Au 19e siècle, il était d’usage de recopier l’ensemble du courrier envoyé ou reçu dans des registres. Tout le courrier envoyé par l’École de pharmacie de Strasbourg, créée en 1803 et devenue après 1835, École supérieure de pharmacie de Strasbourg [1], fut ainsi recopié. Il en était de même du courrier reçu du rectorat de Strasbourg. Ces registres ont été aimablement restitués à la Faculté de pharmacie de Strasbourg, en 2013, par la Faculté de pharmacie de Nancy, où ils étaient entreposés depuis 1871 suite à l’annexion de l’Alsace-Moselle par le Reich allemand. Cela nous a permis d’en transcrire six entre 2013 et 2021 [2].
Deux registres couvrent la période au cours de laquelle Louis Pasteur y enseigna. Il s’agit, en premier, de la correspondance de l’École supérieure de pharmacie de Strasbourg de 1842 à 1856, et, en second, de la correspondance du rectorat de Strasbourg relative à cette École de 1839 à mars 1855. Cette correspondance n’a pour l’instant pas été publiée in extenso. Rappelons que l’École comprenait, en 1849, trois professeurs titulaires et deux professeurs adjoints (équivalents aux professeurs sans chaire), aidés de deux agrégés, pour vingt-deux étudiants [3]. Les cinq professeurs enseignaient les matières suivantes : chimie, histoire naturelle médicale (botanique, zoologie), pharmacie, matière médicale, toxicologie et physique. S’y ajoutaient des travaux pratiques [4].
Le nom de Pasteur apparaît dans quatre lettres de l’École et dans neuf lettres du recteur. C’est dans une lettre de M. Jean, François Persoz, directeur de l’École, adressée au recteur le 21 mai 1849, que sa nomination est citée [5]1 : « La nomination de M. Kopp à l’assemblée législative laisse sans professeur 2 branches importantes de l’enseignement de l’école de Phiede Strasbourg, la Chimie générale et la Physique. L’intérêt du service exigeant que ces 2 cours ne restent pas interrompus au milieu de l’année scolaire, en l’absence de tout agrégé, après avoir pris l’avis de mes collègues, j’ai cru devoir demander à M. M. Bertin, profr de Physique à la faculté des Sciences, et Pasteur, suppléant de Chimie à la même faculté, un concours nécessaire et que ces 2 honorables fonctionnaires sont tout disposés à nous prêter. Si donc cet arrangement vous paraît, comme à moi, M. le Recteur, satisfaire aux besoins du moment, je vous prie de vouloir bien :
1° autoriser M. M. Bertin et Pasteur à entrer en fonctions dès le 1er juin prochain.
2° soumettre à l’approbation de M. le Mtre de l’Instruction publique ces dispositions en insistant pour qu’elles soient admises jusqu’à la fin de l’année scolaire, vu les inconvénients qui résulteraient d’un nouveau changement de professeur avant cette époque [6].
3° enfin, demander que les 2 traitements fixes dont jouissait M. Kopp, comme profr adjoint chargé de l’enseignement de la Physique et comme suppléant du cours de Chimie, soient attribués à M. M. Bertin et Pasteur. »
Suite à cette lettre, le recteur écrivit le 25 mai 1849 au ministre de l’instruction publique [6] : « Aux termes de l’art. 84 de la loi électorale, M. Kopp professeur adjoint à l’école de pharmacie de Strasbourg, est réputé démissionnaire par le seul fait de son élection à l’assemblée législative. » Rappelons qu’après la révolution de février 1848, qui avait renversé Louis Philippe, roi des Français, la République avait été proclamée le 24 février. Une Assemblée nationale constituante avait été élue le 23 avril. Elle siégea jusqu’en mai 1849, puis une Assemblée nationale législative fut élue les 13 et 14 mai 1849. Le professeur Charles Émile Kopp y fut élu représentant du peuple (député). La lettre du recteur continuait : « Il y a lieu par conséquent de pourvoir au remplacement de ce fonctionnaire, non seulement dans la chaire de toxicologie et de physique, dont il a le titre, mais dans la chaire de chimie générale, dont il a la suppléance pendant le congé accordé au titulaire M Persoz. » En effet, le professeur Persoz, directeur de l’École, avait pris un congé d’un an pour se rendre à Paris, continuer ses recherches et faire cours à la Sorbonne. Sur les cinq professeurs, il n’en restait donc que trois : Charles Frédéric Oppermann (cours de pharmacie), faisant fonction de directeur, Frédéric Kirschleger (cours de botanique) et Ignace Léon Oberlin (cours de matière médicale). La lettre du recteur continuait par : « Pour ne point interrompre le service, j’autorise M le directeur de l’école de pharmacie, sur sa demande, que je joins à ce rapport, à confier provt l’enseigt de M. Kopp, à MM Bertin et Pasteur, le 1er professeur de physique à la fté des Sciences, le second suppléant de la chaire de chimie à la même faculté. J’ai l’hr de vous exposer, M le Mtre, que M Pasteur peut être chargé des deux cours de chimie que faisait précédemment M Persoz. Quant à M Bertin, il peut aussi remplacer d’autant plus utilement M. Kopp dans la chaire de Toxicologie et de physique que la toxicologie étant terminée, il ne reste à faire pendant l’été que le cours de physique. La combinaison que je présente n’est d’ailleurs que provisoire. Elle donnera le tems de statuer sur les mesures à prendre pour le remplacement définitif de M. Kopp.
Il semble toutefois à M le Directeur de l’école, dont je partage l’opinion, que vous vouliez bien approuver les dispositions proposées pour prévenir, d’ici à la prochaine rentrée, les inconvénients qui résulteraient pour la direction des études d’un nouveau changement avant cette époque.
Ce n’est même qu’avec la conscience qu’ils ne seront pas exposés à ce changement, qui porterait atteinte à la dignité de l’enseigt de la faculté des Sciences à laquelle ils appartiennent que MM Bertin et Pasteur ont accepté la mission que je leur ai confiée en attendant votre approbation.
Il y aura lieu, M le Mtre, d’autoriser avec cette approbation que les deux traitements dont jouissait M. Kopp comme professeur adjoint chargé de l’enseignt de la toxicologie et de la physique et comme suppléant du cours de chimie, soient attribués à MM Bertin et Pasteur à partir du 1er juin. »
Le même jour le recteur écrivit au directeur de l’École [7] : « Par lettre de ce jour, pour assurer le service de l’école de Pharmacie, vous me proposez de confier jusqu’à la fin de l’année scolaire, les deux cours de physique et de chimie, dont était chargé M. Kopp, qui vient d’être nommé à l’assemblée législative, à MM Bertin et Pasteur, professeurs de physique et suppléant de chimie à la faculté des sciences de cette ville qui veulent bien nous prêter leur concours dans la circonstance. Vous me priez en même tems de soumettre ces dispositions à l’approbation de M le Ministre, et, en attendant les deux professeurs dont il s’agit et auxquels seraient attribuée les traitements dont jouissait M. Kopp à entrer en fonction dès le 1er du mois prochain.
Je ne puis, M le Directeur, qu’approuver pour ce qui me concerne, ces propositions qui doivent assurer l’enseignement de l’école ; j’autorise donc MM Bertin et Pasteur à commencer dès le 1er Juin prochain les cours de physique et de chimie.
Je fais du reste, de cette mesure et de celles qui en devait être la conséquence, l’objet d’un rapport que j’adresse aujourd’hui même à M le Ministre. »
Le recteur confirma les nominations du ministre au directeur de l’École le 8 juin [8], alors que les cours étaient censés commencer le 1er juin ! : « Aux termes d’une lettre du 4 du ct M le Mtre a décidé qu’il y avait lieu de remplacer provisoirement M. Kopp, professeur à l’école de pharmacie de Strasbg, élu membre de l’assemblée législative, savoir dans la chaire de toxicologie et de physique par M Bertin professeur de physique à la fté des Sciences ; par M Pasteur, suppléant de la chaire de chimie à la même faculté.
M Bertin touchera à ce titre le traitement de la chaire de toxicologie et de physique, et M Pasteur le traitement de la suppléance du cours de chimie de l’école de pharmacie.
Je vous prie, M le Directeur, d’assurer l’exécution de ces dispositions. »
Le directeur réagit le même jour en écrivant à Bertin et Pasteur : « J’ai l’honneur de vous informer que par une décision du 4 de ce mois, M. le Mtre de l’Instruction publique a approuvé la disposition par suite de laquelle vous avez été appelés à remplacer provisoirement M. Kopp, profr de l’École de Phie de cette ville, élu membre de l’assemblée législative, dans la chaire de Toxicologie et de Physique et dans la suppléance du cours de chimie.
Vous toucherez à ce titre le traitement attaché à la chaire et à la suppléance et qui est de 1500 francs pour l’année » [9].
On peut se demander à quoi correspondrait actuellement cette somme ? A l’époque, le traitement d’un instituteur se montait, tout en étant très variable selon les sources, à environ 900 francs par an. Actuellement un professeur des écoles touche, à sa titularisation, environ 2000 euros par mois, soit 24 000 euros par an. On peut donc, très grossièrement, calculer que 1500 francs de 1849 correspondent à environ 40 000 euros de 2022.
Cependant, les nominations de Bertin et Pasteur n’étaient que provisoires, et elles durent être prolongées, comme cela ressort d’une lettre du recteur au ministre, en date du 12 novembre 1849 [10] : « Les cours des ftés et de l’École de Phie de Strasbourg ont recommencé. Cependant, d’une part le congé accordé pour la dernière année scolaire de M Persoz, titulaire de la chaire de chimie de la fté des Sciences, de celle de l’école de Phie, directeur de ce der établissement, n’a point encore été renouvelé pour cette année, bien que M Pasteur chargé l’an dernier de la suppléance de ces deux chaires ait reçu lui-même un suppléant dans la chaire de physique du lycée de Dijon; d’une autre aucune décision n’a encore pourvue ni à la chaire de toxicologie vacante à l’école de Phie, ni à la direction de cette école, malgré les termes pressants de mon rapport du 13 8bre der. » Rappelons qu’avant de venir à Strasbourg, Louis Pasteur était, suite à ses deux agrégations de physique et de chimie, professeur au lycée de Dijon.
La lettre continuait : « Dans l’intérêt du service, M Pasteur consent à faire encore en ce moment, avec le cours de chimie de la fté des sciences celui de l’école de Phie, M Oppermann, qui continue de remplacer M Persoz en qualité de Dteur de cette école, s’est chargé de commencer le cours de Toxicologie qu’il a donné précédemment avec zèle et succès, mais je vous prie, M le Mtre de vouloir bien régulariser cet état de choses par une approbation qui m’autorise à faire toucher à ces différents professeurs le traitement attaché aux fonctions qu’ils remplissent tous provisoirement, et prendre du reste, aussitôt que possible, la décision qui doit, ou le rendre définitif, s’il y a lieu, ou le modifier pour toute la présente année scolaire. » Le 27 novembre, le recteur écrivit au directeur de l’École [11] : « Je vous transmets cijt extrait certifié conforme d’un arrêté en date du 21 du ct, par lequel M Persoz, directeur et professeur de chimie à l’école de pharmacie de cette ville, a obtenu, sur sa demande, un congé d’un an, à partir du 1er ct, pendant lequel il sera remplacé par vous dans les fonctions de directeur de la dite école et suppléé dans sa chaire de chimie par M Pasteur, dr ès Sciences. Le même arrêté détermine la part de traitement que recevront M Persoz ainsi que son suppléant et l’attribution du principal du Directeur. »
Le 29 décembre, nouvelle lettre du recteur au ministre [12] : « J’ai l’hr de vous transmettre une délibération à la date de ce jour, par laquelle l’école de pharmacie exprime le vœu que M Pasteur, chargé du cours de chimie dans cet étabt pendant le congé accordé à M le Directeur Persoz soit autorisé de prendre part aux examens.
Je m’associe à ce vœu de l’école de pharmacie. M Pasteur trouvera dans ces 500 f qui resteraient sans destination si l’allocation ne lui en était faite une compensation à la position intérimaire qu’il occupe à Strasbg.
Son titre de suppléant à la chaire de chimie à la fté des Sciences l’exclut d’ailleurs aux termes de la décision du 11 Juillet 1843 de la participation aux examens de la faculté des Lettres, avantage dont trois de ses collègues sont en possession. »
Cependant le ministre refusa cette proposition, ainsi que le recteur l’écrivit au directeur le 18 février 1850 [13] : « M le Ministre de l’Instruction publique a pris connaissance, en conseil de l’Univté de la délibération en date du 29 Xbre, par laquelle l’école Supérieure de Pharmacie de Strasbourg exprimait le vœu que M Pasteur, chargé du cours de chimie, comme suppléant de M le Directeur Persoz, fut autorisé de prendre part aux examens.
De l’avis du conseil, M le Mtre a décidé à la date du 25 Janvier dernier, qu’il n’y avait pas lieu d’adopter la proposition faite par l’école en faveur de M Pasteur qui n’est pas Pharmacien. »
D’après le ministre, Pasteur était donc assez bon pour faire le cours, mais pas assez bon pour interroger les étudiants sur son propre cours ! Gageons qu’il a dû apprécier !
Une lettre de mars 1850 indique que Persoz ne ferait pas cours à Strasbourg [14] : « M le Ministre a chargé M Persoz, professeur de chimie à la faculté des Sciences et à l’école de pharmacie de Strasbg. et directeur de cette école, en congé à Paris, de la suppléance de la chaire de chimie à la faculté des Sciences de Paris, pendant le second semestre de l’année scolaire 1849–50. M Persoz a déclaré à cet effet renoncer pendant la durée de la dite suppléance au traitement de la chaire de chimie de l’école de pharmacie de Strasbourg. » Pasteur continua donc de faire le cours de chimie à la place de Persoz à l’École jusqu’à fin 1850, ce qui ressort d’une lettre du 3 décembre 1850 qu’écrivit Oppermann à Persoz, rue Madame, 53, à Paris [15] : « M. le Directeur, Au moment de la reprise des cours, M. le Recteur, ne recevant rien du ministère qui vous concernait, demande qu’il fut statué sur v/. position pendant l’année scolaire 1850–51. M. le Mtre lui a répondu le 29 du mois der que, n’ayant reçu de vous aucune demande, il ne pouvait que l’inviter à lui faire connaître vos intentions et à lui adresser immédiatement des propositions. En suite de cette lettre M. le Recteur vient de m’écrire à l’effet d’obtenir les renseignements dont il a besoin pour répondre au Ministre. Veuillez donc, je vous prie, me mettre, par le retour du courrier, à même de satisfaire au désir du Chef de l’Académie.
Depuis le commencement du mois je vous remplace dans les fonctions de Directeur et M. Pasteur dans celles de professeur de chimie à n/. école, en vertu d’une autorisation rectorale. Il n’en pouvait être autrement ; il fallait assurer le service ; mais il importe, vous le comprendrez de reste, que cet état de choses soit régularisé sans retard si vous ne devez pas nous revenir encore cette année. » Le ministre répondit finalement à cette demande par l’intermédiaire de l’École qui écrivit à Persoz à Paris le 25 janvier 1851 [16] : « M. le Directeur, Je m’empresse de vous informer que nous avons reçu réponse de M. le Mtre à la demande de prolongation de congé que vous avez faite. L’arrêté ministériel, en date du 17 du ct., qui statue sur cette demande, porte que vous devez reprendre vos fonctions au commencement du 2° 6tre de l’année scolaire 1850–51 et je suis spécialement chargé de vous informer de cette disposition.
L’arrêté nomme en outre M. Loir suppléant de votre cours à l’école de phie, le Mtre ayant accueilli le désir exprimé par M. Pasteur d’en être déchargé. »
Pasteur donna donc des cours à l’École de pharmacie du 1er juin 1849 à fin 1850, soit pendant dix-neuf mois. Son remplaçant fut « M Loir (Joseph Jean–Adrien), né à Paris le 18 Juillet 1816, Pharmacien de l’école de Paris, licencié ès Sc. physiques, agrégé de l’école de pharmacie de la dite ville, » qui avait été candidat au poste de professeur adjoint à l’École de Strasbourg le 13 octobre 1849 [17]. Il n’avait pourtant été proposé qu’en deuxième ligne par l’École, mais le ministre l’avait nommé le 28 novembre 1849 [18], de préférence à M. Caillot, qui avait pourtant été proposé en première ligne par l’École : « Je vous adresse la copie certifiée conforme d’un arrêté en date du 28 9bre der par lequel, sur la présentation régulière de l’école Supérieure de Pharmacie de Strasbourg et de l’académie des Sciences, M le Mtre a nommé M Loir, Lic. ès Sc. physiques, actuelt agrégé de l’école Supérieure de Pharmacie de Paris, professeur adjoint de Toxicologie et de physique à l’école Supérieure de Pharmacie de Strasbourg, en remplacement de M. Kopp, démissionnaire.
Je vous prie M le Directeur, d’installer M Loir dans ses nouvelles fonctions et de lui remettre acte de sa nomination. »
Finalement Loir, qui, à plusieurs reprises, avait été « appelé à suppléer M. Pasteur dans le cours de Chimie de la fté des Sciences et s’est acquitté de cette suppléance avec succès et désintéressement », fut nommé à la chaire de chimie qu’occupait Persoz [19]. Loir était le beau-frère de Pasteur. L’enseignement de la chimie continua donc à être en bonnes mains à l’École, même après le retrait de Pasteur.
Conflit d’intérêt
L’auteur n’a aucun conflit d’intérêt à déclarer.
Reconnaissance
Je remercie le Dr Gilbert Eriani de m’avoir aidé dans la présentation de cet article.
1 Ces transcriptions conservent l’orthographe originale des documents cités, bien que cette orthographe ait évolué (par exemple, temps est écrit tems). Nous avons également conservé les tournures de phrases, les mots anciens ainsi que les abréviations (ct pour courant, provt pour provisoirement, hr pour honneur, fté pour faculté,enseigt pour enseignement, cijt pour ci-joint, etc.).