Orléans [149, 150, 151, 5, p. 32–69]. Picavet cite les titres et distinctions des professeurs, leurs publications, leurs lettres publiées dans La Décade philosophique, leurs propositions d’améliorations, l’avenir brillant de nombreux élèves, mais aussi les pénuries de locaux adaptés et d’équipement pour les cours scientifiques, les dénigrements et oppositions locales de ceux qui voulaient revenir aux anciens collèges religieux (Figure 6). « On s’aperçoit bien vite, après le 18 Brumaire, que les écoles centrales, comme toutes les autres institutions de la Révolution, sont menacées et sur le point d’être détruites ».
Dans La Décade du 20 Messidor an VIII, un professeur demande au gouvernement « de modifier, de perfectionner ces établissements, mais non de les détruire » [129].
Conçues par Condorcet, Lakanal et Daunou, inspirées des Encyclopédistes et des Idéologues, adoptées par un décret de la Convention (7 Ventôse an III, 25 février 1795), installées par Nicolas François de Neufchâteau, ministre de l’Intérieur sous le Directoire, discutées pour leur originalité, diverses, elles sont supprimées par Chaptal (loi du 11 Floréal an X, 1er mai 1802) et remplacées progressivement par les lycées napoléoniens.
Les Écoles centrales doivent disposer d’un jardin botanique qu’il faut planter et cultiver, d’une bibliothèque et de collections en sciences naturelles. Les enseignements de physique et chimie, pratiques et expérimentaux, nécessitent des matériels et des produits. L’enseignement scientifique ainsi conçu est nouveau. Celui de l’histoire et de la grammaire, aussi. Sans internat les élèves doivent trouver à se loger. Les écoles, administrées par leurs enseignants, utilisent leurs réseaux de connaissances pour se procurer ce qui manque, dans les dépôts nationaux provenant des biens d’émigrés, des anciens collèges confessionnels et des communautés religieuses, ou, comme J.-B. Biot à Beauvais, auprès du Muséum par exemple. Les élèves reçoivent un enseignement pratique d’horticulture et d’agriculture. L’ensemble est ambitieux mais cher et le ministre a personnellement un autre projet pour l’enseignement secondaire qui passe par des programmes définis et la mise à disposition de manuels, la liberté pédagogique et la concurrence entre institutions publique et privées.
Chaptal décrit un projet élitiste et complet. À tous il faut apprendre à écrire, lire, chiffrer, gratuitement. Au-delà il faut adapter l’instruction aux fonctions particulières que les élèves sont appelés à exercer :
En partant de ces principes, l’instruction doit être très-inégale ; car tous les états de la société n’en ont pas un égal besoin […]. Les divers degrés de l’instruction publique doivent donc correspondre aux grandes divisions qui s’observent dans le corps social. […] tout Gouvernement tend à une domination arbitraire : l’instruction seule remet continuellement sous les yeux du peuple ses droits et ses devoirs : elle est donc le vrai et le seul correctif ou régulateur de la tendance naturelle du Gouvernement vers le pouvoir absolu [148].
Chaptal passe en revue les écoles spéciales : « L’art vétérinaire, dont une nation agricole peut retirer de si grands avantages, possède déjà deux grands établissemens […] les écoles d’Alfort et de Lyon seront donc conservées et améliorées. »
Au-dessus de ces écoles il place un Institut des sciences et des arts.
Pour le dessin, les belles-lettres, l’histoire naturelle, la physique et la chimie, on n’aura de bons maîtres « qu’en les prenant à Paris ».
Nous devons regarder l’école d’histoire naturelle au jardin des plantes, l’enseignement au collége de France, et l’école de peinture, sculpture, architecture, comme trois écoles normales […] nous consacrerons des écoles spéciales à l’enseignement de la médecine, de la législation, des arts mécaniques et chimiques, de l’histoire naturelle, de l’agriculture et économie rurale, de l’art vétérinaire, de l’art du dessin (qui apprend à observer) et de la musique [148].
Chaptal examine évidemment le fonctionnement des écoles de médecine, mais c’est sur l’École spéciale d’Agriculture et Economie rurale que le Rapport s’attarde : « La France est à la fois commerçante et agricole […] son agriculture, base fondamentale de sa richesse et la garantie principale de son indépendance, est encore susceptible de grands perfectionnemens ».
Des vingt-cinq années passées, il retient les « améliorations précieuses » que sont « la multiplicité des prairies artificielles, le perfectionnement de nos bêtes à laine, l’abolition presque générale des jachères, et l’art d’alterner les récoltes ». Il condamne l’immobilisme, encourage à « s’enrichir de l’expérience de tous les peuples de notre globe ». Il se félicite de la formation de Sociétés libres d’agriculture départementales. « Le Gouvernement doit les rapprocher » en établissant une société centrale qui collecte les renseignements et vérifie les faits nouveaux.
Quatre professeurs me paraissent pouvoir suffire à l’enseignement :
Un de mécanique rurale ;
Un de la nature et de la culture des terres ;
Un de la culture des arbres ;
Un de mouture, boulangerie, et nourriture des hommes et des animaux [148].
Il rend hommage à la Convention, « dans un temps où un systême de destruction couvrait la France des débris de tous nos arts », d’avoir institué le Conservatoire des Arts et Métiers (décret du 19 Vendémiaire an III, 11 octobre 1794), destiné à recueillir les machines, instruments, plans, descriptions et expériences qui touchent aux progrès de l’industrie. Il propose au Gouvernement de créer quatre établissements semblables à Paris, Bruxelles, Lyon et Toulouse.
Les commentateurs se sont interrogés sur l’étrange discrétion du Rapport au sujet de l’École polytechnique.
Le Muséum d’histoire naturelle, « organisé par la loi du 10 juin 1793, présente, en ce moment, le système d’enseignement le plus complet qu’il y ait en Europe, tant sous le rapport des riches collections qu’il possède, que sous celui des hommes célèbres qui y professent ». Il doit former des professeurs pour tous les départements.
Passant à l’Institut national des sciences et arts organisé par la loi du 3 Brumaire an IV, il justifie le rétablissement d’un secrétaire perpétuel dans chaque classe et propose de créer une section d’éloquence.
Le rapport de Chaptal est commenté par les lecteurs dans La Décade philosophique [152].
Fondée le 10 Floréal an II (29 avril 1794) La Décade, journal gagné aux Idéologues, disparaît par ordre de Napoléon en 1807. C’est une revue militante largement diffusée en province, ses rédacteurs et collaborateurs sont membres de l’Institut, de l’Observatoire, du Muséum, savants, professeurs, hauts fonctionnaires. Ce journal, qui se donne une mission pédagogique, s’engage dans le débat sur l’instruction publique, la construction du concept d’esprit public et défend la prépondérance des sciences, le libéralisme économique et politique et la propriété privée. Dans La Décade n° 23 (septembre-novembre 1799), Cabanis plaide pour le maintien de l’École polytechnique. Dans La Décade n° 27, des lettres de lecteurs contestent l’image des Écoles centrales donnée dans le Rapport de Chaptal. Un lecteur qui signe « Un père de famille » écrit :
À en croire les bruits qui circulent, le nouveau système d’instruction publique tombe déjà de vétusté, et un nouveau plan va lui être substitué.
[…] Depuis cinq ans les écoles centrales sont en activité ; elles ont triomphé de tous les obstacles, déjà elles commencent à répondre à l’attente et au vœu national ; mais la manie des innovations jette l’alarme dans l’âme de tous ceux qui voudraient que l’on améliorât et que l’on ne détruisît pas.
Aujourd’hui ce n’est plus l’ensemble qui est menacé, on daigne conserver les écoles centrales, mais on veut qu’elles soient mutilées.
La chaire de morale et de législation que les philosophes ne cessaient d’appeler depuis tant de siècles, qui dans tous les pays où brille une étincelle de liberté a toujours été établie, doit être proscrite.
On se demande avec étonnement par quel motif l’étude des vérités sociales ne doit plus avoir lieu ? Pourquoi on voudrait imposer silence aux organes des sciences morales et politiques, lorsque tout citoyen qui connaît et respecte sa dignité, s’écrie, avec l’Assemblée constituante, que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ?
Serait-il possible qu’au moment où une constitution, née de la longue épreuve de toutes les erreurs politiques, s’établit, la science, qui a le plus contribué à la consolider, fût réprouvée ?
[…] Ces écoles sont ouvertes, elles prospèrent, et on voudrait les fermer !
Le gouvernement est trop éclairé et trop ami des principes pour porter à l’instruction publique une atteinte si meurtrière. Il sait que le plus beau privilège d’une nation libre, est celui de s’instruire de ses droits et de ses devoirs.
Puisse ce vœu de tous les hommes de bien, être connu du Gouvernement, afin qu’il maintienne une institution si belle et si nécessaire [153] !
Le 30 Vendémiaire an X, l’auteur qui examine les résultats d’un grand nombre d’écoles centrales termine aussi par ce vœu : « perfectionnez, ne détruisez pas » [154].
Nicole Dhombres livre une analyse récente du Rapport de Chaptal. Elle observe qu’il faut le lire comme partie d’une réorganisation complète des structures de l’État :
Il constitue un plan d’éducation qui accorde la priorité à la formation du citoyen par rapport à celle de l’individu […]. Il s’agit d’assurer […] l’harmonie générale de l’ensemble du corps social par la satisfaction des besoins essentiels de la société. […] L’instruction publique a essentiellement pour but d’assurer le maintien d’un ordre social dont la division constitue le principe naturel et l’unité le souverain bien […]. Dans cette optique, son rejet par le régime en place revêt une signification également politique [155].
La critique par Chaptal du plan de Condorcet marque son « désenchantement » face à la foi des Encyclopédistes en un progrès continu. N. Dhombres souligne aussi l’attachement de Chaptal à la notion d’utilité :
L’instruction publique doit avoir pour but principal de donner à chacun les connaissances nécessaires pour remplir convenablement les fonctions auxquelles il est appelé dans la société. Ce qui revient à dire que tous les citoyens ne relèvent pas du même degré d’instruction et que l’instruction doit être très inégale [155].
Bien qu’attaché à la méritocratie, son « enseignement secondaire est réservé à une élite ». Chaptal ne prévoit ni la scolarisation obligatoire, ni celle des filles, mais il pense à l’ouverture d’un pensionnat pour accueillir un petit nombre (huit) d’élèves peu fortunés. Le commentaire de N. Dhombres pointe la condamnation des Écoles centrales, la disparition de la primauté des sciences. Chaptal opte pour le maintien des Écoles spéciales organisées par la Convention (Muséum, Écoles de médecine), et en propose de nouvelles (législation, agriculture, arts mécaniques).
En l’an XI (1802–1803), Chaptal préside la Première Classe de l’Institut. Il en sera vice-président en 1824 et de nouveau président en 1825.
Par les lois du 19 Ventôse an XI (10 mars 1803) et du 22 Ventôse an XII (13 mars 1804), son ministère rétablit le doctorat, respectivement en médecine et en droit, qui sera conservé dans l’organisation de l’Université impériale (1806).
Nicolas François de Neufchâteau (1750–1828), ancien ministre de l’Intérieur du Directoire, ancien Directeur et maintenant sénateur, lit à la Société d’Agriculture du département de la Seine, le 14 Brumaire an X (15 novembre 1801), son Mémoire sur la manière d’étudier et d’enseigner l’Agriculture, et sur les diverses propositions qui ont été faites, pour établir en France une grande école d’économie rurale. Il a publié ce mémoire en 1827 (imprimerie Aucher-Eloy à Blois). Ayant rappelé les projets de Rozier, Turgot, Arthur Young et Humphry Davy, et reconnaissant qu’ils étaient réalisables, il dit avoir adressé au citoyen Chaptal, ministre de l’Intérieur, une demande de « concession des château et parc de Chambord, pour y établir une colonie ou une ville nouvelle, avec une école nationale d’agriculture, des fermes et pépinières expérimentales, etc. »:
Enfin, nous devons à la valeur et à la sagesse de l’homme le plus étonnant de l’histoire moderne, la paix continentale et la paix maritime. […] Avec un homme tel que vous [Chaptal], je n’ai pas besoin de développer les avantages du plan que je vous soumets. Vous êtes convaincu que les améliorations et les réformes à introduire dans notre agriculture ne peuvent se propager que par une forte impulsion et par un grand exemple. […] Je désire ardemment de lui consacrer le reste de ma carrière. […] On parle d’ériger un monument à la gloire du premier consul. Celui que je propose doit plaire à son cœur. […] Le ministre le présenta promptement aux consuls avec un avis favorable, en y joignant deux arrêtés qui devaient assurer l’exécution de mes vues […] cependant, le 2 avril 1802 (12 Germinal an X), on ajourna mon projet [156].
François de Neufchâteau développa ses arguments au Premier consul en personne, « mais tout fut inutile […] on décida enfin que Chambord resterait un poste militaire […]. On ne voulait que des soldats ». Pigeire prête à Chaptal, sur Napoléon, des pensées analogues :
Du « balcon de caserne » d’où il regardait la vie sociale, ce qui le frappait [Napoléon] c’était essentiellement la nécessité de trouver, dans l’élite du peuple et de la bourgeoisie, l’apport annuel de deux mille jeunes gens […], cœurs embrasés d’une seule mystique, le « rendez tout à César » [1, p. 238–239].
Le Premier Consul a fait obstacle au projet d’instruction publique de son ministre : la loi votée le 1er mai 1802 (251 voix contre 27) ne laisse au Gouvernement que le lycée impérial et les écoles spéciales, le premier avec ses uniformes, ses emplois du temps réglés, ses officiers instructeurs (10 juin 1803). L’École polytechnique sera militarisée le 16 juillet 1804.
2.8. Les Arts et Métiers à l’Institut
En 1800, dans le cadre d’une collection d’ouvrages sur les Arts et Métiers entreprise par l’Institut, « Le C. Chaptal a été invité à se charger de la description complète de l’art du détacheur » [145]. Il publie des Notes sur l’art du dégraisseur qui sont complétées en Observations chimiques sur l’art du dégraisseur en 1806, lues à l’Institut le 21 Messidor an VII (9 juillet 1799) [157], puis augmentées dans Principes chimiques sur l’art du teinturier-dégraisseur publié chez l’éditeur Déterville en 1808.
Le 15 Messidor an VIII (4 juillet 1800) il présente à l’Institut un Procédé pour blanchir les toiles de coton en employant la soude, qui est publié dans le tome 51 du Journal de Physique [158].
Le même tome du Journal de Physique contient aussi [159] le Mémoire sur le vin, par Chaptal. Extrait du cours d’agriculture, ce que rappelle Delaméthrie dans son Discours préliminaire du tome 52 [160] : « Chaptal a fait un beau travail sur le vin ».
Dans la séance publique du 15 Nivôse an VIII (5 janvier 1800) « Le C. Chaptal nous a fait connaître une nouvelle méthode de blanchir le coton dont il vous donnera un précis dans le cours de cette séance » [145].
Chaptal publie ces travaux dans un ouvrage intitulé Essai sur le Blanchiment en 1801. Il a étendu la découverte de Berthollet « au blanchiment des vieux livres, des vieilles estampes, surtout à celui de la pâte de chiffons dont on se sert pour la fabrication du papier » [94]. À la Société philomathique il a publié un procédé simplifié et plus rapide, le « blanchiment à la fumée » qui est plus volontiers adopté par les manufacturiers (Oberkampf, Bauwens…) [161].
En 1801, il publie des Vues générales sur l’action des terres dans la végétation [162], il contribue au tome X du Cours complet d’Agriculture ou Dictionnaire universel d’Agriculture par une Société d’agriculteurs et rédigé par Rosier [163], et il publie un Traité théorique et pratique sur la culture de la vigne avec l’art de faire le vin etc., avec l’Abbé Rozier, Parmentier et Dussieux, en deux tomes [164].
2.9. Les multiples charges de ministre de l’Intérieur
Le ministère de l’Intérieur « regroupe l’administration générale (population, conscription, Garde nationale), l’agriculture, l’approvisionnement, le commerce, les arts et manufactures, l’assistance publique, les prisons, les travaux publics, les mines, les ponts et chaussées, l’instruction publique, les cultes, les grandes institutions artistiques et scientifiques ». Un rapport du 7 Brumaire an X (29 octobre 1801) précise :
Surveillance administrative des départements et communes ; organisation des élections et surveillance du fonctionnement des collèges électoraux ; suivi des […] préfets, sous-préfets et maires ; comptabilité des départements et communes, organisation de la Garde nationale ; administration des prisons, des hôpitaux civils, dépôts de mendicité, établissements de sourds-muets et d’aveugles, organisation des secours publics ; construction et entretien des routes, ports marchands, ponts, canaux et autres travaux publics, phares des ports de commerce ; administration des mines ; navigation intérieure, flottage, halage ; administration de l’agriculture, des haras, des pépinières et bergeries ; travaux de dessèchement et défrichement ; mesures sanitaires ; administration et surveillance de l’instruction publique, des musées, des fêtes publiques ; autorisation et surveillance des théâtres ; surveillance des sociétés savantes, des dépôts littéraires et des archives, administration des poids et mesures, bureau des statistiques [140, p. 165–166].
La Banque de France, fondée le 18 janvier 1800, a été l’important facteur de stabilité monétaire qui a permis ces développements.
Pour l’amélioration de la vie à Paris, Chaptal est à l’origine du canal de l’Ourcq ; il libère et restaure le Louvre en décidant le transfert de l’Institut au Palais des Quatre-Nations, dégage la place Saint-Sulpice, et engage la construction de nouveaux ponts (ponts d’Austerlitz, des Arts, de l’île Saint-Louis).
Les négociations du Concordat, traitées par le Premier Consul directement et par ses envoyés, ne relevaient pas de l’Intérieur mais des Affaires étrangères confiées à Talleyrand ; la nomination des nouveaux évêques a été l’œuvre de Jean-Etienne Marie Portalis (1746–1807), conseiller d’État nommé Directeur des affaires ecclésiastiques, puis ministre des Cultes le 10 juillet 1804 (21 Messidor an XII) peu de temps avant la démission de Chaptal.
Chaptal considérait le « rétablissement du culte sur ses anciennes bases » comme « l’opération la plus hardie qu’ait faite Bonaparte, pendant les premières années de son règne » [46, p. 236].
Sur les activités du ministre nous renvoyons aux références [2, 165, 166]. Néanmoins, nous signalons schématiquement le contexte politique dans lequel les travaux scientifiques de Chaptal se poursuivent.
2.10. Des Annales de l’Agriculture
En l’an VII, le citoyen Tessier, membre de l’Institut national, de la Société de l’École de médecine de Paris, de la Société d’agriculture du département de la Seine, et du Conseil d’agriculture du ministère de l’Intérieur, avait fait paraître des Annales de l’Agriculture française, avec Rougier-Labergerie. Après quatre volumes, la publication est interrompue, elle reprend en Vendémiaire an IX sous forme de cahiers mensuels groupés en quatre volumes annuels.
Chaptal, conseiller d’État et ministre de l’Intérieur, est l’un des 91 premiers souscripteurs [167], avec le général Bonaparte, Premier Consul. Le volume VI et le suivant contiennent des extraits et des notes sur les voyages d’Arthur Young, ainsi que des extraits de l’Application de la Chimie à l’Agriculture de Dundonnald. Chaque volume contient des fragments de la statistique de quelques départements.
Le citoyen Grignet avait proposé de fournir, à bas prix, de l’orge mondée aux hospices civils et aux établissements de bienfaisance, en remplacement du riz devenu très cher à cause de la guerre. Le ministre avait demandé l’avis du Comité général de Bienfaisance de Paris et celui de l’École de médecine. Le Comité avait chargé Parmentier de l’examen de la proposition et du rapport au ministre de l’Intérieur. Dans le tome IX des Annales de l’Agriculture [168], Tessier donne des extraits du rapport avec des observations sur les soupes aux légumes : la culture du riz est difficile, elle exige de la chaleur et doit être continuellement inondée. Parmentier examine tous les ennemis des cultures : oiseaux, rats, insectes, vents, pluies, orages, exhalaisons des eaux stagnantes. L’orge est bien plus avantageuse, mais inapte à faire du bon pain à moins d’être mélangée en faible proportion à du froment et au seigle. Il décrit plusieurs procédés pour monder l’orge (la dépouiller de son écorce). Il croit l’orge moins nourrissante que le riz. Il compare l’orge à l’avoine qu’il connaît. À la fin il donne trois recettes et les coûts pour préparer 300 soupes économiques. Le rapport de l’École de médecine est plus bref. L’École aussi estime qu’on doit accueillir la proposition du citoyen Grignet.
La revue annonce et présente de nouveaux livres et le programme des Prix.
Le tome X contient un article sur la fabrication du pain en Égypte.
Prenant la suite de François de Neufchâteau, Chaptal organise en 1801 et 1802 deux expositions nationales, qu’il voudrait par la suite voir devenir annuelles, pour faire connaître les productions françaises. La rupture de la paix d’Amiens renvoie la suivante à 1806. La cinquième ne se tiendra qu’en 1819.
Le ministre soutient la reprise des foires locales (Beaucaire). Le 17 Frimaire an X (8 décembre 1801), il présente le projet d’un Code du commerce.
2.11. La Société d’encouragement pour l’industrie nationale (SEIN)
Entre quelques personnes, partant de l’exposition nationale de l’an IX, est né le projet d’une Société d’encouragement pour l’industrie nationale12 , sur le modèle de la Société pour l’encouragement des arts et des manufactures de Londres, fondée en 1754.
La présidence est offerte à Chaptal, ministre de l’Intérieur, qui s’engage personnellement pour 120 souscriptions et 6 600 francs, ouvre à la Société les renseignements des archives du ministère et ceux du Conservatoire des arts et métiers, successivement dirigé par les frères Claude Pierre et François Emmanuel Molart qui sont ses amis. Chaptal est réélu président chaque année jusqu’à sa mort.
Sans son action pour la faire connaître, sans son soutien par une subvention ministérielle, la Société n’aurait pu survivre et se développer.
Tessier est membre du premier conseil d’administration de la nouvelle société. Les membres et administrateurs le plus souvent cités dans les années Chaptal sont des savants et des hauts fonctionnaires.
La séance d’ouverture a lieu le 9 Brumaire an X (31 octobre 1801). L’objectif de l’association est exposé par son secrétaire, Joseph-Marie de Gérando : étudier les besoins de l’industrie française et les moyens de la perfectionner. De Gérando (1772–1842), philosophe Idéologue, secrétaire du bureau consultatif des arts et du commerce, devient secrétaire général du ministère de l’Intérieur en 1804 [5]. Membre associé de la deuxième classe de l’Institut, il y a obtenu en l’an VI le prix de la section de l’analyse des sensations pour son ouvrage intitulé Des signes et de l’art de penser. Il est aussi membre de la Société des observateurs de l’homme qui fait imprimer ses Considérations sur les diverses méthodes à suivre dans l’observation des peuples sauvages (an VIII, 1800). Avec Benjamin Delessert et le duc de la Rochefoucauld-Liancourt, il fonde la Caisse d’épargne et de prévoyance le 22 mai 1818 [169].
Comme Chaptal il avait pris part au soulèvement fédéraliste de 1793.
Le 30 Prairial an XII (19 juin 1804), le président-ministre de l’Intérieur, approuve les rubriques proposées pour le nouveau Bulletin13 et l’organisation de sa rédaction confirmée par l’Assemblée générale du 23 Messidor (12 juillet 1804). C’est un président présent, assidu aux séances, il introduit les Assemblées générales. Sa compétence de terrain inspire confiance. Sa fonction ministérielle a transformé le chimiste protégé des États de Languedoc en chimiste protecteur de la Société nationale d’encouragement. Les sociétaires sont constitués en Comités (Arts mécaniques, Arts chimiques, Agriculture, Économie et Commerce). L’agriculture tient une place importante sans concurrencer les sociétés nombreuses existantes :
La Société d’Encouragement usurperait les attributions des autres Sociétés spécialement consacrées à l’avancement de cet art, si elle évoquait à son tribunal toutes les améliorations qui tendent à ce but : elle ne prétend point marcher à la tête de ces Institutions, mais elle se regarde comme leur auxiliaire ; elle leur abandonne les questions de pure théorie, mais elle leur offre le concours de son influence, toutes les fois qu’il s’agit de provoquer ou d’encourager des pratiques utiles. C’est sur ce principe qu’ont été institués tous ses prix d’agriculture. C’est dans cette vue qu’anciennement elle procura à de jeunes villageois l’apprentissage gratuit de la mouture économique et celui du jardinage, d’après la méthode de Montreuil, et qu’elle entretint, pendant dix ans, six élèves à l’École d’Alfort, pour y suivre les cours d’économie rurale et d’art vétérinaire. […] La Société a contribué à l’instruction agricole, en donnant la plus grande publicité [à l’apiculture] à une époque où l’attention générale était dirigée vers les moyens de remplacer le sucre des colonies [172].
Elle a diffusé de nouveaux modèles d’irrigation et de rouissage et fait adopter quelques instruments pratiques recommandés par elle « dans les ateliers de travail du Gouvernement ». « Elle s’occupa aussi d’expériences et de recherches sur les machines à battre les grains ». Par les sujets des concours qu’elle organise et par ses Prix elle a encouragé l’amélioration des laines, la plantation de noyers, la culture du rutabaga et de la carotte, de la fève, des prairies artificielles et la comparaison des plantes oléagineuses, la fabrication du sirop de raisins et celle du sucre de betterave.
En 1818 son secrétaire, Anthelme Costaz (1769–1858), membre de l’Institut d’Égypte, fait paraître un Essai sur l’administration de l’agriculture, du commerce, des manufactures et des subsistances, suivi de l’Historique des moyens qui ont amené le grand essor pris par les Arts depuis 1798 jusqu’en 1815 [173].
La bibliothèque municipale d’Angers conserve une Notice, de 68 pages, sur les travaux et sur les Prix distribués depuis sa création, par la SEIN [172, 174]. La fréquence des séances, la diversité des sujets, la qualité des rapports et mémoires publiés ont été durables : parmi ses lauréats la SEIN compte Pasteur [175] et les frères Lumière.
Avec ses amis chimistes (Berthollet, Fourcroy, Vauquelin, Guyton de Morveau, Parmentier…) à la SEIN, Chaptal accompagne la coordination entre les artistes qui créent un nouveau style dans l’ébénisterie et les textiles, encourage les fabriques et les ateliers à s’équiper de machines et à adopter de nouveaux procédés recommandés par les savants, et invite les nouveaux possédants du sol à développer les nouvelles cultures qui éloignent les disettes, et les prairies artificielles qui favorisent l’élevage. Par ses propres travaux sur le blanchiment et la teinture, Chaptal a installé en France la nouvelle fibre textile du coton [2].
Ce sont les concours de la SEIN14 qui ont distingué des inventeurs, comme Jacquard (1752–1834), Appert (1749–1841), Ternaux (1763–1833), Richard-Lenoir (1765–1839), Armand Seguin (1765–1835), Benjamin Delessert (1773–1847).
2.12. Philanthropie
À l’arrivée de Chaptal au ministère de l’Intérieur, le sud de l’Europe fait face à une crise de subsistances [178], des milliers d’affamés affluent vers les soupes populaires et les hospices. Dans ses Souvenirs [46], Chaptal privilégie son action sociale : la réorganisation des hôpitaux et hospices de Paris, avec la création d’un Conseil, précurseur de l’assistance publique de Paris, auquel il siègera à la demande de ses membres et malgré l’opposition du ministre à partir de 1817, l’orientation des malades (les aliénés sont dirigés à Charenton et à la Salpêtrière où se spécialise Pinel), l’institution d’une boulangerie (qui perdure jusqu’en 1960) et d’une pharmacie centrales, une réserve de blé, l’installation d’un atelier de filature et de tissage qui donne du travail aux indigents susceptibles autrement d’encombrer les hospices, la création d’une École de sages-femmes dirigée par Baudelocque, la formation et le retour de sœurs hospitalières, un plan de réforme des prisons…
Par le décret du 23 Prairial an XII (12 juin 1804), animé d’intentions hygiénistes, le ministre-médecin Chaptal interdit les inhumations dans les lieux de culte, les fosses communes et les cimetières dans les villes, ce sont des mesures qu’avait préconisées Vicq d’Azyr dès 1778 [179]. La fin des inhumations et la clôture du cimetière des Innocents avaient eu lieu à la fin du premier séjour de Chaptal à Paris. Le 8 Messidor an XII (27 juin 1804) il adresse une première circulaire d’application aux préfets et commence une enquête sur les cimetières. Il avait autorisé le préfet de la Seine à acquérir une ancienne propriété de Jésuites qui, devenue le cimetière du Père-Lachaise, avait ouvert ses portes le 1er Prairial an XII (21 mai 1804), quelques jours avant la signature du décret organique sur les sépultures.
Lorsque la capitale est frappée d’une épidémie en décembre 1802, Chaptal répand la vaccination gratuite contre la variole, par des instructions aux préfets et par l’exemple en faisant vacciner sa famille. En 1800, il avait accueilli à Paris Edward Jenner (1749–1823), découvreur du vaccin contre la variole (1796). En 1807, il deviendra membre du Conseil de la vaccine.
À la Société d’encouragement, Chaptal côtoie des personnes qui sont aussi membres de la « Société de Philantropie », tels De Gérando, Parmentier, Delessert, Silvestre, Huzard, de Candolle, de Lasteyrie15 , Cadet de Vaux…Le 10 Thermidor an XIII (29 juillet 1805), avec Cuvier et Labillardière, Chaptal est l’un des rapporteurs à l’Institut d’un mémoire de Candolle sur la nutrition des végétaux (Mémoires, VIII, p. 68–89). Au décès de Broussonet (1807) Augustin Pyramus de Candolle (1778–1841), soutenu par Chaptal, lui succèdera à la chaire de botanique de l’École de médecine de Montpellier [180, p. 200].
Cadet de Vaux est l’un des quatre fondateurs du Journal de Paris en 1777, premier quotidien de Paris apolitique et pro-gouvernemental, et l’un des rédacteurs de La Décade philosophique sur des sujets d’hygiène, d’économie rurale et domestique. Bien que philanthrope et réputé bienveillant, il courtise le pouvoir. Ayant appelé à « la roue pour l’assassin » de la rue Saint-Nicaise, il est apostrophé dans La Décade du 20 Nivôse an IX (10 janvier 1801) : celui qui « ne nous parle jamais que d’agriculture, de moutons, de plantations. Se serait-il dégoûté des instrumens aratoires pour s’occuper d’instrumens de supplice ? ». Dans le Bulletin de la Société d’Encouragement de Thermidor an XIII (juillet 1805), Roard, Directeur des Teintures des Manufactures impériales, fait des Observations sur une publication de Cadet de Vaux pris en flagrant délit de plagiat : « Nous ne douterions point que M. Cadet de Vaux ne soit l’inventeur du procédé du blanchissage à la vapeur, si nous avions pu oublier les expériences si intéressantes que M. Chaptal fit faire avec son grand appareil établi à la manufacture de Bauwens ».
La « Société de Philantropie » a été fondée en 1780, « réunion de quelques personnes qui, animées par le goût de la Bienfaisance, s’occupent à secourir, par le concours de leur fortune & de leurs talens, la vertu indigente & souffrante » [181]. Le ministre la soutient, il fait imprimer et distribuer ses publications [182].
2.13. La démission du ministre
Après un premier séjour en 1793, le publiciste anglais Henri Redhead Yorke [109] visite une partie de la France et Paris, en 1802. Il signale les destructions de la Révolution et les prédations culturelles commandées par le Gouvernement et opérées par les savants français en Égypte, en Italie et aux Pays-Bas. Sa critique des hommes et femmes politiques, de leur versatilité et de leur vénalité, épargne Chaptal. Il souligne le goût du Premier Consul pour la parade. Il visite le Jardin des Plantes, jardin d’instruction plutôt que d’agrément, assiste à un cours de Fourcroy. « À l’heure actuelle, il n’existe aucun plan général d’éducation en France ». Il cite l’École polytechnique, l’École de Géographie, l’École des Ponts et Chaussées, l’École d’architecture navale, les Écoles de Médecine et de Pharmacie, l’École de Minéralité « admirablement organisée » avec Vauquelin, inspecteur des laboratoires, et Haüy, directeur, le Collège de France et ses 17 professeurs, l’École vétérinaire d’Alfort, écoles dont les professeurs sont rémunérés et les cours gratuits.
Le sénat avait réélu Bonaparte Premier Consul pour dix nouvelles années le 8 mai 1802. Après un plébiscite, il le proclame Premier Consul à vie le 2 août 1802 et adopte une nouvelle constitution, dite de l’an X, qui lui donne de nouveaux pouvoirs. Le 20 mars 1804, Bonaparte fait exécuter le duc d’Enghien, et le 24 juin, vingt accusés du complot royaliste de Cadoudal.
Le Code civil est voté le 21 mars 1804, mettant fin à tout projet de retour des Bourbons. Le Premier Empire est proclamé le 18 mai 1804.
Ces évolutions du pouvoir ne sont pas du goût de Chaptal, il envoie sa démission le 2 Thermidor an XII et la confirme le 14 (2 août 1804), officiellement pour « [s]e rendre à [s]es premières occupations ».
Chevalier de la Légion d’honneur depuis le 2 octobre 1803, il est promu Grand Officier le 14 juin 1804. Le 18 Thermidor (6 août 1804), l’Empereur le nomme au Sénat où il prend séance le 25 Thermidor. Chaptal laisse le ministère de l’Intérieur à Champagny, rappelé de l’ambassade de Vienne. Le 25 Vendémiaire an XIII (17 octobre 1804), il est nommé trésorier du Sénat, il sera proposé par ses collègues et renouvelé dans cette fonction en 1810. Il se dit heureux de « se voir soustrait aux responsabilités du régime nouveau » décrit dans ses Souvenirs [46] comme policier et pratiquant la censure sans motivation. On peut s’étonner que Chaptal, qui refuse la dérive autoritaire du nouvel Empereur ait prêté la main un an plus tôt à la suppression de la deuxième classe de l’Institut où siégeaient d’anciens amis : il faut invoquer la séduction qu’exerçait Napoléon sur son entourage, l’affection et l’admiration de Chaptal pour ce courageux général, son cadet de vingt ans, et sa grande lassitude envers l’anarchie révolutionnaire. « On s’étonnera peut-être, écrira-t-il, de la facilité qu’on lui a laissée pour opérer tous ces changements, contraires à la liberté publique […]. On ne se doutait pas alors qu’on traçait le chemin à la tyrannie » [46, p. 230].
Il restera un conseiller proche de l’Empereur. En 1811 par exemple, Chaptal est nommé dans une commission du Bureau des arts et manufactures, avec Roard, Thenard, Gay-Lussac, Bardel, Ternaud et Widmer, pour faire un Rapport [183] « à S. M. l’Empereur et Roi » sur un procédé de teinture de la soie avec le bleu de Prusse.
2.14. La Statistique de la France
À la suite de François de Neufchâteau et Lucien Bonaparte, Chaptal a engagé son ministère dans l’établissement d’une Statistique de la France en demandant aux préfets de procéder à des enquêtes trimestrielles (circulaire du 19 Germinal an IX, 9 avril 1801). Il ne faut pas entendre le mot statistique avec son sens d’aujourd’hui. Il s’agit de composer, par la juxtaposition des mémoires préfectoraux un « portrait physique et moral de la France » [166]. Le choix d’opérer à l’échelle des départements qui résultent du découpage territorial récent fausse la vision, notamment dans le secteur agricole qui pense en termes de province. Geneviève Gavignaud et Jules Maurin [176] font une analyse négative de l’utilité des résultats de l’enquête pour établir une « géographie économique » du pays (méthode, sources, interprétation). L’historien retiendra plutôt l’ouverture du ministre qui l’a tentée. Chaptal crée un Bureau de Statistique pour centraliser ces informations. Le 20 Ventôse an X (11 mars 1802), il félicite L.-J.-P. Ballois de son intention de publier des Annales de statistique [184, 185] et « ordonne à [s]on Bureau de statistique de lui communiquer les faits et les renseignements qui lui parviennent ». Nous retenons que
Le ministre encourage toutes les techniques qui permettent d’observer, de cartographier, de dresser les nomenclatures de la richesse française. […] Le rôle de Jean-Antoine Chaptal dans le développement des périodiques économiques est un exemple fondamental, comme les encouragements qu’il prodigue aux méthodes de la description statistique. […] L’initiative de la réflexion appartient à la Société d’agriculture de la Seine [176].
En avril 1801, Chaptal ordonne aux préfets de réunir des Conseils de commerce, manufactures, arts et agriculture, autorisés à correspondre directement avec son ministère.
Le 3 avril 1801, il réunit sous son autorité une Commission en vue de préparer un code du commerce, le projet est présenté aux Consuls le 5 décembre, puis imprimé, rappelé à la surface en 1803, et enseveli sous d’autres urgences, il n’est promulgué qu’en septembre 1807 et n’est opérationnel que le 1er janvier 1808. Le projet incluait le principe d’une juridiction de prud’hommes qui devient effective à Lyon le 18 mars 1806.
Le 22 Germinal an XI (12 avril 1803), une loi autorise la création par simple règlement municipal de Chambres consultatives des manufactures, fabriques, arts et métiers. Selon Flourens, qui regrette que Chaptal n’ait pas songé à créer les Chambres d’agriculture, le ministre « consacrait un jour de chaque semaine à visiter les fabriques, les ateliers » [94].
2.15. La création des ingénieurs
Pour favoriser l’introduction du machinisme, il faut former des ingénieurs « démonstrateurs » et « réparateurs ». On crée les Écoles d’arts et métiers, la première à Compiègne par le transfert d’élèves de l’école fondée par Liancourt à Châlons-sur-Marne (décret du 25 février 1803) [186, 187]. L’École des teintures des Gobelins est confiée à Roard (décret du 4 mai 1809) [188].
2.16. L’aménagement du territoire
Pendant tout le temps passé au Gouvernement, Chaptal sert l’agriculture par une politique vigoureuse d’améliorations des circulations intérieures, routes, chemins, ponts, canaux, la protection et la garantie de la propriété qui rassure les propriétaires ruraux. Il réorganise le Corps des Eaux et Forêts (6 et 26 janvier 1801), contrôle les défrichements (29 avril 1803), reprend, avec Brémontier, les plantations sur les dunes des Landes (2 juillet et 20 septembre 1801), décide l’installation de pépinières départementales (28 février 1802), établit celle du Luxembourg où il fait procéder (1803) à des essais de culture de la vigne et à la production de plants sélectionnés. Il aménage le jardin du Muséum dont les carrés plantés de fleurs portent son nom. Il libère l’agriculture de l’impôt rétabli sur le sel. Après 1804, il gardera sur l’agriculture comme sur le commerce et l’industrie une tutelle de fait, exigée par l’Empereur et souhaitée plutôt qu’acceptée par Champagny, Montalivet et Collin de Sussy, ses successeurs.
2.17. Propriétaire terrien
Après 1804 Chaptal est membre et trésorier du Sénat, Grand-Officier de la Légion d’honneur, membre de l’Institut…
Comme à Lavoisier on associe l’oxygène, les études de Chaptal sur le vin caractérisent le savant.
Chaptal était nourri de la pensée des Physiocrates (Quesnay, Turgot) et de celle des Idéologues (Cabanis, Volney) qu’il a fréquentés. Il partage la conviction de Volney que seul le propriétaire terrien est un homme complet : « plus le cultivateur se rapproche de l’état passif de mercenaire, moins il a d’industrie et d’activité ; au contraire, plus il est près de la condition de propriétaire libre et plénier, plus il développe les forces et les produits de la terre et la richesse générale de l’État ».
Le domaine de Chanteloup, au sud d’Amboise, avait été placé sous séquestre comme bien de la duchesse d’Orléans émigrée et mis en vente comme bien national le 27 février 1797. Il est acheté 234 000 francs par Guillaume Barbier-Dufay, chef d’escadron au 13e régiment de chasseurs à cheval. Ne pouvant s’acquitter de sa dette, l’acquéreur est déchu de ses droits, non sans avoir vendu auparavant meubles, tableaux, dessus de portes, billard, ornements et équipements. Le bien est remis en vente, c’est Chaptal, renseigné par le général-préfet d’Indre-et-Loire, Pommereul, et représenté par Guyot, architecte à Tours, qui emporte les enchères le 31 juillet 1802 pour 200 000 francs. Le préfet, obséquieux, avait proposé à Chaptal de lui restituer les tableaux de Chanteloup acquis par le musée de Tours, contre le dépôt de tableaux en nombre équivalent venus des magasins du Louvre ou de Versailles [189, 190].
Chaptal est à l’origine d’un vaste réseau de musées de province (Figure 7). Il avait fait créer 15 grands dépôts de tableaux (arrêté du 15 Fructidor an IX) prélevés sur les musées du Louvre et de Versailles. Il semble avoir contribué en personne à faire des choix cohérents, mais n’a pas entretenu de bonnes relations avec Vivant Denon (1747–1825), membre de l’expédition d’Égypte, choisi et nommé directeur général du muséum central des arts (le Louvre) le 19 novembre 1802, par le Premier Consul. Les villes de Lyon, Marseille, Nantes, Bruxelles… sont dotées de musées des beaux-arts et d’une part importante de leurs collections. Le ministre était honnête, les tableaux de Chanteloup sont restés au musée de Tours.
Pris par ses occupations, il semble ne s’être rendu à Chanteloup que fin août 1804, après sa démission du ministère de l’Intérieur.
Il peut désormais consacrer du temps à sa Chimie appliquée aux arts qui paraît en 1807–1808.
Il restaure les bâtiments et remet les terres en culture.
On reçoit à Chanteloup : Lagrange, Laplace, Berthollet, Decazes, Monge, en famille, le tragédien Talma, le poète varois Raynouard pour des séjours plus ou moins longs.
Chaptal fréquente à Chenonceau le jeune docteur Fidèle Bretonneau (1778–1862) [191, 192, 193]. Poussé par Chaptal, Bretonneau devient médecin-chef de l’hôpital de Tours en 1814. Velpeau et Trousseau sont ses disciples qui ont fait connaître ses travaux en infectiologie.
Chaptal, qui a noué des relations épistolaires affectueuses avec l’Infant d’Espagne, Louis de Parme, et entretient des relations commerciales avec des négociants espagnols, n’approuve pas l’intervention de Napoléon dans la péninsule ibérique. Le 18 mai 1808, de Chanteloup, il écrit à son fils :
J’ai bien présumé que la prise de possession de l’Espagne en éloignant la paix ferait hausser les denrées […]. En passant à Amboise (en allant à Bayonne où il devait recevoir les princes espagnols) l’Empereur a témoigné à M. Calmetet le désir de voir Chanteloup. Sur l’observation qu’il perdrait deux heures il y a renoncé. Il y eut peut-être placé le prince des Asturies ; le château est à présent en état de recevoir une tête couronnée [194, citées par Denis Brançon].
Le 19 juin il se plaint : « Depuis le séjour des princes espagnols dans ces contrées, on a établi des postes de garde partout, on ne peut pas sortir sans son passeport, on arrête à chaque pas » [195, 196, 197].
Le 1er mars 1808 un décret crée des titres de noblesse du Régime : Chaptal est fait comte de l’Empire. En 1810, Chanteloup est constitué en majorat, Chaptal devient comte Chaptal de Chanteloup, ce titre transmissible à ses descendants ne sera pas remis en question par Louis XVIII et ses successeurs.
Le décès de son associé, Coustou, en mai 1808, et le 31 décembre, le terme de leur association, décident Chaptal à mettre la Société au nom de son fils, lui associant Darcet le jeune (1777–1844) qui développe aux Ternes des produits pour la pharmacie. Chaptal prend en mains, seul, la direction de ses usines des Ternes et de La Folie à Nanterre pendant les absences de son fils occupé à fonder une nouvelle fabrique à Plan d’Arenc sur l’étang de Berre.
2.18. Chimie appliquée aux arts
La Chimie appliquée aux arts (4 tomes, 1807) contient évidemment des fabrications issues de produits de l’agriculture. Dans les Préliminaires (t. 1, p. XXV), Chaptal, liant sagement la disponibilité des ressources à celle des hommes pour les mettre en œuvre, et à l’utilité des produits fabriqués avec elles, écrit :
Une terre qui présente des grandes ressources pour l’agriculture, et fournit à tous les bras des moyens faciles de subsistance, ne peut supporter que des fabriques dont l’existence se lie naturellement à celle des productions du sol : c’est d’après ces principes que des travaux sur le lin, la laine, la soie, le chanvre et le vin, bien loin de nuire à l’agriculture, en multiplient les ressources, pourvu toutefois qu’ils n’occupent l’homme des champs que pendant la saison de l’année où la terre n’exige pas ses soins [198].
Expression d’une grande aspiration à la paix, l’ouvrage est dédié « À sa Majesté l’Empereur et Roi : La France vous a salué du nom de Grand, et bientôt les Nations reconnoissantes vous proclameront le Pacificateur de l’Europe ». Chaptal rappelle à l’Empereur qu’il l’a accompagné dans les ateliers de manufactures :
Un traité de Chimie appliquée aux arts, ne peut pas être un traité de chaque art en particulier […]. Le véritable moyen d’éclairer les arts, consiste […] à en ramener toutes les opérations à des principes généraux […] je croirois avoir atteint le but que je me suis proposé, si chaque artiste trouvoit dans cet écrit la cause de tous ses résultats et la règle fondamentale de sa conduite [198].
Il redit la foi de sa génération en « un petit nombre de loix générales » naturelles : « La chimie appliquée aux arts sera donc cette science qui, de l’analyse comparée des opérations de tous les arts, fera découler quelques lois générales où viendront se rapporter les effets sans nombre que présentent les ateliers ». Il met en garde contre les « adeptes » et les « charlatans » de la chimie : « Ce n’est qu’avec la plus grande circonspection qu’on doit porter dans les ateliers les innovations […] avant de modifier ce qui est » il faut « que le nouveau procédé ait reçu la sanction de la pratique et même l’aveu du consommateur ». Mais Chaptal « blâme l’obstination de celui qui rejette, sans examen, tous les perfectionnemens qu’on lui propose » [198]. Il reprend les conseils de son Essai sur le perfectionnement des arts chimiques. Il traite à part l’Art de faire le Vin et l’Art de teindre le coton en rouge16 .
Le tome 1 contient deux grands chapitres sur L’action chimique et Les Moyens que le chimiste emploie pour préparer les Molécules des corps à l’action chimique (opérations mécaniques, dissolution, cristallisation, chauffage, évaporation, mesure « de la chaleur »).
Le tome 2 expose la chimie des gaz et des terres, des substances combustibles simples (soufre, phosphore, carbone) et composées (huiles, camphre, caoutchouc, bitumes, charbon-de-terre, résines). Les sections I à IV du chapitre IVe portent sur « quelques substances composées extraites des végétaux » (sucs, sucre, mucilage, fécules), la section V porte sur « quelques substances composées extraites des animaux » (gélatine et tanin). Le tome 3 traite des acides (carbonique, sulfurique, nitrique, etc., avec une place spéciale pour l’acide acétique et la fabrication du vinaigre), et autres acides découverts dans les végétaux (citrique, malique, oxalique, benzoïque, prussique, gallique).
Le tome 4 est consacré aux « combinaisons » des acides (sels) et à leurs usages dans les arts (tannage, savons), aux combinaisons de l’alcool (vernis, essences) et à celles des huiles fixes siccatives. L’avant-dernier chapitre porte sur les « Principes colorans », les mordants et la teinture, le dernier traite « De la Fermentation ».
Dans le tome 3 Chaptal rappelle une expérience sur la fabrication du vinaigre faite en 1781, publiée dans les Mémoires de l’Académie des sciences de Paris pour l’année 1786 [64, 198]. Dans le chapitre 2 du tome 3 (section première) il traite Du mélange des Terres, sous le rapport de la végétation : il partage l’expérience vécue sur les terres paternelles. Cette section apparaît comme une longue digression agronomique qui introduit à la section suivante (Du mélange et de la combinaison des Terres, sous le rapport des Poteries), laquelle a mieux sa place dans cet ouvrage consacré à la chimie appliquée aux arts. Cette inclusion témoigne de la place que ses origines paysannes tiennent dans sa façon de penser et dans sa formation :
(p. 223–224) La nature ne nous présente, presque nulle part, les terres primitives dans un état de pureté absolue […] ; Les matières terreuses, légères, friables, susceptibles d’être divisées et entraînées par l’action des eaux, sont continuellement le jouet de ce fluide qui les pénètre, des vents qui les déplacent, des changemens de température qui en altèrent et modifient, à chaque instant la solidité […].
(p. 226–231) La terre n’est point principe nutritif du végétal ; mais elle en fixe les racines, et reçoit dans son sein ses principaux alimens pour les lui transmettre au besoin. Sous ce double rapport, elle doit avoir des caractères, et réunir des propriétés qu’aucune des terres primitives ne nous présente. […] Les terres les plus communes, sont la chaux, l’alumine, la silice et la magnésie. Les deux premières, qui ont des propriétés très-différentes les unes des autres, donnent leur caractère dominant à presque toutes les terres qui servent à la végétation. Les terres où l’alumine domine, sont toutes les terres grasses, pâteuses, argileuses ; elles se gercent en séchant, elles s’imprègnent d’eau avec facilité […]. Les terres où la chaux prédomine, sont poreuses, légères, très-perméables à l’eau, d’un labour aisé […]. Les premières reçoivent l’eau avec avidité, et la retiennent obstinément […] (elles) se fendillent, se divisent et s’entr’ouvrent par l’action d’un soleil ardent ou d’un vent sec ; les secondes se dessèchent sans éprouver une retraite aussi considérable.
L’air pénètre aisément à travers la terre calcaire, et peut vivifier les germes à une certaine profondeur, tandis qu’ils pourrissent lorsqu’on les dépose dans des couches argileuses.
Un terrein argileux empâte les instrumens aratoires qui l’ouvrent avec peine […]. Le grain qu’on leur confie peut s’y pourrir par l’effet prolongé de l’humidité ; et, lorsque la plante est sortie de terre, et que la chaleur ou le vent en dessèche la surface, la tige se trouve étranglée par la terre qui se durcit, et il lui est impossible de se développer.
Les terres calcaires sont d’un travail plus facile ; elles se laissent pénétrer aisément par l’air et l’eau ; elles permettent aux racines de s’étendre, pour aller puiser au loin les sucs nutritifs, et se donner un support fixe. Mais l’eau, qui s’y infiltre sans résistance, s’en échappe avec une égale facilité. Une terre de cette nature est alternativement inondée et desséchée ; et la plante qui ne saurait résister à toutes ces variations, languit et s’éteint dans un sol de cette nature, pour peu que la sécheresse ou l’humidité se prolongent.
Ces deux sortes de terres ne sont donc propres à la végétation ni l’une ni l’autre : aussi la nature ne nous les offre jamais dans un état de pureté absolue ; elles forment par-tout des mélanges où leurs proportions varient à l’infini, ce qui donne lieu à une grande variété dans les terres […]. Les mauvaises qualités de l’une de ces terres peuvent être corrigées par les propriétés de l’autre […]. Qu’on n’aille pas conclure de ce que je viens de dire ici, qu’on ne peut pas faire entrer dans la composition d’une bonne terre, d’autres principes que les deux dont je viens de parler : le sable, les platras, la silice peuvent amender la terre argileuse avec le même avantage que le feroit la terre calcaire.
Tillet a communiqué à l’Académie des Sciences, en 1774, les résultats de cinquante-quatre mélanges terreux employés à la culture du blé […]. Il me paroît qu’en partant de ces principes, on peut juger aisément de quelle manière on peut amender et bonifier un terrein ; il est aisé d’en conclure que les moyens doivent varier selon la nature des terres, et que le premier soin d’un agriculteur doit être de bien étudier ses terres, pour connoître les méthodes d’amélioration qui leur conviennent [198].
Dans le dernier chapitre de la Chimie appliquée aux arts qui s’intitule De la Fermentation, Chaptal attribue à Fabroni, de Florence, dans un petit traité sur l’art de faire le vin (1785) « les premières notions exactes qu’on ait eues sur la fermentation vineuse »: « Il a fait voir que le raisin est composé de deux substances qui sont isolées dans chaque grain […]. L’une de ces substances est le sucre […]. L’autre est une substance végéto-animale ». Chaptal la compare à la levure de bière dans la fabrication du pain et de la bière. Il généralise : « Le ferment est donc une substance végéto-animale ». Il annonce l’édition de son livre sur L’Art de faire le vin édité la même année (1807).
2.19. La Société d’Arcueil
Ce gros ouvrage sur le vin (382 pages) paraît à Paris chez Déterville. Il est dédicacé
À mon collègue et ami P. C. Laplace
Notre siècle applaudit à votre génie
La postérité consacrera votre gloire
L’amitié vous offre cet hommage [199].
Pierre-Simon de Laplace (1749–1827) est mathématicien et astronome, brièvement ministre de l’Intérieur sous le Consulat (12 novembre–25 décembre 1799), puis membre du Sénat comme Chaptal, ennobli comme lui le 24 avril 1808. L’un des fondateurs de l’École polytechnique, il crée avec Berthollet la Société d’Arcueil, petite académie privée ; équipée de laboratoires, la Société se réunit de 1802 à la mort de Berthollet (1822) chez l’un ou l’autre des fondateurs, de jeunes savants comme Gay-Lussac, Thenard, Biot, Candolle, Humboldt, Arago, Dulong, Amédée fils de Berthollet…viennent s’y former. Berthollet et Laplace projettent d’organiser des ascensions en ballon, la première a lieu le 24 août 1804 avec Biot et Gay-Lussac, après avoir obtenu difficilement l’autorisation du ministre Chaptal. Un premier recueil de mémoires paraît en 1807.
Amédée Berthollet était associé au fils de Chaptal dans l’exploitation d’une fabrique de produits chimiques à Plan d’Arenc (Fos), fondée en 1806 pour produire de la soude Leblanc. Il se suicide le 14 mars 1810 en inhalant les gaz d’un poêle à charbon. Le fils d’Étienne Bérard [66], Jacques Étienne Bérard (1789–1869), est admis à Arcueil en 1807, accueilli comme un fils chez Berthollet et son épouse jusqu’en 1814. Berthollet lui avait légué un certain nombre de manuscrits. Humboldt (1769–1859) est introduit en 1804 à son retour d’une longue expédition en Amérique du Sud. Chaptal ne figure comme membre que dans le troisième et dernier volume de mémoires daté de 1817. Jusqu’en 1810 il passe beaucoup de temps à Chanteloup ; en 1810 il est appelé plus souvent à Paris pour siéger au Conseil pour le Commerce et l’Industrie, avec les ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères et le directeur des Douanes. Il ne fréquente Arcueil qu’en ami.
Au cours d’un dîner de Chaptal chez Berthollet, ce dernier doit s’aliter à cause d’un gros abcès. Bien que traité par un chirurgien appelé à son chevet, bientôt atteint de forte fièvre, Berthollet meurt le 6 novembre 1822. Chaptal prononce l’un des quatre discours au cimetière d’Arcueil lors de l’inhumation [200] et fait son Éloge à la Chambre des Pairs le 19 février 1823.
2.20. L’Art de faire le vin
Dans L’Art de faire le vin (1807), Chaptal dit l’énorme succès de son article Vin dans le 10e volume du Dictionnaire d’Agriculture de l’abbé Rozier paru en 179917 et l’écho que lui ont fait Cadet de Vaux [201] et Roard [202], ainsi que des traductions à l’étranger :
En France, nous trouvons les vins les plus agréables comme les plus spiritueux ; nous les y trouvons en telle profusion que la population de la France ne saurait suffire à leur consommation ; ce qui fournit des ressources infinies à notre commerce et établit parmi nous un genre d’industrie très-précieux : la distillation des vins et le commerce des eaux-de-vie [203].
À son article Chaptal ajoute des chapitres sur la fermentation, la distillation, les altérations du vin et la fabrication du vinaigre, sur lesquels « les connoissances n’ont été acquises que par les progrès de la chimie ». Il rend compte d’expériences et d’observations relevées sur 2000 plants de vigne réunis dans une pépinière au Jardin du Luxembourg, poursuivies après lui par Bosc d’Antic. Son érudition sur les anciennes civilisations méditerranéennes paraît dès le commencement du traité. Sur l’abondance de raisins et « la bonté des vins » il examine l’effet de la perméabilité du sol, de préférence « léger, maigre et graveleux », les effets du climat, de l’exposition et de l’inclinaison du terrain. Lorsque la vigne a manqué de soleil, les « vins tournent au gras, quelquefois à l’aigre. Ils contiennent tous beaucoup d’acide malique ». Chaptal s’est approprié la langue des métiers. On peut vérifier, comme il le dit, qu’il écrit pour les vignerons, comme sa Chimie appliquée aux arts est écrite pour les « artistes », avec les noms des matériaux et outils locaux, parfois en langue d’oc. Chaptal a lu et cite les bons auteurs. Il recommande la sobriété dans l’usage des engrais. « Le fumier qui paroît le plus favorable à l’engrais de la vigne, est celui de pigeon ou de volaille […]. Dans les îles d’Oléron ou de Ré, on fume la vigne avec le varech : le vin en est de mauvaise qualité ». Il rapporte des expériences : « M. Chassiron a observé que cette même plante (le varech), décomposée en terreau, fume la vigne avec avantage, et augmente la quantité de vin sans nuire à la qualité ». Son style n’est pas celui d’un donneur de leçons : « Je crois qu’il faut faire une grande différence entre l’engrais et l’amendement d’une terre ». Il compare les effets du mode de culture de la vigne, en échalas, rampante, grimpante, en faisceau, ceux de la manière de la tailler : « les vieilles vignes sont toujours les meilleures, et il est connu que lorsqu’on renouvelle les souches en nombre considérable dans une vigne, la qualité du vin diminue ».
Il discute « du moment le plus favorable pour la vendange, et des moyens d’y procéder » selon qu’on veut privilégier la teneur en alcool ou le bouquet du vin : « Nous allons parcourir successivement ce qui s’observe et se pratique dans les divers vignobles que nous connoissons pour y faire l’application de nos principes ».
L’ouvrage de Chaptal demeure aujourd’hui un précieux témoignage des pratiques de son temps. « La récolte du vin demande l’œil et la présence du propriétaire » pour diriger et surveiller toutes les opérations de la vendange. À ses descriptions très précises, nul doute qu’il n’ait lui-même observé toutes les phases de la fabrication du vin (voir par exemple sa description des transformations du moût pendant la fermentation [204, p. 146]).
Quant à la chimie des opérations, il établit que la fermentation n’a pas besoin de l’air atmosphérique mais qu’il faut laisser, pour qu’elle se poursuive, une issue dans l’atmosphère à « l’acide carbonique », entraînant « une grande déperdition de principes en alcool et bouquet ». Il propose de couvrir la cuve de planches, de couvertures ou de vieilles toiles pour limiter ces pertes, sans interrompre la fermentation ni risquer une explosion par l’accumulation excessive de gaz carbonique, pour conserver l’arôme, et « prévenir l’acétification du marc ».
Quoique le jus du raisin fermente en très-petite masse, puisque je lui ai fait parcourir toutes ses périodes de décomposition dans des verres placés sur des tables […] la fermentation est d’autant plus rapide, plus prompte, plus tumultueuse, plus complète, que la masse est plus considérable. J’ai vu du moût déposé dans un tonneau, ne terminer sa fermentation que le onzième jour, tandis qu’une cuve, qui était remplie du même moût, et qui contenoit douze fois ce volume avait fini le quatrième jour : la chaleur ne s’éleva dans le tonneau qu’à 17 degrés ; elle parvint au 25e dans la cuve [204].
Chaptal parle en expérimentateur et en témoin. « C’est au propriétaire intelligent à balancer et à peser ces avantages et ces inconvéniens. […] Le principe sucré, la matière douceâtre ou la levure, l’eau et le tartre, sont les éléments du raisin qui paroissent influer le plus puissamment sur la fermentation », par leur présence et leurs proportions. Il montre de l’admiration à observer « cette sublime opération ».
Il distingue le sucre de la « matière douceâtre », distinction « très-bien établie par M. Deyeux, dans le Journal des Pharmaciens, et par M. Proust, qui fait une seconde espèce de sucre de ce principe doux. M. Seguin (Armand Seguin 1767–1835), qui nous a donné un travail étendu sur la fermentation, distingue deux sortes ou plutôt deux variétés de ferment : l’un, soluble dans l’eau, l’autre, insoluble : le premier abonde dans les fruits, et forme le principe doux des raisins ; l’autre constitue la levure de bière ». Il connaît les recherches de Proust [205, 206, 207, 208] qui a découvert en 1802 le glucose fermentescible dans le jus de raisin, différent du saccharose du sucre de canne et de betterave, mais ici Chaptal confond à tort le ferment avec le glucose (substrat de la fermentation). Il se corrigera dans l’édition de 1821.
La chaptalisation est fondée sur la proposition suivante : « Lorsque le raisin est très-doux, sans néanmoins contenir beaucoup de sucre, on peut parvenir à en tirer un vin très-spiritueux, en dissolvant dans le moût la portion de sucre qui manque » [204, p. 122].
J’ai comparé le moût de tous les raisins qu’on cultive à la pépinière des Chartreux, où, pendant mon ministère, j’ai réuni les plants de toutes les variétés de vigne qu’on connoît en France.
[…] L’addition de sucre a le double avantage d’augmenter considérablement la spirituosité du vin, et de prévenir la dégénérescence acide à laquelle les vins foibles sont sujets [204, p. 123 et 125].
On peut aussi, dit-il, diminuer la teneur en eau du moût, en le concentrant par la chaleur. « Il est des pays où l’on mêle du plâtre cuit à la vendange pour absorber l’humidité excédante », un usage connu « des anciens », déjà décrit dans le Recueil des Géoponiques byzantin. « Le tartre concourt, ainsi que le sucre, à augmenter la proportion de l’alcool […]. Une addition convenable de sucre présente à la fermentation les matériaux nécessaires à la formation de l’alcool ; et on supplée par l’art au défaut de la nature ».
Chaptal décrit plusieurs expériences concluantes d’addition de sucre, miel ou mélasse, au moût d’un mauvais raisin, à échelle réduite, qui ont été faites à Paris, en 1776–1778, par Macquer, ou rapportées par d’autres (M. de Bullion et Rozier).
Il rappelle des méthodes d’activation de la fermentation obtenue en réduisant l’eau du moût par évaporation ou séchage préalable du raisin au soleil, méthodes rapportées dans des textes anciens ou en usage dans certaines régions. Il attire l’attention sur l’addition d’aromates, plantes, résines, usitée par les anciens grecs, et sur une expérience d’ajout d’absinthe par Darcet père en 1788.
Après avoir considéré les pratiques, Chaptal se propose de revenir à la théorie de la fermentation vineuse [204, p. 173].
Avant de passer aux produits de la fermentation [204, p. 132], il en décrit les phénomènes : production de chaleur, dégagement de gaz, formation de l’alcool18 et coloration de la liqueur, et fait des choix : « je dirai, sur chacun de ces phénomènes, ce que l’observation nous a présenté jusqu’ici de plus positif ». Chaptal exprime les températures en degrés Réaumur (10 degrés Réaumur sont équivalents à 12,5 degrés de notre thermomètre).
L’acide carbonique qui se dégage des vins, tient en dissolution une portion assez considérable d’alcool. Je crois avoir été le premier à faire connoître cette vérité, lorsque j’ai enseigné qu’en exposant de l’eau pure dans des vases placés immédiatement au-dessus du chapeau de la vendange, au bout de deux à trois jours, cette eau étoit imprégnée d’acide carbonique, et qu’il suffisoit de l’enfermer dans des bouteilles débouchées, et de l’abandonner à elle-même pendant un mois, pour obtenir un assez bon vinaigre [par oxydation de l’alcool qu’elle contient]. Ce gaz est dangereux à respirer […] ; on peut prévenir ce danger et saturer le gaz [que Chaptal qualifie de « mortelle mofette »] à mesure qu’il se précipite sur le sol de l’atelier, en disposant sur plusieurs points du lait de chaux ou de la chaux vive.
Une nouvelle édition « revue et perfectionnée par l’auteur », de L’Art de faire le vin, est parue en 1819, elle est présentée dans les Annales de chimie et de Physique : « L’ouvrage de M. Chaptal est trop connu et trop bien apprécié du public pour qu’il soit nécessaire d’en donner ici l’analyse » [199]. Les Annales sont plutôt intéressées par les données statistiques sur le vin transmises par l’administration des contributions indirectes et rapportées par Chaptal dans l’avant-propos.
L’auteur de l’article Vin dans le Nouveau dictionnaire d’Histoire naturelle appliqué aux arts paru chez Déterville, en 1819, A. Julien, rend hommage à Chaptal :
Quoique l’art de fabriquer le vin soit fort ancien, il est encore loin d’avoir atteint toute la perfection désirée […]. Un chimiste célèbre, M. le comte Chaptal, pair de France, membre de l’académie des sciences, a fourni les moyens d’atteindre cette perfection. Son ouvrage sur l’Art de faire les vins, que j’ai particulièrement consulté, est un traité complet qui jette un très-grand jour sur cette matière, et dans lequel les agronomes de tous les pays peuvent puiser les préceptes les plus utiles. En effet, après avoir soigneusement examiné la nature des différentes espèces de raisins, l’influence que le sol, le climat, les saisons et la culture exercent sur eux ; les différentes métamorphoses que subit leur suc, suivant la manière dont il est traité et les divers degrés de température auxquels il est exposé ; ce savant pose des principes dictés par la théorie, confirmés par l’expérience, et dont l’application, faite avec discernement, doit produire les résultats les plus avantageux [209].
Le 9 janvier 1809 Chaptal lit à l’Institut des Observations sur la distillation des vins [210, 211]. Dans le Nouveau Cours complet d’Agriculture théorique et pratique ou dictionnaire raisonné et universel d’agriculture par les membres de la section d’agriculture de l’Institut de France, qui fait suite au cours de feu l’abbé Rozier (1734–1793), et paraît en 1809, Chaptal, membre de la section Chimie de l’Institut, rédige l’article Fermentation [212], étendu à la fermentation panaire.
Dans l’édition suivante datée de 1821 à 1823, il est désigné comme Membre de l’Institut, Propriétaire-Cultivateur, etc., il est l’auteur de l’article Fermentation, d’une partie de l’article Vin et de l’article Végétation [203, 212, 213, 214]. Dans ce dernier article on reconnaît le disciple acquis au vitalisme de Barthez :
Dans la plante, les forces d’affinités qui appartiennent essentiellement à la matière, sont toutes modifiées par le concours des lois vitales, et il y a chez elles organisation et vie. […] ces fonctions dérivent d’une organisation particulière qui n’est pas exclusivement passive des agens externes, qui travaillent d’après des lois qui lui sont propres [177, p. 50].
Chaptal utilise les connaissances botaniques reçues d’Antoine Gouan au Jardin des Plantes de Montpellier. Il cite les travaux de physiologie végétale des « chimistes »: van Helmont, Margraaf, Hales, Tillet, Ingenhouz, Duhamel, Sennebier, Saussure, Priestley, Hassenfratz… Il introduit son classement des sols, argileux, calcaires ou siliceux, discute des amendements et des engrais (« amendans, stimulants et nourrissans »), de l’intérêt ou du désavantage des labours profonds, des actions de la chaleur et de la lumière dans la végétation :
Nous pourrions entrer dans de plus grands détails ; mais, outre que les bornes d’un article s’y refusent, nous craindrions d’y répéter ce qui se trouve à d’autres mots du Dictionnaire, et nous croyons d’ailleurs qu’il suffit d’avoir établi des principes sur la végétation, pour que le lecteur en fasse lui-même une application facile.
L’article Vigne, très abondant, est dû à Bosc.
Chaptal s’est corrigé, il attribue maintenant la propriété de faire fermenter la cuve qu’il prêtait au « principe doux » du raisin de Proust, à une « matière analogue au gluten » trouvée dans le raisin en 1785 par Fabbroni de Florence :
J’ai même observé que si on rapproche le suc de raisin pour former cet extrait qu’on appelle raisiné, on lui ôte la propriété de subir la fermentation vineuse, quoiqu’on y ajoute la quantité d’eau convenable ; mais on la lui restitue, cette propriété, en y remettant le gluten ou un peu de levure de bière [212, p. 323].
Comme les années précédentes, les publications de Chaptal sont analysées à l’Institut :
M. Chaptal, à qui les fabriques doivent déjà tant de procédés utiles, nous a fait connaître d’intéressantes observations sur la distillation des vins. On voit par l’histoire qu’il donne de cet art, par la description des appareils qui y étoient employés autrefois et par la description de ceux qui y sont employés aujourd’hui, que les procédés de fabrication des eaux-de-vie se sont améliorés à mesure que les appareils de la chimie se perfectionnoient […]. Le même membre a fait l’analyse de sept échantillons de couleurs, trouvés à Pompéïa, qui lui avoient été remis par Sa Majesté l’Impératrice. Trois de ces couleurs n’étoient que des terres colorées naturellement ; l’une verdâtre, l’autre jaune et la troisième brun-rouge ; la quatrième étoit une pierre ponce très-légère et fort blanche. Une cinquième qui avoit une belle teinte rose, a montré tous les caractères d’une lacque, et M. Chaptal lui a trouvé beaucoup d’analogie avec la lacque de garance, qu’il fait connoître dans son traité sur la teinture du coton.
Les deux dernières étoient bleues ; l’une avoit une teinte pâle, mais l’autre étoit intense et nourrie. L’analyse de ces deux couleurs a montré qu’elles étoient dues à une combinaison d’oxide de cuivre, de chaux et d’alumine, résultante d’un commencement de vitrification. M. Chaptal observe que cette couleur est fort supérieure, en éclat et en solidité, à notre cendre bleue, et que son prix étant bien inférieur à celui du bleu de cobalt et au prix de l’outremer, il seroit important de rechercher les procédés que les anciens employoient à sa fabrication [145, année 1809].
2.21. La pénurie de sucre
Pendant l’été 1806, l’Angleterre forme contre Napoléon, avec la Russie et la Prusse, la quatrième coalition. Par les décrets de Berlin (21 novembre 1806) et Milan (17 décembre 1807), Napoléon interdit à l’Europe de commercer avec l’Angleterre. Son objectif est de déclencher dans ce pays une crise économique et sociale, par le manque de blé et par le chômage dû au défaut d’approvisionnement des fabriques en matières premières, et à la paralysie des exportations de produits manufacturés. Le 11 novembre 1807 l’Angleterre riposte en imposant aux bâtiments à destination d’un port continental l’obligation de relâcher préalablement dans un port anglais. La navigation américaine, bien que neutre, renonce à risquer la saisie. Les importations françaises de sucre brut tropical passent de 25 000 tonnes en 1807 à 2 000 tonnes en 1808 [34, 205, 215]. Le coton et les colorants textiles (indigo) sont aussi touchés. Aux années d’expansion font suite trois années tournantes, l’Empire est contraint de s’étendre pour contrôler le littoral européen.
Andreas-Sigismund Marggraff (1709–1782), à Berlin, avait retiré une substance sucrée de la betterave en 1747. Depuis 1786, en se fondant sur les travaux de Marggraff, Franz Karl Achard (1753–1821) faisait des essais de culture de betterave et d’extraction du sucre [195, 196, 197]. Il tente d’introduire l’industrie sucrière de la betterave en France, dans une lettre au pharmacien belge Jean-Baptiste Van Mons (1765–1842) sur son procédé. Sa lettre est lue à la première Classe de l’Institut en Vendémiaire an VIII. Une commission de savants, constituée de Cels, Chaptal, Darcet, Fourcroy, Guyton, Parmentier, Tessier, Vauquelin et Deyeux, est nommée pour répéter ses expériences. Nicolas Deyeux (1745–1837) fait un très long rapport à l’Institut, le 6 Messidor an VIII (25 juin 1800). Van Mons transmet ce rapport à Achard dont il reçoit une réponse le 16 novembre 1800. La commission reconnaît la part de chacun des deux chimistes berlinois, elle estime que l’opération « est encore bien éloignée de l’état de perfection. » Elle conclut : « il doit rester pour démontré que la betterave pourra, jusqu’à un certain point, suppléer la canne à sucre. » Le 30 Germinal an X (20 avril 1802), Parmentier présente des Observations sur le sucre de betterave à l’Académie, il conclut :
Laissons aux abeilles le soin de courir la campagne pour puiser au fond du nectaire le sucre mol qu’elles nous ramassent sans opérer de dérangement dans les organes délicats des plantes […] ; mais propageons, conservons aux bestiaux un des alimens dont ils sont si friands : voilà l’emploi le plus utile, nous osons le dire, et le plus raisonnable qu’il soit possible de faire de la betterave champêtre et de tous ses produits [215].
Il semble que seul Benjamin Delessert (1773–1847), encouragé par Chaptal, ait poursuivi des travaux complémentaires. Riche banquier, jeune entrepreneur, Delessert avait le temps et l’argent pour attendre une décennie des résultats positifs de ses recherches.
Le sucre est un produit cher, en concurrence avec des produits « indigènes », surtout le miel. On va chercher des produits de substitution. Les fruits sont naturellement sucrés, on va tenter d’en extraire le sucre. Louis Joseph Proust (1754–1826), résidant en Espagne, avait découvert une matière sucrée dans le raisin en 1802. Il avait réussi à la purifier à l’échelle du laboratoire. À l’initiative du gouvernement, de multiples essais d’extraction du sucre de raisins et de fabrication et commercialisation de sirops, sont faits en France. Jusqu’à la récolte catastrophique de 1810, avec une belle unanimité, les gouvernements, la Société d’encouragement pour l’industrie nationale et les savants ont cru que le sucre de raisin était une meilleure solution que le sucre de betterave à la pénurie de sucre. La vigne était répandue alors que la culture de la betterave restait à « inventer ». Des prix et des médailles sont proposés pour industrialiser le procédé. Le sucre de raisin est le glucose, moins sucrant que le saccharose de canne et de betterave. Parce que réducteur et fermentescible, fusible à 83 °C au lieu de 160 °C pour le saccharose, il est difficile à conserver. Parmentier, connu du public, publie des instructions pour promouvoir l’usage de sirops de raisin domestiques et instruire par des recettes de ménage ceux qui préparent ces sirops. Il feint d’ignorer les travaux de Proust et conteste même l’existence du sucre de raisin concret. Pour mettre un terme à des querelles stériles le Moniteur universel publie une instruction officielle les 18 et 22 août 1810 rédigée sous la direction habile et juste de Chaptal qui a réussi à associer dans une commission Proust et Parmentier avec Berthollet et Vauquelin. La commission reconnaît à Proust la paternité de la découverte du sucre de raisin. Elle pointe un grave problème : « Le moût extrait du raisin ne tarde pas à fermenter et dès lors on ne pourrait pas le garder sans altération tout le temps nécessaire pour en extraire le sucre qu’il contient. » Proust, alors à Noyon, travaille à mettre au point un procédé de conservation du moût pour l’empêcher de fermenter. L’addition de sulfite de calcium lui a donné de bons résultats. Il a transmis le procédé à Berthollet pour qu’il le diffuse, le 22 septembre 1810. Parmentier se l’approprie. Avec le témoignage de Chaptal, Berthollet l’accuse publiquement de plagiat dans le Journal de physique, sous la forme d’une lettre à Proust :
Monsieur, je vous avoue que j’ai vu avec surprise que M. Parmentier annonçoit dans le dernier numéro de Annales qu’il avoit trouvé que le sulfite de chaux étoit propre à muter le vin. Vous pouvez citer mon témoignage, et je pourroi vous communiquer les réponses que j’ai reçues sur la communication de votre procédé. Chaptal m’est un autre témoin [205, 215].
On essaye les pommes, les poires, le maïs, les châtaignes, les coings, les mûres, les prunes, les figues…
Conseillé par Proust, Fouques, chimiste-manufacturier à Paris, avait tenté d’adapter le procédé à l’échelle industrielle, aux Arcs, à trois lieues de Draguignan ; le 13 septembre 1810 il écrit : « Je me trouve dans la position la plus cruelle […] la récolte manque totalement […]. Un décret peut bien faire mouvoir les citoyens de l’Empire à sa volonté, mais il ne peut faire naître des raisins là où il n’y en a pas » [205].
2.22. Un chimiste secourable
Chaptal intervient avec Berthollet pour recommander plusieurs chimistes en difficulté : pour Proust, sans emploi, interdit de retour en Espagne après l’invasion française, le 3 janvier 1810 ils demandent au ministre de l’Intérieur une place au bureau des Arts, libérée par Ampère, pour Thenard [216]. En vain, Proust (Figure 8), âgé, amer, sans abandonner ses recherches sur la poudre à canon et sur d’autres sujets alimentaires, se retirera à Craon en Mayenne jusqu’à la disparition de sa femme en 1817.
En 1816, Proust est sollicité par son ami Bosc pour accepter à l’Institut la place devenue vacante par la mort de Guyton de Morveau. Il refuse. Des lettres, que lui adressent les académiciens pour le convaincre, sont conservées dans le dossier Proust aux Archives de l’Académie des sciences. Chaptal lui écrit :
Vous avés affligé vos amis, mon très-cher collègue, par la réponse que vous avés faite à mr Bosc. Nous nous fesions tous une fete de vous compter parmi nos collégues, et nous ne pouvions pas pressentir que vous y mettriés obstacle. En effet vous craignés que votre santé ne vous permette pas de venir de temps en temps a paris, mais vous n’y viendrés pas et l’institut ne le trouvera pas mauvais, cassini reside à beauvais, vanmonde [sic] a été absent 8 ans, j’ai été nommé n’étant pas domicilié à paris. La résidence n’est point exigée. Repondés moi seulement que Si la classe vous nomme vous ne refuserés pas et laissés aller ensuite le vœu general.
Je vous prie de recevoir l’assurance des sentiments que je vous ai voués pour la vie
Le cte chaptal
La lettre, incomplète, d’une écriture mal assurée, porte une date rajoutée « de l’an 1826 »: c’est la date du décès de Proust, assurément pas celle à laquelle elle a été adressée à Craon (Figure 9).
Datée du 13 février 1816, une autre lettre de Chaptal apprend à Proust sa nomination (Figure 10) :
Mon cher collègue, dans sa séance d’hier la classe vous a nommé à la presque unanimité. L’approbation du roi qui est necessaire ne tardera pas à nous arriver ; votre nom était necessaire à l’institut et ce nouveau lien était un besoin pour vos amis.
Mille amitiés
Chaptal
2.23. La betterave remplace le raisin
Le 19 novembre 1810 Deyeux présente à l’Institut un Mémoire sur l’extraction du sucre de betterave après avoir reproduit les expériences d’Achard.
À la SEIN, le 20 février 1811 on lit un mémoire du pharmacien Drapiez sur la fabrication du sucre de betterave [216], Descotils est chargé du rapport au nom du Comité des arts chimiques :
M. le comte Chaptal a présenté un pain de sucre de betterave provenant de la fabrique de M. Drapiez, et qui lui avait été adressé par M. le maire de Lille. Le Comité des arts chimiques […] l’a trouvé d’un très-beau blanc, d’un grain serré et très-consistant, enfin parfaitement semblable à de très-beau sucre de canne. […] On s’est ensuite servi du sucre de M. Drapiez pour sucrer un café […]. Il ne peut donc exister le moindre doute sur l’excellente qualité de ce sucre [217].
Le Bulletin de mars 1811 contient le rapport de Descotils sur un procédé remis au ministre de l’Intérieur par le pharmacien Derosne, pour l’extraction du sucre de betterave, lu et adopté en séance le 22 janvier [218].
Le 25 mars 1811 un décret de l’Empereur établit une Commission « à l’effet d’examiner les moyens proposés pour naturaliser […] le sucre, l’indigo, les cotons et diverses autres productions des deux Indes », et de prévoir la mise en culture de betterave de 32 000 hectares : « La Commission désignera avant le 4 mai les lieux les plus convenables pour l’établissement de 4 écoles expérimentales où l’on enseignera la fabrication du sucre de betterave ».
Le 28 mars 1811, le ministre de l’Intérieur, le comte Montalivet, écrit aux préfets : « Les efforts (pour extraire le sucre de raisin) doivent être continués dans les départemens propres à ce genre d’industrie. Ces mêmes départemens, mais sur-tout ceux du centre et du nord où la vigne n’est pas cultivée en grand, sont invités aujourd’hui à s’emparer des richesses certaines que leur promet la fabrication du sucre de betterave » [219].
Achard, satisfait de ce revirement, annonce, datée du 11 avril 1811, dans la plupart des journaux, « d’après les ordres de S. M. le roi de Prusse », la fondation, sur sa terre de Cunern en Silésie « d’une institution pour la fabrication du sucre et du sirop de betteraves et de la préparation de l’eau de vie, rhum, arak, vinaigre, etc., avec les déchets ».
Le 29 août 1811 la Commission Chaptal-Vauquelin, Parmentier-Berthollet fait un rapport sur le sucre indigène qui « embrasse non seulement les renseignements que nous possédons sur le sucre de raisin, mais aussi les essais qu’on a tentés en vue d’extraire le sucre d’autres plantes ».
Depuis 1806 Chaptal s’occupe à Chanteloup de culture de la betterave.
On n’avait aucune expérience de ce type de culture sous le climat de Chanteloup ; Chaptal assume tout, la culture (dates des semailles, de recueil des semences, choix du terrain, du mode de semence, date d’arrachage des betteraves, conservation des racines), extraction et raffinage du sucre, jusqu’à l’expédition des pains de sucre.
Delessert peut montrer à Chaptal du sucre de betterave cristallisé et parfaitement blanc [220]. Le Moniteur du 5 janvier 1812 relate la visite faite le 2 janvier par l’Empereur, informé par Chaptal et en sa présence, à Passy, à la raffinerie Delessert. Le 8 janvier le journal publie officiellement le rapport de Chaptal à l’Empereur, sur cette visite, avec tous les détails sur la culture de la betterave, sur la teneur en sucre des différentes parties de la racine, de différentes espèces, sur les équipements nécessaires des locaux et sur leur coût. Chaptal envisage immédiatement de l’enseigner :
Je crois donc que le véritable moyen d’assurer la prompte prospérité de cette branche d’industrie serait d’ériger en École Normale un des établissements existants et d’y réunir 30 à 40 jeunes gens versés dans les connaissances chimiques et 40 autres pris parmi les enfants des raffineurs d’Orléans, Anvers, Gand, Marseille, Nantes, Hambourg, Amsterdam, etc. et parmi les chefs des raffineries de ces grandes villes. L’établissement où l’instruction serait la meilleure me paraît être celui de M. Barruel, dans la plaine des Vertus. […] Je crois que par ce moyen, Votre majesté pourvoirait au premier des besoins, qui est l’instruction, et les capitalistes pourraient alors se livrer, avec toute confiance, à former des établissements qui présentent de si grands avantages.
C’est le moment où le sucre des Antilles recommence à parvenir en Europe, la jeune industrie betteravière doit conquérir son marché en concurrence avec lui et s’imposer à des agriculteurs naturellement méfiants. Le gouvernement soutient la betterave par une politique très active de primes, concession de terrains et avantages fiscaux.
Le ministre fait une enquête préliminaire auprès des préfets pour choisir l’emplacement de quatre fabriques impériales de sucre de betterave [221, 222].
Le 15 janvier 1812 le décret qui institue des écoles spéciales de chimie pour la fabrication de sucre de betterave est signé, ces écoles seront implantées à Paris, chez Barruel et Chapelet, plaine des Vertus, avec quatre fabriques impériales à Wachenheim, Douai, Strasbourg et Castelnaudary, et une fabrique de la Couronne à Rambouillet.
Des Prix d’encouragement se succèdent.
C’est Chaptal qui fait connaître le procédé d’extraction de Bonmartin, diffusé par le nouveau ministère des Manufactures et du Commerce, le 12 juin dans le Moniteur :
Vu la lettre qui nous a été écrite le 28 mai dernier, par M. le sénateur comte de Chanteloup président de la commission des sucres indigènes laquelle, est conçue dans les termes suivants :
J’ai lu attentivement la description du procédé du Sieur Bonmartin qui m’a été adressée par votre Excellence. […] Ce procédé est le plus simple, le plus sûr et le plus économique que je connaisse. On l’a pratiqué trois fois sous mes yeux et toujours avec un égal succès. M. le baron Delessert qui l’a fait exécuter dans ses ateliers pendant le dernier mois de ses travaux s’en loue beaucoup. Il est convenu avec moi qu’il a sur celui dont il s’était servi jusqu’alors le triple avantage d’améliorer la fabrication de 6 sous par livre de sucre, de fournir une qualité plus belle et de permettre de fabriquer un tiers de plus avec le même nombre d’ouvriers.
Le 18 octobre 1811 Napoléon avait créé l’Ordre de la Réunion à Amsterdam, une distinction étendue à tout l’Empire, Chaptal en est décoré Grand-Croix le 3 avril 1813.
2.24. L’archéologie chimique
Les Annales de chimie datées de janvier 1815 publient de savantes Recherches Sur la peinture encaustique des anciens [223]. Chaptal prend ses sources dans Pline, Vitruve, Vossius, plus près de lui Jean de Bruges, il s’intéresse aux compositions des couleurs et aux méthodes de peindre : « J’ai eu l’occasion de voir des fragmens de peintures antiques extraits, tant de Volsene, ancienne capitale des Etrusques, que des Thermes-Tite : la conservation de ces peintures est admirable, et leur examen ne m’a présenté que l’emploi des terres colorées ». Aubin-Louis Millin (1759–1818), conservateur du cabinet des médailles, fondateur (1787), avec Broussonet et Bosc, de la Société linnéenne de Paris, venait de publier un Corpus de vases antiques, vulgairement appelés étrusques en 1809–1810 ; dans les années 1820, Lucien Bonaparte et son épouse, réfugiés en Italie, sont devenus des pionniers de l’archéologie étrusque.
2.25. La fin de l’Empire
Chaptal retourne au service de l’État en 1813 quand, après la bataille perdue de Leipzig (18 octobre 1813), l’armée française repasse le Rhin. Arrivé à Lyon, le 26 décembre 1813, avec des pouvoirs quasi illimités pour accélérer la levée de troupes placées sous le commandement du maréchal Augereau et veiller à l’approvisionnement alimentaire des habitants, faute de conscrits Chaptal doit décider d’évacuer la ville le 19 mars 1814, il se replie le 24 à Valence, puis à Clermont-Ferrand. Il est de retour à Paris en avril après le départ de l’Empereur à l’Île d’Elbe. Le 24 avril, Louis XVIII débarque à Calais.
Un an plus tard, le 20 mars 1815 Napoléon est de retour aux Tuileries, le 31 mars Chaptal accepte la Direction générale du Commerce et des Manufactures.
Le 18 avril il est nommé ministre d’État. Le 2 juin il est fait Pair de France. Le 18 juin Waterloo met fin à l’épisode des Cent-Jours.
2.26. Fabrication de sucre de betterave à Chanteloup
Le 23 octobre 1815 Chaptal lit à l’Académie des sciences son Mémoire sur le sucre de betterave, d’une soixantaine de pages, qui est diffusé, traduit et réimprimé largement en 1816.
Ce mémoire est publié dans les Annales de chimie [224]19 . Dans un premier chapitre Chaptal traite de la culture de betteraves (choix de la graine, choix et préparation du terrain, manière de semer : au semoir, à la main, à la volée, en couche ou pépinière), des soins pendant la végétation, de « l’arrachement » des betteraves, de leur conservation. Dans le second chapitre, De l’extraction du Sucre, l’auteur décrit « l’épluchement des betteraves », l’extraction du suc, la dépuration du suc, la formation des sirops, la cuite des sirops, le raffinage. Le troisième chapitre établit un compte rendu financier et chiffre le produit d’une exploitation de 10 milliers de betteraves par jour. Le dernier chapitre est intitulé Considérations générales, Chaptal pose des questions et y répond :
Le sucre de betterave est-il de même nature que celui de canne ? Avantages que l’agriculture peut retirer des sucreries de betteraves, est-il de l’intérêt de la France de multiplier les fabriques de betteraves ? Des causes qui ont déterminé la chute de la plupart des établissemens qui s’étaient formés [224].
Le succès de la betterave tient à plusieurs causes : c’est une culture nouvelle que le sucre valorise fortement. Elle est adaptée aux régions septentrionales non viticoles et pauvres en fruits et en miel. Elle entre dans une rotation savante des cultures. Elle fournit des sous-produits utilisables par les éleveurs, les feuilles serviront à l’alimentation du bétail.
Chaptal guide de près M. Charlot, son régisseur à Chanteloup [194, cité par D. Brançon] :
Voilà donc nos betteraves retournées, je présume que vous avés pu les étendre et faire des couches moins épaisses. Comme le temps continue à être doux, il faut les surveiller et les retourner si elles germent en séparant les dernières pour les travailler de suite. Je ne doute pas que vous n’en fassiès un tas de deux tombereaux après les avoir bien épluchées et raclées pour les garder jusqu’à la fin et voir comme elles se comportent. Je tiens beaucoup à cette expérience pour ma conduite par la suite, sans éprouver ce qui est arrivé. Si cela n’est pas fait, je vous invite à le faire de suite.
Où en êtes-vous de vos blés ? A-t-on pris livraison du seigle ? Je crois qu’il faut s’en défaire de suite, et par rapport aux charançons et par rapport à la diminution des prix qui me paraît plus que probable, d’après ce que je vois.
[…] Avès-vous fini de charrier tous les débris de la fabrique. Soyés sur que les cendres, le machefer, les résidus sont plus précieux qu’on ne croit pour amender nos terres [lettre du 1er décembre 1817].
Chanteloup reçoit des « stagiaires » venus se former pour transmettre les méthodes :
Je vous adresse, Monsieur, Mr Lyon qui se rend à Amboise pour suivre les travaux de la sucrerie. Il a le projet d’aller après son instruction porter chez un de mes amis le fruit de ses connaissances ; il est essentiel qu’il connaisse la culture des betteraves et je vous recommande son éducation sous ce rapport [lettre à son régisseur, du 12 janvier 1818].
[…] Préparés au moins 60 arpents pour les betteraves il faudra les semer vers le 15 ou 20 avril, si le temps le permet et semer une à une à la distance d’un pied dans les terres fortes.
On trace des voyes avec une espèce de herse à 4 ou 5 dents pour marquer les intervalles et des femmes mettent la graine dans deux sillons à droite et à gauche et la recouvrent à la main de un demi pouce de terre au plus. On fait cette opération lorsque la terre est humide. Une femme en plante 10.000 par jour.
De cette manière, on peut ne semer à la fois que les parties d’un champ qui sont bien préparées et l’on attend que les parties trop patentes soient sèches pour y déposer la semence.
Le procédé réussit mieux ici que le semé à la volée : le sarclage est plus facile, on employe moitié moins de graine et les betteraves sont plus belles. Un homme peut traîner la machine à faire les voyes [lettre du 7 mars 1818].
L’agronome C.-J.-A. Mathieu de Dombasle, membre de la Société royale et centrale d’agriculture, fait paraître des Faits et Observations sur la fabrication du sucre de betterave et sur la distillation des mélasses, chez Mme Huzard (2e éd., 1822). La confiance que l’auteur inspire aux milieux agricoles a fortement contribué à populariser le sucre de betterave.
Renouvelant le troupeau de moutons mérinos de Choiseul, à Chanteloup Chaptal élève des béliers recherchés pour la reproduction et pour leur laine. Après des années difficiles entre 1809 et 1814, le succès revient sous la Restauration. Les bergeries et la sucrerie de Chaptal étaient encore visibles en 1935 [225].
2.27. La Chambre des Pairs
Sous la Restauration, l’intervention rancunière de Fouché retarde jusqu’au 4 mars 1819 le retour de Chaptal à la Chambre des Pairs (Figure 11) qui lui confient à l’unanimité le rapport général sur le budget de l’année.
Chaptal connaissait la famille Decazes. Il obtient d’Élie Decazes, Président du Conseil de novembre 1819 à février 1820, l’ordonnance du 26 novembre 1819 qui crée, au Conservatoire des Arts et Métiers, « une haute école d’application des connaissances scientifiques au commerce et à l’industrie ». C’est une demande de Charles Dupin (1784–1873) [226]. Chaptal devient membre du Conseil de Perfectionnement de l’institution inaugurée le 2 décembre 1820. Il soutient ses jeunes enseignants, Nicolas Clément Désormes (1778–1841) et J.-B. Say (1767–1832) [227, 228]. Il approuvera l’organisation de cours publics en province (Strasbourg, 1820).
2.28. De l’industrie française
Jusqu’en 1823 Chaptal va se consacrer à son domaine de Chanteloup, à la rédaction de son grand ouvrage économique De l’industrie française en deux volumes, avec les matériaux statistiques recueillis pendant douze ans par les préfets, et à sa Chimie appliquée à l’agriculture.
Début 1819, Chaptal publie De l’industrie française, chez Renouard, qui a « pour but principal de faire connaître notre richesse nationale ».
La construction est classique (sources, plan, méthode). L’ouvrage est organisé en quatre parties : le commerce extérieur de la France en 1789, les progrès de l’agriculture, les progrès de l’industrie manufacturière, les principes qui doivent diriger le gouvernement dans l’administration de l’industrie. Le discours préliminaire retrace l’histoire de l’industrie française.
Dans la seconde partie, il parle « des progrès de l’agriculture, de son état actuel et de la richesse territoriale […]. La quatrième partie est consacrée à faire connaître les principes qui doivent diriger le gouvernement dans l’administration de l’industrie […], du commerce et de l’agriculture » [229].
Physiocrate, il croit que « l’industrie agricole est sans contredit la première de toutes : les travaux qu’elle exige forment une population robuste ; les productions qu’elle fournit sont de première nécessité ; elle donne la matière première aux manufactures, et procure des échanges au commerce ».
Dans la troisième partie les arts chimiques sont détaillés.
J.-B. Say (1767–1832), professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, fait un long compte rendu dans le Bulletin de la SEIN [230].
Selon Louis Bergeron qui présente une nouvelle édition de l’ouvrage augmentée de notes biographiques en 1993 [231], l’objectif de Chaptal est de faire connaître son opinion libérale, qu’il estime fondée sur son expérience politique, dans le grand débat douanier de l’époque. Malgré les erreurs et imprécisions qu’il connaît, on doit à Chaptal d’avoir pris part à la mise en place d’un « observatoire d’État ».
Pour la statistique agricole, il tient ses sources des Contributions indirectes (pour le vin, la bière, le cidre) ; de la Direction générale des forêts ; de l’administration du cadastre (dont les opérations étaient alors terminées dans le tiers de communes) ; des services préfectoraux ; des sociétés d’agriculture ; des douanes, etc. : « Mais, à n’en pas douter, c’est la Société d’encouragement de l’industrie nationale qui a constitué l’organe d’information et de promotion le plus directement utile ». La Société se trouve « à la charnière d’une fonction institutionnelle et d’un réseau de relations personnelles appelées à suppléer à l’information officielle ou à la corriger ». Chaptal explique lui-même à propos de la statistique agricole qu’au-delà des informations préfectorales, il recourait aux données fournies par les « autorités locales » et par les « personnes instruites ». Il remercie les membres de la SEIN : « MM. Ternaux aîné, Darcet, Molard, Bardel, Seguin, Roard, baron de Laitre, comte de Lasteyrie, etc. » [231].
2.29. Cinquième Exposition nationale
La même année a lieu la cinquième exposition nationale des produits de l’industrie française [232].
Le duc de La Rochefoucauld est président du jury central, Chaptal est vice-président.
Il accompagne l’exposition, en une centaine de pages, de Quelques réflexions sur l’industrie en général, à l’occasion de l’exposition des produits de l’industrie française : « Les hommes civilisés n’ont aucun motif de se faire la guerre » [233, p. xix]. Il rend hommage à Napoléon qui, selon lui, voulait la paix et l’accès de tous les peuples aux productions bienfaisantes de l’industrie :
La première industrie est sans contredit celle qui a pour objet de multiplier, d’étendre et d’améliorer les productions de la terre, mais si ce genre d’industrie est le seul auquel se livre une nation, […] elle reste pauvre, ainsi que le fut toujours la Pologne, quoiqu’elle exportât annuellement pour douze millions de blé.
Il justifie l’industrie, les échanges, le crédit et la banque :
Notre industrie agricole a acquis singulièrement par une plus grande division de propriétés ; par le respect que l’abolition des droits de chasse et de pêche rendit à la propriété ; par moins de superstition et d’ignorance dans les campagnes ; par plus d’ouvrages théoriques sur l’agriculture, et plus d’expérience dans l’art d’élever les bestiaux, etc. Les desséchemens, les défrichemens et les prairies artificielles ont rendu à la culture une immense quantité de terrain ; l’assolement a remplacé les jachères ; les instrumens aratoires ont été perfectionnés.
Il regrette le développement inégal, le retard de plusieurs cantons dont
On serait tenté de croire en les voyant qu’ils ne font pas partie du même État […]. Il y a eu beaucoup de plantations d’arbres ; mais cela ne compense nullement l’oubli de l’aménagement des forêts, qui semble être absolu, même pour celles de l’État.
[…] Le régime des gens de la campagne s’est amélioré tant par la vaccine, qui sauve un grand nombre d’enfans que par les secours multipliés de la médecine et de la chirurgie.
Il déplore la persistance du mauvais pain noir, mal fait, mal cuit, les mauvais vêtements, le fumier à côté des habitations. La vigne a fixé l’attention du spéculateur plus que celle du cultivateur. « La culture des plantes oléagineuses […] est pour ainsi dire une introduction nouvelle », le gaz retiré de leur huile lui semble préférable à celui de la houille qui est mieux utilisée à produire goudron et couperose. Il faut encourager la production d’huile d’olive, les moyens mécaniques pour les fabrications du chanvre et du lin. Chaptal invite les cultivateurs à emprunter et à investir « dans de sages améliorations » : « L’argent ; de même que le fumier, ne porte avantage que par la dispersion ». Il condamne le jeu de la bourse du Gouvernement, il appelle la création d’une « véritable banque des propriétaires ». Il examine les causes qui entravent « l’essor de l’industrie agricole », l’instabilité des règlements, les monopoles, et réclame « un bon code d’agriculture » ainsi qu’un « bon code des mines ». Il analyse sévèrement les mesures économiques qui découlent du Congrès de Vienne.
Dans le volume 3 de la Description des expositions, § 527, on lit :
M. le comte Chaptal, dont le nom n’est pas porté dans le Catalogue, a présenté des sucres de betteraves confectionnés dans sa belle manufacture de Chanteloup. Ces sucres ont été reconnus pour être les plus beaux de l’exposition. C’est à la persévérance et au talent de ce savant que l’on doit les progrès que cet art nouveau a faits. Une médaille d’or lui aurait sans doute été décernée, si, en sa qualité de membre du jury central, M. Chaptal ne s’était mis hors du concours.
Puis, § 576 :
MM. Chaptal fils, d’Arcet et Holker, à la fabrique des Thernes, près de Paris, ont une manufacture des plus importantes et dont les produits sont de la meilleure qualité. Le grand nombre de produits chimiques qu’ils ont exposés sont d’une perfection qui ne laisse rien à désirer. Le jury central a décerné à cette belle manufacture une médaille d’or qu’elle a accompagnée, en ces termes, d’un éloge bien mérité :
On doit à cette fabrique la diminution du prix des produits chimiques les plus importans, par l’abondance qu’elle en a mise dans le commerce, et par la perfection de ses procédés. Elle satisfait à tous les besoins de diverses branches d’industrie qui font usage des produits chimiques.
2.30. La fin de Chanteloup
Pendant l’été 1820 Chaptal vend des terres et ses troupeaux.
En 1822, les revenus de la fabrique de sucre et d’eau-de-vie et ceux de l’exploitation couvrent à peine les dépenses. De plus, Chaptal a besoin d’argent pour désintéresser les créanciers de son fils endetté. La mère de Louis-Philippe est la fille du duc de Penthièvre, dernier propriétaire de Chanteloup entre 1786 et 1793. Chaptal espère que le duc d’Orléans serait acquéreur. Il fait réparer ce qui devait l’être, par des instructions à son régisseur Mathieu Charlot. Longtemps obscure, l’histoire de la destruction de Chanteloup a été élucidée par Edouard André, à l’aide de nouveaux documents, et exposée dans le Bulletin de la Société archéologique de Tours en 1936 [234]. Vendu en 1823, Chanteloup est détruit en dix ans par des spéculateurs.
Les activités de Chaptal à Chanteloup ne lui ont pas fait que des amis. Le 29 mai 1817 il se plaint à son fils :
Ces misérables (des domestiques malhonnêtes) avant de partir ont dissous du savon dans mes syrops. Ce qui empêche la cristallisation. Mais je m’en suis aperçu de suite par un morceau qui n’était pas fondu ; j’ai décomposé le savon avec un peu d’acide et j’ai ramené l’huile à la surface [194, lettre du 29 mai 1817].
Son voisin se plaint de la fumée « noire et épaisse » qui se répand des cheminées sur les vignes et les arbres fruitiers ainsi que de « l’écoulement des eaux des chaudières » [194, lettre du 14 septembre 1817].
Chaptal répond sèchement qu’un « peu de fumée de charbon n’est pas préjudiciable ni à la santé des hommes, ni à la végétation » et qu’il existe une raffinerie « à Paris sur les Champs-Elysées qui sont une promenade publique ».
En 1820, Cuvier peut constater que l’industrie du sucre de betterave résiste au plus grand danger qu’elle eût à redouter, le rétablissement des communications avec les colonies :
M. Chaptal a publié la troisième édition de ses Mémoires sur la fabrication du sucre de betterave ; industrie qui résiste au plus grand danger qu’elle eût à redouter, le rétablissement des communications avec les colonies, et dont la multiplication rapide du livre de M. Chaptal prouve mieux, que toute autre chose, l’utilité réelle [145, p. 89].
Le 8 mai 1820 Chaptal est l’auteur d’un Rapport sur le Mémoire sur la culture de la vigne, l’art de faire les vins, et sur la distillation des eaux-de-vie de marc en particulier, et de l’alcohol en général, d’Aubergier, pharmacien-chimiste, élève de Vauquelin, lu à l’Académie Royale des Sciences :
M. Aubergier, dans un Mémoire sur l’art de cultiver la vigne […] a présenté des vues que l’Académie a trouvé intéressantes, bien qu’elles ne soient pas toujours applicables ; il paraît avoir établi sur de nombreuses expériences qu’il existe dans la pellicule du raisin une huile volatile qui communique son âcreté à l’eau-de-vie de marc, quand elle n’est pas fabriquée avec les appareils perfectionnés [235].
Le 16 juillet 1821 Chaptal écrit à sa fille : « Je me suis mis en tête de clore ma carrière par un ouvrage sur l’application de la chimie à l’agriculture. J’y travaille avec zèle ».
Le 22 février 1822 il confirme : « Ce travail m’intéresse plus que les démêlés des chambres » [194].
L’ouvrage paraît en deux volumes en 1823. Il aura une deuxième édition augmentée en 1828.
Après son retour définitif à Paris, Chaptal s’occupe de ses huit petits-enfants20 , de la Chambre des Pairs et de ses activités associatives à la SEIN, à la Société d’agriculture, à l’Académie des sciences, au Conseil des Hospices, au Conseil des Prisons, au Conseil supérieur du Commerce et des Colonies, etc. Il est spécialement actif au Conseil des hospices. Il aide diverses sociétés de bienfaisance, apprentis, enfance, « Bon Pasteur ».
2.31. Chimie appliquée à l’agriculture
En 1820 on trouvait à Paris les Élémens de chimie appliquée à l’agriculture suivis d’un Traité sur la chimie des terres, par Sir Humphry Davy [236, 237, 238, 239, 240]. L’ouvrage de Davy, paru en 1819 sous le titre d’Elémens de chimie agricole, est réédité en 1825 comme Art de préparer les terres et d’appliquer les engrais ou Chimie appliquée à l’agriculture. Voir [241]. L’ouvrage est constitué des 8 leçons professées par Davy pendant dix ans, augmentées du résultat de ses expériences sur les fourrages.
Chevreul en fait la présentation en trois articles dans le Journal des Savans [242]. Les deux chimistes-agronomes ont des points communs. Ils sont les premiers auteurs de traités de chimie appliquée à l’agriculture au milieu d’intérêts très diversifiés. Tandis que Chaptal se passionne pour les peintures de Pompéi, Davy s’emploie à dérouler les manuscrits d’Herculanum. L’un et l’autre donnent une grande place à l’étude chimique des terres.
L’ouvrage de Chaptal est signalé dans la Notice des ouvrages publiés par ses membres dans les Mémoires de la Société d’agriculture en 1824 [243].
Challan, vice-secrétaire le commente dans son Rapport annuel : selon lui, la chimie agricole de Davy exigeait des connaissances préliminaires en chimie pour être compris.
M. le comte Chaptal a heureusement vu cette lacune, et il l’a remplie. L’ouvrage qu’il vient de publier sous le titre de Chimie appliquée à l’Agriculture, sera accueilli avec reconnaissance par tous les amis de l’agriculture, comme il l’a été par la Société, qui a l’avantage de compter l’auteur parmi ses membres. Tous l’applaudiront d’avoir substitué un raisonnement précis à des formules, et d’avoir montré que les phénomènes qui se passent sous nos yeux sont les conséquences des lois éternelles imposées à tous les corps et à l’homme lui-même, encore qu’il puisse développer ou modifier leur action.
Plus éclairé par ces instructions, le cultivateur sentira croître son admiration, et profitera des leçons contenues dans le livre de M. Chaptal, pour diminuer ses fatigues ou ses dépenses, et augmenter ses produits ; car ce traité a le mérite spécial d’avoir renfermé dans un même chapitre chaque principe chimique, mis en rapport avec une pratique agricole ou économique ; enfin d’avoir respecté l’expérience acquise, et de s’être toujours abstenu de proposer de nouvelles méthodes, à moins que leur supériorité ne fût suffisamment prouvée (1).
De tous les services que la chimie a rendus à l’agriculture, celui qui a l’œnologie pour objet est un des plus importants, et le nom de M. Chaptal est attaché à tout ce qui a été publié de bon sur la fabrication des vins de France, dont la supériorité est si généralement reconnue. Sa nouvelle chimie rurale ne fera que fortifier la juste confiance que l’on avait déjà dans ses préceptes.
(1) Cette marche était la seule digne de l’auteur, qui, cherchant à mettre à portée des moins instruits les lois d’attraction et d’affinité, l’influence des éléments sur la végétation, et d’une bonne administration sur l’agriculture, a voulu les convaincre que la circulation d’un air pur est essentielle à la vie des hommes et des animaux ; que les habitations les plus saines et les alimens les plus profitables sont ceux dont on a écarté toute émanation fétide qui pourrait les altérer ; que l’on se garantit de beaucoup de maladies en se préservant de l’humidité et des eaux trop froides ou stagnantes ; qu’on doit apprendre à connaître le danger des liqueurs falsifiées et de l’usage de certains vaisseaux ; enfin, à se prémunir contre les charlatans à secret [244, p. 42–44].
La Chimie appliquée à l’agriculture (2 volumes) de Chaptal paraît en 1823 [245].
Ce dernier grand ouvrage de Chaptal est annoncé puis présenté dans le Bulletin de la SEIN en deux fois [246].
Le premier tome (11 chapitres, 460 pages) commence par la composition de l’atmosphère dans laquelle vit la végétation. Chaptal passe à la nature des terres, aux engrais, à la nutrition des plantes, à la contribution de l’air, de l’eau et des amendements, au rôle des assolements. Il établit un tableau des produits de l’agriculture, passe aux usages qu’ils remplissent (gomme et mucilage, amidon ou fécule, sucre, cire, huiles, résine, fibres, gluten, tannin, acides végétaux et alcalis fixes).
Le second tome (12 chapitres, 418 pages) traite de la conservation des substances animales et végétales (dessiccation des fruits, conservation par le sel, liqueurs spiritueuses). Un chapitre est consacré au lait et à ses produits (crème, beurre, fromage). Chaptal compare une nation agricole à une nation industrielle. La propriété, grande et petite, et les encouragements requis du Gouvernement sont au centre de la politique agricole qu’il souhaite. Viennent ensuite les transformations (fermentation, distillation, boissons telles que bière et cidre) et l’habitation rurale. La lessive économique, les cultures du pastel pour en extraire l’indigo, celle de la betterave pour le sucre, font l’objet des trois derniers chapitres.
Le Discours préliminaire de 55 pages dans lequel il expose son objectif d’auteur et ses convictions pour une bonne gestion de l’agriculture est reproduit dans la référence [247].
Les Mémoires de l’Académie des sciences 1823 rendent très brièvement compte de l’ouvrage dans la rubrique Histoire de l’académie — Agriculture :
Il était assez singulier que l’agriculture, dont toutes les opérations ne consistent qu’en des transformations et des combinaisons dont la chimie sait aujourd’hui rendre compte, n’eût point encore reçu de cette science de théorie particulière. M. le chevalier Davy en a jeté les premières bases, dans un ouvrage publié il y a quelques années ; et M. le comte Chaptal vient de s’en occuper avec plus de détail et des applications plus positives, dans un traité ex professo, imprimé cette année.
Il y fait connaître tous les éléments qui influent sur la végétation, et la manière d’agir de chacun d’eux ; Il y analyse la nature des différentes terres, leurs propriétés, et les moyens de les disposer à une bonne culture : il y expose avec étendue et netteté les principes des assolements. Passant ensuite aux produits de la végétation, il en développe les caractères, et la manière de les conserver et de les approprier à leurs usages, ou d’en extraire les parties utiles. La préparation du beurre, du fromage ; la fermentation vineuse, la distillation, la culture du pastel et l’extraction de son indigo, et tout ce qui concerne la culture de la betterave et l’extraction de son sucre, ont spécialement attiré son attention. Il n’a pas même négligé les moyens d’assainir, à peu de frais, les demeures et les vêtements des habitants des campagnes [247, p. clvi–clviii].
À la disparition de Chaptal, Eugène Julia de Fontenelle (1780–1842) rend compte de l’ouvrage dans les Annales de l’agriculture française. L’auteur est pharmacien et chimiste. Il est l’un des créateurs du Journal de chimie médicale, de pharmacie et de toxicologie, il dirige la collection des Manuels Roret sur les arts industriels, manuels très appréciés des artisans, dont une vingtaine sont de sa main.
Après un rappel des talents du chimiste et du ministre :
Enfin sa Chimie appliquée à l’agriculture ne tarda pas à devenir l’objet de sa prédilection. L’auteur n’ignorait point de quel secours la chimie pouvait être au premier des arts pour le porter au rang des sciences exactes ; il entreprit cette glorieuse tâche, et la remplit avec ce talent consciencieux, cet esprit de recherches, cette somme de connaissances et cette beauté de style qui lui sont propres. Laissons-le parler un moment :
« Sans l’agriculture, dit-il, les hommes vivraient errans sur le globe, se disputeraient entr’eux la dépouille des animaux et quelques fruits sauvages ; on ne connaîtrait ni société ni patrie… Si le séjour des cités, la vie sédentaire et la pratique de plusieurs arts amollissent et énervent une portion de l’espèce humaine, l’agriculture conserve la population des campagnes dans un état de force, de santé et de bonnes mœurs, qui répare sans cesse la partie dégénérée de la société… Chez toutes les nations, elle est la source la plus pure de la prospérité publique… L’agriculture est donc au premier rang parmi les hommes…. Il ne reste plus aujourd’hui qu’à l’éclairer par l’application des sciences physiques, car tous les phénomènes que l’agriculture présente sont des effets naturels des lois éternelles qui régissent tous les corps ; toutes les opérations que l’agriculteur exécute ne font que développer ou modifier l’action de ces lois. »
C’est donc à connaître ces lois, à constater leurs effets, à varier leur action, que M. le comte Chaptal a principalement appliqué ses recherches. Aussi l’auteur ne s’est-il pas borné à faire connaître le mode d’action de l’air, de l’eau, de la lumière et de la chaleur sur la germination, la nutrition, etc. Ses investigations se portent sur la nature des sols, leur formation, leur moyen d’analyse, la composition et le mélange des terres arables, les assolements, les amendements, les engrais et leur mode d’action suivant les localités, etc. Après avoir traité de la théorie des préceptes généraux de l’agriculture, il passe à l’examen de la nature et des usages des produits de la végétation ; dans ce cadre sont compris les gommes, les résines, la cire, le sucre, les huiles, l’amidon, les acides végétaux, les alcalis, le vin, etc.
M. le comte Chaptal a senti qu’il ne suffisait pas de produire, qu’il fallait savoir conserver les produits de la terre : cette partie est traitée avec le plus grand soin. Enfin l’auteur a porté si loin l’application de la chimie à l’agriculture, qu’une partie de son ouvrage pourrait être intitulé : Agriculture manufacturière. Nous nous bornerons à citer pour exemple les articles relatifs à la culture du pastel, de la betterave et à l’extraction de l’indigo et du sucre. […] M. le comte Chaptal n’a pas fait un livre avec des livres, mais avec des documents puisés auprès des notabilités agricoles, avec des observations exactes, des faits nombreux, et une connaissance approfondie de l’action des agents physiques et chimiques sur les corps bruts et organisés. Nous le louerons aussi de cette loyauté avec laquelle il proclame que le célèbre Davy a déjà publié une chimie agricole où il a puisé d’excellents principes. […] Je puis avoir commis des erreurs dans mes explications, mais je ne crois pas avoir altéré un seul fait. […] un ouvrage qui fait époque dans les fastes de la science, nous nous bornerons à dire qu’il est indispensable à l’agriculteur jaloux des progrès de son art, et que le chimiste et le manufacturier y puiseront de nouvelles connaissances [248].
2.32. Les disparitions
Le 22 mai 1825 Chaptal est promu Grand-Croix de la Légion d’honneur par Charles X (Figure 12). Il voit disparaître ses amis, le 17 mai 1822 c’est le duc de Richelieu : « J’ai perdu en lui un ami et la France est privé d’un homme loyal, aimé de son pays et respecté de toute l’Europe »; le 18 février 1823 il évoque à la Chambre des Pairs la mémoire de Berthollet, décédé le 6 novembre précédent ; le 8 mars 1824 : « Le pauvre Cambacérès a terminé hier sa souffrance à 9 heures du soir, c’est une perte pour moi »; le 11 octobre 1825 il fait un discours aux obsèques de Lacépède à Epinay ; le 18 janvier 1827 c’est pour Collin de Sucy, son ancien collaborateur, ancien Directeur général des douanes, chargé du nouveau ministère des Manufactures et du Commerce le 22 juin 1812…
À la fin de sa vie, essoufflé et limité par l’asthme dans ses déplacements, douloureux, Chaptal suit néanmoins les événements de la Révolution de 1830. Il meurt le 30 juillet 1832. Au cours de ses funérailles qui ont lieu le 1er août, Thenard prononce un discours au nom de l’Académie des sciences. Il est suivi par Benjamin Delessert pour l’administration des hospices civils de Paris. Des Éloges sont prononcés dans les diverses sociétés qu’il a honorées de ses services, par De Gérando pour la SEIN le 22 août 1832. Amalric dépeint Chaptal dans sa famille. Dupin, comme académicien et conseiller d’État, évoque le savant agriculteur de Chanteloup et se penche sur l’héritage du ministre. Pariset, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de médecine, apporte l’hommage des professeurs de cette académie, Blanqui aîné celui de l’école spéciale de commerce, le comte de Lasteyrie celui des chimistes [40, 249].
Julia de Fontenelle prononce un Éloge de Chaptal à la Société des sciences physiques, chimiques et arts industriels de Paris [250].
Les grands anniversaires de la vie de Chaptal sont régulièrement l’occasion de rappeler l’homme qu’il a été par des ouvrages, articles, colloques, expositions biographiques : Maurice Gentil, bibliothécaire de l’Académie de médecine, lui consacre un numéro des Biographies médicales en 1932.
En 1860 les Mémoires de la Société d’agriculture [251] publient un Discours de Barral sur les services rendus à l’agriculture par la chimie. Ceux de Chaptal évidemment figurent en bonne place.
Antoine Béchamp (1816–1908), professeur de chimie à la Faculté de médecine de Montpellier, a prononcé un Éloge historique de Chaptal à la séance de rentrée de l’École supérieure de pharmacie le 15 novembre 1866 [252, 253].
Le centenaire de la mort de Chaptal a été célébré à Mende le 21 août 1932 par l’inauguration d’un buste à laquelle la Société de chimie industrielle était représentée par Camille Matignon (1867–1934), président de la Société chimique de France. Avec Pierre Viala (1859–1936) professeur de viticulture à l’Institut national agronomique, membre de la section d’économie rurale, il représentait aussi l’Académie des sciences. Matignon fait un discours biographique conservé dans le dossier Chaptal des Archives de l’Académie des sciences.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leurs organismes de recherche.
1 Des listes de publications scientifiques de Chaptal sont dressées par Flourens, Pigeire et Péronnet, dans les ouvrages cités dans la bibliographie, et dans son propre livre de Souvenirs, publié par son arrière-petit-fils en 1893.
2 À partir du tome 33, à leur nom complet les Annales ajoutent la mention et spécialement la pharmacie.
3 Bucquet fut remplacé comme adjoint par Berthollet.
4 Chaptal s’inspirait d’un Mémoire de minéralogie par Montet, présenté en mai 1781 à la Société Royale des sciences de Montpellier, envoyé à l’Académie de Paris et publié par elle [52].
5 Dans des Notions préliminaires sur le lait (p. 5), est cité l’ouvrage de Chevreul (1786–1889), intitulé Recherches chimiques sur les corps gras d’origine animale, publié chez Levrault en 1823. Chevreul a rejoint la Société Royale et Centrale d’Agriculture, le 22 août 1832, très peu de temps après la disparition de Chaptal [61, p. 423]. On sait que le jeune chimiste entretenait une rancune tenace envers son aîné auquel il reprochait d’avoir soutenu contre lui la candidature de D’Arcet à l’Académie des sciences en 1815 [46, p. 159–160, note].
6 En 1804, sous son ministère, avec le concours de la Société d’agriculture, paraîtra une réédition luxueuse du Théâtre d’agriculture d’Olivier de Serres, en deux tomes, initiée par les ministres du Directoire, augmentée de la biographie de l’auteur par François de Neufchâteau, d’un État de l’agriculture en Europe au seizième siècle par l’abbé Grégoire (1750–1831) [qui a été rétabli, par Chaptal, entre le 1er Frimaire et le 4 Nivôse an X (25 décembre 1801), dans son poste de sous-bibliothécaire de l’Arsenal], et d’un important appareil de notes signées auxquelles a contribué Chaptal.
7 Le 15 décembre 1787, Berthollet a lu à l’Académie un mémoire Sur l’acide prussique qui est publié par la suite dans les Annales de chimie, il affirme : « c’est une combinaison d’azote, d’hydrogène & de carbone. […] Si l’on considère la composition de l’acide prussique, elle paroît bien moins voisine de celle des acides, que (de) celle de l’ammoniaque ; toutefois il a trop de propriétés communes avec les autres acides pour ne pas le placer dans la même classe […] ». L’oxygène n’entre pas dans la composition de l’acide prussique.
8 Trois tomes sont parus en 1793 : les tomes 16–17–18 ; aucun n’est paru en 1794, 1795, 1796 ; six tomes ont paru en 1797. Du 7e au 18e, on ne trouve rien de Chaptal depuis la recension par Berthollet de ses Élémens de chymie dans le t. 4e, en 1790.
9 La Société a été fondée le 10 décembre 1788 par six jeunes gens amateurs de science : Silvestre, bibliothécaire du comte de Provence, Alexandre Brongniart neveu du chimiste Antoine Brongniart, le naturaliste Riche, deux médecins et un mathématicien. Les adhérents de la Société philomathique se démarquent des Idéologues pour ne s’attacher qu’au domaine scientifique. Après la suppression de l’Académie des sciences, de nombreux savants y ont trouvé refuge. En 1825, ses anciens amis disparus, avec Thenard et Vauquelin Chaptal est associé libre.
10 Ce souci d’organisation fera écrire à Camille Matignon, dans l’hommage rendu à Chaptal par les corps savants pour le centenaire de sa disparition, que ce traité est en même temps un véritable manuel de taylorisation, un siècle avant Taylor (1856–1915).
11 Le 22 Nivôse an IX (12 janvier 1801), le ministre Chaptal invite le préfet du Haut-Rhin à acquérir l’ouvrage de ce sociétaire qui a « pour titre Description de plantes nouvelles et peu connues du jardin […]. Cet ouvrage important tient à une branche essentielle de l’Instruction publique : il peut être utile à l’école centrale et aux Sociétés d’agriculture de votre département » (Archives de l’Académie des sciences, dossier biographique de Chaptal).
12 Paris avait disposé aussi d’une Société libre d’Émulation pour l’encouragement des arts, métiers et inventions, établie en 1776 qui a subsisté jusqu’à la Révolution. En 1808, dans le Bulletin de la Société d’encouragement (p. 236–238), François de Neufchâteau proposait à la Société d’encouragement pour l’industrie nationale de rechercher les travaux de l’ancienne Société d’émulation et d’en consigner l’histoire dans un de ses bulletins. Les recherches furent infructueuses et le projet abandonné.
13 Le Bulletin mensuel de la Société d’encouragement est disponible en ligne, l’action de la SEIN a été analysée récemment [170, 171].
14 La SEIN, sous la présidence de Chaptal, avait organisé, en 1802–1803, un concours pour la fabrication d’objets culinaires en métal revêtu d’émail, économique : Michel Péronnet rapporte que le nom de son président était employé, en Bretagne, comme nom commun pour désigner une cafetière [155, 176, 177].
15 Conserver la particule à Candolle et Lasteyrie était à l’époque une revendication politique, qu’on a souhaité retranscrire ici.
16 Les trois ouvrages, offerts à la SEIN, sont signalés dans les Bulletins de la Société de mai (p. 308) et octobre (p. 90) 1807.
17 Huit tomes du Cours complet d’Agriculture théorique et pratique […] ou Dictionnaire d’agriculture, jusqu’à la lettre R, rédigés par l’abbé Rozier sont parus de son vivant, datés de 1781 à 1789, les tomes 9 et 10 sont parus après sa mort datés de 1796 et 1800. Les tomes 11 et 12 paraissent datés de 1805 sous la direction d’André Thouin.
18 Attentif au vocabulaire de métier, Chaptal explique le mot alcool par « mot synonyme d’esprit-de-vin » [199, p. 145].
19 La troisième édition paraît en 1819.
20 Deux garçons de sa fille Victoire devenue veuve en 1817, et surtout les deux garçons et les quatre filles de son fils, qui vivent chez lui, dont la mère décèdera le 13 mars 1826, et dont le père s’exile au Mexique pour fuir ses créanciers ; les enfants de Laage, deux garçons et deux filles, ne résident pas à Paris.