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Comptes Rendus

Les origines de la chimie organique au-delà du mythe fondateur
Comptes Rendus. Chimie, Volume 15 (2012) no. 7, pp. 553-568.

Résumés

D’après une légende tenace, la chimie organique serait née en 1828 grâce à la synthèse de l’urée réalisée par le chimiste allemand Friedrich Wöhler à partir de substances minérales et « sans l’aide des reins », mettant ainsi fin à la mystérieuse « force vitale ». Cet article se propose de montrer que ce mythe, inventé au xixe siècle par les chimistes et largement propagé jusqu’à nos jours, pointe certes vers un événement qui a son importance, mais qui ne peut en aucun cas expliquer à lui seul l’émergence d’une spécialité aussi complexe que la chimie organique. La synthèse est une composante fondamentale de cette discipline, mais ses fondements reposent sur l’analyse chimique.

According to a legend, organic chemistry emerged in 1828 with the synthesis of urea performed by the German chemist Friedrich Wöhler from mineral reagents and “without the help of the kidneys”, thus ending the mysterious “vital force”. This article aims to show that this myth, invented in the nineteenth century by chemists and widely spread until today, is actually something that is certainly important, but is not enough to account for the emergence of a specialty as complex as organic chemistry. Synthesis is a fundamental component of this discipline, but its foundations lay in chemical analysis.

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DOI : 10.1016/j.crci.2012.02.002
Mot clés : Chimie organique, Analyse immédiate, Analyse élémentaire, Principe immédiat, Apothicaire/pharmacien-chimiste
Keywords: Organic chemistry, Proximate analysis, Elemental analysis, Proximate principles, Apothecary/pharmacist-chemist
Sacha Tomic 1

1 CH2ST, EA 127, centre Mahler, université Paris I Panthéon-Sorbonne, 9, rue Mahler, 75004 Paris, France
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Sacha Tomic. Les origines de la chimie organique au-delà du mythe fondateur. Comptes Rendus. Chimie, Volume 15 (2012) no. 7, pp. 553-568. doi : 10.1016/j.crci.2012.02.002. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/chimie/articles/10.1016/j.crci.2012.02.002/

Version originale du texte intégral

1 Introduction

Le but de cet article est de présenter une vision des origines de la chimie organique fondée sur l’analyse chimique et pas seulement sur la synthèse [1]. Il faut pour cela dépasser le mythe fondateur largement propagé à travers les ouvrages et manuels scolaires, je veux parler de la synthèse de l’urée réalisée en 1828 par le chimiste allemand Friedrich Wöhler (1800–1882), proche collaborateur de Justus Liebig (1803–1873). L’histoire est en apparence simple : Wöhler a réussi à synthétiser de manière fortuite et « sans l’aide des reins » de l’urée, composé organique, à partir de réactifs considérés comme relevant de la chimie minérale ou inorganique (cyanate d’argent et chlorure d’ammonium). Il aurait du même coup mis fin à l’hypothèse (ou à la croyance) en la mystérieuse « force vitale » logée uniquement dans les organismes vivants et permis de synthétiser les composés organiques des règnes animal et végétal [2].

Les historiens ont montré depuis plusieurs décennies que cette version de l’histoire a été propagée par l’ami de Wöhler, le chimiste allemand Hermann Kopp (1817–1892) dans son histoire de la chimie écrite en 1843 puis reprise et amplifiée par d’autres chimistes en Grande Bretagne comme en France [3]. Le vitalisme a continué à vivre non seulement chez les plus proches collaborateurs de Wöhler, Liebig et le chimiste suédois Jöns Jacob Berzelius (1779–1848) en particulier, mais également chez Louis Pasteur (1822–1895) comme en témoignent, par exemple, ses recherches en stéréochimie (il pensait que seul le vivant pouvait produire des composés chiraux). Par ailleurs, les cyanates étaient préparés à l’époque à partir de produits animaux (la « force vitale » n’est donc pas détruite à supposer qu’elle existe). De plus, l’urée n’était pas regardée comme un produit essentiel au fonctionnement de l’organisme puisque c’est un produit de dégradation. J’ajouterais que même une lecture de l’événement en termes modernes de synthèse chimique comme création de liaisons carbone–carbone est inadaptée car la molécule d’urée n’en comporte aucune ! Enfin, bien avant Wöhler, divers composés organiques avaient été « synthétisés » ou plutôt préparés au xviiie siècle comme l’acide picrique utilisé comme colorant jaune, l’acide oxalique initialement extrait de l’oseille ou l’acide acétique pur (« vinaigre radical ») par oxydation d’autres acides organiques. La première synthèse totale (i.e. à partir des éléments ou corps simples) fut réalisée en 1845 par un élève de Wöhler, le chimiste allemand Hermann Kolbe (1818–1884) qui obtint de l’acide acétique à partir du dichlore, du carbone, de l’eau et du soufre. Les chimistes du début du xixe siècle étaient en réalité plus intrigués par l’analogie de composition de l’urée avec le cyanate d’ammonium, phénomène que Berzelius allait nommer isomérie en 1830. C’est en cela que la synthèse de l’urée a toute sa place dans l’histoire de la chimie organique.

Le mythe de l’événement fondateur est certainement très utile pour se repérer dans le temps, et celui de Wöhler a au moins le mérite de se situer dans une phase cruciale de l’évolution de la chimie, le premier tiers du xixe siècle, et de fixer la date autour de laquelle émerge la chimie organique, l’année 1830. Mais la vision d’une discipline aussi riche que la chimie organique reposant sur une seule expérience ne peut qu’être réductrice. La chimie organique, pas plus qu’une autre spécialité, n’est issue partir d’une seule expérience. Si l’évolution de cette spécialité est relativement bien connue pour ses développements ultérieurs (classification des composés en types puis en familles, synthèse – surtout industrielle, stéréochimie), ses origines sont en revanche moins connues des historiens des sciences et des scientifiques [4].

Je voudrais donc aller au-delà du « mythe de Wöhler » afin de montrer que les racines de la chimie organique sont beaucoup plus profondes. En considérant ici uniquement le cas de la France, je montrerai que la chimie organique débute déjà au xviiie siècle avec l’essor d’une activité vitale pour l’industrie et la pharmacie : l’analyse chimique. Cette évolution s’inscrit dans le cadre de l’émergence de la chimie industrielle qui requiert des produits purs et standardisés. Je présenterai dans une première partie les acteurs provenant de diverses origines qui ont peu à peu tissé un réseau qui s’est constitué en une communauté des analystes. Je présenterai ensuite les principes méthodiques de l’analyse organique en examinant ses deux composantes. D’une part, l’analyse immédiate qui va mener les analystes à isoler des principes immédiats à la pureté garantie ; d’autre part, l’analyse élémentaire et les premières théories sur la composition et les transformations des composés organiques. La convergence de ces deux voies aboutit à une « philosophie spécifique » à la chimie organique fondée sur l’analyse.

2 La communauté des analystes

2.1 L’héritage de la « République des sciences »

Le mouvement de spécialisation de la science qui s’accélère durant les dernières décennies du xviiie siècle se manifeste par la création de journaux scientifiques dédiés à un champ spécifique du savoir. En 1789, les chimistes réunis autour de Lavoisier créent les Annales de chimie [5]. Ces périodiques vont peu à peu transformer la communication entre les savants. Ils vont concurrencer puis intégrer en partie les échanges épistolaires et vont accélérer le rythme de production des connaissances en chimie [6]. Cette spécialisation est également visible à travers l’organisation des volumes de l’Encyclopédie méthodique selon différentes branches du savoir par contraste avec l’ordre alphabétique adopté par l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Cette autonomisation progressive des connaissances prendra le nom de discipline avec le développement de la science professionnelle au xixe siècle. Académiciens, amateurs et savants étrangers échangent des idées de plus en plus poussées demandant un savoir et un savoir-faire spécifiques. Les « gens de lettres », qui ne sont pas uniquement des « savants », abandonnent peu à peu la quête d’un savoir universel au profit de pratiques particulières. Ce changement est perceptible dans le champ de la « physique particulière » ou chimie qui possède ses propres pratiques. Louis Bernard Guyton de Morveau (1737–1816), un avocat de Dijon « amateur éclairé » de chimie, incarne parfaitement ce glissement des mentalités et prône dans les années 1780 une « République des sciences physiques » qui se distingue de la culture littéraire [7]. On connaît l’influence et le rôle d’initiateur de ce personnage dans l’établissement de la nomenclature chimique [8]. Les expressions « République des sciences » puis « Empire des sciences » ont ainsi été utilisées tout au long du xviiie siècle. Ces expressions disparaissent à partir des années 1830 lorsque la figure du scientifique professionnel deviendra dominante [9].

La « République des sciences », considérée comme une émanation de la « République des lettres » qui tend à l’autonomie, peut être interprétée comme un idéal, mais ce n’en est pas moins une réalité si l’on se penche sur la production et les écrits de tous les acteurs qui cultivent la chimie sur le long xviiie siècle. Il n’existe malheureusement quasiment pas d’études quantitatives sur le sujet [10]. J’ai pour ma part défini une « communauté des analystes » en examinant les travaux en chimie animale et végétale pour la période 1785–1835 à partir d’un échantillon d’environ 2000 articles. Ces résultats permettent de dresser une image assez fidèle de l’idéal d’une « République des sciences ».

Sans surprise, la « communauté des analystes » est assez hétérogène. Si l’on considère l’ensemble des acteurs qui publient dans le domaine de l’analyse végétale et animale, on remarque que l’apport des analystes étrangers n’est pas négligeable puisqu’ils représentent environ le tiers de l’effectif total estimé à 600 individus (Fig. 1). Pour les analystes étrangers et en nombre d’individus comme en nombre de publications, l’Allemagne se place largement en tête devant les autres nations avec un tiers des acteurs et 50 % des publications (Fig. 2). En ce qui concerne la répartition des analystes français, soit près de 400 individus, on peut, en fonction du diplôme ou de la profession, distinguer cinq catégories : pharmaciens, chimistes, médecins, naturalistes et d’autres acteurs en particulier des artisans et des industriels (Fig. 3). La population des pharmaciens se démarque nettement de cet ensemble et produit les 4/5e des publications. Médecins et chimistes sont au coude à coude, mais ce sont les chimistes qui sont les plus productifs. En termes de production, pharmaciens, chimistes et médecins occupent le devant de la scène avec plus de 95 % de l’ensemble des publications. Nos statistiques vérifient à peu près la loi de Price : environ 25 % des analystes (soit environ 100 personnes formant une sorte de « collège invisible ») sont responsables de 75 % des publications [11]. Quant à la répartition nationale, on observe que la quasi-totalité des chimistes opèrent et publient à Paris, ils sont environ les deux tiers pour les médecins, tandis que près des deux tiers des pharmaciens sont situés en province mais trois quarts des publications sont dues à des parisiens.

Fig. 1

Population et production des analystes.

Fig. 2

Population et production des analystes étrangers.

Fig. 3

Population et production des analystes français.

Au final, les analystes français sont répartis à peu près à égalité entre Paris et la province mais les Parisiens sont responsables des trois quarts des publications dont deux tiers proviennent d’une élite parisienne regroupant une trentaine de pharmaciens, une dizaine de chimistes, et quelques médecins chimistes (Fig. 4)1. Paris est alors la capitale des sciences vers laquelle convergent les données de toute l’Europe et où de nombreux visiteurs comme l’Allemand Liebig viennent s’initier à la chimie [12].

Voici quelques noms de chimistes et médecins particulièrement productifs dans le domaine de la chimie végétale et animale (au moins cinq publications) (Tableau 1)2. On y remarque des figures connues (Chevreul, Dumas, Thenard, Gay-Lussac, Fourcroy, Berthollet) et des illustres inconnus (Lassaigne, Gaultier de Claubry, etc.). Si l’on se penche sur la liste des pharmaciens, hormis quelques exceptions (Parmentier, Vauquelin, Pelletier, Caventou, Robiquet et Proust), l’immense majorité des acteurs est peu connue ou ignorée de l’historiographie de la chimie, voire de la pharmacie (Tableau 2). Ces pharmaciens représentent pourtant le contingent le plus élevé et le plus productif de la communauté des analystes. Qui sont ces acteurs essentiels de l’histoire de la chimie organique ?

Tableau 2

Liste des pharmaciens les plus productifs (> 70 % des publications).

Virey Julien-JosephCadet de Gassicourt (ou Cadet) Charles-Louis
Vauquelin Nicolas LouisPelletier Joseph (fils)
Henry Noël-Étienne (père)Boullay Pierre-François-Guillaume (père)
Robiquet Pierre-JeanBonastre Jean-François
Bouillon-Lagrange Edme-Jean-BaptistePlanche Louis-Antoine
Braconnot Henri - NancyHenry Étienne-Ossian (fils)
Boutron-Charlard (ou Charlard) Antoine-FrançoisChevallier Jean-Baptiste Alphonse
Parmentier Antoine-AugustinBussy Alexandre
Plisson Auguste ArthurGuibourt Nicolas-Jean-Baptiste-Gaston
Lecanu (ou Le Canu) Louis-René (fils)Dulong J. - Astafort
Pelouze Jules ThéophileLaubert Charles-Jean
Soubeiran EugèneBoudet Jean-Pierre (neveu de J.-B.-P.)
Tilloy - DijonChéreau Antoine
Colin Jean Jacques - DijonBoullay Félix-Polydore (fils)
Caventou Joseph-BienaiméFeneulle Henri - Cambrai
Morin Bon Étienne - RouenDublanc jeune Jean-Baptiste
Proust Joseph-LouisPoutet Jean-Joseph-Etienne - Marseille
Blondeau AndréSérullas Georges Simon - Metz
Péligot Eugène MelchiorDubuc Guillaume (aîné) - Rouen
Lodibert Jean Antoine BonaventureCouerbe Jean-Pierre
Desfosses Pierre - BesançonBoudet Félix Henri (fils de J.-P. neveu)
Destouches Pierre-RegnaudRobinet Stéphane
ThubeufDéyeux Nicolas

2.2 Le rôle crucial des apothicaires/pharmaciens-chimistes

Jusque-là cantonnés à la seule histoire de la pharmacie ou intervenant ponctuellement dans celle de la chimie (souvent comme personnages secondaires), les pharmaciens et leurs ancêtres, les apothicaires, méritent d’être considérés à leur juste valeur pour leur rôle fondamental dans l’évolution de la chimie [13].

Contrairement au chimiste professionnel qui n’apparaît qu’à l’extrême fin du xviiie siècle, le pharmacien appartient à une profession vieille de plusieurs siècles. Trois dates marquent son histoire. À Paris, c’est l’ordonnance de 1484 édictée par Charles VIII qui crée la corporation des apothicaires-épiciers. Cette association ne fut pas de tout repos, les frictions entre apothicaires et épiciers étant monnaie courante, conséquence de la carence d’une définition claire entre épices et « drogues ». Les apothicaires parisiens étaient propriétaires du Jardin des apothicaires (rue de l’Arbalète sur l’actuel emplacement de l’INA) où ils donnaient des cours de chimie de manière irrégulière au moins depuis le début du xviiie siècle et ce malgré les oppositions de la Faculté de médecine. Ce régime durera jusqu’en 1777 date à laquelle la déclaration royale de Louis XVI entérine la séparation définitive entre épiciers et apothicaires qui prennent le titre de pharmacien et peuvent désormais librement enseigner la chimie théorique et pratique. La même année est créé le Collège de pharmacie sur l’ancien emplacement du Jardin des apothicaires. La loi du 21 germinal an XI (11 avril 1803) place les études et l’exercice de la pharmacie sous le contrôle de l’État. Le Collège de pharmacie se mue en Société de pharmacie et l’École de pharmacie est créée. Ce sera, avec Polytechnique, l’un des premiers établissements du xixe siècle à instaurer des travaux pratiques pour les élèves [14].

Qu’ils soient apothicaires ou pharmaciens, ces professionnels jouissent du monopole de la préparation et de la vente des médicaments prescrits par le médecin. Ils possèdent en général une officine et un laboratoire richement équipé comme en attestent de nombreux inventaires après décès. C’est dans ces laboratoires que des chimistes célèbres s’initieront à la chimie (Dumas, Liebig, etc.). De nombreux apothicaires donnent des cours privés de chimie dans leur officine [15]. Pour obtenir le diplôme de pharmacien permettant d’exercer sur tout le territoire (pharmacien de première classe), il faut effectuer un stage d’au moins trois ans comme apprenti dans une officine suivit de trois ans d’études dans une École de pharmacie (à Paris, Montpellier ou Strasbourg). Les aspirants au diplôme reçoivent des cours dans quatre matières : botanique, matière médicale, pharmacie et chimie. La chimie a été l’un des vecteurs qui a permis aux apothicaires de s’émanciper des épiciers. Pour afficher le caractère « savant » de leur profession, certains apothicaires adoptent le titre auto-proclamé d’apothicaire-chimiste, remplacé par celui de pharmacien-chimiste à partir de la fin du xviiie siècle [16]. Le pharmacien Simon Morelot (1751–1809) souligne l’importance de la chimie à travers sa devise : « Je crois fermement que l’on peut être chimiste sans être pharmacien, et je ne crois pas que l’on puisse être pharmacien sans être chimiste » [17].

Loin d’être subordonnés aux (quelques) chimistes influents de l’époque, les pharmaciens-chimistes se considèrent comme des collaborateurs et estiment que les observations et découvertes réalisées au cours de leurs nombreuses préparations quotidiennes ne peuvent que faire progresser la chimie et leur propre discipline. De nombreux éléments attestent de leurs connaissances élevées et de leur prestige. Tout d’abord, les pharmaciens-chimistes peuvent s’enorgueillir d’être les principaux producteurs du savoir chimique en publiant dans divers journaux savants (Annales de chimie et Journal de physique) avant de créer leur propre revue en 1809 : le Bulletin puis Journal de pharmacie. Certains pharmaciens-chimistes publient également des ouvrages de chimie. Tous ces personnages sont membres de la Société de pharmacie dont certains deviendront présidents ; la plupart sont professeurs à l’École de pharmacie, au Muséum d’Histoire naturelle ou dans un établissement médical et siègent à l’Académie de médecine ; comme leur ancêtres les apothicaires-chimistes, quelques-uns sont membres de l’Académie des sciences3; enfin, certains sont docteurs en médecine4 et lorsque l’Université sera créée en 1808, les premières thèses es sciences de la Faculté des sciences seront soutenues par des pharmaciens-chimistes5. Ces « pharmaciens éclairés » selon une autre appellation de l’époque, n’ont donc pas usurpé leur statut de savant ou de scientifique et doivent être considérés à l’égal de leurs collègues chimistes, médecins et botanistes.

Cette communauté hétéroclite se constitue autour de la pratique de deux types d’analyse, dont les histoires se croisent et se complètent : l’analyse immédiate et l’analyse élémentaire.

3 L’art de l’analyse immédiate

3.1 Un « nouvel ordre d’analyse » constitué au xviiie siècle

L’analyse immédiate a pour but d’extraire les « principes immédiats » ou « principes prochains » que l’on peut assimiler à nos molécules organiques d’origine naturelle. Le terme apparaît au milieu du xviiie siècle sous la plume du médecin chimiste Gabriel François Venel (1723–1775) pour désigner les substances tirées de la matière végétale et animale sans altération. Les analystes vont progressivement étendre son sens à tous types de composés organiques, naturels comme artificiels. La technique principale, encore appelée « analyse menstruelle », est un héritage direct des pratiques d’apothicaires. Cette méthode ou « voie humide » va être en concurrence avec l’ancestrale « voie sèche » fondée sur la distillation. Or cette méthode a un défaut : depuis Robert Boyle (1627–1691) les chimistes savent que la distillation produit des « créatures du feu » ou « artefacts ». C’est au sein de l’Académie des sciences que les savants prennent peu à peu conscience des limites de la voie sèche. Un programme de recherche pour extraire les « vertus médicales » des plantes y ait lancé en 1668, sous la direction du médecin et botaniste Denis Dodart (1634–1707). Les milliers d’expériences réalisées sur diverses plantes ne feront que confirmer l’inefficacité de la méthode par voie sèche, remèdes et poisons donnant les mêmes produits à la distillation. Ce sont les « chimistes » de l’Académie des sciences et en particulier les « apothicaires-chimistes », qui vont promouvoir l’analyse menstruelle en montrant tout son pouvoir heuristique pour extraire les principes des plantes tels qu’ils sont supposés existés dans le végétal. Parmi les gestes innovants qui ont contribué à cette évolution, la technique de la « double extraction », introduite en 1700 par l’apothicaire-chimiste Simon Boulduc (1652–1729), occupe une place importante. Elle consiste à appliquer dans un premier temps l’alcool pour extraire les résines puis à reprendre la substance végétale par l’eau pour en tirer les parties salines et les différents extraits. Cette idée d’exploiter la solubilité sélective des solvants est complétée par celle d’opérer à des températures différentes, ce qui démultiplie la performance des solvants. De nombreux médecins et apothicaires propageront ce « nouvel ordre d’analyse » à travers leurs cours. C’est le cas, par exemple, du célèbre « démonstrateur » au Jardin du Roi, l’apothicaire-chimiste Guillaume-François Rouelle aîné (1703–1770). Au cours du siècle, les analystes vont découvrir les premières substances (plus ou moins pures) qui seront qualifiées d’organiques par les chimistes du xixe siècle (sucre, acide des fourmis, extrait d’urine). À partir des années 1770, apparaît le terme « réactif » au sens ou nous l’entendons encore aujourd’hui. La combinaison de leur action associée à l’analyse menstruelle et à une connaissance de plus en plus fine des « sels » (neutres, acides et basiques), va permettre à l’apothicaire-chimiste suédois Carl Wilhelm Scheele (1742–1786) d’isoler la première série de composés organiques : les acides végétaux (acide malique, citrique, oxalique, etc.). À la fin du xviiie siècle, la voie humide devient la méthode privilégiée pour explorer le « règne organique » [18]. Dans son monumental Système des connaissances chimiques (1800), le médecin chimiste Antoine-François Fourcroy (1755–1809) propose une classification des méthodes analytiques en privilégiant la plus novatrice :

« L’analyse par les réactifs est celle que l’on obtient en mettant le composé que l’on veut analyser en contact avec une suite plus ou moins nombreuse d’autres corps, qui réagissent sur lui de manière à favoriser la séparation de ses principes. Celle-ci n’a d’autres bornes que celle du génie et des lumières du chimiste ; il peut y employer tous les corps de la nature et tous les produits de son art : tout, entre ses mains, devient un réactif, pourvu qu’il connaisse bien et qu’il ait déterminé d’avance le mode d’action que les corps dont il se sert peuvent produire sur celui qu’il veut analyser » [19].

Entre l’ordre d’application des solvants et celui des réactifs dont le nombre ne cesse de croître, on sent bien que, dès le départ, l’analyse immédiate est caractérisée par la multiplicité des approches possibles limitées au « génie » et aux « lumières » du chimiste. Le pharmacien-chimiste Nicolas Louis Vauquelin (1763–1829) est incontestablement le maître de l’analyse chimique en général et de l’analyse immédiate en particulier. Avec son collègue Fourcroy, il va former pratiquement tous les grands analystes que comptera la France dans la première moitié du xixe siècle. Deux élèves, le « manufacturier-chimiste » Anselme Payen (1795–1871) et le pharmacien-chimiste Jean-Baptiste Alphonse Chevallier (1793–1879), formaliseront pour la première fois toutes les connaissances accumulées sur le sujet en publiant le premier traité des réactifs en 1822. Les pharmaciens-chimistes, mais également quelques chimistes comme Michel-Eugène Chevreul (1786–1889), permettront à l’analyse immédiate de passer du règne de l’empirisme à un « empirisme raisonné » pour reprendre les termes de deux pharmaciens-chimistes célèbres pour la découverte de la quinine en 1820, Joseph Pelletier (1788–1842) et Joseph-Bienaimé Caventou (1795–1877). La découverte d’une série d’alcaloïdes, dont le premier, la morphine en 1817, est l’œuvre du pharmacien allemand Friedrich Wilhelm Sertürner (1783–1841), marque incontestablement le triomphe des pharmaciens. Après plusieurs siècles de quête, ils ont réussi à percer le secret des végétaux les plus actifs de la pharmacopée et ont aussitôt fondé une industrie pharmaceutique débitrice en principes actifs et produits chimiques à la pureté garantie. Les chimistes ont immédiatement été intrigués par ces nouvelles substances azotées à la nature basique inédite à l’époque pour des principes immédiats. Leur découverte fait « époque dans l’histoire de la chimie organique » comme le note le chimiste Jean-Baptiste Dumas (1800–1884) dans le cinquième volume de son Traité de chimie appliquée aux arts (1835).

Si les alcaloïdes sont incontestablement les marqueurs de la réussite des pharmaciens, les acides gras sont surtout l’œuvre des chimistes, en particulier de Chevreul. Durant une décennie, le chimiste du Muséum isole les premiers acides gras d’origine animale et analyse quelques colorants végétaux. Il en profite pour perfectionner sa méthode analytique et publie au début des années 1820, deux ouvrages essentiels pour la chimie organique : Recherches chimiques sur les corps gras d’origine animale (1823) et Considérations générales sur l’analyse organique et sur ses applications (1824). Chevreul formalise pour la première fois les pratiques de l’analyse immédiate et précise notamment les critères de pureté d’un principe immédiat en insistant sur les propriétés physicochimiques. Le « nouvel ordre d’analyse » hérité du xviiie siècle a permit de poser les premières pierres de la chimie organique. Les analystes du début du xixe siècle lui ont fait faire un bond en avant grâce en particulier à une méthodologie à deux dimensions performante.

3.2 Deux approches complémentaires

Entre la fin des années 1780 et le début des années 1830, le nombre de principes immédiats augmente d’un ordre de grandeur, passant de quelques dizaines à quelques centaines de composés (Fig. 5 - on constate une explosion à partir de 1820). Les alcaloïdes ne sont pas étrangers à cette croissance quasi exponentielle qui ne s’est pas démentie jusqu’à nos jours. Toutes ces découvertes ne peuvent s’expliquer par le seul fait du hasard. Même si l’inattendu est une composante de la démarche expérimentale, les analystes anticipent le plus souvent leur analyse à partir d’une méthode générale qu’ils adaptent au cas par cas. Cette méthode, croise deux approches complémentaires : l’approche naturaliste qui emprunte ses méthodes à l’histoire naturelle ; et une approche instrumentaliste qui s’inspire davantage de l’univers artificiel de la technologie.

Fig. 5

Évaluation du nombre de composés organiques.

L’approche naturaliste privilégie une chimie au service de la physiologie. Les pharmaciens puisent dans le stock quasi inépuisable des ressources de la « matière médicale », cette branche de la botanique qui regroupe tous les produits naturels susceptibles d’une action thérapeutique. Les nombreuses expéditions organisées au cours du xviiie siècle ont permis d’accumuler un grand nombre d’espèces végétales exotiques, si bien qu’au début du xixe siècle, les pharmaciens disposent d’un stock de plusieurs dizaines de milliers d’espèces. Ils concentrent leurs efforts sur quelques dizaines de « simples » (parties actives d’un végétal) comme le quinquina, l’opium, le café ou l’ipécacuanha. Les acides végétaux, l’alcool, les « éthers », les aliments et les colorants sont également examinés par les analystes. Les pharmaciens ne se contentent pas uniquement d’extraire des « principes actifs », ils préparent également les nombreux réactifs et produits chimiques dont ils ont besoin pour leurs procédures. Les pharmaciens construisent ainsi de véritables collections de produits chimiques où les chimistes viennent puiser de nombreux objets de recherches. Ils détectent ou identifient les produits grâce aux sens. L’analyse comparative permet également de faire des rapprochements entre les produits. La moisson d’alcaloïdes découverts en quelques années (une vingtaine en dix ans) s’explique en grande partie par l’application systématique de la loi de l’analogie botanique proposée en 1804 par le botaniste Suisse Augustin-Pyramus de Candolle (1778–1841). Cette loi, qui conforte la classification naturelle adoptée par de nombreux botanistes, stipule que les végétaux d’une même famille chimique renferment des principes actifs analogues. L’exploration de la famille des rubiacées par exemple, a permis de découvrir l’émétine, la quinine, la cinchonine et la caféine.

L’approche instrumentaliste est plus axée sur le savoir-faire et les techniques de laboratoire développées par les analystes. L’inversion de l’ordre d’application des solvants ou « double extraction » inaugurée en 1700 peut être considérée comme le prototype de cette démarche. Les analystes ont étendu la méthode aux trois solvants typiques (eau, alcool, éther) ce qui a permis de démultiplier le nombre de séquences. Ils commencent par ailleurs à prévoir le choix d’un solvant en fonction de l’analogie de composition chimique. Dans ses Leçons de philosophie chimique (1836) Dumas écrit : « La force de dissolution s’exerce de préférence sur des particules analogues. [Les corps] se dissolvent d’autant mieux qu’ils se ressemblent davantage. [Pour] trouver des dissolvants, il faut chercher les substances qui se rapprochent le plus de celles que l’on veut dissoudre ». Ce rapprochement sera plus tard généralisé par l’adage « les semblables dissolvent les semblables ».

Le rythme d’introduction d’un réactif conditionne également la nature des produits isolés. La répétition des expériences et les écarts aux procédés sont courants en analyse végétale comme le rappelle le pharmacien-chimiste Pierre-Jean Robiquet (1780–1840) :

« On voit qu’à chaque nouvelle recherche la science fait de nouveaux progrès et que personne ne peut se flatter d’avoir tout dit ; car, de quelque patience qu’on soit doué, il est impossible qu’on puisse saisir les nombreux détails d’un sujet aussi complexe. La plupart du temps, on est préoccupé par une idée qui domine toutes les autres, et qui vous rend inhabile à saisir des phénomènes qui se présentent confusément ; on n’aperçoit, pour ainsi dire, que ceux qui se trouvent en rapport avec votre manière de voir. De là l’utilité de ces reprises et de ces changements de direction dans ces recherches : chacun arrive avec ses moyens et exploite avec ses moyens. » [20].

Les analystes mettent au point des appareils adaptés à la préparation d’un produit (Fig. 6). L’éther, solvant dont l’usage se généralise au début du xixe siècle, a fait l’objet de nombreux travaux. Le pharmacien-chimiste Pierre-François-Guillaume Boullay père (1777–1869) invente en 1807 un « entonnoir à double robinet » permettant d’améliorer le rendement de l’éthérification en contrôlant l’addition d’alcool dans l’acide (Fig. 6 : fig. 1). Pour les besoins de l’extraction solide-liquide, Jean-Baptiste Berthemot et André-François Corriol (1799–1879) proposent en 1832 un montage à reflux qui permet d’économiser les solvants volatils (alcool et éther) (Fig. 6 : fig. 2). Robiquet et Antoine-François Boutron-Charlard (1796–1879) mettent au point en 1830 l’« appareil à déplacement » pour les extractions à froid (Fig. 6 : fig. 3) et Chevreul son « digesteur distillatoire » inspiré de la marmite de Papin (Fig. 6 : fig. 4).

Fig. 6

Quelques instruments de l’analyse immédiate. (fig. 1 : entonnoir à double robinet ; fig. 2 : appareil à reflux ; fig. 3 : appareil à déplacement ; fig. 4 : digesteur distillatoire).

L’analyse immédiate « raisonnée », savant mélange de ces deux approches, s’apparente à un art car la maîtrise de tous ses paramètres exige tout le talent, la sensibilité, l’intuition et la capacité d’adaptation de l’analyste à un problème donné. Ce dernier produit ainsi ses propres outils (nouveaux instruments et réactifs) et n’hésite pas à critiquer ceux des « anciens » chimistes. Au final, la diversité des approches conduit les analystes à développer une sorte d’équation personnelle en matière d’analyse immédiate6.

4 Une chimie organique fondée sur l’analyse

4.1 L’uniformisation des techniques en analyse élémentaire

L’analyse élémentaire par combustion est une invention de Lavoisier. Le célèbre chimiste recentre toute la chimie sur l’analyse et ordonne les substances chimiques en « substances simples » (éléments) et « substances composées ». L’oxygène, l’azote et l’hydrogène sont des éléments ; l’eau est désormais un corps composé d’hydrogène et d’oxygène et le « gaz carbonique » est constitué de carbone et d’oxygène. Après avoir fondé la « révolution chimique » sur les composés minéraux et les gaz, Lavoisier s’attaque aux « substances plus composées » d’origine végétale telles qu’elles apparaissent dans la Méthode de nomenclature chimique publiée en 1787 (Tableau 3). Les acides végétaux et animaux ne font pas partie de cette liste et sont intégrés aux composés minéraux. Ces travaux n’arrivant que vers la fin de sa carrière, il n’a eu le temps d’analyser qu’un nombre restreint de substances : l’alcool, le sucre, l’acide oxalique et les huiles fixes. Sa méthode consiste à faire brûler une quantité donnée de substance à l’aide de l’oxygène gazeux ou de divers composés oxygénés. Dans son Traité élémentaire de chimie (1789), dont les planches sont dessinées par sa femme Marie-Anne Paulze-Lavoisier (1758–1836), il présente un appareil permettant d’analyser les huiles (Fig. 7). À l’aide d’une lampe d’Argand (a), il brûle l’huile (b) dans l’air débité grâce à un gazomètre (c). L’eau est récupérée par condensation (d) et l’« acide carbonique » est piégé par une solution de potasse (e). La méthode de Lavoisier n’a pas eu le succès sans doute escompté par son auteur. La plupart des résultats restent consignés dans ses carnets de laboratoire, sa mort prématurée et le contexte quelque peu agité de la période révolutionnaire incitent davantage (et réquisitionnent) les chimistes afin de sauver la jeune République en se tournant vers des produits utiles (poudre, salpêtre, savons, bronze, etc.). De plus, les pharmaciens, qui auraient pu être un précieux relais, ne tirent dans l’immédiat aucun avantage de cette « nouvelle chimie » avec ses instruments coûteux et un nouveau langage qui bouscule leurs dénominations séculaires.

Tableau 3

Liste des substances d’origine végétale et animale d’après la Nouvelle Nomenclature (1787).

Dénominations appropriées de diverses substances plus composées & qui se combinent sans décomposition
Noms adoptésNoms anciens
Le muqueuxLe mucilage
Le glutineux ou le glutenLa matière glutineuse
Le sucreLa matière sucrée
L’amidonLa matière amilacée
L’huile fixeL’huile grasse
L’huile volatileL’huile essentielle
L’arômeL’esprit recteur
La résineLa résine
L’extractifLa matière extractive
L’extraco-résineux, quand l’extractif domine
Le résino-extractif, quand la résine est plus abondante
La féculeLa fécule
Alcool ou esprit-de-vinEsprit de vin
Alcool de potsse, de gayc, de scammonée, de myrrhe, etc.Teinture alcaline, teinture de Gayac, de Scammonée, de myrrhe, etc.
Alcool nitreuxEsprit de vin dulcifié
Alcool muriatiqueAcide marin dulcifié
Alcool gallique, etc.Teinture de noix de Galles
Éther sulfuriqueÉther de Frobenius
Éther muriatiqueÉther de marin
Éther acétique, etc.Éther d’acéteux, etc.
Savon alcalinSavon alcalin
Savon terreuxSavon terreux
Savon acideSavon acide
Savon métalliqueSavon métallique
Savonule de thérébenthine, etc.Combinaison des huiles volatiles avec des bases
Fig. 7

Appareil à analyser les huiles fixes de Lavoisier (1789).

C’est dans un climat plus apaisé au sein de la Société d’Arcueil qu’il dirige avec le physicien Pierre Simon de Laplace (1749–1827), que le médecin chimiste Claude-Louis Berthollet (1748–1822) propose en 1807 un montage plus simple : un tube de porcelaine chauffé à incandescence décompose la substance en un résidu de carbone, le gaz carbonique dégagé est piégé par une solution de potasse et l’eau par condensation. À Genève, le botaniste et chimiste suisse Nicolas-Théodore de Saussure (1767–1845) utilise un appareil similaire mais à la carbonisation il préfère la combustion dans l’oxygène et analyse les gaz grâce à un eudiomètre. Les résultats sont encourageants et deux jeunes chimistes, Louis-Jacques Thenard (1777–1857) et Louis Joseph Gay-Lussac (1778–1850), profitant des facilités de l’École Polytechnique, se lancent à leur tour dans l’aventure et proposent en 1810 le prototype des futurs appareils. Les chimistes effectuent la combustion dans un tube en verre en position verticale chauffé au moyen d’une lampe d’Argand et d’un agent oxydant déjà utilisé par Lavoisier (le chlorate de potassium) qu’ils mélangent en boulettes avec la substance organique. Thenard, futur professeur à Polytechnique et au Collège de France, résumera dans la dernière édition de son fameux Traité de chimie (1835) les différents appareils d’analyse élémentaire en intégrant l’appareil originel même s’il n’est plus utilisé (fig. 1 de la Fig. 8).

Fig. 8

Les appareils de l’analyse élémentaire selon Thenard (1835).

La complexité des manipulations et certains défauts (risque d’explosion, combustion incomplète pour les matières azotées et méthode limitée aux composés non volatils) engagent les chimistes à simplifier la procédure. En 1815, le suédois Berzelius propose un montage où la combustion a lieu dans un tube en verre en position horizontale et brûle la substance organique dans une préparation en sandwich à base d’oxyde de plomb que Gay-Lussac substitue aussitôt pour l’oxyde de cuivre (Fig. 9). En 1828, le chimiste anglais William Prout (1785–1850), propose un appareil plus sophistiqué fondé sur l’utilisation d’une oxydation mixte à base d’oxyde de cuivre et d’oxygène dont le débit est contrôlé par des gazomètres. La méthode a eu peu de succès sur le continent et c’est la méthode standard Berzelius-Gay-Lussac qui sera utilisée jusqu’en 1830, date à laquelle Liebig propose son fameux « kaliapparat » (piège à dioxyde de carbone rempli de potasse) (fig. 12 de la Fig. 8) en intégrant la pompe de Gay-Lussac (visible sur les fig. 6 et 19 de la Fig. 8) qui permet de faire le vide avant la combustion. En 1834, Dumas propose un dispositif adapté aux composés azotés (fig. 6 de la Fig. 8). Le procédé Liebig-Dumas deviendra le « pont aux ânes » pour plusieurs générations d’étudiants avant que la méthode microchimique du chimiste autrichien Fritz Pregl (1869–1930) inventée au début des années 1910 ne prenne le relais.

Fig. 9

Appareil à analyse élémentaire de Berzelius (1815).

Cette évolution de l’analyse élémentaire, qui se fait dans le sens d’une uniformisation des techniques, est en grande partie guidée par la nature des nouveaux principes immédiats – en particulier les alcaloïdes – qui mettent à l’épreuve les performances des appareils. La faible teneur en azote en particulier, nécessite une très grande précision des mesures. Cette histoire, on le voit, est une histoire de chimistes même si quelques pharmaciens téméraires comme Étienne-Ossian Henry fils (1798–1873) et Auguste Arthur Plisson (1767–1832) opérant à la Pharmacie Centrale, proposent des appareils alternatifs fiables si l’on compare leurs résultats à ceux des chimistes (Fig. 10). Ces derniers, jusque-là plutôt enclins à la coopération, rejettent ces propositions car, au moment où ils se professionnalisent, ils veulent marquer leur territoire et s’approprier le terrain encore en friche mais plein de promesses de la chimie organique. Mais les ponts ne sont pas complètement coupés entre les deux communautés. Des interactions ponctuelles existent, et les pharmaciens restent les principaux pourvoyeurs en principes immédiats dont la pureté est une condition sine qua non pour la standardisation des procédures de l’analyse élémentaire. Dumas et d’autre chimistes français se fourniront auprès de Pelletier et de Robiquet et Liebig fera confiance aux alcaloïdes débités par l’industriel Heinrich Emmanuel Merck (1794–1855).

Fig. 10

Appareil à analyse élémentaire de Henry fils et Plisson (1831).

4.2 Une « philosophie spécifique à la chimie organique »

Dès que la composition élémentaire de certains principes immédiats fut connue, les analystes se sont intéressés à leur classification et ont élaboré une philosophie fondée sur la taxonomie des substances organiques. Les premiers essais remontent à Lavoisier qui avait transposé la notion de radical, introduite pour les besoins de la nomenclature, aux substances végétales et animales. Pour les nouveaux chimistes adhérant à la théorie de l’oxygène de Lavoisier (l’oxygène est porteur de l’acidité), un radical ou « base acidifiable » représente la partie (connue ou inconnue) d’un corps pouvant se combiner avec l’oxygène en diverses proportions. Pour le « gaz carbonique » par exemple, le radical est le carbone. Lavoisier remarque que, contrairement aux corps minéraux, le radical des substances végétales et animales n’est pas simple. Il a ainsi déterminé la nature hydrocarbonée pour les huiles, mais la proportion en éléments de la plupart des radicaux des « substances non décomposées » du tableau de la Nomenclature, reste inconnue. Il a néanmoins supposé un radical ternaire (C, H et O) pour les acides végétaux et animaux et a soupçonné un radical binaire carbone-azote pour l’acide prussique. Il a également envisagé la possibilité de radicaux quaternaires à base de phosphore. Cette distinction entre radical simple et composé sera reprise par Dumas et Liebig dans leur « manifeste » de 1837 comme critère de démarcation entre chimie minérale et chimie organique, ce qui n’est pas le cas chez Lavoisier pour lequel la chimie est « une et indivisible ».

Entre les intuitions de Lavoisier et les premiers chimistes organiciens professionnels, la notion de radical, étroitement liée à l’évolution des techniques d’analyse élémentaire, a une histoire qui n’a rien de linéaire. Prévue par Lavoisier, la découverte du radical prussique par Gay-Lussac en 1815 passe quasiment inaperçue. Berthollet ne discute pas de la classification des composés organiques en termes de radical, estimant que les résultats peu nombreux sont incertains. Il distingue cependant chimie animale et végétale selon la présence ou non de l’azote. En 1810, Thenard et Gay-Lussac établissent une classification de quinze « substances végétales » sans faire référence à la notion de radical. Ils préfèrent s’appuyer sur la composition de l’eau et distinguent trois classes : les composés acides (O domine), huileux et résineux (H domine) et neutres (H et O dans les proportions de l’eau). Ils proposent également une liste restreinte de quatre composés d’origine animale qu’ils distinguent, à la suite de Berthollet, par leur nature azotée et qu’ils comparent par rapport à la composition de l’eau et de l’ammoniac. Le pharmacien-chimiste Boullay père, rédacteur du tout récent Bulletin de pharmacie, en profite pour présenter les résultats des chimistes à ses collègues (Fig. 11).

Fig. 11

Classification de Thenard et Gay-Lussac selon Boullay père (1810).

Ce tableau appelle plusieurs commentaires. Par rapport à la liste des chimistes, le pharmacien augmente le nombre de « substances végétales et animales » qu’il rebaptise « produits immédiats des végétaux » et inclut une substance d’origine animale (albumine). Le pharmacien généralise le cas de l’huile d’olive à toutes les huiles fixes et la résine de térébenthine aux résines et huiles volatiles. Cette nouvelle lecture de Boullay père pointe les deux principales difficultés théoriques que les analystes vont devoir surmonter pour construire une chimie organique cohérente : définition univoque d’un principe immédiat et fusion de la chimie végétale et animale.

Le premier obstacle est franchi par Chevreul au début des années 1820 lorsqu’il redéfinit les principes immédiats dans le cadre plus général de la notion d’espèce organique. Diverses expressions circulent alors au sein de la communauté des analystes pour désigner les « substances végétales et animales » : « matériaux immédiats », « produits immédiats » et « principes immédiats ». Le terme « matériaux immédiats » a été formalisé par Fourcroy pour désigner à la fois un critère de classification (genre) et des composés chimiques. Cette classification botanico-chimique s’inspire de celle proposée en 1773 par le médecin chimiste Jean-Baptiste Michel Bucquet (1746–1780), un proche collaborateur de Lavoisier. En 1816, le botaniste Augustin-Niçaise Desvaux (1784–1856) assimile la plupart des « matériaux » de Fourcroy à des « produits immédiats » et les oppose aux « principes » issues de l’analyse immédiate et dont les propriétés physicochimiques sont connues. Mais les confusions persistent. En 1820, le médecin chimiste Adrien-Jacques de Lens (1786–1846) franchit un pas en intégrant les « principes médiats » pour désigner les produits artificiels (comme les éthers) et classe tous les produits organiques dans la catégorie « espèce ». C’est Chevreul qui va définitivement clarifier tout ce vocabulaire emprunté à l’histoire naturelle. Dans ces deux ouvrages capitaux publiés en 1823 et 1824, il bannit le terme « matériaux » et définit une « espèce organique » comme « une collection d’êtres identiques par leur nature, la proportion et l’arrangement de leurs éléments ». Pour Chevreul, les « êtres identiques » sont les « principes immédiats ». La distinction du chimiste repose sur une vision atomiste de la matière : les « principes » sont les « atomes composés » (nos molécules) constitués par des « atomes élémentaires » (nos atomes) ; leur collection forme une « espèce » « qui tombe sous nos sens ». Cette différence subtile échappe à la plupart des analystes qui confondent « espèce » et « principe », mais cela ne change rien aux pratiques analytiques. L’essentiel consiste à présent à « circonscrire » les espèces/principes en leur assignant une formule empirique et des propriétés physicochimiques. Chevreul et d’autres analystes tels Pelletier et Henri Braconnot (1780–1855), éliminent ainsi tous les mélanges naturels considérés comme des produits purs tels que l’extractif, un artefact de l’analyse immédiate [21]. Pour Chevreul, une espèce organique se définit par rapport aux deux types d’analyse organique. L’analyse immédiate qui permet d’isoler les espèces à l’état pur car « cette connaissance est la base de la chimie organique et de toutes ses applications » ; et l’analyse élémentaire pour établir sa composition chimique. La théorie de la saponification fait appel à cette double approche. Le « nouvel ordre d’analyse » hérité du xviiie siècle a conduit à une « philosophie spécifique à la chimie organique ». Chevreul, l’historien des sciences, qualifiera plus tard cette démarche de nature inductive de « méthode a posteriori expérimentale » [22]. Ses contemporains écrieront plus tard que Chevreul est « le Lavoisier de la chimie organique car il a su l’un des premiers débrouiller le chaos de cette science si complexe et si obscure, et “ses travaux classiques, a dit Liebig, sont la clef de voûte de tout ce qui a été fait, depuis quarante ans, en chimie organique” » [23].

Le second obstacle, intimement lié au précédent, est franchi au début des années 1830. La fusion de la chimie animale et végétale résulte de l’inflation des composés organiques dont on a vu la croissance quasi exponentielle. Les composés azotés d’origine végétale qui se multiplient vont accélérer le processus. Berthollet avait distingué les composés des deux règnes selon la présence ou non de l’azote. Les analystes classent les composés azotés comme le « gluten » ou le « ferment » extraits des végétaux sous la rubrique des substances « végéto-animales » ou « animalisées ». Cette catégorie intermédiaire entre substances végétales et animales va durer quelques années avant que certains analystes ne remettent en cause le critère artificiel de l’azote. Les alcaloïdes ou « bases salifiables organiques » viendront renforcer cette opinion. Alors que les ouvrages de chimie suivent toujours le découpage tripartite (chimie minérale, animale et végétale), c’est dans la dernière édition de son traité (1835), que Thenard franchit le pas et fusionne les deux « règnes organiques » en considérant uniquement des composés organiques sans distinction d’origine.

Les résultats conjugués des deux types d’analyse organique vont mener les chimistes et quelques pharmaciens, à expliquer le « mécanisme » de certaines réactions à partir des « formules empiriques » (nos formules brutes) et des « formules rationnelles ». Ces dernières sont censées représenter les deux parties « électrochimiquement contraires » des composés organiques dans le cadre de la théorie atomique du physicien chimiste anglais John Dalton (1766–1844) et du dualisme électrochimique de Berzelius assortie du formalisme d’écriture utilisant les lettres latines introduit en 1813 [24]. La théorie de l’éthérification sera expliquée en 1827 par Dumas et le pharmacien-chimiste Félix-Polydore Boullay fils (1806–1835). La théorie des radicaux ressurgit à cette époque. La découverte du radical benzoyle par Liebig et Wöhler permet d’expliquer les transformations de l’huile essentielle d’amandes amères. D’autres radicaux sont proposés avec plus ou moins de succès. Au milieu des années 1830, la théorie des substitutions développée par Dumas et Auguste Laurent (1807–1853) vient remettre en cause le dualisme de Berzelius. La chimie organique est désormais une affaire de spécialistes.

5 Conclusion

Des apothicaires-chimistes aux premiers chimistes organiciens professionnels, un long chemin a été parcouru. Le processus de fusion de la chimie animale et végétale en chimie organique doit être interprété comme une mutation plutôt qu’une révolution avec changement de paradigme. La gestation de la chimie organique s’étend en effet sur plus d’un siècle avec une accélération durant les premières décennies du xixe siècle. Une chronologie des événements significatifs de la chimie organique doit intégrer trois composantes (Annexe 1) : l’évolution des techniques d’analyses, celle des substances-clés trop souvent négligées par l’historiographie des sciences, et celle des théories de la matière et de ses transformations. Selon cette perspective, la synthèse de l’urée est un événement qui intervient vers la fin du processus mais qui n’est pas plus important que la découverte du radical prussique, de la théorie de l’éthérification ou de la découverte des alcaloïdes.

La mutation, que l’on peut également qualifier de « révolution en douceur » (quiet revolution), n’est certainement pas spécifique à la chimie organique. Une interprétation de l’histoire des sciences centrée sur les pratiques et pas seulement les théories, attentive à la dimension matérielle de la chimie et pas seulement à ses doctrines restitue mieux le caractère collectif et pluridisciplinaire dans lequel émerge une spécialité scientifique. Elle met en scène non seulement les « héros » de la science mais également les personnages jusqu’ici considérés comme secondaires et les substances qu’ils échangent (réellement ou symboliquement). Elle restitue en particulier la place fondamentale des pharmaciens-chimistes dans l’histoire de la chimie que l’Académie des sciences a toujours accueilli.

Annexe 1 Une chronologie de la chimie organique.

DateTechniqueSubstanceThéorie
1700Double extraction de Boulduc
1702Sels neutres de Homberg
1718Table des rapports d’E. F. Geoffroy
c. 1750Propagation de l’« analyse menstruelle » ou « nouvel ordre d’analyse » par Rouelle aîné, Macquer, VenelMarggraf découvre le sucre de betterave [saccharose] et l’« acide des fourmis » [acide formique]Venel définit les « principes immédiats »
Théorie de l’affinité de l’« action menstruelle »
1770–17801er colorant artificiel par Woulfe en 1771 : acide picrique
1re série de composés organiques : les acides végétaux découverts par Scheele et Bergman
Rouelle cadet découvre la « matière verte » [chlorophylle] et l’« extrait savonneux de l’urine » [urée]
Théorie de la combustion de Lavoisier.
Classification botanico-chimique de Bucquet.
1785–1789Lavoisier réalise les premiers essais d’analyse élémentaire par combustionFin du phlogistique ; nouvelle chimie centrée sur l’analyse chimique élémentaire et la nouvelle nomenclature
Théorie des radicaux composés de Lavoisier
1791Analyse du quinquina ou « grande dissertation » de Fourcroy
1801Alambic « révolutionnaire » d’Adam pour la production d’alcoolFourcroy propose une classification botanico-chimique inspirée de Bucquet et définit les « matériaux immédiats »
1810Prototype des procédés d’analyse élémentaire ou système Thenard-Gay-LussacIntroduction de la théorie atomique de Dalton
1807–1813Entonnoir à double robinet de Boullay père pour la préparation de l’étherBerzelius introduit le terme « chimie organique » et la notation des éléments par des lettre latines
Théorie du dualisme électrochimique appliquée aux corps organiques
1814–1815Procédé Berzelius-Gay-Lussac pour l’analyse élémentaireDécouverte du radical hydrocyanique par Gay-LussacObservation du premier cas d’isomérie par Gay-Lussac (acide acétique et « matière ligneuse » ou cellulose)
1813–24Chevreul découvre la première série d’acides grasThéorie de la saponification, formalisation de l’analyse immédiate et définition d’une « espèce chimique organique » par Chevreul
1817–1827Découverte de la première série d’alcaloïdes par les pharmaciens-chimistesObservation de l’isomérie cyanate/fulminate par Gay-Lussac, Liebig et Wöhler (1823–24)
1827–28Synthèse de l’urée par Wöhler (isomérie cyanate d’ammoniaque/urée)Dumas et Boullay fils classent les éthers en fonction de leurs « formules rationnelles » binaires
1830–1832Appareil à déplacement de Robiquet et Boutron-Charlard
Appareil à reflux de Berthemot et Corriol
Mise au point du procédé Liebig-Dumas d’analyse élémentaire
Découverte du radical benzoïque par Liebig et WöhlerBerzelius introduit le mot « isomérie »
1832–1837Consolidation de la théorie des radicaux et publication du manifeste Liebig-Dumas
Théorie de la substitution de Dumas et Laurent

1 La population parisienne des pharmaciens peut être estimée à environ 90 individus vers 1780, à environ 120 autour 1800 et un peu plus de 200 vers 1830. Il faut noter qu’en dehors de l’élite, une majorité des pharmaciens parisiens s’impliquent dans l’analyse végétale et animale.

Fig. 4Réparation territoriale et publications des analystes français.

2 Si l’on considère que les analystes les plus productifs correspondent à plus de 50 % des publications, le nombre de chimistes se réduit aux quatre premiers personnages, celui des médecins reste inchangé, et le chiffre tombe à 16 pour les pharmaciens contre 46 si l’on retient le critère de plus de 5 publications.

Tableau 1 Liste des chimistes et médecins les plus productifs.
Chimistes (> 80 % des publications)Médecins (≈ 50 % des publications)
(≈ 50 % pour les 4 premiers)Fourcroy Antoine-François
Chevreul Michel-EugèneBerthollet Claude-Louis
Dumas Jean-BaptisteMagendie François
Lassaigne Jean-Louis (Maison Alfort)Ricord Madiana Jean-Baptiste (Guadeloupe)
Payen Anselme
Thenard Louis-Jacques
Gay-Lussac Louis Joseph
Guyton de Morveau Louis Bernard
Séguin Armand
Houtou de Labillardière (Houtou-Labillardière)
François-Joseph (Paris et Rouen)
Kuhlmann Charles-Frédéric (Lille)

3 Parmentier et Vauquelin (1795), Déyeux (1797), Sérullas (1829), Robiquet (1833), Pelletier (1840), Bussy (1850). Depuis sa création en 1666 jusqu’à sa dissolution en 1793, l’Académie Royale des Sciences comptera treize apothicaires.

4 Dans l’ordre chronologique des soutenances : Bouillon-Lagrange (1805), Vauquelin (1811), Virey (1814), Bussy (1832), Poggiale (1833), Lecanu (1837), Soubeiran (1853).

5 Dans l’ordre chronologique des soutenances : Pelletier et Cadet (1812), Planche et Boudet neveu (1815), Bouillon-Lagrange (1817), Boullay père (1818), Boullay fils (1830), Boudet fils (1833).

6 Cette expression est employée en psychologie cognitive pour désigner les erreurs personnelles des astronomes lors des observations de passages des étoiles devant le fil d’une lunette méridienne. L’astronome allemand Friedrich Wilhelm Bessel (1784–1846) étudia le phénomène en 1823 et les physiologistes ont expliqué l’écart entre l’observation et l’action en mesurant le « temps physiologique » ou « temps de réaction ». Dans le sens où je l’emploi, l’expression « équation personnelle » désigne l’ensemble des caractéristiques et des compétences propres à un analyste.


Bibliographie

[1] S. Tomic Aux origines de la chimie organique. Méthodes et pratiques des pharmaciens et des chimistes (1785–1835), Presses Universitaires de Rennes (Collection Carnot), Rennes, France, 2010

[2] J. Jacques Revue d’histoire des sciences, 3 (1950), p. 32 En France, Marcelin Berthelot justifiera sa Chimie organique fondée sur la synthèse (1860) en évoquant le même argument, voir

[3] J.H. Brooke; P.S. Cohen; S.M. Cohen; P.J. Ramberg; D. McKie Ambix, 15 (1968), p. 84 (La première remise en cause du mythe remonte à 1944, Nature, 153, 1944, pp. 609)

[4] A.J. Rocke; A.J. Rocke The Quiet Revolution. Hermann Kolbe and the Science of Organic Chemistry, Nationalizing Science: Adolphe Wurtz and the Battle for French Chemistry, University of California Press, Berkeley, USA, 1993

[5] M. Crosland; J. Peiffer; S. Juratic Dix-huitième siècle, 40 (1994), p. 281

[6] P. Bungener Dix-huitième siècle, 40 (2008), p. 153 (Comme pour la correspondance d’A.-P. de Candolle par exemple,)

[7] P. Bret Dix-huitième siècle, 40 (2008), p. 263

[8] B. Bensaude-Vincent Méthode de nomenclature chimique (L.B. Guyton de Morveau; A. Lavoisier; C.-L. Berthollet; A.-F. Fourcroy, eds.), Seuil, Paris, France, 1994

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[10] K. Hufbauer, University of California Press, Berkeley, USA, 1982 Pour l’Allemagne, voir The Formation of the German Chemical Community (1720–1795)

[11] D. de Solla Price Little Science, Big Science, Columbia University Press, New York, USA, 1963

[12] B. Belhoste, Armand Colin, Paris, France, 2011 (Pour une vision de l’activité scientifique à Paris à la fin du XVIIIe siècle, voir Paris savant. Parcours et rencontres au temps des Lumières)

[13] J. Simon Chemistry, Pharmacy and Revolution in France, 1777–1809, Ashgate, Aldershot, England, 2005

[14] S. Tomic Histoire de l’éducation, 130 (2011), p. 31

[15] J. Perkins; C. Lehman; B. Bensaude-Vincent Ambix (L. Principe, ed.), New Narratives in Eighteenth-Century Chemistry, 57, Springer, Dordrecht, 2010, p. 1 (coll. Christine Lehman)

[16] U. Klein New narratives in eighteenth-century chemistry (L.M. Principe, ed.), Springer, Dordrecht, 2007, p. 97 (pour le cas Allemand, voir)

[17] S. Morelot Cours élémentaire théorique et pratique de pharmacie-chimique ou manuel du pharmacien-chimiste, Levrault, Paris, France, 1803 (vol. 1, viii)

[18] F.L. Holmes Isis, 62 (1971), p. 129

[19] A.F. Fourcroy Système des connaissances chimiques, Baudoin, Paris, France, 1800 (vol. 1, 57, c’est moi qui souligne)

[20] P.-J. Robiquet Journal de Pharmacie, 17 (1831), p. 281

[21] S. Tomic Revue d’histoire de la pharmacie, 59 (2011), p. 39

[22] M.-E. Chevreul Distribution des connaissances humaines du ressort de la philosophie naturelle conforme à la manière dont l’esprit humain procède dans la recherche de l’inconnu en allant du concret à l’abstrait et revenant de l’abstrait au concret, Typographie de Firmin et Didot, Paris, France, 1865

[23] A. Mangin Le Correspondant-recueil périodique, Charles Douniol, Paris, France, 1865 (vol. 65, 718)

[24] U. Klein Experiments, Models Paper Tools. Cultures of Organic Chemistry in the Nineteenth Century, Stanford University Press, Stanford, USA, 2003


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