L'article de Boudad et al. constitue une contribution positive à l'avancement de la connaissance des paléoenvironnements présahariens, car il présente d'importantes données analytiques. Mais, à la lumière de la connaissance développée du terrain, nous estimons que les interprétations avancées par les auteurs de l'article appellent plusieurs questions. Il importe de les discuter, dans le but de mieux préciser les modèles d'interprétation des dépôts carbonatés en milieu aride.
L'étude des travertins en milieu aride, comme dans la région d'Errachidia, dans le Sud-Est marocain, est une mission délicate. Elle nécessite des applications méthodologiques et techniques pouvant apporter des évidences scientifiques fondées. Le risque de déviation est majeur, dès qu'on se hasarde à adopter des interprétations simplistes pour une réalité plutôt complexe. L. Boudad et son équipe semblent prendre ce risque, car en lisant les résultats de leur travail, de nombreuses questions émergent quant à la raison et le bien-fondé des interprétations avancées dans de nombreux cas, surtout lorsqu'ils ont bien voulu donner des interprétations d'ordre régional, voire même global, sur la base de l'analyse d'une seule coupe stratigraphique de travertins, à savoir celle du radier du Ziz.
Au préalable, des critiques d'ordre technique et méthodologique s'imposent. En page 474, les auteurs insistent sur le fait que la coupe étudiée est celle du côté ouest, mais la visite du terrain montre que celle d'en face (coupe du côté est) est aussi importante, car elle pose en détail la problématique génétique des travertins et illustre les structures les plus typiques de ce type de dépôt, notamment en ce qui concerne la superposition des dômes travertineux et les liens morphogénétiques de ces structures avec la topographie. Dans tous les cas, une seule coupe n'est nullement suffisante pour faire des déductions scientifiques généralisables à un contexte plus élargi.
L'effet tectonique joue un rôle important sur la genèse et l'évolution des structures sédimentaires. Il se traduit par des failles et ondulations observables dans la coupe. L'hydrothermalisme peut, quant à lui, engendrer la genèse d'importantes lamines de manganèse au sein des formations carbonatées, comme nous en avions observées dans la cuvette de Ouarzazate [1], à proximité du terrain étudié par Boudad et al. [2]. Mais, dans de nombreux cas, ces lamines noirâtres, semblables aux « mouches de manganèse » décrites par les auteurs, sont en fait des lamines construites par des processus biologiques (cyanobactéries), dont elles conservent les traces et les microstructures.
Sur la base d'un nombre réduit de datations du cas étudié et d'une autre sur un spéléothème dont on ne voit pas de lien avec le travertin d'Irdi, des suppositions de phasage paléoclimatique et paléoenvironnemental ont été avancées. Mais l'observation de terrain apporte des évidences plus significatives à ce propos.
Ceci nous amène à formuler des critiques de fond à propos de l'interprétation et des descriptions locales apportées par Boudad et al. [2], pour souligner nos multiples surprises face à des suppositions peu argumentées.
Les processus génétiques du travertin et la définition des séquences n'ont pas eu la place qu'ils méritent dans cet article, mais le plus critiquable s'avère être l'hypothèse du modèle génétique paléoenvironnemental qu'il présente. Si les âges donnés pour la partie supérieure du travertin d'Irdi sont satisfaisants, et montrent l'origine polyphasée de la formation, il est en revanche difficile d'accepter le modèle présenté pour l'évolution d'ensemble de la formation des travertins de ce domaine sur la base d'une seule datation des travertins du niveau inférieur. La complexité d'ensemble est bien illustrée par la stratigraphie des accumulations et les composantes détaillées de la coupe. Boudad et al. [2] rapportent que « deux phases principales de dépôt, au Tensiftien et au Soltanien, correspondent à de fortes précipitations, efficaces sur le Haut Atlas oriental ; elles sont séparées par un important hiatus, correspondant à plus de 200 ka ». L'observation de la coupe étudiée et l'analyse du contexte donne d'amples informations sur la continuité des événements morphologiques, sédimentologiques et tectoniques illustrant l'origine polyphasée des formations et de l'histoire environnementale régionale et locale. Le hiatus de 200 ka, évoqué par les auteurs, n'est ni réaliste, ni justifié. La coupe étudiée montre plusieurs phases de précipitation de la calcite tout au long des deux unités reconnues par les auteurs.
À propos du « retard hydrogéologique » évoqué à la page 476 et des analogies empruntées aux ouvrages généraux [4], plusieurs questions se posent pour justifier leur pertinence par rapport à la coupe de travertin étudiée. Le retard de quelques milliers d'années n'a de sens que si on propose des phases d'encroûtement actif de plusieurs dizaines de milliers d'années, comme le soulignent par ailleurs les auteurs de l'article, ce qui est en contradiction avec le hiatus signalé auparavant.
Chaque dôme travertineux observé au sein de la coupe se rattache à une étape différente, comme on s'en aperçoit en observant le croisement des structures et l'antécédence de certains éléments, comparés avec d'autres, de position stratigraphique nettement différente. Dans d'autres régions similaires au Maghreb, plusieurs auteurs évoquent cette complexité génétique des travertins et ont donné des âges multiples couvrant plusieurs périodes du Quaternaire. Les travertins de la cuvette de Ouarzazate [1,3], ou ceux de zones plus éloignées, mais ayant des conditions hydro-climatiques assez similaires, comme dans l'Atlas atlantique marocain [5], en Libye [6] ou en Égypte [7], traduisent l'importante étendue des périodes de travertinisation. L'article de Boudad et al. [2] propose des interprétations paléoenvironnementales sur la base de l'étude d'une coupe localisée et d'un nombre réduit de datations et déduit de l'analyse un phasage lacunaire, qu'il importe d'affiner, en appréhendant ces phénomènes à des échelles de temps variées.
Par ces remarques, nous voulons souligner que le registre des travertins du Sud-Est marocain n'est pas encore clos et que les résultats publiés par Boudad et al. [2], s'ils ont le mérite d'évoquer des questions en mesure d'engager un débat scientifique, seul en mesure de faire progresser la connaissance de ce type de milieu, sont certainement encore provisoires.